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cinéma - Page 12

  • Touché coulé

    Alors que le Festival de Cannes bat son plein, il est sans doute temps de s’arrêter sur le Président du Jury de cette édition 2023, Ruben Östlund. Le cinéaste suédois a quand même réussi l’exploit d’avoir décroché deux Palmes d’Or à Cannes avec… ses deux derniers films, The Square en 2017 et Sans filtre l'an dernier.

    Triangle of Sadness, le titre original de Sans Filtre, tire son nom de la première scène se déroulant au cours d’un casting de mannequins. Une scène mémorable, drôle et caustique, et qui annonce la couleur : faire un sort à notre société de l’apparence, de la consommation et du libéralisme.

    Le spectateur suit un jeune couple gâté par la vie : l'influenceuse Yaya et son petit ami Carl, dont la romance est pour le moins parasitée par l’argent, les apparences et les idées reçues. Les deux tourtereaux embarquent sur un yacht pour une croisière idyllique tout frais payée. Ils côtoient d’autres VIP – riches héritiers, hommes d’affaires, héritiers fortunés et autres femmes entretenues. Ils croisent aussi ces autres passagers issus de la classe prolétaire : personnel d’équipage, cuisiniers et serveuses à leur service pendant la durée du voyage, dans un décor de carte postale.

    Après qu’une tempête transforme un dîner somptuaire en cauchemar digne de La Grande Bouffe, des pirates font couler le bateau. Les quelques survivants se retrouvent seuls sur une île. Et, cette fois, les rôles sont inversés. 

    Charlbi Dean

    Les festivaliers de 2022 ont fait preuve d’un grand sens de l’humour en octroyant une Palme d’Or pour cette comédie scandinave s’attaquant aux nouvelles élites – dont Cannes n’est pas privée.    

    Dans Square, Ruben Östlund s’était pris à l’art contemporain. Ici, c’est le libéralisme dans son ensemble qui sert de cible. Le cinéaste a la bonne idée, au passage, de s’en prendre au monde des influenceurs et influenceuses, à travers les personnages tête-à-claque de Carl et Yaya. Avec une scène hilarante au cours de laquelle cette dernière "ose" dire bonjour à un simple membre d’équipage. La lutte des classes est au centre du propos de Ruben Östlund, mais c’est une lutte des classes en huis-clos, bardée de faux bons sentiments (la séquence de baignade accordée à la piétaille) et d’insultes à la décence (le couple de marchands d’armes).

    Le grand dîner se terminant en débandade digestive est sans doute ce qui a le plus marqué les festivaliers de Cannes. Et il est vrai que le metteur en scène a fait preuve à, la fois d’audace, de maestria et d’humour acerbe pour dépeindre la riche clientèle en déshérence.

    La dernière partie du film, au cœur de l’enjeu du film, n’est pas moins cruel. Cette fois, les rôles sont inversés : aux pauvres et aux femmes la domination sur l’île.

    Au moment de conclure cette chronique, il faut souligner que Charlbi Dean, l’actrice principale et mannequin sud-africaine, en photo sur l’affiche, est décédée accidentellement trois mois après la sortie à Cannes. Voilà qui rend le film encore si particulier. 

    Sans filtre, comédie satirique suédoise de Ruben Östlund, avec Harris Dickinson, Charlbi Dean,
    Dolly de Leon, Zlatko Burić et Woody Harrelson, 2022, 149 mn, Canal+

    http://www.new.bacfilms.com/distribution/fr/films/triangle-of-sadness
    https://www.canalplus.com/cinema/sans-filtre/h/20438760_40099

    Voir aussi : "Ennio Morricone, une vie filmée et en musique"

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  • Ennio Morricone, une vie filmée et en musique

    Impressionnant, exemplaire, passionnant : les qualificatifs élogieux seraient bien plus nombreux pour qualifier Ennio, le documentaire de  Giuseppe Tornatore consacré à Ennio Morricone, décédé en 2020. Sorti un an plus tard, Ennio fazit figure autant de film testamentaire que d’hommage à l’un des plus grands compositeurs des XXe et XXIe siècle. Mais aussi celui qui a su donner ses lettres de noblesse à la musique de film.

    Il fallait bien deux heures trente pour retracer une carrière impressionnante : 60 ans de créations, 500 musiques de films pour le ciné ma et la télévision, des dizaines de millions de disques vendus, des récompenses par centaine mais – seulement – deux Oscars, dont un pour l’ensemble de sa carrière et un autre pour la BO du film Les Huit Salopards de Quentin Tarantino.

    Le cinéaste américain fait d’ailleurs parti des nombreux témoins du documentaire de Giuseppe Tornatore, pour qui Ennio Morricone a d’ailleurs composé plusieurs BO, dont Cinema Paradisio.

    Il est impossible de nommer tous les grands artistes venus témoigner leur admiration pour le génie italien : l’acteur puis réalisateur Clint Eastwood, le compatriote Bernardo Bertolucci, John Williams, une autre des grandes figures de la musique de films, sans compter Dario Argento (car on oublie que les collaborations entre le cinéaste et le compositeur ont été riches et fructueuses). Singulièrement, la France qui a tant aimé Ennio Morricone, est assez peu représentée, si l’on omet un passage passionnant consacré à la musique du Clan des Siciliens. 

    Le maestro italien a réussi à réconcilier musique contemporaine et concrète, musique classique et musique populaire

    Impossible – sauf à être hermétique, indifférent et insensible – de ne pas être scotché devant ce documentaire récompensé par plusieurs prix au David di Donatello 2022. La caméra suit Morricone chez lui, dans son bureau, au travail devant ses partitions (car le musicien composait "à l’ancienne", en silence, grâce à son oreille absolue) et surtout assis face à l’objectif pour témoigner, avec sincérité et non sans émotion.

    Ennio est aussi un film parcourant plusieurs dizaines d’années de la vie culturelle italienne : cinéma, télévision, musique. Quelque part, Morricone est un acteur (sans jeu de mot) et un témoin essentiel de cette période, avec quelques figures incontournables de cette période, dont Pasolini, le compositeur contemporain Goffredo Petrassi ou la chanteuse populaire Milva.

    Évidemment, une large partie du documentaire est consacré aux apports exceptionnels de Morricone dans la musique de films. Et l’on découvre comment le bruit d’une échelle, le son d’un coyote ou les martellements de tambours lors d’une manifestation ont influencé le maestro pour tel ou tel thème. Les musiques des films de Sergio Leone (Pour une poignée de dollars, Le Bon, la Brute et le Truand, Il était une fois dans l’Ouest, Il était une fois en Amérique) sont traités avec enthousiasme, tout comme ces autres BO tout aussi passionnantes que sont Mission, Les Incorruptibles, Sacco et Vanzetti ou Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, dont la composition a impressionné jusqu’à Kubrick qui a essayé, lui aussi, de travailler avec Morricone, en vain.

    Ennio est remarquable à plus d’un titre. Exemplaire aussi, dans le sens où Ennio Morricone, longtemps critiqué et rejeté par ses pairs (des compositeurs de musique dite "savante") a finalement été reconnu par un des plus grands créateurs de ce siècle et du siècle d’avant. Mais ce qui marque aussi et surtout c’est à quel point le maestro italien a réussi à réconcilier musique contemporaine et concrète, musique classique et musique populaire. 

    Ennio, documentaire italien, allemand, belge chinois, japonais et néerlandais de Giuseppe Tornatore,
    avec Ennio Morricone, Giuseppe Tornatore, Bernardo Bertolucci,
    Dario Argento, Quentin Tarantino, Hans Zimmer, John Williams, Oliver Stone,
    Clint Eastwood, Terrence Malick, Wong Kar-wai, Quincy Jones,
    Roland Joffé et Marco Bellocchio, 2021, 156 mn, Canal+

    https://le-pacte.com/france/film/ennio
    https://www.canalplus.com/cinema/ennio/h/19876949_40099

    Voir aussi : "Western ou northern ?"
    "Retenez-moi ou je fais un malheur"

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  • Pop dans les tuyaux

    Il est rare qu’un animé suscite des avis positifs autant parmi le grand public que chez pas mal de critiques dites "sérieuses". Bon, on ne se cachera pas qu’avec Super Mario Bros. Le film, on n’est ni dans un film digne de la Quinzaine des Réalisateurs ni dans une œuvre cataloguée comme chef d’œuvre.

    Cela étant dit, Super Mario Bros. Le film est en soi une gageure, en ayant réussi le pari d’une adaptation d’un jeu vidéo (le précédent Super Mario Bros, sorti en 1993, avait été un four artistique et commercial retentissant).

    Voilà donc, dans un animé des plus réjouissants Mario et son frère Luigi transportés, par la grâce d’étranges tuyaux (rappelons qu’ils sont tous les deux plombiers), dans un univers – disons "métaverse", histoire de rester dans l’air du temps – menacé par l’ignoble Browser, rêvant de conquérir le monde, mais aussi de se marier avec la Princesse Peach.

    Mario va se démener comme un beau diable pour aider la courageuse Princesse Peach à sauver son royaume et délivrer Luigi. Pour cela, ils auront bien besoin de l’aide de l’armée des singes, Donkey Kong en tête. 

    Authentique œuvre de pop culture et hommage aux années 80 et 90

    Les amateurs de jeux-vidéos, et en particulier de la saga Mario, seront enchantés par l’adaptation sur grand écran des aventures du plus célèbre des plombiers italiens.  

    Malins, les scénaristes multiplient les références aux jeux de plateforme : courses, y compris en karting, chasse aux bonus, omniprésence des champignons – y compris dans une sauce aux spaghettis – et la musique mythique de la saga Nintendo.
    Les spectateurs retrouveront bien entendu les personnages emblématiques : Mario, Luigi, la Princesse Peach, le champignon Toad, le gorille Donkey Kong et le méchant Browser.

    Les enfants, petits et grands, se réjouiront dans cette adaptation d’une très grande réussite et portée par d’authentiques doubleurs et doubleuses –  Pierre Tessier, Audrey Sourdive, Benoît Du Pac et Jérémie Covillault. Voilà qui donnera à réfléchir aux futures productions d’animés, souvent prompts à faire appel à des comédiens et comédiennes célèbres, mais dont le doublage n’est pas la spécialité !

    Super Mario Bros. Le film, réjouissant et enlevé, devient en plus une authentique œuvre de pop culture et un hommage aux années 80 et 90. Voilà qui devrait d’autant plus réjouir les parents accompagnant leur progéniture à cette folle histoire de plomberies.  

    Super Mario Bros. Le film, comédie animée américano-japonais d’Aaron Horvath et Michael Jelenic,
    avec les voix françaises de Pierre Tessier, Audrey Sourdive,
    Benoît Du Pac et Jérémie Covillault, 92 mn, 2023

    https://www.thesupermariobros.movie/home
    https://www.universalpictures.fr/micro/super-mario-bros

    Voir aussi : "Une pièce de plus dans la saga One Piece"

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  • La vieille femme et la mort

    Lorsque le Japon se pique de cinéma SF et d’anticipation, cela peut donner ça : Plan 75, un terrible et subtil drame d’anticipation qui donne le frisson autant qu’il interroge sur notre avenir.

    Dans un avenir proche, le Japon doit faire face au vieillissement de sa population, comme d’ailleurs beaucoup de pays occidentaux. Une solution officielle est trouvée : permettre aux personnes de plus de 75 ans de se faire euthanasier, moyennant finance et un accompagnement sur mesure.

    Michi, une vieille dame dont la vie est devenue absurde et sans intérêt depuis qu’elle a perdu son travail, prend contact pour abréger ses jours.  Pendant ce temps, Hiromu, un jeune fonctionnaire affecté à ce "Plan "75" commence à avoir des doutes lorsque réapparaît un lointain oncle perdu de vue qui cherche lui-même à mourir. Il y a aussi Maria, cette jeune recrue chargée d’accompagner les personnes âgées pour leur dernier voyage. Toutes ces personnes vont finir par se croiser et s’interroger sur ce programme, comme sur leur propre existence. 

    Voilà un film de SF à la fois d’une grande subtilité et d’une grande force 

    Les passionnés de cinéma et cinéphiles verront sans doute a priori dans cet étonnant film de SF japonais, mais coproduit en France, en Philippine et au Qatari, une lointaine influence du côté du désormais classique Soleil Vert. Un problème démographique insoluble, une solution radicale pour y résoudre et des personnages pris au piège de leur environnement. La comparaison s’arrête pourtant là.

    La réalisatrice Chie Hayakawa choisit une voie moins spectaculaire qu’intimiste pour aborder ce sujet. Dans Plan 75, la caméra suit les personnages au plus près, sans misérabilisme mais avec une puissance incroyable. Le spectateur français verra dans les premières scènes avec Michi, au travail dans un hôtel malgré son âge, un clin d’oeil involontaire à l’actualité récente sur les retraites. La mort plane sur tous ces personnages, sans qu’elle soit réellement montrée – à l’exception des vingt dernières minutes.

    Et l’humanité derrière tout ça ? Elle prend forme grâce aux regards de la vieille dame, aux hésitations du jeune fonctionnaire, aux non-dits avec son oncle qu’il accompagnera jusqu’au bout et à ces moments brefs mais essentiels : la scène bouleversante du bowling, la préparation du repas de Hiromu avec son oncle ou la chanson interprétée par les amies de Michi.

    Voilà un film de SF à la fois d’une grande subtilité et d’une grande force qui ne peut que nous interroger sur les problèmes éthiques de l’euthanasie comme de son utilisation.

    Plan 75 sera proposé par les Cramés de la Bobine, à l'Alticiné de Montargis le 14 mai 2023 à 14 heures, dans le cadre du Week-End japonais (les 13 et 14 mai 2023).

    Plan 75, drame SF japonais, philippin, français et qatari de Chie Hayakawa, avec Chieko Baishō, Hayato Isomura, Stefanie Arianne, Taka Takao et Yūmi Kawai, 2022, 112 mn
    https://www.unifrance.org/film/54896/plan-75
    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1329

    Voir aussi : "Retenez-moi ou je fais un malheur"
    "Ennio Morricone, une vie filmée et en musique"  

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  • Retenez-moi ou je fais un malheur

    C’est un voyage à la fois rafraîchissant, touchant et émouvant que je vous propose. Un  voyage qui nous mène tout droit au Japon – non  sans un détour par Rome. Le film Tempura, de la réalisatrice Akiko Ōku se présente comme une comédie romantique japonaise – ou plutôt comédie dramatique – ce qui, en soi, ne pouvait que susciter notre curiosité. Et qu’importe si le film est sorti il y a déjà trois ans. Il mérite d’être découvert (sur Canal+ en ce moment).

    Disons-le tout de suite : le titre culinaire français n’était pas la meilleure des adaptations pout ce long-métrage nippon (Hold Me Back). Certes, la cuisine tient un rôle de catalyseur dans l’histoire d’amour entre Mitsouka et Tada, mais elle est rapidement mise entre parenthèses pour suivre les destinées d’une jeune femme solitaire, facétieuse, lunaire, hypersensible et un poil névrosée.

    Voilà qui nous renvoie a priori vers une des célibataires les plus légendaires du cinéma, Bridget Jones. Pourtant, là s’arrête la comparaison, tant Temura prend son temps pour aborder des sujets plus graves : l’amour souvent insaisissable, les relations compliquées avec les hommes, l’amitié frustrante, la séparation, les blessures à cicatriser, le déracinement, le tout dans un langage cinématographique où les trouvailles et la poésie (l’étonnant voyage en avion, par exemple) ne manquent pas.

    Voilà qui nous renvoie a priori vers une des célibataires les plus légendaires du cinéma, Bridget Jones. Pourtant, là s’arrête la comparaison

    Mitsuko vit seule à Tokyo dans un minuscule appartement. Très bonne cuisinière (notamment ces fameux tempuras), elle travaille dans un bureau et a pour collègue et amie l’irrésistible Satsuki. Mais un garçon entre dans la vie de Mitsuko par hasard. Le timide Tada a du mal à aborder la jeune femme, à lui parler franchement, à lui déclarer ses sentiments - et la réciproque est vraie. Pour ne rien arranger, Mitsuko doit gérer ses démons intérieurs - et antérieures -, et notamment un ami imaginaire nommé A. Il entretient des dialogues avec la jeune femme, faits de confidences, de questionnements mais aussi de conseils. Un séjour en spa, la jeune perd les pédales. Plus tard, un périple à Rome permet à Mitsuko d’y voir plus clair puis de se dévoiler. Mais ce n'est pas gagné.

    On préférera le titre original Hold me Back ("Retenez-moi") pour ce récit autour d’une romance (et même d’une double romance, si l’on compte la pétillante Satsuki (la craquante Ai Hashimoto). Dans le rôle principal de Mitsuko, la star japonaise Non fait merveille. Elle endosse avec un mélange de grâce, de poésie mais aussi de souffrances cette célibataire naïve, faussement enjouée et finalement malheureuse. Avec, sous le regard de la réalisatrice Akiko Ōku un discours féministe peu tapageur mais bien présent.   

    Tempura, comédie dramatique japonaise de Akiko Ōku,
    avec Rena Nōnen (Non), Kento Hayashi et Ai Hashimoto, 2020, 133 mn, Canal+

    https://www.canalplus.com/cinema/tempura/h/19969453_50047

    Voir aussi : "Heureux comme un enfant au Bhoutan"
    "Ce que l’on fait et ce que l’on est

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  • Tout l’univers

    Everything Everywhere All At Once, succès surprise de 2022 et grand vainqueur des Oscars cette année, vaut sans doute bien plus encore. La comédie familiale et SF de Daniel Kwan et Daniel Scheinert a eu le mérite de secouer les spectateurs. C’est l’occasion rêvée en ce moment de voir ou revoir ce film incroyable, puisqu’il est disponible sur Canal+.

    Commençons par brosser l’intrigue d’une histoire qui nous mène vraiment très, très loin.

    Evelyn Wang (géniale Michelle Yeoh !) s’occupe avec son mari Waymond ( Ke Huy Quan) d’une laverie automatique, en aussi mauvaise posture que sa vie privée et familiale. Complètement dépassée, Evelyn doit gérer une inspectrice des impôts coriace, une fille insupportable en pleine crise d’identité (Stephanie Hsu), un vieux père handicapé qui vient d’arriver de Hong Kong et un mari (trop) gentil tentant d’arrondir les angles comme il le peut. Par-dessus le marché, un divorce pend au nez de la pauvre Evelyn.

    Lors d’un rendez-vous des plus délicats avec l’administration qui menace de saisir les biens, Evelyn se trouve propulsée dans le multivers. Elle se nomme Aklpha Evelyn et doit combattre Jobu Tupaki et sa troupe armée d'Alpha Gong Gong - qui a le visage de sa fille.

    EEAAO ringardise sérieusement le Docteur Strange et ses camarades d’Avengers


    Michelle Yeoh s’est imposée dans le cinéma grâce à des films d’action et de kung-fu (Tigre et Dragon, Demain ne meurt jamais). Visiblement, l’actrice sexagénaire (sic) a gardé quelques beaux restes, tant Everything Everywhere All At Once ("EEAAO" pour la faire courte) est riche de scènes de combat, chorégraphiées avec talent.

    Le film des "deux Daniel" peut être vu comme un hommage au cinéma et à tous les cinémas. Le spectateur curieux trouvera sans problème des références aux films de kung-fu. Mais pas que : citons 2001 : L’Odysée de l’espace, Matrix, le moins connu Paprika de Satoshi Kon, les comédies musicales américaines des années 50, sans compter ces centaines de clins d’œil, le moindre n’étant pas celui en référence aux films Marvel et aux récits des metaverses.

    Le multivers est en effet au cœur de ce film intimiste. Le moins que l’on puisse dire est qu’EEAAO ringardise sérieusement le Docteur Strange et ses camarades d’Avengers, et tout cela avec un budget tout autre, un sens certain du récit, un humour incroyable et des scènes bouleversantes.

    EEAAO est un énorme coup de poing qui transforme un film, qui aurait pu être un grand foutraque et un clip sans queue ni tête, en portrait d’une femme submergée et perdant pied. Il y est question d’identité, de l’art de vivre ensemble, de se retrouver et de faire de la famille une grande aventure humaine.

    Avec EEAAO, Michelle Yeoh a trouvé sans doute là la rôle de sa vie. Et le spectateur n’est pas prêt d’oublier Jamie Lee Curtis, méconnaissable et exceptionnelle, elle aussi. 

    Everything Everywhere All At Once, comédie fantastique américaine
    de Daniel Kwan et Daniel Scheinert, avec Michelle Yeoh, Stephanie Hsu, Ke Huy Quan,
    James Hong et Jamie Lee Curtis, 2022, 139 mn, Canal+

    https://www.canalplus.com/cinema/everything-everywhere-all-at-once/h/20326176_40099

    Voir aussi : "Jeu de massacre"

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  • Un féminicide et des hommes en colère

    La nuit du 12 est le film français à retenir pour l’année 2022. L’Académie des Césars ne s’y est pas trompée il y a quelques jours : elle en a fait le grand gagnant avec six Césars, dont celui du meilleur film, du meilleur réalisateur, de la meilleure adaptation, sans compter deux Césars pour respectivement Bouli Lanners (meilleur second rôle) et le formidable Bastien Bouillon (meilleur espoir masculin).

    Dans le somptueux paysage de la Vallée de la Maurienne, Clara, une jeune femme sortant d’une soirée entre copines, est agressée à quelques pas de la maison de ses parents. Son corps est retrouvé brûlé. Une enquête commence, menée par Yohan Vivès, de la Police Judiciaire de Grenoble. Les suspects – principalement des ex de la victime – se succèdent, mais l’enquête patine. Qui a supplicié et assassiné Clara ? 

    Un film magistral qui interroge

    Une enquête policière sur un crime, hélas, devenu banal. Sur ce scénario, basé sur un roman et surtout un fait divers authentique, Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien, Seules les bêtes) construit un film magistral qui interroge.

    C’est une équipe d’homme qui mène l’enquête, des hommes littéralement bousculés par cette histoire de féminicide. Alors que Yohan et Marceau sont bouleversés – pour des raisons différentes – par la mort violente de cette femme, certains propos renvoient à des idées reçues, pourtant vite balayées ("Elle l’a bien cherché…").

    Deux femmes apparaissent dans les vingt dernières minutes, la jeune policière Nadia (Mouna Soualem) et la juge d’instruction (Anouk Grinberg). Elles vont revivifier l’enquête, paradoxalement en ôtant la large part d’affect de ce féminicide. Évidemment, impossible de parler de la conclusion du film, qui aura mené le spectateur et la spectatrice vers un drame indicible et bouleversant.

    En ce moment sur Canal+.

    La nuit du 12, drame policier franco-belge de Dominik Moll, avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners,
    Théo Cholbi, Johann Dionnet, Thibaut Evrard, Julien Frison, Paul Jeanson,
    Mouna Soualem, Pauline Serieys, Lula Cotton-Frapier et Anouk Grinberg, 114 mn, 2022

    https://www.unifrance.org/film/54586/la-nuit-du-12
    https://www.facebook.com
    https://www.canalplus.com/cinema/la-nuit-du-12/h/19877127_40099

    Voir aussi : "Corpus delicti"

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  • Héroïne du quotidien

    Sorti l’an dernier, le film À plein temps du Franco-québécois Éric Gravel est absolument à découvrir en ce moment sur Canal+. S’il y avait une seule raison à cela, elle tiendrait en un prénom et un nom : Laure Calamy, sans doute l’une des meilleures actrices françaises du moment, découverte dans la série Dix pour cent, avant de connaître la consécration avec l’excellente comédie Antoinette dans les Cévennes (César 2021 de la meilleure actrice).

    Pour À plein temps, l’actrice originaire d’Orléans incarne Julie Roy, une femme divorcée devant s’occuper seule de ses deux enfants tout en travaillant à Paris dans un palace. Julie a choisi de s’installer en Province, en Bourgogne plus précisément. C’est une travailleuse, comme il en existe des centaines de milliers d’autres, obligée de jongler entre ses enfants, son travail et les transports en commun. Tout se complique lorsqu’une grève perturbe les réseaux ferrés. Il faut des trésors d’ingéniosité pour arriver à allier travail, famille et transports.

    A priori, voici un film social – et ici, un très bon film social – comme le cinéma français en propose régulièrement : le rythme infernal d’une travailleuse pauvre, la charge mentale d’une femme obligée d’élever seule ses enfants (le père est aux abonnés absents), la dèche, la lutte des classes suggérée avec le palace dans lequel travaille Julie, les transports en commun quotidiens devenant vite l’enfer et les grèves, outils de luttes sociales pouvant se transformer en enfer pour les personnes qu’elles étaient censées défendre.

    Un vrai thriller

    Or, l’originalité d’Éric Gravel est d’avoir transformé ce récit social se déroulant sur quelques journées en un vrai thriller servi par les courses de Laure Calamy, un montage nerveux, mais aussi la musique électro d’Irène Drésel.

    Impossible pour le spectateur de se détacher de ce film sur la fuite en avant d’une mère de famille courageuse, mais finalement dépassée par le rythme du quotidien.

    Ce formidable drame a été récompensé à la Mostra de Venise par un Prix du meilleur Réalisateur et de la meilleure Actrice pour Laure Calamy, également  Prix d’interprétation aux Arcs Film Festival où l film a reçu le Prix Cineuropa. Pour les Césars 2023, le film est nommé dans plusieurs catégories : meilleure actrice pour Laure Calamy, meilleur scénario original pour Éric Gravel, meilleure musique originale pour Irène Drésel et meilleur montage pour Mathilde Van de Moortel. 

    À plein temps, drame français d’Éric Gravel, avec Laure Calamy,
    Anne Suarez, Geneviève Mnich, Nolan Arizmendi,
    Sasha Lemaitre Cremaschi,
    Cyril Guei, Lucie Gallo, Agathe Dronne, Mathilde Weil,
    Dana Fiaque, Mareme N'Diaye et Olivier Faliez, 2021, 87 mn, Canal+

    https://www.canalplus.com/cinema/a-plein-temps/h/18300423_40099
    https://www.hautetcourt.com/films/a-plein-temps

    Voir aussi : "Chacun cherche son âne"

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