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classique - Page 5

  • D’un Strauss à l’autre

    De Richard Strauss, on connaît surtout ses opéras Salomé, Elektra ou Le Chevalier à la Rose, sans oublier bien sûr l’incroyable Ainsi parlait Zarathoustra dont tout le monde connaît au moins l’ouverture. C’est cependant un peu trop oublié que le compositeur, que l’on peut qualifier de dernier classique et dernier romantique du XXe siècle, est aussi l’auteur de musiques de chambre.

    Dans son dernier enregistrement du Trio Arnold, joué en novembre 2023 au Théâtre de Coumommiers,  proposé par b•records, on retrouve une œuvre de jeunesse, le Quatuor pour piano et cordes en ut mineur opus 13, datant de 1864 et les Métamorphoses TrV 290, achevées en avril 1945. Ces Métamorphoses sont proposées ici dans dans l’arrangement de Rudof Leopold pour septuor à cordes.

    Richard Strauss a tout juste vingt ans lorsqu’il écrit ce quatuor. Le romantisme continue de rythmer la musique allemande et européenne. Richard Wagner s’est éteint un an plus tôt mais son influence demeure intacte. Dans le même temps, le jeune Richard Strauss est en train de prendre la relève et de devenir une figure montante du mouvement avant le big-bang de la Seconde École de Vienne, celle d’Arnold Schönberg, Alban Berg et Anton Webern.

    Quel contraste entre le Quatuor pour pianos et cordes des jeunes années de Strauss et ces Métamorphoses tardives ! 

    Mais restons dans le romantisme pur jus de Strauss. Le Quatuor pour pianos et cordes opus 13 est l’œuvre d’un compositeur jeune, et surdoué. L’"Allegro" se développe avec fraîcheur et vivacité. On pourrait même dire une certaine insouciance. Sans doute Strauss retrouvait-il le plaisir de l’intimité de la musique de chambre, après, coup sur coup, son concerto pour cor et orchestre (1883) et sa Symphonie en fa mineur (1884) ? Sans doute. Mais il y a aussi ce plaisir évident d’imposer une certaine modernité, à l’instar du "Scherzo : Presto", virevoltant et mené tambour battant.

    L’auditeur sera sans doute conquis par l’"Andante" à la belle délicatesse. Le quatuor se termine avec un "Finale Vivace", plus grave, plus sombre mais tout aussi élégant et dense. Strauss construut ici un vrai univers musical aux multiples arabesques.  

    Quel contraste entre le Quatuor pour pianos et cordes des jeunes années de Strauss et ces Métamorphoses tardives ! L’œuvre a été terminée en avril 1945, alors que l’Allemagne nazie est en train d’agoniser – le sinistre dictateur allemand n’en a plus que pour quelques semaines. Pour cette commande du chef d’orchestre et mécène suisse Paul Sacher, On sent l’octogénaire marqué par les événements des années 40, par quelques compromissions artistiques par les nazis avant d’être victime des procédures de dénazification à partir de 1945.  

    C’est un musicien sombre et pessimiste qui fait de cette œuvre tardive une preuve de son attachement au classicisme et au romantisme, déjà dépassés par les inventions audacieuses de la musique contemporaine. L’envoûtement est assuré dans ce septuor en un seul mouvement de presque trente minutes qui nous parle aussi de la fin d’un monde. Nous sommes en 1945. Quatre ans plus tard, Richard Strauss disparaît.

    Richard Strauss, Quatuor pour pianos et cordes & Métamorphoses, Trio Arnold, La Belle Saison Live, b•records, 2024
    Collection Schumann, Œuvres avec Instruments à vent, L’Estran Live, b•records, 2024
    https://www.b-records.fr

    Voir aussi : "Romantique et métaphysique Schumann"

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  • À la cour du Roi Soleil

    Attention, choc musical avec cet album consacré au Te Deum de Jean-Baptiste Lully. L’enregistrement que nous propose le Château de Versailles, dans sa collection des Grands Motets, commence par la plus singulière des manières, avec une œuvre d’un presque inconnu, Jacques Danican Philidor (1657-1708) et sa puissante Marche de timballes, avant une (très) courte Marche Royalle de son frère André Danican Philidor, dit "L’aîné" (1652-1730).  

    Avec cette entrée en matière, nous voilà à plein dans la cour du Roi Soleil. Idéal pour ouvrir l’un le fameux Te Deum de Jean-Baptiste Lully (1637-1687), né Giovanni Battista Lulli. Stéphane Fuget et son ensemble baroque Les Épopées prend à bras le corps cette œuvre composée en 1686 pour le baptême de Louis, le fils aîné du souverain français. La première exécution a lieu le 9 septembre 1677 à Fontainebleau.

    Il faut se laisser imprégner par les vagues orchestrales et les chœurs ( les Pages et les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles) pour entrer à la cour du Roi Soleil. C’est là que la musique baroque a connu sa plus étonnante manifestation. Elle a su, grâce notamment à Lully, important surintendant de la Musique de la Chambre du roi, allier luxuriance, magnificence et retenue, souvent dans un objectif politique – disons-le – ce qui a sans doute contribué à la rendre moins visible – ou plutôt moins audible – dans les siècles suivants. 
    On doit au Château de Versailles de rendre hommage à Lully qui fut au XVIIe siècle sans doute l’un des plus grands compositeurs de son temps.       

    La petite et la grande histoire racontent que ce Te Deum fut tragique pour Lully

    Stéphane Fuget et son ensemble des Épopées mettent en valeur l’essence de ce Te Deum, œuvre sacrée autant que profane, avec sa part de pompe (le "Te deum" à l’ouverture) mais aussi de spiritualité ("Pleni sunt caeli et terra", "Quos pretioso sanguine redemisti"). Il y a aussi ces moments de respirations ("Te ergo quaesumus", "Dignare Domine die isto"). Les chroniqueurs de l’époque racontent que le roi fut si ravi de cette œuvre qu’il exigea de "l’entendre plus d’une fois".

    La petite et la grande histoire racontent que ce Te Deum fut tragique pour Lully. Il choisit de le remonter en septembre 1687 pour retrouver les bonnes grâces du roi, agacé par les mœurs dissolues du compositeur. Hélas, lors du concert, c’est en dirigeant ses musiciens et chanteurs que Lully se blesse gravement à l’aide de sa lourde canne. La gangrène gagne rapidement son pied et Lully décède quelques semaines plus tôt.

    Le motet Exaudiat te Dominus de Lully suit habituellement son Te Deum, et c’est tout naturellement qu’on le retrouve dans cet enregistrement du Château de Versailles. Il a été composé en 1687 pour le roi – bien évidemment – à l’occasion d’une bonne nouvelle : la santé recouvrée du souverain après de sérieux pépins de santé.

    Il est vrai que l’allégresse est le terme qui caractérise le mieux l’ouverture du motet, en forme d’action de grâce : "Exaudiat te Dominus in die tribulationis". L’orchestre et les chœurs dirigés par Stéphane Fuget ne sont pas en reste. A l’instar du te Deum, moments d’exaltations et recueillement ("Domine, salvum fac regem") ponctuent régulièrement cette œuvre vraiment attachante. Que l’on pense au bref, délicieux et enlevé "Laetabimur in salutari tuo" ou à l’enflammé "Hi in curribus, et hi in equis".  Avec en prime une action de grâce ("Gloria Patri et Filio"). Louis XIV et Lully le valaient bien, sans doute.

    Et dire que tout s’est terminé avec une vilaine et stupide gangrène au pied !

    Jean-Baptiste Lully, Te Deum, Stéphane Fuget, Les Épopées, Lully – Grands motets, vol. 4, Château de Versailles Spectacles, 2024
    https://boutique.cmbv.fr/fr/lully-te-deum-vol4
    https://www.lesepopees.org/fr

    Voir aussi : "Brahms doublement suisse (et même triplement)"

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  • Un bon rafraîchissement pour les Suites de Bach 

    Les célébrissimes Suites pour violoncelle de Bach trouvent avec Henri Demarquette un nouveau souffle qui ne dépaysera pas les amateurs de classique. Dans le livret de l’album proposé par les éditions Evidence, Erik Orsenna rappelle que ces Suites sont un des quelques miracles qui font l’histoire de l’art. Œuvres copiées par la soprano et seconde épouse de Bach, Anna Magdalena Bach, les Suites furent "perdues" pendant plusieurs siècles avant d’être découvertes au XXe siècle par Pablo Casals. Depuis, elles sont devenues incontournables.  

    Certes, on reconnaîtra instantanément les premières notes du "Prélude" de la Suite n°1 BWV 1007. Par contre, le violoncelliste français choisit de la mener tambour battant (moins de deux minutes), avant de s’engager avec entrain dans la "Courante". Oui, assurément, mine de rien il souffle un vent de fraîcheur dans ces suites pour violoncelle qui font partie de ce qui s’est fait de meilleur en matière musicale. Pas moins.

    L’envoûtement indéniable dans l’incroyable "Sarabande". L’archer d’Henri Demarquette caresse les cordes avec amour, avant les deux "Minuets" et une "Gigue" enjouée. Il faut avouer que des Suites pour violoncelle, on ne connaît que la première. Pire, le premier mouvement. Voilà l’autre intérêt de s’arrêter à cette intégrale, avec par exemple une étonnante Suite n°2 BWV 1008 plus en tension, à l’instar de la "Prélude" que l’on dirait douloureuse, contrebalancée par une "Allemande", vivante et consolatrice. Henri Demarquette s’en empare avec une indéniable virtuosité. Virtuosité encore avec cette "Courante" à la belle densité. On est captivés par la "Sarabande" de cette deuxième Suite. Elle se déploie avec élégance mais aussi ce je ne sais quoi de mélancolie, comme si l’on était au bord d’un gouffre métaphysique. À qui parlait Bach lorsqu’il composait ce mouvement ? Qu’importe.

    L’auditeur se laissera vite embarqué par cet enregistrement à la fraîcheur indéniable. Arrêtons-nous deux secondes sur la suite "Minuets I & II". Ces menuets rappellent que Bach clôt avec génie la période baroque et une élégance hors-pair. Le rythme est au cœur de cette partie irrésistible et d’une belle fraîcheur. La "Gigue" qui vient conclure la deuxième suite a un souffle plus singulier encore. Bach y voit une manière de revenir aux traditions musicales de son pays, avec cet enthousiasme que retranscrit Henri Demarquette. 

    Mine de rien il souffle un vent de fraîcheur dans ces suites pour violoncelle

    La Suite n°3 BWV 1009 commence par un "Prélude" rutilant et impressionnant dans sa célérité, demandant au violoncelliste une virtuosité impeccable qui rend la modernité à cette entrée en matière. Suit une "Allemande" plus complexe mais aussi plus alerte. Autant certainement que la "Courante" de cette troisième Suite, avant la somptueuse et mélancolique "Sarabande".

    L’auditeur sera surpris d’entendre ces "Bourrées I & II" d’une singulière modernité. Captivantes, elles sont sans nulle doute, avec la "Sarabande", l’une des pièces maîtresses de cette Suite n°3. Elles viennent appuyer la conclusion donnée par une délicieuse "Gigue". Henri Demarquette s’en empare avec un plaisir intact et une solide maîtrise, indispensable pour qui veut s’emparer de ces œuvres de Bach.  

    Dans son double album, le deuxième disque est consacré aux Suites N° 4, 5 et 6. Véritable marathon musical donc pour s’approprier ce qui est un des joyaux du répertoire classique occidental. Le magique dans l’histoire est que le compositeur allemand parvient à surprendre son auditeur en dépit de la structure identique : prélude, allemande, courante et sarabande. Après s’être joué du rythme dans le "Prélude" de la Suite n°4, Bach choisit de construire son "Allemande" comme une onde nonchalante mais néanmoins enjouée. Moins vive cependant que sa Courante" à la fois joyeuse et espiègle. On remarquera dans cette quatrième Suite pour violoncelle sa durée sensiblement plus longue que pour les précédentes. Ce que confirment les deux Suites suivantes. La "Sarabande" de la quatrième ne déroge pas à cette remarque. Elle se déploie tel un adagio poignant. Les "Bourrées I & II" viennent apporter de la fraîcheur et de la vitalité, avant une "Gigue" dans le plus pur style du Kantor de Leipzig.

    L’ouverture ("Prélude") de la cinquième Suite BWV 1011 cueille à froid l’auditeur : lente, sombre pour ne pas dire funèbre, avant de se déployer dans toutes ses couleurs. Pour l’"Allemande", Henri Demarquette utilise toute la palette de son instrument, avec un mélange de virtuosité et de fraîcheur. Après une "Courante" menée efficacement, l’auditeur trouvera la "Sarabande" de la cinquième Suite poignante dans sa singulière pureté. Bach surprend avec le choix de la gavotte pour l’avant-dernière partie. Il s’agit de danses traditionnelles. Le compositeur allemande s’approprie ces rythmes populaires pour en faire des œuvres d’art passionnantes et touchantes. Comme pour les autres Suites, une "Gigue" vient conclure la cinquième avec une grâce indéniable.

    Terminons avec la Sixième et dernière Suite BWV 1012. L’auditeur y trouvera une légèreté que n’avait certes pas la précédente œuvre. La virtuosité est indispensable pour qui veut bien s’emparer de passages à la fois dangereux et fascinants ("Prélude"). L’"Allemande" qui la suit est le plus long morceau de l’album. Lent, nostalgique, mélancolique, cette partie séduit par sa simplicité. Après une "Courante" à la jolie prestance, place à une "Sarabande". Là encore, Bach prouve qu’il est à jamais indissociable de cette danse. Cette sarabande se déplie avec onctuosité. Le violoncelle lui donne des allures de chant humain amoureux.

    On a souvent vanté, à juste titre, les vertus pédagogiques de ces Suites. Il faut ici les écouter – et c’est toute la qualité de l’enregistrement d’Henri Demarquette – comme de vraies créations musicales où l’âme de Jean-Sébastien Bach se livre, à l’instar de cette superbe sarabande. Une nouvelle fois, c’est la gavotte ("Gavottes I & II") qui est au cœur de l’avant-dernière partie des Suites pour violoncelle de Bach. Bach magnifie la gavotte comme jamais. Henri Demarquette est impeccable ici dans l’interprétation majuscule, avant la "Gigue" toute en nuances de la sixième Suite, rafraîchissante comme tout le reste du double album.  

    Jean-Sébastien Bach, Suites pour violoncelle, Henri Demarquette, Evidence, 2024
    https://henridemarquette.fr
    https://evidenceclassics.bandcamp.com/album/bach-the-complete-cello-suites
    https://www.facebook.com/evidenceclassics/?locale=fr_FR
    https://www.facebook.com/HenriDemarquetteOfficiel/?locale=fr_FR

    Voir aussi : "Brahms doublement suisse (et même triplement)"

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  • Remorques 

    Les Cramés de la  Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film Remorques. Il sera visible du 17 au 23 avril 2024. Soirée débat le dimanche 21 avril à 20 heures 30.

    André Laurent, capitaine du remorqueur Le Cyclone, assiste avec son équipage à la noce d’un de ses marins, avant d’être appelé en urgence pour secourir les passagers d’un cargo, dont Catherine, l’épouse du commandant. Alors que sa femme lui dissimule sa maladie et le supplie de prendre sa retraite, André tombe follement amoureux de Catherine, avec laquelle il débute une liaison…

    Remorques, drame français de Jean Grémillon
    Avec Jean Gabin, Madeleine Renaud, Michèle Morgany, 1939, 84 mn
    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1399

    Voir aussi : "Les Carnets de Siegfried"

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  • 5 femmes

    L'album Filiations du label Présences Compositrices est consacré à trois compositrices. La plus connue, Nadia Boulanger (1887-1979), côtoie Elsa Barraine (1910-1999) et Henriette Puig-Roget (1910-1992). En dépit de leurs états de service – compositrices, instrumentistes hors pair, pédagogues et toutes trois Prix de Rome – c’est le silence ou, au mieux, le dédain poli qui ont fait écho à leur carrière. Injuste ! Une injustice que proposent de réparer deux autres femmes, la soprano Clarisse Dalles et la pianiste Anne Le Bozec. Elles interprètent un choix de chansons et d’airs de ces trois musiciennes du XXe siècle que beaucoup d’entre nous découvrons ici. Il était temps.  

    La première compositrice qui a l’honneur de cet album est Nadia Boulanger. Sa sœur Lili Boulanger a certes eu droit à la postérité grâce à ses mélodies régulièrement jouées. Ce n’est pas le cas pour Nadia. Clarisse Dalles et Anne Le Bozec sortent de l’ombre trois chansons à la facture très musique française du début du XXe siècle. Nadia Boulanger a mis en musique deux poèmes de Camille Mauclair (le cruel et romantique "Elle a vendu mon cœur", "Le couteau") et des textes de Verlaine ("Soleil couchants"), Georges Delaquys ("Les lilas sont en folie") et un "Cantique" de Maurice Maetelinck. L’auditeur s’arrêtera sans doute sur ce dernier titre à la fois mélodieux délicat et d’un fort mysticisme ("A toute âme qui pleure / A tout péché qui passe / J’ouvre au sein des étoiles / Mes mains pleines de grâce"), puisqu’il est tiré de Sainte Béatrice, écrit en 1900 par l’écrivain belge. Cette chanson lumineuse est contrebalancée par le sombre "Couteau" ("J’ai un couteau dans l’cœur / - Une belle, une belle l’a planté").

    Passons à Elsa Barraine qui est la première grande découverte de cet album de Présences Compositrices. Il faudrait une chronique entière sur elle pour parler de son parcours : élève de Dukas, Prix de Rome à 19 ans pour une cantate consacrée à Jeanne d’Arc (La Vierge guerrière), elle devient une instrumentiste demandée et chef de chœur, en même temps qu’elle s’engage pour la culture populaire en pleine période du Front Populaire. Communiste, elle s’engage dans la Résistance en pleine seconde guerre mondiale. Après la Libération, son engagement est intact alors qu’elle devient une compositrice de musiques de film et de pièces de théâtre (ses commanditaires se nomment Jean Grémillon, Jacques Demy, Charles Dullin ou encore Jean-Louis Barrault). 

    Sacrée découverte !

    Ce sont ici cinq chansons d'Elsa Barraine qui sont proposées. On est frappé par la diversité des influences. À une mise en musique très classique du premier Nobel de Littérature Sully Prudhomme ("Ne jamais la voir") succède un poème d’Armand Foucher ("Pastourelle"). On entre ici dans la modernité et, musicalement, Erik Satie dans la retenue et Olivier Messiaen dans la composition moderne, ne sont pas loin dans ce texte bucolique et régionaliste : "Paissez mes moutons dans la plaine, / La bonne herbe de la Lorraine, / Mes beaux moutons blancs".  Plus étonnant, c’est l’auteur chinois du VIIIe siècle Xuanzong qui a les honneurs de la compositrice avec un "Chant des marionnettes". Dans cette chanson courte (moins de deux minutes), Elsa Barraine s’amuse du rythme syncopé, à la fois hommage à la culture chinoise et plongée dans la musique contemporaine dans ces années de composition bouillonnantes (1934 et 1935). Autre audace moderne encore avec cette fois une mise en chanson à la facture musique française du XXe siècle de deux textes… de l’écrivain, poète et musicien indien Rabindranath Tagore. Ce sont les délicieux airs "Je suis ici pour te chanter des chansons" (Tagore n°15) et "Je ne réclamerai rien de toi" (Tagore n°54). Les couleurs, les nuances, les rythmes et la voix claire de Clarisse Dalles montrent l’audace d’Elsa Barraine, compositrice hardie, passionnante, romantique et même romanesque. Une sacrée découverte !    

    Henriette Puig-Roget a les honneurs de la seconde moitié de l’album avec un inédit, le cycle Le temps de la solitude, publié à la SACEM en 1942. La compositrice a mise en musique douze mélodies sur L’Offrande lyrique de Rabindranath Tagore – de nouveau –, poèmes qui avaient été traduits par André Gide. On navigue dans ces chansons mystérieuses où la nature omniprésente reflète les tourments exprimés par Clarisse Dalles et Anne Le Bozec. Ce sont les saisons éphémères, les "vagues bruyantes" ("Absence", Tanagore n°21), les lourds nuages et la plage déserte ("Plante", Tanagore n°18), les nuits d’orage et la "menaçante forêt" ("Orage", Tanagore n°23) ou "la pluvieuse obscurité de Juillet" ("Séparation", Tanagore n°84). On peut bien parler de naturalisme musical dans cette œuvre singulière qui sert de pont entre un classique de la littérature indienne et la musique française moderne. Clarisse Dalles au chant et Anne Le Bozec au piano choisissent la simplicité dans cette œuvre aux mille couleurs. La modernité de Henriette Puig-Roget est évidente dans cet opus que l’on découvre, à la fois d’une contemporanéité réelle et aux vagues mélodiques touchantes (le délicieux "Promesse", Tanagore n°44).

    Audacieuse, Henriette Puig-Roget l’est tout autant dans l’étonnant "Éveille-toi". Elle s'inspire là encore du poète indien Rabindranath Tagore (Tanagore n°55). Elle en fait un titre énergique, insistant, rythmé, typique de cette période de composition à la fois sombre (nous sommes en 1942) et riche de ses recherches musicales. Il semble contrebalancé plus loin par l’onirique et debussyen "Sommeil" (Tanagore n°47). On invitera l’auditeur à se procurer l’album dans sa version physique afin de découvrir les textes poétiques du Prix Nobel de Littérature indien. On peut penser à ce texte tiré de la chanson "Là-bas", Tanagore n°63 : "Tu m’as fait connaître à des amis que je ne connaissais pas. Tu m’as fait asseoir à des foyers qui n’étaient pas le mien. Celui qui était loin, tu m’as ramené proche et tu as fait un frère de l’étranger."

    L’altruisme, la générosité et l’amour (le vibrant et joyeux "Toi seul", Tanagore n°38). Tels sont les thèmes centraux de ce cycle. L’ambition littéraire de ces poèmes mis en musique est évidente, que ce soit dans "Le Bien véritable", Tanagore n°17 ou le sobre hommage à un "intime" ("Lui", Tanagore n° 72). L’œuvre d’Henriette Puig-Roger – ainsi que l’album – se termine avec la chanson "Évasion" (Tanagore n°42). C’est une invitation au voyage que propose le génie indien et la compositrice française en touches impressionnistes. Cette ode à la nature et à la liberté est aussi un bouleversant chant sur notre mort inéluctable : "N’est-il pas temps de lever l’ancre ? Que notre barque avec la dernière lueur du couchant s’évanouisse enfin dans la nuit".

    Filiations, Nadia Boulanger, Elsa Barraine et Henriette Puig-Roget, Filiations, Clarisse Dalles (soprano) et Anne Le Bozec (piano), Présence Compositrices, 2024
    https://www.presencecompositrices.com

    Voir aussi : "Résurrection"
    "Compositrices et compositeurs, une frise chronologique"

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  • Pensées pour moi-même

    philosophie,confrérie,marc-aurele,epictete,manuel,classique,antiquité,rome,grèce,stoicismeCe livre rassemble deux livres de deux auteurs très différents : l’un, Marc-Aurèle, empereur romain de 161 à 180, incarna la figure du "philosophe-roi" cher à Platon. Le second, Épictète, ancien esclave syrien affranchi, a exercé comme professeur et philosophe stoïcien. C’est d’ailleurs le stoïcisme qui rassemble ces deux figures importantes de la philosophie.

    Les deux ouvrages compilés dans ce livre sont tous les deux constitués de courts paragraphes - parfois même d’aphorismes pour Marc-Aurèle. Bien que ce dernier n’apporte pas de contribution décisive à cette doctrine, ses Pensées constituent une sorte de vade-mecum du stoïcisme, attitude d’autant plus remarquable de la part d’un empereur désireux d’accorder ses actions en accord avec son âme et avec la raison.

    Le Manuel d’Épictète, lui, entend être, dans sa concision (30 pages environ), « une arme de combat qu’il faut toujours avoir à sa portée » comme le dit Simplicius, un des commentateurs de cet opuscule.    

    Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même & Manuel d’Épictète, éd. GF Flammarion, 1964, 218 p.
    http://confrerie2010.canalblog.com/archives/2012/08/31/25006109.html
    https://editions.flammarion.com/pensees-pour-moi-meme/9782080700162

    Voir aussi : "Le Dîner"

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  • Pour l’amour de Clara

    Et si Johannes Brahms constituait à la fois un "aboutissement" de la musique classique et une esthétique inimitable ? Tels sont les propos, dans la présentation du disque The String Quartets, du violoncelliste Simon Iachemet du Quatuor Agate lorsqu’on l’interroge sur cette intégrale des Quatuors à cordes de Brahms. Les trois œuvres ont été terminées sur un laps de temps assez court, entre 1873 et 1876.

    Cet enregistrement de 2023 par le Quatuor Agate est une plongée dans ce qui se fait de mieux dans la musique romantique allemande du XIXe siècle. Osons le dire : il faut de l’athlétisme pour se lancer dans ce qui ressemble à un vrai marathon musical, tant la musique de Brahms concentre morceaux de bravoures, plages bouleversantes – pour ne pas dire tragiques – et nombreuses séquences virtuoses, à l’image du premier mouvement allegro du Premier Quatuor en do mineur op. 51.

    L’auditeur y retrouvera le romantisme exacerbé d’un compositeur qui a dû penser non pas à Clara Schumann mais à Agathe von Siebold pour sa "Romanze (poco adagio)", partie délicate et en forme de doux questionnements. Rien à voir avec les tourments intérieurs du troisième mouvement "Allegretto molto moderato e comodo". La complexité et l’exigence sont visibles dans cette partie qui illustre l’histoire d’un quatuor commencé en 1865 mais qui a mis près de huit ans avant d’être terminé puis joué pour la première fois. Ce quatuor se termine par un "Allegro" enlevé, mélodique et d’une harmonie impeccable, servi par un ensemble en verve et qui entend marquer l’aspect beethovenien et "autoritaire" de cette œuvre (c’est toujours Simon Iachemet qui le souligne). 

    Les quatre instruments se disputent le lead avec un mélange d’enthousiasme, de passion et de lyrisme

    Le Quatuor à cordes n°2 en la mineur op. 51 a été composé en 1873, dans la foulée de son premier quatuor, et un an après le Requiem allemand devenu historique. Il a été joué pour la première fois deux ans plus tard devant Clara Schumann à Vienne. Nous voici au cœur du cercle romantique européen.

    Sans doute Brahms n’a, à l’époque, plus rien à prouver. Cette œuvre n’a pas ce caractère impétueux et démonstratif du premier Quatuor à cordes. Il est plus lyrique et délicat, avec des moments où l’insouciance n’est pas absente ("Allegro non troppo"). L’auditeur sera sans doute frappé par la simplicité et l’économie de moyens pour l’"Andante". Brahms propose ici un mouvement cependant plus complexe qu’il n’y paraît. La ligne mélodique serpente onctueusement et les quatre instruments se répondent avec une grâce qui n’est pas dénuée de gravité. Le troisième mouvement, "Quasi minuetto, moderato", le plus court du deuxième quatuor, lorgne du côté du baroque. L’auditeur imaginerait non sans problème cette partie enlevée être jouée sur des instruments anciens. Brahms semble ici s’être pas mal amusé dans un mouvement qui semble être plus mozartien que beethovenien. Le "Finale" ("Allegro non assai") choisit le sérieux dans un mouvement construit comme une vraie aventure musicale et où les quatre instruments – les deux violons, l’alto et le violoncelle – se disputent le lead avec un mélange d’enthousiasme, de passion et de lyrisme. 

    Dans ce double album, le second disque est consacré pour l’essentiel au Quatuor à cordes n° 3 op. 67. Nous sommes en 1875 lorsque Brahms le compose. Il a quarante-deux ans et est en pleine maîtrise de son art. Il n’entamera sa première symphonie qu’un an plus tard. La musique de chambre n’a déjà plus de secret pour celui qui livre dans le premier mouvement "Vivace" (près de onze minutes tout de même) une véritable œuvre à part entière, une sorte de sonate aux multiples voix et lignes mélodiques, non sans accents modernes. Voilà qui rend l’interprétation du Quatuor Agate d’autant plus valeureuse.

    On invitera l’auditeur à s’arrêter sur le superbe et poignant "Andante". N’est-ce pas à Clara Schumann que s’adresse Johannes Brahms dans ce parfait exemple de création romantique ? On ne peut s’empêcher de citer ici l’extrait d’une lettre de 1856 qu’il a adressé à la veuve de Robert Schumann : "Ma bien-aimée Clara, je voudrais, je pourrais t’écrire tendrement combien je t’aime et combien je te souhaite de bonheur et de bonnes choses. Je t’adore tellement, que je ne peux pas l’exprimer…" Certes, au moment de la composition de l’œuvre nous sommes vingt ans plus tard, mais les sentiments de Johannes Brahms pour la femme de son ami semblent n’avoir jamais cessé, et ce jusqu’à la mort de cette dernière, un an avant le décès de Brahms en 1897. Parlons de romantisme encore avec le troisième mouvement "Agitato (allegretto non troppo)" dans lequel s’expriment les mouvements du cœur et de l’âme, ce qui en fait une partie tourmentée, pour ne pas dire poignante.

    Le dernier quatuor se termine de manière plus apaisée, "poco allegretto con variazioni". La maîtrise de Brahms est totale dans sa manière de se jouer des thèmes, de proposer un mouvement coloré et aux rythmes jaillissants. Équilibre serait le terme qui correspond le mieux à ce final en forme de douce consolation. Sans doute une autre déclaration d’amour à Clara Schumann.  

    Le quatuor de garçons offre un dernier cadeau à l’auditeur : la Romanze n°5 op. 118, une des six pièces pour piano écrite en 1893 dans les dernières années du compositeur. L’ensemble le propose ici dans une version pour quatuor, délicate, amoureuse et mélancolique. Est-il utile de précisé qu’il a été dédié à sa chère Clara qu’il n’a jamais oubliée ?

    Le Quatuor Agate sera en concert  seront en concert le lundi 18 mars à 20 heures au Théâtre de l’Atelier de Paris pour une soirée consacrée à Brahms – évidemment. 

    Johannes Brahms, The String Quartets, Quatuor Agate, Appassionato, le label, 2023
    https://quatuoragate.com
    https://www.facebook.com/quatuoragate
    https://www.instagram.com/quatuor.agate
    En concert le lundi 18 mars à 20h au Théâtre de l’Atelier
    1 place Charles Dullin, 75018 Paris
    https://www.theatre-atelier.com/event/concert-quatuor-agate

    Voir aussi : "Romantique et métaphysique Schumann"
    "Les Schumann en majesté"

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  • Romantique et métaphysique Schumann

    Robert Schumann, sans doute le moins populaire des grands romantiques, est proposé ici dans une sélection d’œuvres pour instruments à vent. C’est l’objet de ce deuxième volume de la Collection Schuman (voir aussi cet article) proposée Théo Fouchenneret. L’enregistrement et proposée par b•records dans un live à L’Estran de Guidel en octobre 2022.

    L’auditeur se plongera avec plaisir dans ces œuvres de musique de chambre d’une rare élégance, à commencer par ces "Trois romances" pour hautbois et piano, op. 94, avec Philibert Perrine. La simplicité (troisième romance "Nicht Schnell") n’empêche pas la tension (première romance "Nicht Schnell") dans ces trois romances écrites dans l’urgence (trois jours de février 1848, alors qu’une Révolution secoue la France). Est-il besoin de préciser que ces œuvres ont été écrites pour Clara Schumann, la femme du compositeur ? Il est vrai que la passion n’est pas absente ("Einfach, innig").

    Robert Schumann a ses admirateurs inconditionnels qui admirent chez lui son souffle métaphysique. Que l’on écoute ses "Fantaisies" op. 73 pour clarinette (avec Florent Pujuila) et piano (toujours Théo Fouchenneret). Le compositeur allemand multiplie les arabesques et sait emmener son auditeur vers des paysages verdoyants et lumineux, grâce à un clarinettiste de haut-vol (que l’on écoute la fantaisie "Zart mit  Ausdruck"). L’urgence est aussi là, dans cette fantaisie "Rasch mit Feuer".

    "Carnaval schumannien"

    Le cor, cet instrument mal-aimé, est mis en valeur dans un magnifique "Adagio et allegro" op. 70, avec Félix Roth. Il y a de la majesté dans le lent et somptueux "Langsam mit innigem Ausdruck", avant une étonnante envolée, comme si l’instrument à vent s’ébrouait et montrer toute l’étendue de ses capacités ("Rasch und feurig"), avec une joie de vivre communicative – allegro, bien entendu.

    L’album se termine sans doute de la meilleure des manières avec un "Andante" et des "Variations" WoO 10.1 pour deux pianos (Théo Fouchenneret et la géniale Hortense Cartier-Bresson), deux violoncelles (Caroline Sypniewski et Sarah Fouchenneret) et un cor (Félix Roth). La musique de chambre prend ici toute son envergure. Écrite en 1843, ambitieuse et riche, y compris par son choix des instruments, elle aura une version plus "raisonnable" pour deux pianos. Cet "Andante et Variations" s’écoute comme un voyage d’un peu plus de 8 minutes. La composition est riche et ses couleurs frappent aux oreilles. La fascination ne faiblit pas dans ce qui semble être un théâtre – un "carnaval schumannien" précise Théo Fouchenneret dans la présentation du disque. Les instrumentistes se répondent, jouent, s’amusent mais aussi se séduisent dans cette œuvre incroyable ("Sostenuto").

    Le "Più lento - Animato" frappera  l’auditeur par sa modernité comme par son romantisme évident, avec le cor de Félix Roth mis en avant de la plus belle des manières, et se jouant des arabesques des pianos et violoncelles. Pour les peu familiers de Robert Schumann, on conseillera le tout dernier mouvement, un "Doppio Movimento" extraordinaire, riche, rythmé et coloré dans lequel les cinq instruments bavardent avec gourmandise, passion et jubilation.

    Oui, le mot "jubilation" est le plus approprié pour ce nouvel opus de la Collection Schumann.   

    Collection Schumann, Œuvres avec Instruments à vent, L’Estran Live, b•records, 2024
    https://www.b-records.fr
    https://www.theofouchenneret.com
    https://lestran.net

    Voir aussi : "Winter is coming"
    "Les Schumann en majesté"

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