Série ••• The Eastern Gate
Je suis un être humain

Quel contraste entre Eraserhead, le premier long-métrage surréaliste et un brin foutraque du tout jeune David Lynch et cet Elephant Man, son deuxième film, acclamé par le public et la critique, sans toutefois avoir récolté les récompenses qu’il aurait mérité – aucun oscar, pas même celui du meilleur maquillage, prix qui ne sera créé du reste qu’un an plus tard…
Or, à y réfléchir de plus près, cet homme éléphant n’est pas aussi éloigné que le bébé difforme et monstrueux d’Eraserhead. On oserait presque dire qu’il semble en être un prolongement. Ajoutons aussi que les deux films ont été tournés en noir et blanc, un noir et blanc somptueux pour Elephant Man grâce au travail de Freddie Francis.
Que de différences entre le long-métrage de 1980, Grand Prix du festival d’Avoriaz et César du meilleur film étranger, et Eraserhead ! A sa sortie, le scénario linéaire, chronologique et clair d'Elephant Man fait taire de nombreuses critiques échaudées par son précédent opus indépendant surréaliste et psychanalytique.
Pour Elephant Man, le réalisateur américain a choisi de s’intéresser à l’histoire vraie de John Merrick (en réalité Joseph Merrick), joué par John Hurt, recueilli par le docteur Frederick Treves (Anthony Hopkins). Être né difforme, Merrick est exhibé dans des foires, très populaires à la fin du XIXe siècle. L’homme éléphant trouve asile dans l’hôpital où travaille Treves, en dépit des critiques de ses pairs. Très vite, Merrick s’avère ne pas être le monstre qu’il paraît. Il est aimable, d’une grande gentillesse et très cultivé. Bientôt, il devient une célébrité, s’attirant la sympathie d’une actrice renommée.
Un être sensible, doux comme un agneau, cultivé, artiste et aussi malheureux
Qui sont les monstres ? Voilà la question qui traverse ce film devenu un grand classique du cinéma. Cet homme que la nature a rendu physiquement difforme ? Son propriétaire qui l’exploite sans vergogne ? Les spectateurs - on oserait même ajouter ceux du film - qui viennent contempler le "monstre" pour goûter à une peur excitante ? Ou bien le Dr Treves, comme il le dit lui-même ? C’est pourtant à ce dernier que l’homme éléphant doit une nouvelle existence presque normale, entouré de médecins, d’aides-soignantes dévouées et d’admirateurs et admiratrices. Lorsque ce dernier, pourchassé dans le métro, clame cette phrase devenue culte, "Je ne suis pas un animal, je suis un être vivant !", il fait face à une horde de passants devenus eux-mêmes monstrueux. Le spectateur ne découvre l'apparence physique de l'homme éléphant qu’au bout de 25 minutes, suite à l’intrusion d’une aide-soignante dans sa chambre. La jeune femme hurle de peur, peur partagée par l’homme monstrueux.
Finalement, seule la comédienne Madge Kendal, jouée par la superbe Anne Bancroft (Miracle en Alabama, Le Lauréat), et devenue son amie, apparaît comme la seule personne pure du film – avec John Merrick lui-même.
John Merrick, aussi effrayant qu’il soit (bravo au maquillage ahurissant de Christopher Tucker !), est d’abord un être sensible, doux comme un agneau, cultivé, artiste et aussi malheureux. L’abandon de sa mère est d’ailleurs le nœud de sa souffrance, sans doute autant que les humiliations et les coups de sa vie de bête de foire.
Le soulagement final de cette triste existence ne viendra que dans les dernières minutes, avec quelques plans oniriques – une marque de fabrique de Lynch – et la voix consolatrice de la mère de Merrick : "Rien ne meurt jamais", murmure-t-elle à son fils dans ce dernier moment devenu une délivrance.
Elephant Man, drame de Lynch David, avec Anthony Hopkins, John Hurt, Anne Bancroft,
1980, 124 mn, StudioCanal
https://store.potemkine.fr/dvd/5053083211769-elephant-man-lynch-david
Voir aussi : "Tête effaçable"
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