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contemporain - Page 4

  • Danses avec Barbara Hannigan, de Kurt Weill à la Lambada

    On adore Barbara Hannigan sur Bla Bla Blog. Soprano géniale, la chanteuse canadienne s’est frottée  à un répertoire très large, du contemporain (Lulu de Berg, Le Grand Macabre de Ligeti), au classique français (La Voix humaine de Poulenc), sans cacher son appétence pour l’orchestration. Elle dirige le Ludwig Orchestra depuis 2011, et c’est justement avec cette formation qu’elle propos son dernier album, Dance With Me.

    Les ayatollahs du classique vont certainement ruer dans les brancards à l’écoute de ce disque qui va de Kurt Weill à la "Lambada", en passant par "Copacana" ou la "Moonlight Serenade". Et pourtant, il faut bien plonger dans ce séduisant opus qui fera sans doute le bonheur de beaucoup à quelques semaines de fêtes de Noël.

    Barbara Hannigan, au chant et à la direction, met à l’honneur, avec grand orchestre, des standards et des classiques du XX siècle. Le très jazz "Moonlight Serenade" de Glenn Miller, interprété avec chaleur par la soprano, précède le mambo et désormais classique "Quien sera".

    Mais l’auditeur fondera en premier lieu sur ce joyau qu’est "Youkali" de Kurt Weill. On écoutera et on réécoutera jusqu’à plus soif ce tango métaphysique et déchirant, composé en français : "Youkali, c'est le pays de nos désirs / Youkali, c'est le bonheur, c'est le plaisir / Youkali, c'est la terre où l'on quitte tous les soucis". Immanquable !

    le tube de Kaoma est teinté de jazz, prenant un lustre et une classe incroyable

    Pour "Copacabana" de Barry Manilow, la cheffe d’artiste a eu droit à la collaboration de Lucienne Renaudin Vary, l’une des instrumentistes et trompettistes les plus douées de sa génération. Et l’on peut dire que la puissance, la chaleur et le swing de la Mancelle font merveille dans cette samba archi-connue. Pareillement, l’auditeur découvrira ou redécouvrira certainement George Hamilton Green et Wallace Irwin avec "Fluffy Ruffles", leur formidable ragtime au xylophone  que Barbara Hannigan chante avec une fougue communicative, accompagnée par un orchestre à l’avenant.

    Avec la valse "Je veux t’aimer" de Robert Stolz, tiré de la BO du film C'est un amour qui passe de  Géza von Bolváry (1932),  nous voilà dans le grand romantisme, à faire fondre les cœurs de guimauve que nous sommes. On sera pareillement sensible au quick step "Whispering" (1920) de John Schönberger, dirigé par une Barbara Hannigan à la conduite enlevée, colorée et d'une belle densité.

    Restons dans les danses de salon - que le public redécouvre depuis quelques années grâce à la télévision. Dance With Me propose une version orchestrale de la chanson "My Shawl" de Xavier Cugat, "le roi de la rumba". On retrouve également la voix de la soprano avec son adaptation de la comédie musicale My Fair Lady. La diva canadienne reprend le tube "I Could Have Danced All Night" (composé et écrit par Frederick Loewe et Alan Jay Lerner) qu’Audrey Hepburn avait fait connaître dans le monde entier.

    Après un retour au jazz avec le célébrissime "In The Moon" de Wingy Malone et arrangé par Bill Elliott, on ne peut évidemment passer sous silence la grande surprise de cet album de Barbara Hannigan : l'étonnante reprise de "Lambada". Quelle surprise de voir ce tube populaire de l’été de 1989 ! Wikipedia nous apprend d’ailleurs que la lambada est un style musical à part entière, né au Brésil, et qui mélange carimbo, reggae, salsa et merengue. Ici, le tube de Kaoma est teinté de jazz, prenant un lustre et une classe incroyable. Ce morceau n’est vraiment pas à rater.

    L’opus de Barbara Hannigan se termine avec la très belle danse lente d’Edward Elgar, "Salut d’amour", op. 12. Voilà une occasion de découvrir que le compositeur anglais n’est pas que celui de "Pompes et circonstances".

    Dance With Me proposait de remettre à l’honneur ces danses du XXe siècle devenus légendaires ? Pari gagné haut la main, grâce à une Barbara Hannigan qui démontre que éclectisme n’est pas une insulte.

    Barbara Hannigan, Dance With Me, Ludwig Orchestra,
    avec Lucienne Renaudin Vary, Bill Elliott et le Berlage Saxophone Quartet, Alpha Classics, 2022

    https://www.barbarahannigan.com
    https://outhere-music.com/en/albums/dance-me

    Voir aussi : "Je m'en irai à Guéthary"
    "Histoires de tangos par Lucienne Renaudin Vary"
    "Barbara Hannigan est Lulu"
    "Deux pour le prix d’un"

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  • Je m'en irai à Guéthary

    Étrange et magnétique projet musical que ce Guéthary, album en forme de mélange thématique, autour de la ville basque d’où vient le pianiste Aurèle Marthan. Le musicien y a même créé un festival.  

    À la première écoute, il est impossible de voir le point commun qui relie des artistes aussi différents que Camille Saint-Saëns ("Le Carnaval des Animaux"), Philip Glass, François Couperin (la pièce pour clavecin "La Basque"), les Eagles ("Hotel California") ou le groupe pop français La Femme ("Sur la planche"). Voilà un choix éclectique pour ce répertoire qui a tout pour décontenancer l’auditeur. Le résultat est pourtant un opus cohérent et envoûtant.

    Guéthary est un voyage géographique et musical dans cette petite ville de la côte basque située non loin de Biarritz. Le pianiste en fait un album fait de sensations et d’impressions aux mille teintes. Aurèle Marthan impose lui-même la signature et la marque de cet opus avec une de ses compositions. Le bien nommé morceau "Guéthary" se veut une déambulation magique dans son pays, non sans des teintes raveliennes. Ravel, justement, a une place de choix. Le natif de Ciboure, à quelques encablures de la modeste cité balnéaire, est présent grâce à son "Concerto en sol M.83". Aurèle Marthan exprime dans son interprétation la puissance maritime et les contrastes envoûtants. 

    Les familiers de cette région de la côte basque ont une place de choix dans l’album

    Les familiers de cette région de la côte basque ont une place de choix dans l’album, à l’image de l’Espagnol Esteban Sánchez Herrero ("Recuerdos de viaje"). Citons aussi Alberto Iglesias et son "O Night Divine", d’après la bande originale du film de Luca Guadagnino (O Night Divine) mais aussi l’hispanique "Piano Bar y coro infantil" tiré d’une autre BO, celle de Dolor y Gloria de Pedro Almodóvar. Pablo de Sarasate, originaire de Pamplune a tout autant sa place, lui qui a posé ses bagages dans le Pays Basque français. Aurèle Marthan propose une délicate version de sa "Prière et berceuse, Op. 17".  

    Igor Stravinsky s’est exilé à Biarritz entre 1921 et 1924, d’où sa présence avec la "Danse russe" tirée de Petrushka, qu’il écrivit en partie là-bas. Rameau connaissait bien lui aussi cette région et sans doute a-t-il déambulé dans Guéthary. Le jeune pianiste ne l’oublie pas et propose le formidable extrait de la suite n° 14 "Les Sauvages".

    Un vent océanique et atlantique souffle sur ce très bel album qui emballera autant les amateurs de classique que les autres, à l’image des inratables versions d’"Hotel California" des Eagles et leurs plages océaniques? Parlons enfin du tube pop "Sur la planche" de La Femme. Un groupe dont les deux membres fondateurs sont originaire de Biarritz – bien entendu. 

    Aurèle Marthan, Guéthary, Alpha Classics, 2022
    http://www.aurelemarthan.com
    https://www.facebook.com/FestivalClassicAGuethary

    Voir aussi : "Klaudia Kudelko, à la bonne heure"

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  • Elise Bertrand, ultra moderne romantique

    Les Lettera Amorosa, qui donnent son nom au premier album d’Elise Bertrand, marquent la découverte d’une nouvelle venue dans la musique contemporaine.

    La maison de disques Klarthe Records a eu la bonne idée de sortir les premières œuvres de la jeune compositrice et violoniste, et en premier lieu cet opus 10 que sont le quatuor avec flûte "Lettera amorosa". Elise Bertrand a mis en musique le recueil éponyme de René Char, que l’écrivain présentait ainsi dans son épigraphe : "Amants qui n’êtes qu’à vous-mêmes, aux rues, aux bois et à la poésie ; couple aux prises avec tout le risque, dans l’absence, dans le retour, mais aussi dans le temps brutal ; dans ce poème il n’est question que de vous".

    En dépit de sa facture contemporaine, les quatre mouvements de ces "Lettera" laissent percevoir une tradition classique comme le montre leur titre : "Chant d'insomnie", "Badinerie, Scherzando", "Aria, Adagio", "Rondo Alla Toccata, Vivo". Le romantisme est également présent dans ce "Chant d’insomnie" élégiaque, mais Elise Bertrand sait aussi jouer d’une liberté légère, à l’instar du deuxième mouvement et son étonnante badinerie. Plus sombre et lancinant, le mouvement "Aria, adagio" est une déambulation dans la douleur amoureuse, nappant cette partie d’un certain mystère. Ce mystère, Elise Bertrand vient y mettre fin avec la quatrième partie, "Rondo Alla Toccata, Vivo".

    Hormis ces "Lettera Amorasa" qui donnent son nom à l’album, la compositrice proposent d’autres premières œuvres. Le "Quasi Variazioni, Op. 7", le plus long morceau du disque, est une création à la sombre beauté commençant par un piano mystérieux avant de s’épanouir dans des variations – ou des "quasi variations" pour reprendre le titre du mouvement – qui peuvent se lire comme des appels à la liberté et à l’amour. Il y a un instinct sauvage dans le piano de Dana Ciocarlie qui oscille entre élans sauvages et une délicatesse toute romantique – et même romanesque, dirions-nous.

    Pour la "Sonate pour violon et violoncelle, Op. 8", Elise Bertrand est au violon . Elles est accompagnée par Hermine Horiot au violoncelle. On peut parler d’un ultra-moderne romantisme se jouant du mystère, de l’audace dans l’écriture mais aussi un combat incessant se déroulant en deux temps. Les deux mouvements naviguent entre séduction, répulsion et attirance, à l’instar du 2ème mouvement, plus long, plus aventureux.  

    Un aplomb certain

    L’auditeur sera sans doute surpris de trouver dans Lettera Amorasa une œuvre sacrée, l’opus 2 "Impressions liturgiques", avec Caroline Debonne et Ionel Streba. Elise Bertrand ne cache pas son admiration pour le Requiem de Maurice Duruflé et déploie ces "Impressions liturgiques" avec une simplicité déconcertante et un panel de couleurs, en dépit de la brièveté de l'opus : un "Introït" mystérieux, un "Lux Aeterna", lumineux, un "Supplicatio" très ancré dans la tradition du XXe et un "In Paradisium" presque debussyen.

    Caroline Debonne et  Joë Christophe sont aux manettes des trois mouvements du "Mosaïque, op. 4". La compositrice se montre là encore audacieuse : ça virevolte, ça s’égaye et ça s’enjoue ("I, Prélude et adagio"). Il y a une grâce certaine dans la manière dont Elise Bertrand impose son univers ("II. Expressivo"), y compris dans la concision – on oserait parler d’efficacité. L’auditeur gouttera avec intérêt et curiosité le délicat "Postlude" aux couleurs chaudes et méditerranéennes, comme si le peintre Matisse s'était penché au-dessus des épaules de la jeune compositrice.        

    L’album se termine paradoxalement avec l’opus 1, qui est constitué de 12 Préludes à la facture plus tonale et, dirions-nous, plus classique. Elise Bertrand les interprète elle-même au violon. Elle dédie ces préludes au compositeur Nicolas Bacri, son professeur de composition. Elle dit ceci de son premier opus : "Reflets d’une première période aux diverses facettes, les Préludes évoluent déjà vers une matière sonore où la poétique musicale personnalise mon langage musical."

    Comme pour la plupart de ces œuvres de jeunesse, ces préludes sont brèves (le plus court fait cinquante secondes et le plus long un peu plus de deux minutes). Il y a des accents debussyens (le premier prélude, "Rêveur") voire romantiques (le 2e prélude, "Scherzando") dans ces déambulations musicales. Elise Bertrand sait même se faire mystérieuse, nous ne pas dire envoûtante (3e Prélude, "Misterioso"). L’auditeur retiendra sans doute le romanesque prélude n°5 "Simplice", semblant s’inscrire dans la tradition classique européenne du XIXe siècle. Il y a tout autant du Satie dans l’"Andante" du prélude n°6, avec sa délicatesse rêveuse, contrastant avec le n°7 et ses rythmes de jazz ("Jazz Rhapsody, Vivo").

    "Au loin" et son onirisme (le prélude n°8) semble s’ébrouer de la tonalité classique et harmonique pour aller vers des élans plus contemporains. On pourrait en dire autant du 9e prélude, "Lento Espressivo", auquel vient répondre le 10e, "Furioso", à la belle expressivité. Le prélude n°11 ("Largo") frappe par le choix d’Elise Bertrand d’en faire une lente marche funèbre traversée par des éclats lumineux, avant d’aller vers une lente ascension toute métaphysique. L’album se termine avec le prélude n°12 ("Calme"), plus long et dans lequel la compositrice semble faire une mue définitive vers une écriture plus contemporaine. Un répertoire où la musicienne se meut avec créativité, sensibilité mais aussi un aplomb certain.   

    Elise Bertrand, Lettera Amorosa, Klarthe Records, 2022
    https://elise-bertrand.fr
    https://www.facebook.com/elise.bertrand.musique
    https://www.klarthe.com/index.php/fr/enregistrements/lettera-amorosa-detail

    Voir aussi : 
    "Camille Pépin, sans coup férir"
    "Concertant et déconcertant"
    "Album univers"

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  • Album univers

    Avec l’album Metamorphosis, Célia Oneto Bensaid se surpasse au clavier grâce à ses touches délicates dans un premier mouvement aux leitmotiv mystérieux. C'est l'image d'un album introspectif, confirmant une figure montante du piano classique et contemporain.

    Pour cet album, la musicienne a choisi un répertoire rare et passionnant, avec deux compositeurs et une compositrice des XIXe, XXe et XXIe siècle : Maurice Ravel, Philip Glass et Camille Pépin.  Le titre Metamorphosis font référence au roman de Kafka, La Métamorphose. Philip Glass a composé une œuvre importante et est une figure majeure de la musique contemporaine, en particulier du courant répétitif américain.

    Célia Oneto Bensaid a fait le choix d’agencer les pièces de Glass, Rabel et Pépin dans un ordre peu orthodoxe mais faisant sens. La pianiste fait alterner les cinq mouvements de "Metamorphosis" de Glass et les cinq mouvements de "Miroirs" de Maurice Ravel. Évidemment, mettre en correspondance le thème de la métamorphose monstrueuse et celui du reflet a tout son sens. Le morceau "Number 1" de Camille Pépin vient compléter le programme de la pianiste.

    La pianiste explique ainsi son choix : "En cherchant à provoquer une sensation de lâcher-prise chez l’auditeur, j’ai fait le choix de rompre les cycles et d’alterner les pièces, afin de mener à une écoute différente de ces répertoires : un fondu enchaîné au disque en somme !"

    Il y a une évidence dans les proximités musicales, les sensibilités et les correspondances de ces trois compositeurs dont les carrières se sont étalées sur trois siècles – entre le XIXe et le XXIe siècle –, trois styles – le classicisme, le courant répétitif et le contemporain – et deux pays – la France et les États-Unis.

    Évidemment, mettre en correspondance le thème de la métamorphose monstrueuse et celui du reflet a tout son sens

    Le programme hétéroclite de Célia Oneto Bensaid fait de cet opus un "album-univers" à la fois cohérent et se jouant des époques et des styles. Le classicisme de l'auteur du Boléro se marie à merveille avec les œuvres oniriques et éthérée de Glass, comme à la modernité de Camille Pépin.

    Même le très Méditerranéen "Miroirs – IV. Alborade del gracioso" de Ravel ne dénote pas avec l’œuvre de Glass. De même, les morceaux "Miroirs – V. La vallée des cloches" et "Miroirs - III. Une barque sur l’océan" ont le même parfum de mystère que le "Metamorphosis One".

    L’auditeur sera électrisé par les tensions, les circonvolutions et l’architecture musicale audacieuse de "Metamorphosis IV". "Metamorphosis V" reprend de son côté le leitmotiv du premier mouvement, auquel vient répondre le mélancolique "Metamorphosis III".

    Maurice Ravel a toute sa place dans le programme de Célia Oneto Bensaid. Sa musique délicate, onirique et teintée d’impressionnisme répond à ces métamorphoses, comme un miroir tendu, ce que l’interprète commente ainsi, grâce à une citation du compositeur :  "La vue ne se connaît pas elle-même avant d'avoir voyagé et rencontré un miroir où elle peut se reconnaître".

    La présence de Camille Pépin n’est pas une surprise si l’on pense à la participation de Célia Oneto Bensaid à l’album Chamber Music qui avait été chroniqué sur Bla Bla Blog. Dans "Number 1 l'œuvre la plus récente de l’album, le néoclassicisme se réconcilie avec le contemporain dans un morceau alliant vagues sombres, éclats de lumière et moments introspectif. Un mot pourrait qualifier ce morceau : "souffle". Un souffle qu’accompagne une cavalcade joyeuse. Célia Oneto Bensaid réussit à abattre beaucoup de frontières dans cet opus d’une rare intelligence.

    Célia Oneto Bensaid, Metamorphosis, NoMadMusic, 2021
    https://www.celiaonetobensaid.com
    https://www.facebook.com/profile.php?id=100039928732584

    https://nomadmusic.fr/fr/label/metamorphosis-glass-ravel-pepin

    Voir aussi : "Camille Pépin, sans coup férir"

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  • Concertant et déconcertant 

    Quatre œuvres, enregistrées entre 2014 et 2021, composent Rites, l’album d’Olivier Calmel. L’opus est dominé par Rite Of Peace, une symphonie concertante créée par le chef d’orchestre Aurélien Azan Ziélinski à la Salle Pleyel.

    Dire qu’Olivier Calmel se nourrit de nombre d’influences est un doux euphémisme, si l’on regarde son pedigree : jeune compositeur contemporain, Grand prix Sacem de la musique symphonique jeune compositeur, Grand Prix International Académie Charles Cros, Prix de composition au Concours national de jazz de la Défense ou Premier Prix Festival Jazz à Vannes. On peut être sûr que Rites est en soi une vraie expérience sonore, complexe, passionnante et déconcertante.

    La première œuvre, Rite Of Peace est dominée par le violoncelle inspiré de Xavier Phillips auquel répond un orchestre dynamique et très cinématographique. Contemporaine, cette œuvre l’est assurément, grâce à l’ensemble Les Siècles. Cette formation unique au monde réunit des musiciens d’une nouvelle génération jouant chaque répertoire sur les instruments historiques appropriés. Dans le premier mouvement, "Atomic Peace", il y a du rythme, du mouvement et de la couleur, ce qui peut nous renvoyer au répertoire de Louis Aubert ? Il y a une sorte de puissance primaire jusqu'à une descente vers l'apaisement comme si le rite en question avait joué pleinement son rôle.

    "Pieces of Human Right", plus lent et plus "ample", mahlérien en quelque sorte, est bercé par un chant orientalisant, dans un souffle romanesque pour ne pas dire romantique indéniable. Dans le troisième mouvement, intitulé "Cadence", le violoncelle de Xavier Phillips se fait obsédant. Cette partie, la plus contemporaine sans doute, est jouée avec un dynamisme tel qu’elle fait penser à une danse de sabbat.

    La partie suivante, "Rite of Education", fait souffler de nouveau un vent oriental dans un mouvement qui nous entraîne dans un pays méditerranéen aux mille couleurs et parfums épicés, peut-être dans un mariage ou un souk. En tout cas la vie y palpite, non sans de sourds dangers, comme si le compositeur y mettait en musique une femme fatale.

    Les sons orientaux – "égyptiens", précise le compositeur – se font plus apaisés dans "September 21". L’auditeur se trouve embarqué dans un désert tout aussi mystérieux, à telle enseigne que ces "Rites" qui peuvent être entendus comme une invitation au lâcher-prise, au voyage et à la méditation. 

    Qui a dit que la pop culture était incompatible avec la musique contemporaine ?

    Un double concerto suit Rites Of Peace : les Rhapsodie fantasmagorique sur Docteur Jekyll et M. Hyde, pour saxophone alto, piano et orchestres à cordes. Olivier Calmel propose un opus des plus cinématographique sur les thèmes du double, de l’altérité mais aussi du mystère. Le Duo Portejoie-Lagarde et l’orchestre à cordes de la Garde républicaine, dirigé par Sébastien Billard, s’emparent avec passion et gourmandise de cet opus en quatre mouvements.

    Les Rhapsodie fantasmagorique sur Docteur Jekyll et M. Hyde revêtent une facture plus classique et plus occidentale que les "Rites Of Peace". Plus pop aussi, dans le traitement d’un thème de science fiction. Le classique et le contemporain rejoignent le jazz pour ce qui pourrait bien avoir la facture d'une bande originale d'un film hollywoodien des années 50 ou 60 ("Récit").

    Comme son nom l’indique, "Duel", la deuxième partie, se veut plus inquiétante en non sans suspense. On est bien là dans une démarche cinématographique, avec un orchestre symphonique des plus vivifiants.  "Doute" frappe par sa sombre mélancolie. On sent l'influence de Ravel dans ce mouvement qui est le chant d'un désespoir et d’une plainte. Cette partie est contrebalancée par "Réconciliation", mêlant éclats lumineux, rythmes de jazz mais aussi de sourdes menaces.

    Nous parlions de science-fiction. Elle est bien entendu présente dans la troisième œuvre de l’album, Call of Cthulhu. Rares sont les artistes à s’être mesurés à ce monument littéraire de Lovecraft. En trois parties ("Présence", "Emprise" et "Rédemption") et 6 mouvements, Olivier Calmel propose une relecture musicale de sa saga Cthulhu grâce au Quatuor A Tours de cors et à l’Orchestre de Musique des Gardiens de la Paix dirigé par Gildas Harnois.

    Qui a dit que la pop culture était incompatible avec la musique contemporaine ? L’œuvre nous est présentée ainsi : "Call of Cthulhu est un concerto fantastique pour cors et orchestre qui propose de parcourir le mythe des Grands Anciens et d'approcher cette divinité plongée dans une léthargie profonde et capable d'entrer en contact avec les humains au travers de leurs rêves". Il y a un souffle primaire dans cette œuvre, jusque dans les titres des parties : "Dunwich", "Necronomicon", "R’lyeh" ou "Yog-Sothotheries".

    Le premier mouvement commence par un récitatif, avant la mise en branle d'un orchestre aux couleurs chaudes, avec une densité sonore incomparable. Les forces telluriques se déchaînent dans une joyeuse et singulière sarabande ("Profonds, Shoggoths et autres Grands Anciens") avant que, dans "Necronomicon", le jazz ne rencontre des sons tribaux et le souffle contemporain dans cet étonnant morceau brassant des influences diverses.

    La quatrième parie, "La démence qui vient de la mer", est une cavalcade donnant aux Cthulhu une âme en même temps que des élans menaçants. "Nul ne saurait décrire le monstre", prononce la récitante, Élise Cailloux-Lamorinière. La musique semble s'en charger à sa manière. "R’lyeh", plus calme, mais aussi plus naturaliste, donne vie aux créatures monstrueuses de Lovecraft "Dans sa demeure de Riley le défunt Cthulhu attend en rêvant". "Yog-Sothotheries" vient conclure cette œuvre unique, grâce à un mouvement plus joyeux et dansant. La SF fait place au conte naïf, dans lequel Darius Milhaud semble rencontrer le Carl Orff des Carmina Burana.

    Rites se conclue avec Wood Music, un concerto pour quintette à vent et orchestre, avec le quintette ArteCombo et le Scoring Orchestra dirigé par Aurélien Azan Zielinski. Ce concerto grosso en trois mouvements, aux vagues symphoniques néoclassiques éclatantes est idéale pour conclure un album d'une grande cohésion.

    Olivier Calmel, Rites, œuvres concertantes, Klarthe Records, 2022
    Xavier Phillips, Les Siècles, direction Aurélien Azan Zielinski
    Duo Portejoie Lagarde, Orchestre à cordes de la Garde républicaine, direction Sébastien Billard
    Quatuor A Tours de cors, Musique des gardiens de la paix,  direction Gildas Harnois
    ArteCombo, Scoring Orchestra, direction Aurélien Azan Zielinski 
    https://www.oliviercalmel.com/oeuvres/rite-of-peace
    https://www.klarthe.com/index.php/fr/enregistrements/rites-oeuvres-concertantes-detail

    Voir aussi : "Camille Pépin, sans coup férir"
    "Simple et basique"
    "Puis-je… vous parler d’Arvo Pärt ?"

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  • Ecce homo

    Revoilà Jordane Tumarinson, dont nous avions déjà parlé à l’occasion de son album Terra Incognita, sorti en 2019. Avec Odyssée, le compositeur et pianiste poursuit de tracer sa route, bien décidé à faire sa place, grâce à l’appui de labels influents.

    Fortement influencé par la nature dans la vie comme dans l’art, Jordane Tumarinson est également le porteur de l’ambitieux projet d’Uto’pians, une compilation où sont invités chaque année des compositeurs du monde entier et dont une partie des bénéfices est reversé à une association de protection de la nature.

    Odyssée se revendique comme un opus humaniste, celui d’un artiste tentant de décrire l’homme au cœur de l’univers. Le sens de la mélodie est intact chez le musicien, comme le prouve "Hominidée", un titre à la facture romantique.

    Il est encore question de légèreté avec "Corps céleste", un  très court morceau – moins d’une minute – où Jordan Tumarinson choisit l’envol, avant de se faire debussyen dans "De l’intérieur". Parlons aussi d'"Éléphant blanc", un titre aussi mystérieux qu’attendrissant, tant la grâce est évidente dans sa manière d’exprimer la démarche lente et majestueuse du pachyderme.

    Debussyen

    Expressif, Jordane Tumarinson l’est sans aucun doute, que ce soit avec  "Désolation", un morceau court et lancinant aux accents tragiquement actuels, "Le chant des sirènes", mystérieux et gracieux avec cette suite d’ondulations musicales ou encore la délicate variation "Dieux et démons".

    L’auditeur s’arrêtera sans doute avec intérêt sur "Métal rouge", un titre étonnant, sans doute le meilleur de l’album. Dans cet hommage au milieu ouvrier et sidérurgique, la mélancolie domine grâce à un clavier d’airain.

    Nous parlions de Debussy. Il y a aussi du Satie dans le convaincant "Momentum", auquel vient répondre le bien nommé "Force et douceur", aux mille nuances. "Se retrouver" est lui aussi un très joli titre à la construction intelligente et encore une fois marquée par le sceau de la sensibilité, tout comme "Quintessence", plus minimaliste encore.

    "Les montagnes se soulèvent" un dernier morceau en forme d’élévation pour terminer un album en hommage à l’humanité. Nul doute que Jordane Tumarinson signe avec Odyssée un album qui fera date. On en fait le pari.  

    Jordane Tumarinson, Odyssée, Naïve Records / Believe, 2022
    https://jordanetumarinson.com
    https://www.facebook.com/jordanetumarinson
    https://www.instagram.com/jordanetumarinson
    https://www.naiverecords.com/jordane-tumarinson

    Voir aussi : "Jordane Tumarinson en terre inconnue"

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  • Maxence Cyrin, entre gris clair et gris foncé

    Pour son septième album Melancholy Island, Maxence Cyrin navigue entre classicisme, électro-pop et contemporain – version école répétitive américaine.

    Composé au fil d’une période de près de deux ans, les titres de l’album peuvent s’entendre comme un journal intime, ou une série de nouvelles, qui documentent les états et les sentiments, ainsi que les lieux, les villes et les paysages que l’artiste a pu traverser, de la Bourgogne à Montmartre (où il vit), en passant par la région de l’Algarve, ses côtes et ses îles.

    Contemplatif, le pianiste français l’est assurément, comme le prouve le premier titre "Faro Bay", passionnant et proposant une authentique invitation au voyage – au Portugal plus précisément.

    La délicatesse du toucher frappe l’auditeur (les mélancoliques "Soft Skin" et "Antica"), tout comme son art de nous emporter dans ses créations mélodiques qui deviennent cinématographiques, à l’instar de "Seasons" ou "Dust", deux titres sur la fuite du temps que l’on dirait influencés par Yann Tiersen. 

    Si l’on parle références musicales, il faut aussi citer Debussy 

    Si l’on parle références musicales, il faut aussi citer Debussy ("Rivages") ou encore la grâce mystérieuse de Gabriel Yared dans cet autre morceau, "Salon de musique", qui n’est pas sans faire penser à la bande originale que le compositeur oscarisé a signé pour L’Amant de Jean-Jacques Annaud. Il y plus encore du Satie dans le titre onirique "Der Raüber und der Prinz", une reprise du titre eighties de DAF.

    Tout le talent de Maxence Cyrin est d’offrir dans son album abouti jusqu’à l’apport de sons électroniques, toujours à bon escient ("Voyage").

    Gris clairs et gris foncés : telles seraient les couleurs de ce très bel album avec ces sombres accents ("As The Darkness Falls"). Véritable hymne aux voyages ("Faro Bay", "Voyage"), Melancholy Island est aussi une formidable expérience sonore où le mystère affleure à chaque instant, comme le montre la revisite de DAF, "Der Raüber und der Prinz" ou de cette autre reprise, "The Carnival Is Over".

    Maxence Cyrin, Melancholy Island, Warner Classics, 2022
    https://www.facebook.com/maxencecyrin
    https://www.instagram.com/maxencecyrin

    Voir aussi : "Nul n’est prophète en son pays"

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  • Puis-je… vous parler d’Arvo Pärt ?

    Tabula Rosa est une composition par une figure imposante de la musique contemporaine, l’estonien Arvo Pärt avec sa musique mélodique, harmonique et aux influences religieuses (le compositeur revendique sa croyance et ses origines orthodoxes). "La musique d’Arvo Pärt nous conduit des ténèbres à la lumière… cette musique n’est pas seulement relaxante – elle véhicule drame et profondeur", dit d’ailleurs Renaud Capuçon, soliste et chef d'orchestre de cet opus.

    Le "Ludus" est un long cheminement de près de 11 minutes ponctué de sons de cloches, comme un chemin initiatique, avec des litanies et des leitmotivs se répétant, portés par le violon habité de Renaud Capuçon et un Orchestre de Chambre de Lausanne qu’il dirige.

    Les 3 dernières minutes ont cet aspect sombre pour ne pas dire funeste Un e sorte de mater dolorosa, rappelant l’importance de la musique sacrée dans l’œuvre d’Arvo Pärt. Jusqu’à s’éteindre dans une profonde gravité

    D’autres œuvres de Pärt composent l’album de Renaud Capuçon. Il y a Fratres, présenté ici dans une version pour orchestre et violon. Dès l’ouverture, Arvo Pärt se distingue par une exubérance et une fantaisie peu habituelle, avant d’aller vers un halo inquiétant où lumières et ténèbres semblent se jauger. Une dialectique musicale a lieu dans ce morceau passionnant, tout autant qu’il séduit par son harmonie et sa puissance symphonique. L’auditeur pourra voir derrière ce morceau d’un peu plus de 10 minutes un chant humaniste pour tous nos frères et sœurs humains.  

    Summa, un titre plus lumineux et apaisé, est servi par un orchestre majestueux dans un morceau symphonique célébrant la magnificence et la dignité. 

    Idéal pour entrer dans le répertoire contemporain

    Silouan’s song est un bouleversant chant aux silences et pauses éloquents. L’orchestre de chambre entonne un chant pathétique avec une ligne mélodique qui n’est pas sans renvoyer à la Symphonie n°3 de Henryk Górecki.

    Darf ich que l’on pourrait traduire par "Puis-je…" est l’un des morceaux les plus subtils et les plus minimalistes de l’album. Il peut s’écouter comme une délicate attention amoureuse, faite sur la pointe des pieds, mais non sans les sombres échos du violon magnétique de Renaud Capuçon.

    Spiegel im Spiegel, énigmatique par essence ("Expliquer j’explique"), séduit par sa mélancolie et sa facture instrumentale (violon et piano). Ce titre peut s’écouter comme une lente déambulation.  Renaud Capuçon fait taire l’orchestre symphonique pour une parenthèse plus intimiste, avec ces respirations rendant l’œuvre d’autant plus vivante.

    Für Lennart in memoriam conclut ce séduisant album, idéal pour entrer dans le répertoire contemporain, avec un morceau aux élans tout aussi pathétiques que le "Silouan’s song". L’Orchestre de Chambre de Lausanne ponctue les envolées de cordes de retenues et de pauses. Il est vrai que, là encore, pour reprendre une célèbre citation de Sacha Guitry sur Mozart, "Le silence qui suit Arvo Pärt c’est encore du Arvo Pärt". Et Renaud Capuçon, justement, vient rendre un hommage appuyé au compositeur estonien avec cet album qui fera certainement date. 

    Arvo Pärt, Tabula Rasa, Orchestre de Chambre de Lausanne, Renaud Capuçon, Warner Classics, 2021
    https://www.arvopart.ee/en
    https://www.renaudcapucon.com/fr
    https://www.ocl.ch
    https://www.warnerclassics.com/fr/release/part-tabula-rasa-capucon

    Voir aussi : "No Dames, no drames"
    "Histoires de tangos par Lucienne Renaudin Vary"

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