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Le nouvel album de la pianiste est une vraie découverte ou redécouverte : celle de Marie Jaëll, tombée dans l’oubli. Née en 1846, Marie Jaëll-Trautmann, de son vrai nom, a été considérée comme une grande artiste et pédagogue par ses pairs, que ce soit César Franck, Gabriel Fauré ou Camille Saint-Saëns. Elle a été l’une des premières femmes admises à la Société des Compositeurs de Paris. Sa carrière s’est pourtant arrêtée à l’âge de 45 ans au profit de la recherche scientifique. Elle décède en 1925.
Durant les dernières années du XIXe siècle elle compose les trois pièces pour piano Ce qu'on entend dans l'Enfer, Ce qu'on entend dans le Purgatoire et Ce qu'on entend dans le Paradis, d’après une lecture de la Divine Comédie de Dante. Tout comme le poète italien avait conçu son chef d’œuvre comme un triptyque littéraire, Marie Jaëll a fait le choix de l’équilibre : trois parties constituées de six morceaux chacune. Le piano de Célia Oneto Bensaid sert à merveille une création de la fin du XIXe siècle influencée par le romantisme et le classicisme. Chopin, Wagner et Schumann ne sont jamais très loin ("Poursuite").
Le piano de Célia Oneto Bensaid sert à merveille une création de la fin du XIXe siècle influencée par le romantisme et le classicisme
L’auditeur appréciera le raffinement, et dans la composition et dans l’interprétation de Célia Oneto Bensaid. Que l'on pense au deuxième mouvement, "Raillerie" où la déambulation se fait par-delà la mort, sur la pointe des pieds et non sans un rire grinçant. Le classicisme de Marie Jaëll se pare aussi de teintes debussyennes, à l’image du morceau "Dans les flammes". Ce chant des enfers qu’est "Blasphèmes", expressionniste, darde un souffle ardent et satanique. Le sixième et dernier morceau consacré à l’enfer ("Sabbat") se fait plus diabolique encore avec sa danse de démons qui annonce le purgatoire.
La délicatesse et la retenue ouvrent la partie consacrée au purgatoire, justement, une partie qui frappe par ses tensions et ses changements de rythmes ("Remords"). Au mouvement "Pressentiments" vient répondre le mélancolique et douloureux "Désirs impuissants". Avec "Alanguissement", on trouve du romantisme wagnérien dans ce morceau jouant de l’hésitation et du contre-pied, comme un amour qui ne saurait s’exprimer. Le ravelien "Maintenant et jadis" et le tourmenté et "Obsession" viennent clôturer dans une acrimonie certaine cette deuxième partie de l’Enfer, avant "Obsession", composé comme une ritournelle obsédante.
Pour les pièces consacrées au Paradis, Célia Oneto Bensaid nous emmène dans un univers faurien, paisible ("L’apaisement") où tout n’est qu’harmonie et volupté ("Voix célestes"). En digne représentante du classicisme français, Marie Jaëll ne peut cacher ses influences (Saint-Saëns, Ravel, Franck). Même lorsqu’il est question d’un "Hymne", la compositrice ne choisit pas la démonstration ni la virtuosité mais une berceuse réconfortante.
L’auditeur remarquera l’écriture fine et subtile de "Quiétude". La mélancolie affleure dans ce qu’on entend du paradis, à l’instar de "Souvenance" venant précéder la conclusion mélancolique et triste ("Contemplation") de ce voyage métaphysique autant que romanesque. Un voyage servi par une Célia Oneto Bensaid concentrée, inspirée et ressuscitant une compositrice tombée dans l’oubli.
On adore Barbara Hannigan sur Bla Bla Blog. Soprano géniale, la chanteuse canadienne s’est frottée à un répertoire très large, du contemporain (Lulu de Berg, Le Grand Macabre de Ligeti), au classique français (La Voix humaine de Poulenc), sans cacher son appétence pour l’orchestration. Elle dirige le Ludwig Orchestra depuis 2011, et c’est justement avec cette formation qu’elle propos son dernier album, Dance With Me.
Les ayatollahs du classique vont certainement ruer dans les brancards à l’écoute de ce disque qui va de Kurt Weill à la "Lambada", en passant par "Copacana" ou la "Moonlight Serenade". Et pourtant, il faut bien plonger dans ce séduisant opus qui fera sans doute le bonheur de beaucoup à quelques semaines de fêtes de Noël.
Barbara Hannigan, au chant et à la direction, met à l’honneur, avec grand orchestre, des standards et des classiques du XX siècle. Le très jazz "Moonlight Serenade" de Glenn Miller, interprété avec chaleur par la soprano, précède le mambo et désormais classique "Quien sera".
Mais l’auditeur fondera en premier lieu sur ce joyau qu’est "Youkali" de Kurt Weill. On écoutera et on réécoutera jusqu’à plus soif ce tango métaphysique et déchirant, composé en français : "Youkali, c'est le pays de nos désirs / Youkali, c'est le bonheur, c'est le plaisir / Youkali, c'est la terre où l'on quitte tous les soucis". Immanquable !
le tube de Kaoma est teinté de jazz, prenant un lustre et une classe incroyable
Pour "Copacabana" de Barry Manilow, la cheffe d’artiste a eu droit à la collaboration de Lucienne Renaudin Vary, l’une des instrumentistes et trompettistes les plus douées de sa génération. Et l’on peut dire que la puissance, la chaleur et le swing de la Mancelle font merveille dans cette samba archi-connue. Pareillement, l’auditeur découvrira ou redécouvrira certainement George Hamilton Green et Wallace Irwin avec "Fluffy Ruffles", leur formidable ragtime au xylophone que Barbara Hannigan chante avec une fougue communicative, accompagnée par un orchestre à l’avenant.
Avec la valse "Je veux t’aimer" de Robert Stolz, tiré de la BO du film C'est un amour qui passe de Géza von Bolváry (1932), nous voilà dans le grand romantisme, à faire fondre les cœurs de guimauve que nous sommes. On sera pareillement sensible au quick step "Whispering" (1920) de John Schönberger, dirigé par une Barbara Hannigan à la conduite enlevée, colorée et d'une belle densité.
Restons dans les danses de salon - que le public redécouvre depuis quelques années grâce à la télévision. Dance With Me propose une version orchestrale de la chanson "My Shawl" de Xavier Cugat, "le roi de la rumba". On retrouve également la voix de la soprano avec son adaptation de la comédie musicale My Fair Lady. La diva canadienne reprend le tube "I Could Have Danced All Night" (composé et écrit par Frederick Loewe et Alan Jay Lerner) qu’Audrey Hepburn avait fait connaître dans le monde entier.
Après un retour au jazz avec le célébrissime "In The Moon" de Wingy Malone et arrangé par Bill Elliott, on ne peut évidemment passer sous silence la grande surprise de cet album de Barbara Hannigan : l'étonnante reprise de "Lambada". Quelle surprise de voir ce tube populaire de l’été de 1989 ! Wikipedia nous apprend d’ailleurs que la lambada est un style musical à part entière, né au Brésil, et qui mélange carimbo, reggae, salsa et merengue. Ici, le tube de Kaoma est teinté de jazz, prenant un lustre et une classe incroyable. Ce morceau n’est vraiment pas à rater.
L’opus de Barbara Hannigan se termine avec la très belle danse lente d’Edward Elgar, "Salut d’amour", op. 12. Voilà une occasion de découvrir que le compositeur anglais n’est pas que celui de "Pompes et circonstances".
Dance With Me proposait de remettre à l’honneur ces danses du XXe siècle devenus légendaires ? Pari gagné haut la main, grâce à une Barbara Hannigan qui démontre que éclectisme n’est pas une insulte.
Étrange et magnétique projet musical que ce Guéthary, album en forme de mélange thématique, autour de la ville basque d’où vient le pianiste Aurèle Marthan. Le musicien y a même créé un festival.
À la première écoute, il est impossible de voir le point commun qui relie des artistes aussi différents que Camille Saint-Saëns ("Le Carnaval des Animaux"), Philip Glass, François Couperin (la pièce pour clavecin "La Basque"), les Eagles ("Hotel California") ou le groupe pop français La Femme ("Sur la planche"). Voilà un choix éclectique pour ce répertoire qui a tout pour décontenancer l’auditeur. Le résultat est pourtant un opus cohérent et envoûtant.
Guéthary est un voyage géographique et musical dans cette petite ville de la côte basque située non loin de Biarritz. Le pianiste en fait un album fait de sensations et d’impressions aux mille teintes. Aurèle Marthan impose lui-même la signature et la marque de cet opus avec une de ses compositions. Le bien nommé morceau "Guéthary" se veut une déambulation magique dans son pays, non sans des teintes raveliennes. Ravel, justement, a une place de choix. Le natif de Ciboure, à quelques encablures de la modeste cité balnéaire, est présent grâce à son "Concerto en sol M.83". Aurèle Marthan exprime dans son interprétation la puissance maritime et les contrastes envoûtants.
Les familiers de cette région de la côte basque ont une place de choix dans l’album
Les familiers de cette région de la côte basque ont une place de choix dans l’album, à l’image de l’Espagnol Esteban Sánchez Herrero ("Recuerdos de viaje"). Citons aussi Alberto Iglesias et son "O Night Divine", d’après la bande originale du film de Luca Guadagnino (O Night Divine) mais aussi l’hispanique "Piano Bar y coro infantil" tiré d’une autre BO, celle de Dolor y Gloria de Pedro Almodóvar. Pablo de Sarasate, originaire de Pamplune a tout autant sa place, lui qui a posé ses bagages dans le Pays Basque français. Aurèle Marthan propose une délicate version de sa "Prière et berceuse, Op. 17".
Igor Stravinsky s’est exilé à Biarritz entre 1921 et 1924, d’où sa présence avec la "Danse russe" tirée de Petrushka, qu’il écrivit en partie là-bas. Rameau connaissait bien lui aussi cette région et sans doute a-t-il déambulé dans Guéthary. Le jeune pianiste ne l’oublie pas et propose le formidable extrait de la suite n° 14 "Les Sauvages".
Un vent océanique et atlantique souffle sur ce très bel album qui emballera autant les amateurs de classique que les autres, à l’image des inratables versions d’"Hotel California" des Eagles et leurs plages océaniques? Parlons enfin du tube pop "Sur la planche" de La Femme. Un groupe dont les deux membres fondateurs sont originaire de Biarritz – bien entendu.
Vous êtes de plus en plus nombreux à suivre ce blog curieux et toujours à la recherche de nouveautés dans les domaines de la musique, du cinéma, des livres ou des expos.
Après cette coupure estivale, Bla Bla Blog va revenir avec des nouveautés. Côté musiques, je vous parlerai de la jazzwoman Laura Anglade et ses reprises de standards de la chanson française. Il sera aussi question de l’électro de MLD, du groupe Les Marmottes et de Célestin.
Côté cinéma, je vous parlerai du remake de Mon garçon par Christian Caron (My son). Une série nous intéressera : Anatomie d'un scandale. Les fans de Downton Abbey seront aux anges : vous saurez bientôt pourquoi.
Il sera aussi question du Vendée Globe 2024 et d’une opération caritative mais aussi du festival parisien Aux Arts !, à la rentrée. Côté livres, je vous parlerai du document de Betty Milan consacré à Jacques Lacan, d’un beau livre des éditions Larousse sur les chefs-d'œuvre de la peinture mais aussi de fantasy.
Ce ne seront que quelques-unes des surprises prévues.
A bientôt.
Photo : Lilartsy - Pexels
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Avec l’album Metamorphosis, Célia Oneto Bensaid se surpasse au clavier grâce à ses touches délicates dans un premier mouvement aux leitmotiv mystérieux. C'est l'image d'un album introspectif, confirmant une figure montante du piano classique et contemporain.
Pour cet album, la musicienne a choisi un répertoire rare et passionnant, avec deux compositeurs et une compositrice des XIXe, XXe et XXIe siècle : Maurice Ravel, Philip Glass et Camille Pépin. Le titre Metamorphosis font référence au roman de Kafka, La Métamorphose. Philip Glass a composé une œuvre importante et est une figure majeure de la musique contemporaine, en particulier du courant répétitif américain.
Célia Oneto Bensaid a fait le choix d’agencer les pièces de Glass, Rabel et Pépin dans un ordre peu orthodoxe mais faisant sens. La pianiste fait alterner les cinq mouvements de "Metamorphosis" de Glass et les cinq mouvements de "Miroirs" de Maurice Ravel. Évidemment, mettre en correspondance le thème de la métamorphose monstrueuse et celui du reflet a tout son sens. Le morceau "Number 1" de Camille Pépin vient compléter le programme de la pianiste.
La pianiste explique ainsi son choix : "En cherchant à provoquer une sensation de lâcher-prise chez l’auditeur, j’ai fait le choix de rompre les cycles et d’alterner les pièces, afin de mener à une écoute différente de ces répertoires : un fondu enchaîné au disque en somme !"
Il y a une évidence dans les proximités musicales, les sensibilités et les correspondances de ces trois compositeurs dont les carrières se sont étalées sur trois siècles – entre le XIXe et le XXIe siècle –, trois styles – le classicisme, le courant répétitif et le contemporain – et deux pays – la France et les États-Unis.
Évidemment, mettre en correspondance le thème de la métamorphose monstrueuse et celui du reflet a tout son sens
Le programme hétéroclite de Célia Oneto Bensaid fait de cet opus un "album-univers" à la fois cohérent et se jouant des époques et des styles. Le classicisme de l'auteur du Boléro se marie à merveille avec les œuvres oniriques et éthérée de Glass, comme à la modernité de Camille Pépin.
Même le très Méditerranéen "Miroirs – IV. Alborade del gracioso" de Ravel ne dénote pas avec l’œuvre de Glass. De même, les morceaux "Miroirs – V. La vallée des cloches" et "Miroirs - III. Une barque sur l’océan" ont le même parfum de mystère que le "Metamorphosis One".
L’auditeur sera électrisé par les tensions, les circonvolutions et l’architecture musicale audacieuse de "Metamorphosis IV". "Metamorphosis V" reprend de son côté le leitmotiv du premier mouvement, auquel vient répondre le mélancolique "Metamorphosis III".
Maurice Ravel a toute sa place dans le programme de Célia Oneto Bensaid. Sa musique délicate, onirique et teintée d’impressionnisme répond à ces métamorphoses, comme un miroir tendu, ce que l’interprète commente ainsi, grâce à une citation du compositeur : "La vue ne se connaît pas elle-même avant d'avoir voyagé et rencontré un miroir où elle peut se reconnaître".
La présence de Camille Pépin n’est pas une surprise si l’on pense à la participation de Célia Oneto Bensaid à l’album Chamber Musicqui avait été chroniqué sur Bla Bla Blog. Dans "Number 1 l'œuvre la plus récente de l’album, le néoclassicisme se réconcilie avec le contemporain dans un morceau alliant vagues sombres, éclats de lumière et moments introspectif. Un mot pourrait qualifier ce morceau : "souffle". Un souffle qu’accompagne une cavalcade joyeuse. Célia Oneto Bensaid réussit à abattre beaucoup de frontières dans cet opus d’une rare intelligence.
Fortement influencé par la nature dans la vie comme dans l’art, Jordane Tumarinson est également le porteur de l’ambitieux projet d’Uto’pians, une compilation où sont invités chaque année des compositeurs du monde entier et dont une partie des bénéfices est reversé à une association de protection de la nature.
Odyssée se revendique comme un opus humaniste, celui d’un artiste tentant de décrire l’homme au cœur de l’univers. Le sens de la mélodie est intact chez le musicien, comme le prouve "Hominidée", un titre à la facture romantique.
Il est encorequestion de légèreté avec "Corps céleste", un très court morceau – moins d’une minute – où Jordan Tumarinson choisit l’envol, avant de se faire debussyen dans "De l’intérieur". Parlons aussi d'"Éléphant blanc", un titre aussi mystérieux qu’attendrissant, tant la grâce est évidente dans sa manière d’exprimer la démarche lente et majestueuse du pachyderme.
Debussyen
Expressif, Jordane Tumarinson l’est sans aucun doute, que ce soit avec "Désolation", un morceau court et lancinant aux accents tragiquement actuels, "Le chant des sirènes", mystérieux et gracieux avec cette suite d’ondulations musicales ou encore la délicate variation "Dieux et démons".
L’auditeur s’arrêtera sans doute avec intérêt sur "Métal rouge", un titre étonnant, sans doute le meilleur de l’album. Dans cet hommage au milieu ouvrier et sidérurgique, la mélancolie domine grâce à un clavier d’airain.
Nous parlions de Debussy. Il y a aussi du Satie dans le convaincant "Momentum", auquel vient répondre le bien nommé "Force et douceur", aux mille nuances. "Se retrouver" est lui aussi un très joli titre à la construction intelligente et encore une fois marquée par le sceau de la sensibilité, tout comme "Quintessence", plus minimaliste encore.
"Les montagnes se soulèvent" un dernier morceau en forme d’élévation pour terminer un album en hommage à l’humanité. Nul doute que Jordane Tumarinson signe avec Odyssée un album qui fera date. On en fait le pari.
Pour son septième album Melancholy Island, Maxence Cyrin navigue entre classicisme, électro-pop et contemporain – version école répétitive américaine.
Composé au fil d’une période de près de deux ans, les titres de l’album peuvent s’entendre comme un journal intime, ou une série de nouvelles, qui documentent les états et les sentiments, ainsi que les lieux, les villes et les paysages que l’artiste a pu traverser, de la Bourgogne à Montmartre (où il vit), en passant par la région de l’Algarve, ses côtes et ses îles.
Contemplatif, le pianiste français l’est assurément, comme le prouve le premier titre "Faro Bay", passionnant et proposant une authentique invitation au voyage – au Portugal plus précisément.
La délicatesse du toucher frappe l’auditeur (les mélancoliques "Soft Skin" et "Antica"), tout comme son art de nous emporter dans ses créations mélodiques qui deviennent cinématographiques, à l’instar de "Seasons" ou "Dust", deux titres sur la fuite du temps que l’on dirait influencés par Yann Tiersen.
Si l’on parle références musicales, il faut aussi citer Debussy
Si l’on parle références musicales, il faut aussi citer Debussy ("Rivages") ou encore la grâce mystérieuse de Gabriel Yared dans cet autre morceau, "Salon de musique", qui n’est pas sans faire penser à la bande originale que le compositeur oscarisé a signé pour L’Amant de Jean-Jacques Annaud. Il y plus encore du Satie dans le titre onirique "Der Raüber und der Prinz", une reprise du titre eighties de DAF.
Tout le talent de Maxence Cyrin est d’offrir dans son album abouti jusqu’à l’apport de sons électroniques, toujours à bon escient ("Voyage").
Gris clairs et gris foncés : telles seraient les couleurs de ce très bel album avec ces sombres accents ("As The Darkness Falls"). Véritable hymne aux voyages ("Faro Bay", "Voyage"), Melancholy Island est aussi une formidable expérience sonore où le mystère affleure à chaque instant, comme le montre la revisite de DAF, "Der Raüber und der Prinz" ou de cette autre reprise, "The Carnival Is Over".
Duo Jatekok sort en ce moment un étonnant album de reprises pour deux pianos du groupe de metal Rammstein. Duo Jatekok plays Rammstein c’est un mariage inattendu entre le classique et le rock. Sur ce projet musical, nous avons interrogé Nairi Badal et Adélaïde Panaget, les deux membres de Duo Jatekok.
Bla Bla Blog – Bonjour Naïri et Adélaïde. Vous formez le Duo Jatekok. D’abord, comment est née votre collaboration et pourquoi ce nom « Duo Jatekok » ?
Duo Jatekok – Bonjour ! Nous avons commencé à jouer ensemble dès l'âge de 11 ans. Nous étions dans la même classe de piano et le piano à quatre mains et le deux pianos était une source de joie et de complicité musicale très ludique. Plus tard, lors de nos études supérieures, nous avons décidé de nous perfectionner dans cette discipline exigeante et originale et de préparer des concours internationaux. Le piano étant un instrument assez solitaire, nous avons d'emblée adhéré à cette carrière à deux. Le répertoire étant très différent du répertoire de piano solo, cela nous a ouvert de nouveaux horizons musicaux et nous a offert la possibilité de collaborations variées. Les Jatekok sont un recueil de pièces du compositeur hongrois Kurtág. Ce sont des miniatures inspirées de la manière dont les enfants approchent un clavier de piano. On y joue avec les coudes, la paume des mains, on glisse d'un bout à l'autre, on explore des registres. C'est un répertoire magnifique et le mot hongrois "Jatekok" signifie "les jeux". Nous avons aimé cette sonorité étrange et rythmique et la musique qu'elle représentait.
Bla Bla Blog – Vos deux premiers enregistrements laissaient déjà apercevoir votre appétence pour le répertoire contemporain et la musique du XXe siècle (Barber, Ravel, Trotignon), non sans passer par le jazz (Dave Brubeck). Maintenant c’est le groupe de métal Rammstein qui est au cœur de votre dernier album. N’avez-vous pas peur de déstabiliser le public avec ce mélange des genres – classique et rock métal ?
Duo Jatekok – Nous sommes nous-mêmes déstabilisées ! Mais la vie nous a offert des possibilités d'élargissement de répertoire et ça aurait été dommage de ne pas s'y engouffrer sous prétexte de rester dans des cases stylistiques. Au contraire, nous avons l'impression d'un enrichissement qui nous permet de construire des passerelles entre les genres. Nous avons beaucoup travaillé le répertoire du XXe siècle et le décloisonnement des genres nous a permis de rencontrer des musiciens fantastiques qui nous donnent des impulsions nouvelles dans notre art. Nous aimons sortir de notre zone de confort !
Bla Bla Blog – Comment s’est faite la rencontre avec Rammstein ? Est-ce que ce sont eux qui sont venus vers vous ou bien l’inverse ? Avant votre collaboration, connaissiez-vous le groupe ?
Duo Jatekok – C'est leur producteur français Olivier Darbois qui a eu l'idée de mettre une femme au piano en première partie pour créer un contraste. De plus, Rammstein a édité une partition piano-chant de certaines de leurs chansons. Il trouvait ce concept original et intéressant. C'était en 2017 pour leurs trois dates aux arènes de Nîmes. Lorsqu'il nous a proposé de le faire, nous avons trouvé l'idée intéressante et avons voulu relever ce challenge ! Nous ne connaissions pas du tout Rammstein et ça a été une sacrée aventure de s'imbiber de leur musique et de la retranscrire au mieux pour notre formation instrumentale.
Bla Bla Blog – Depuis 2017, vous faites les premières parties de Rammstein. Racontez-nous le souvenir de votre tout premier concert au milieu d’un public de fans, et dans une ambiance que j’imagine bien différente d’une salle de concert classique.
Duo Jatekok – C'était assez fou pour nous. Nous ne savions pas du tout comment le public allait réagir face à deux femmes sur un piano à queue. Une anecdote rigolote : on nous avait conseillé de faire le signe du diable en arrivant sur scène pour stimuler le public. C'était un code que nous ne connaissions pas du tout. On s'était dit qu'on garderait ça pour la fin de notre prestation. Or, en arrivant sur scène, le public nous a accueilli avec des cris et ce signe. Nous avons donc timidement répondu par le même signe et là, magie, les gens ont encore plus hurlé ! C'était incroyable. Je crois que nous avons par la suite utilisé un peu trop ce signe du diable tellement c'était une sensation incroyable ! Autre chose qui nous a surpris, c'est que les fans chantaient par-dessus nous pendant le set et c'était super de se connecter de cette manière.
Bla Bla Blog – Quel est le rapport de Rammstein avec le classique et le contemporain ? Si je les imagine mélomanes en dépit de leur style musical très rock de leurs légendaires guitares lance-flamme, suis-je dans le vrai ?
Duo Jatekok – Nous n'avons pas vraiment pu échanger avec eux à ce sujet malheureusement. Nous leur avons offert nos CD. On espère que cela leur a plu. Nous avons pu échanger avec Till [Till Lindemann, le chanteur de Rammstein] à propos de sa formation de chanteur. Il nous a donc confié que la professeure de chant qui l'avait formé était de formation classique. Cela lui a permis d'avoir une technique vocale plus large et une puissance qui est sa marque de fabrique.
"On nous avait conseillé de faire le signe du diable en arrivant sur scène pour stimuler le public"
Bla Bla Blog – Pour votre album Duo Jatekok plays Rammstein, qui sort en ce moment chez Vertigo, vous avez choisi de balayer toute la carrière de Rammstein, depuis ses débuts jusqu’à leur album éponyme sorti en 2019. Comment s’est fait le choix des titres ?
Duo Jatekok – Nous avons choisi avant tout des morceaux mélodiques qui nous plaisaient ! Les ballades comme Diamant, Fruhling in Paris ou encore Ohne Dich se prêtent particulièrement bien à la transcription. C'est moins le cas de morceaux plus rythmiques comme Du Hast ou Ich Will qui ne rendent pas très bien sur des pianos acoustiques. On a donc préféré les écarter.
Bla Bla Blog – L’auditeur de Rammstein pourra être frappé par l’écriture musicale des morceaux, une écriture très fine, parfois cachée par des interprétations rugueuses et des sons de guitare saturés. J’imagine que les adaptations au piano n’ont pas été simples.
Duo Jatekok – C'est vrai. Nous avons essayé d'être créatives et de retranscrire au mieux ces effets métal-rock. Pour cela, nous avons exploré les différentes manières de produire des sons sur nos pianos et avons utilisé la technique du piano "préparé". Cela consiste à rajouter des éléments dans les cordes du piano pour les faire sonner autrement : pâte à fixe, scotch, doigts, clusters…
Bla Bla Blog – En tant que musiciennes plus habituées au répertoire classique et contemporain, comment avez-vous procéder pour adapter aux pianos ces morceaux sans les dénaturer ?
Duo Jatekok – Nous avons gardé la spécificité de chaque morceau et avons apporté à partir de cette base notre touche classique. Par exemple, pour Seeman, nous sommes parties de l'accompagnement de Rammstein qui imite la mer et on s'est permises de s'inspirer de Debussy, maître de l'impressionnisme musical sur le plan aquatique ! De même pour Puppe, nous voulions retranscrire l'idée de la folie. Nous avons donc utilisé des clusters, de la pâte à fixe pour créer une ambiance malaisante. Et nous nous sommes inspirées de Prokoviev avec des célèbres toccatas : rythme rapide et répétitif en crescendo qui permet de créer un sentiment d'angoisse et de folie.
Bla Bla Blog – Une nouvelle tournée est-elle prévue avec les Rammstein ?
Duo Jatekok – Nous savons qu'une nouvelle tournée de prépare pour l'année prochaine mais pour le moment, nous nous préparons à la tournée 2022 qui a été reportée deux fois déjà : Europe et Amérique du Nord ! Un bel été à l'horizon.
Bla Bla Blog – J’ai envie de vous poser cette autre question : pouvons-nous rêver d’une première partie des Rammstein lors de vos prochains concerts ?
Duo Jatekok – On peut toujours se permettre de rêver ! Cependant, la technique nécessaire à Rammstein paraît compromettre cette idée !
Bla Bla Blog – Dernière question : d’autres enregistrements ou d’autres projets musicaux sont-ils prévus ?
Duo Jatekok – Nous avons un projet d'enregistrement à deux pianos autour du répertoire évoquant le diable, les sorcières. C'est un thème qui a inspiré un grand nombre de compositeurs. Nous avons également la volonté de passer des commandes auprès de compositeurs classiques et jazz.