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cinéma - Page 16

  • Régression obligatoire

    Allez, ne gâchons pas notre plaisir avec ce qui avait été annoncé comme l’un des films très attendus de 2022 et qui s’avère être d’ores et déjà un succès au box-office. C’est peu dire que ce Top Gun 2, fort opportunément nommé Top Gun : Maverick, comme pour marquer un peu plus l’empreinte du héros, Pete "Maverick" Mitchell, alias Tom Cruise, bien entendu, marque les esprits.

    Plus de 30 ans ont passé depuis le mythique Top Gun du regretté Tony Scott, qui mettait aux avant-postes les jeunes premiers, Tom Cruise, Kelly McGillis et Val Kilmer. Kelly McGillis est aux abonnées absentes pour ce deuxième opus. Val Kilmer reprend brièvement du galon dans un rôle crépusculaire et émouvant, en militaire exemplaire galonné. Quant à Tom Cruise, il est évidemment au cœur de l’intrigue, vieilli de trente ans, mais toujours aussi irrésistible.

    Contrairement à son ami Tom Kazansky "Iceman", Maverick n’a pas eu la carrière qu’il méritait. Pilote passionné, militaire légendaire, il est aussi peu apprécié de ses supérieurs que des fonctionnaires de la Navy qui lui font payer la légèreté de ses décisions (la séquence d’ouverture avec l’avion furtif promet de rester dans les annales).

    Une mise au placard lui est imposée : devenir instructeur à la célèbre école Top Gun. On lui donne par là-même une mission hautement dangereuse qu’il va devoir organiser avec une équipe de pilotes doués à entraîner. Parmi ces pilotes, il y a Bradley "Rooster" Bradshaw (Miles Teller), le fils de son ancien ami  Nick « Goose » Bradshaw, décédé pendant une mission à laquelle participait Maverick. 

    Le Tom Cruise de la saga Mission Impossible impose sa marque de fabrique

    Top Gun : Maverick fait partie de ces excellentes surprises, chose d’autant plus rare pour un gros blockbuster, a fortiori la suite d’un énorme succès. Il y avait aussi de l’attente pour celles et ceux qui avaient goûté au premier Top Gun, moins film d’action que romance improbable et duel à la testostérone entre les deux jeunes stars de l’époque, Tom Cruise et Val Kilmer. Avec une Kelly McGillis devenue une vedette internationale.

    Pour ce nouvel opus, Joseph Kosinski et Tom Cruise ont fait le choix de l’action, avec un peu plus de réalisme dans les scènes d’entraînement (on remarque la présence de Phoenix, pilote féminine, là où le Top Gun original accumulait les clichés sexistes).

    Le Tom Cruise de la saga Mission Impossible impose sa marque de fabrique dans la séquence de l’opération militaire, avec une dernière partie palpitante.

    Top Gun : Maverick reprend malgré tout quelques codes du premier opus : la scène du bar, l’instructeur débarquant par surprise, des jeunes pilotes un peu trop sûrs d’eux et bien entendu une histoire d’amour. Finie "Charlie". Cette fois c’est Penny, la patronne du célèbre bar, qui tombe (ou plutôt retombe) entre les bras de Pete "Maverick" Mitchell. Dans ce rôle, Jennifer Connelly fait plus que faire le job : elle irradie le film, pendant que son lover de pilote part s’occuper d’une nouvelle mission impossible.

    Voilà au final un Top Gun palpitant, un vrai moment de plaisir régressif. C'est obligé.

    Top Gun : Maverick, film d’action américain de Joseph Kosinski,
    avec Tom Cruise, Miles Teller, Jennifer Connelly, Jon Hamm et Val Kilmer, 2022, 131 mn

    https://www.paramountpictures.fr/film/top-gun-maverick
    http://www.tomcruise.com

    Voir aussi : "Alex Lutz remet le service"

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  • Fantasmer et faire l’amour

    Les films à sketchs, un genre à part et considéré avec méfiance, peut vite tomber dans le piège de sketchs de qualités variables. Les fantasmes de Stéphane et David Foenkinos n’évite pas cet écueil, ce qui ne l’empêche pas d’être une œuvre à la fois osée, souriante et étonnante.

    Soulignons d’emblée le choix de la bande originale, choisie avec soin, avec notamment la découverte ou redécouverte de "Teach Me Tiger" d’April Stevens.

    Stéphane Foenkinos et son écrivain de frère, auquel Bla Bla Blog consacre un hors-série spécial, ont choisi un thème unique : le fantasme en amour.

    Évidemment, il aurait fallu au moins plusieurs saisons d’une série pour creuser ce sujet. Les frères Foenkinos ont fait le choix d’aborder des fantasmes parfois étonnants, qui sont le titre de chacun des six sketchs : "Ludophilie" avec Denis Podalydès et Suzanne Clément, "Dacryphilie" avec Nicolas Bedos et Céline Sallette, "Sorophilie" avec Ramzy Bedia, Joséphine de Meaux et Alice Taglioni, "Thanatophilie" avec Monica Bellucci et Carole Bouquet, "Hypophilie" avec Joséphine Japy et William Lebghil et "Autagonistophilie" avec Jean-Paul Rouve et Karin Viard. 

    "Être excité de ne plus faire l’amour"

    Les mauvais coucheurs reprocheront la place donnée aux couples hétérosexuels, si l’on excepte toutefois le duo à contre-emploi de Monica Bellucci et Carole Bouquet, dans le rôle de lesbiennes thanatophiles. Ce sketch, qui est l’un des plus impertinents du film, est aussi paradoxalement celui qui ne parvient pas à aller jusqu’au bout de son propos et qui finit par retomber comme un soufflet, hélas. Tel n’est pas le cas de "Autagonistophilie", dans lequel Jean-Paul Rouve et Karin Viard se donnent à 200 % dans une comédie interrogeant la vie privée, l’œil de la caméra et la pornographie, non sans une certaine candeur.

    Il faut d’ailleurs remarquer que l’autre sketch très réussi interroge lui aussi le sexe et l’acteur : dans "Ludophilie", Vincent et Louise font du jeu de rôle le cœur de leurs fantasmes en couple. c’est le théâtre qui va avoir le dernier mot dans cette étonnante histoire de métamorphose.

    À côté des histoires plus prudentes, mais non sans audaces que sont "Sorophilie" ("être excité par la sœur de l’être aimé") et "Hypophilie" ("être excité de ne plus faire l’amour", sic), il faut s’arrêter sur le couple que forment Nicolas Bedos et Céline Sallette. Dans le duo glamour, Lisa, magnifique, éblouissante, paumée et drôle, se découvre un émoi très particulier : les larmes de son compagnon ! L’idée est tellement bonne qu’elle aurait certainement mérité d’être développée dans un long-métrage. Mais c’est là toutes les limites des films à sketchs.

    Les Fantasmes de Stéphane et David Foenkinos, comédie française à sketchs, avec Denis Podalydès, Suzanne Clément, Nicolas Bedos, Céline Sallette, Ramzy Bedia, Alice Taglioni, Monica Bellucci, Carole Bouquet, Joséphine Japy, William Lebghil, Karin Viard et Jean-Paul Rouve, 2021, 102 mn
    https://www.unifrance.org/film/50916/les-fantasmes
    https://www.facebook.com/david.foenkinos
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "Anti fiction"
    "Le derrière de la pop"

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  • Nourrir son monde

    La Nuée de Just Philippot faisait partie cette année de la sélection des Césars 2022 comme Meilleur Premier Film, récompense qu'il a ratée de peu.

    Plus que cette nomination, ce qui justifie de parler de ce film est la facture d'une œuvre unique, un drame qui se frotte à l’anticipation, avec un discours particulièrement riche sur les notions de famille, de maternité, de nature, d’alimentation et de folie. Pour le dire autrement La Nuée pourrait être présentée comme un Petit Paysan au féminin qui rencontrerait David Cronenberg ou Julia Ducournau (Grave, Titane).

    Veuve depuis peu, Virginie s’occupe seule d’un élevage de sauterelles. Dans ce sud de la France, l’agricultrice, élevant seule ses deux enfants (les formidables jeunes acteurs Marie Narbonne et Raphaël Romand), peut vite passer pour une douce illuminés avec ses serres high-tech avec son élevage d'insectes. En dépit de sa foi de charbonnière elle peine à nourrir son monde, à défaut de pouvoir nourrir un jour le monde. Mais, entre elle et ses animaux, une étrange relation commence à se développer. 

    La formidable Suliane Brahim fait figure de mère nourricière effrayante de conviction

    La Nuée avait fait son effet au Festival de Cannes 2020 (Semaine de la critique) mais aussi au Festival international du film fantastique de Sitges 2020 (Prix spécial du jury et Prix de la meilleure interprétation féminine) et au Festival international du film fantastique de Gérardmer 2021 (Prix du public et Prix de la critique).

    Le premier long-métrage de Just Philippot frappe par son art de complètement déstabiliser le spectateur. Commençant comme un drame social, La Nuée se transforme en film hitchcockien (version Les Oiseaux), avec des fulgurances horrifiques dans les vingt dernières minutes.

    La formidable Suliane Brahim fait figure de mère nourricière effrayante de conviction. On voit aisément dans cet excellent premier film une parabole sur la planète mais aussi sur la maternité : voilà une femme délaissant sa progéniture (par exempls, elle laisse à sa fille le soin de conduire son frère aux entraînements de foot) pour nourrir ses enfants de substitution.

    La Nuée est un incroyable drame fantastique à découvrir. 

    La Nuée, drame fantastique français de Just Philippot,
    avec Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne et Raphaël Romand, 2020, 101 mn

    https://capricci.fr/wordpress/product/la-nuee

    Voir aussi : "Marguerite et Margot"

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  • Cher papa, insupportable père

    Toni Erdmann fait partie de ces films qu’il faut prendre le temps de découvrir pour apprécier les personnages, leurs évolutions, leurs contradictions et aussi la subtilité des rapports humains. La réalisatrice Maren Ade (également au scénario) a construit avec patience un duo inattendu, mené par deux grands comédiens, Peter Simonischek et Sandra Hüller 

    Ines est une femme d’affaire installée en Roumanie pour raisons professionnelles. Cette cadre froide, célibataire sans enfant,  Winfried, un retraité débonnaire que l’on pourrait dire venant d’une époque révolue – celle de mai 68 s’il était français – cultive l’art de la blague potache, avec cet air de clown triste qui le rend justement irrésistible. Il est bien à l’opposé de sa consultante de fille, partie en mission en Roumanie pour les besoins de sa boîte qui met au point un plan d’externalisation qui risque d’avoir des conséquences sociales importantes. Des conséquences sociales qui ne font ni chaud ni froid à la business woman.

    Lorsque son père débarque en Roumanie à l’improviste, la jeune femme est déstabilisée par cet homme aux antipodes d'elle-même. Winfried finit par la quitter et revenir au pays, mais c’est pour mieux revenir en Roumanie quelques jours plus tard, cette fois grimé sous le pseudonyme de Toni Erdmann, une caricature de VIP (il se présente comme ambassadeur allemand). Ines ne peut assister qu’impuissante à la nouvelle intrusion de son père fantasque, capable de ruiner ses rendez-vous professionnels et privés et renvoyant à sa fille une image déformée de sa propre vie. 

    La longue étreinte d’Ines et de Winfried restera longtemps dans les mémoires

    Lors de sa présentation à Cannes en 2016, Le Monde a parlé de Toni Erdlmann comme une "onde de choc" salutaire et d’une drôlerie incroyable, avec cet humour grinçant et pince-sans-rire que propage l’incroyable Peter Simonischek, dans le rôle de Winfried/Toni Erdmann. Sandra Hüller casse pareillement la baraque dans son interprétation diamétralement opposée d'une business woman collet monté à la beauté glaciale, dénuée de toute fantaisie, et dont l’unique but semble se résumer à des tableaux Excel et des rapports économiques sur la meilleure manière d’améliorer la rentabilité d’un groupe international. Comment la fille et le père vont-ils cohabiter, tant leur monde est diamétralement opposé ? Vont-ils finir par se comprendre ?

    Maren Ade déplie avec patience l’histoire de ces retrouvailles inattendues, souvent drôles, jusqu’à la dernière partie du film où le loufoque fait une incroyable irruption dans la vie d’Ines, à la faveur d’une réception dont nous ne dévoilerons rien. La nouvelle irruption du père devient tout aussi inattendue, avec un message tout en symbole et une courte scène bouleversante et silencieuse.

    En 2016, le jury de Cannes a "oublié" Toni Erdmann, ce qui a étonné les professionnels comme le public qui avait découvert ce film à la très grande richesse, menée par un duo de comédiens si soudé que la longue étreinte d’Ines et de Winfried restera longtemps dans les mémoires.

    Vite, à découvrir et redécouvrir !  

    Toni Erdmann, comédie dramatique germano-autrichienne de Maren Ade,
    avec Peter Simonischek et Sandra Hüller, 2016, 162 mn
    https://www.france.tv/films/2715005-toni-erdmann.html
    https://www.hautetcourt.com/films/toni-erdmann/

    Voir aussi : "Au cœur du BEA"
    "Abominables additions"

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  • Anne et Hannah

    On ne va pas se mentir : l’histoire d’Anne Franck n’a jamais été aussi bien traitée que par le film de George Stevens (The Diary of Anne Frank, 1959) et bien entendu par le Journal d’Anne Franck. Le manuscrit de l’adolescente néerlandaise, retrouvé par miracle par son père après la guerre, est par la suite devenue une œuvre majeure de la littérature mondiale, le journal le plus célèbre du monde et aussi une des pierres angulaires de la littérature concentrationnaire.

    Le film Anne Frank, ma meilleure amie, proposé par Netflix, est consacré à ce sujet sensible et difficile sous un biais inattendu. Il fallait être culotté pour revenir sur ce récit, ce que Ben Sombogaart et ses deux interprètes principales, Josephine Arendsen et Aiko Mila Beemsterboer, font avec conviction.

    Le film est tout d’abord inspiré d’une histoire vraie, celle d’Hannah Goslar, toujours vivante en 2022, qui a été la plus proche amie d’Anne Franck. Adolescentes lorsque les Pays-Bas sont envahis par l’occupant nazi, les deux jeunes juives vivent de plein fouet l’antisémitisme et les rafles qui font rage.

    Elles se vouent une amitié solide en dépit de leur caractère opposée : Hannah est réservée, presque effacée, alors qu’Anne, la future auteure du Journal, se montre drôle, prolixe, ambitieuse (elle rêve d’être écrivaine connue et de parcourir le monde), avec parfois des réactions qui laissent son amie désarçonnée.

    Ce sont des adolescentes comme il en existe des millions par le monde : l’école, les jeux, les premiers émois, les dragues avec les garçons et les amitiés, tantôt trahies tantôt respectées jusqu’à la mort. Et c’est justement la mort qui rôde autour de ces jeunes filles. 

    Une amitié exceptionnelle et bouleversante

    Anne Frank, ma meilleure amie n’est pas le récit des deux années de clandestinité dans l’Annexe d’Amsterdam où elle et sa famille se sont cachées pour échapper à leur arrestation. Cette arrestation aura finalement lieu en août 1944. Anne Franck meurt l’année suivante, en avril 1945, à  Bergen-Belsen.

    C’est du reste dans ce camp de concentration qu’ont lieu plusieurs scènes majeures du film. On y suit Hannah, déportée comme son amie. Elle est persuadée qu’Anne a émigré en Suisse, suite à une lettre laissée par son père Otto. Elle s’aperçoit de son erreur : non seulement son amie n’a jamais quitté Amsterdam, mais en plus elle a été arrêtée comme elle et est détenue dans le même camp. La retrouver et lui parler devient son obsession.

    Ben Sombogaart alterne les épisodes à Amsterdam, préludes au cauchemar qui s’annonce et la  reconstitution d’un camp de concentration avec une Hannah Goslar s’accrochant à la vie et prenant une fillette sous sa protection. Josephine Arendsen et Aiko Mila Beemsterboer dans le rôle d’Anne Franck sont formidables de justesse. Le refus d’édulcorer le personnage de la jeune auteure est louable. Par contre, le public sera sans doute déçu que sa période de clandestinité dans l’Annexe soit volontairement mise de côté.

    L’essentiel n’est pas là : le jeune public va pouvoir grâce à Netflix découvrir voire redécouvrir la figure majeure d’Anne Franck et pourquoi pas lire son indispensable Journal. Le film, lui entend surtout insister sur une amitié exceptionnelle et bouleversante.  

    Anne Frank, ma meilleure amie, drame historique de Ben Sombogaart,
    avec Josephine Arendsen, Aiko Mila Beemsterboer et Roeland Fernhout, 2021, 103 mn, Netflix

    https://www.netflix.com/fr/title/81248111
    https://www.annefrank.org

    Voir aussi : "Naissance de Marcel Marceau"
    "Cours, Etsy, cours"

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  • Jusqu’à ce que la mort nous sépare

    Le point fort de The Trip, petit film de série Z venu de Norvège, est bien évidemment son actrice principale : la star internationale Noomi Rapace. À la réalisation, on retrouve le cinéaste norvégien Tommy Wirkola qui avait déjà fait tourner l’actrice suédoise dans l’excellent Seven Sisters.

    Pas de science-fiction ici, ni de dystopie, mais un thriller sanglant, sans autre prétention que de susciter tour à tour frissons et rires grâce à un humour noir ne s'embarrassant pas de précautions. 

    Ce n’est pas le grand amour, loin de là, entre Lars et Lisa. Lui, réalisateur et scénariste dévoyé dans des séries télés minables et elle, actrice abonnée aux petits rôles, ont vu leur couple se désagréger petit à petit. Un week-end est pourtant organisé dans la maison familiale de Lars, au bord d’un lac en Norvège. Un moyen pour eux de se retrouver et de se ressourcer ? Les apparences sont trompeuses : en réalité, Lars et Lisa ont décidé chacun de se débarrasser de l’autre. Mais leur plan capote complètement quand débarquent des criminels, des vrais, en fuite. Lars et Lisa vont devoir se serrer les coudes pour se tirer d’un mauvais pas. 

    Mille et un moyens de trucider son voisin… y compris à la tondeuse à gazon

    Inutile de trouver dans The Trip la trace d’un quelconque message, hormis une mise en abîme à la fin du film. Tommy Wirkola embarque les deux anti-héros, loosers magnifiques et se trouvant une âme de meurtriers amateurs, dans un enfer où rien – ou presque ne leur sera épargné. Le spectateur apprendra d’ailleurs mille et un moyens de trucider son voisin… y compris à la tondeuse à gazon.

    Noomi Rapace est parfaite dans ce petit polar où les influences de Quentin Tarantino ou Robert Rodriguez sont bien entendu évidentes : sens de la répartie, scènes à la fois baroques, sanglantes et bourrées d’humour, sans oublier ces méchants à la gueule mémorable.

    The Trip est un divertissements sanglant que l’on regardera au deuxième ou troisième degré. Et pour les nombreux fans de Noomi Rapace, il est bien entendu immanquable.   

    The Trip, thriller norvégien de Tommy Wirkola, avec Noomi Rapace, Aksel Hennie, André Eriksen, Christian Rubeck et Atle Antonsen, 2021, 108 mn, Canal+
    https://www.canalplus.com/cinema/the-trip/h/16818464_50001

    Voir aussi : "Flukt, alors !"

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  • Au cœur du BEA

    Les thrillers se sont intéressés à des centaines de milieux différents, mais, à mon avis, Boîte Noire est le premier polar ayant posé ses caméras au coeux du Bureau d’Enquête et d’Analyse (Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile ), le célébrissime BEA dont on n’entend parler que lors de grandes tragédies aériennes. Tel est d’ailleurs le sujet du long-métrage à succès de Yann Gozlan, avec Pierre Niney dans le rôle d’un enquêteur à la fois doué, perspicace, pugnace et torturé.

    Le crash d'un vol de la compagnie imaginaire European Airlines provoque la mort de plus de 300 passagers et membres d’équipage. L’avion ralliait Dubaï et Paris. La boîte noire de l’appareil est récupérée et s’avère utilisable pour l’enquête. Très vite, les soupçons portent sur un passager suspect ayant fomenté un attentat.

    Une plongée dans un milieu inconnu du grand public

    Mathieu Vasseur, un enquêteur bien noté du BEA se voit d’abord mis sur le carreau par son supérieur direct en raison de désaccords. Sauf que ce dernier disparaît subitement. Voilà donc Mathieu chargé de le remplacer, sous le regard admiratif de sa femme, Noémie, qui travaille elle aussi dans l’aéronautique. Chez le jeune spécialiste, quelques éléments dans la bande-son de la boîte noire font naître des doutes sur les origines de l’accident.

    La première qualité de Boîte Noire, qui a sans doute contribué à son succès critique et public, est la plongée dans un milieu inconnu du grand public. En dépit de quelques facilités classiques du scénario, le spectateur restera impressionné par les scènes d’analyses à partir de bandes sonores souvent dégradées : un bruit, un mot, un grésillement ou une interférence sont autant d’indices qui peuvent s’avérer capitales.

    Dans le rôle de l’enquêteur investi, exigeant et aux qualités exceptionnelles, Pierre Niney impose son talent comme sa rigueur. Toujours juste, y compris lorsqu’il se transforme en détective, il impose un personnage mystérieux, perturbé, sévère et que sa compagne, la formidable  Lou de Laâge dans le rôle de Noémie, essaie d’adoucir, avant d’endosser le rôle de complice… Mais nous n’en dirons pas plus.

    C’est en tout cas à voir et revoir, avec une bande-son de qualité, comme il se doit.

    Boîte Noire, thriller français de  Yann Gozlan,
    avec Pierre Niney, Lou de Laâge et André Dussollier, 2021, 129 mn

    https://www.unifrance.org/film/49138/boite-noire

    Voir aussi : "La menace fantôme"

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  • Abominables additions

    Incendies, que ce soit la version théâtrale ou l’adaptation ciné de Denis Villeneuve, est de ces œuvres que l’on ne peut pas oublier. L’œuvre de Wajdi Mouawad, sans doute l’un des meilleurs dramaturges contemporains, officiant aujourd’hui au Théâtre National de la Colline, date de 2003 et a été transposée au cinéma sept ans plus tard, popularisant un drame bouleversant, dont nous ne dévoileront pas la fin.

    Incendies est une œuvre essentielle de notre époque, puisant ses sources autant dans l’actualité récente (dont la Guerre du Liban, le pays dont est originaire l’auteur mais qu’il a quitté pour le Canada) autant que dans les grandes tragédies antiques.

    Le récit commence dans le cabinet d’un notaire de Montréal qui ouvre devant Jeanne et Simon, des jumeaux trentenaires, le testament de leur mère, Nawal Marwan. Née au Moyen-Orient, cette dernière laisse des dernières volontés incompréhensibles à ses deux enfants : " Aucune pierre ne sera posée sur ma tombe / Et mon nom gravé nulle part." Elle demande aussi que sa fille, professeure de mathématiques, recherche son père qu’elle croyait mort et lui remette une enveloppe scellée. De même, elle demande à son fils Simon de chercher son frère, dont ils ignoraient tous l’existence. Comme pour Jeanne, Simon devra lui remettre une lettre. Soutenus par l’ami et notaire Hermine Lebel, Jeanne puis Simon partent à la recherche de  cette parenté et de leurs origines.

    Tout commence en réalité lorsque Nawal avait 14 ans… 

    Monstruosité

    On imagine la difficulté pour adapter au cinéma une telle pièce à la fois passionnante et aux multiples ramifications. Car plusieurs personnages sont en jeu : les jumeaux Jeanne et Simon pour commencer, mais aussi Nawal. Wajdi Mouawad suit l’histoire de sa tragédie, depuis son histoire d’amour avec un réfugié  jusqu’à la révélation de son terrible secret. Le film de Denis Villeneuve parvient à suivre le fil d’une enquête familiale, marquée par les tabous, les secrets et les grandes tragédies de l’histoire, sans que jamais la mention du Liban ("le pays") n’apparaisse.

    Ce choix de ne pas parler du pays d’origine de l’auteur fait d’Incendies une œuvre universelle qui nous parle des bourreaux, de leurs victimes, des innocents érigés en combattants et des anciens soldats devenant les dépositaires d’une mémoire qui finira pas surgir, insupportable, monstrueuse et absurde : "Pourquoi les miliciens ont-ils pendu les trois adolescents ? Parce que deux réfugiés du camp avaient violé et tué une fille du village de Kfar Samira. Pourquoi ces deux types ont-ils violé cette fille ? Parce que les miliciens avaient lapidé une famille de réfugiés. Pourquoi les miliciens l’ont-ils lapidée ? Parce que les réfugiés avaient brûlé une maison près de la colline du thym. Pourquoi les réfugiés ont-ils brûlé la maison ? Pour se venger des miliciens qui avaient détruit un puits d’eau foré par eux. Pourquoi les miliciens ont détruit le puits ? Parce que des réfugiés avaient brûlé une récolte du côté du fleuve au chien. Pourquoi ont-ils brûlé la récolte ? Il y a certainement une raison, ma mémoire s’arrête là."

    Le long-métrage de Denis Villeneuve scénarise avec tact et efficacité une histoire austère qui a surpris et marqué les spectateurs qui ont vu ce film. Le personnage de Sawda, le double et alter-ego de Nawal n’apparaît pas dans le film, ce qui n’enlève rien à la force poétique de la "femme qui chante". De même, la découverte du secret par Nawal elle-même (le tatouage) n'est pas dans la pièce. 

    La monstruosité est bien présente dans ces incendies qui s’embrasent au fur et à mesure de l’histoire, à l’image de la scène de bus attaquée dans le désert. La guerre devient cette chose indicible que les jumeaux doivent apprendre à côtoyer, comprendre, assimiler et intellectualiser, ce qu'illustre le propos final sur cette addition incompréhensible ("Un plus un, est-ce que ça peut faire un ?").

    Incendies est une œuvre fondamentale qui bouscule. Comme le rappelle Charlotte Farcet, en postface de l’édition de la pièce de théâtre proposée par Actes Sud et Leméac, Wajdi Mouawad dit ceci : "Qu’est-ce qu’une œuvre d’art aujourd’hui… L’art doit être cet os, cet événement immangeable sur lequel l’Histoire se brise les dents. Elle l’avale, mais alors l’art commence son œuvre radioactive dans le ventre de l’Histoire qui, empoisonnée, sera forcée de le recracher."

    Mais derrière cette monstruosité, il y a aussi cette porte ouverte vers l’avenir et la nécessaire réconciliation qui n’a nulle part été mieux dite que dans Incendies

    Wajdi Mouawad, Incendies, théâtre, éd. Actes Sud / Leméac, 2003, 120 p.
    Incendies, drame québécois de Denis Villeneuve, avec Lubna Azabal, Mélissa Désormeaux-Poulin, Maxim Gaudette et Rémy Girard, 2010, 130 mn
    https://www.wajdimouawad.fr
    https://www.facebook.com/LesFilmsSeville
    https://www.france.tv/films/2808933-incendies.html

    Voir aussi : "Lignées d’oiseaux"

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