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documentaire - Page 5

  • Vendanges amères

    Le hasard est parfois bien fait : alors qu’il y a quelques jours je découvrais le podcast d’Affaires sensibles consacré à l’histoire de la plus grosse arnaque dans le monde du vin, cette semaine je tombais sur le film Sour Grapes consacré au même sujet, et qui est disponible sur Netflix.

    Le protagoniste de cette affaire s’appelle Rudy Kurniawan. Un pseudo en réalité, qui est aussi un hommage à un joueur de badminton indonésien. Notre Rudy Kurniawan vient lui aussi de ce pays, d’une famille à l’histoire compliquée pour la faire brève, et que le film de Jerry Rothwell explique dans les dernières vingt minutes de son documentaire.

    Lorsque le fringant jeune homme asiatique apparaît dans la communauté des collectionneurs de vin à partir de 2000, il se montre évasif sur sa fortune. Il se présente comme un héritier passionné de bons flacons, capable de dépenser une fortune dans des bouteilles d’exception, la plupart françaises, et dans des millésimes rarissimes : Mouton Rothschild 1945, Chambolle-Musigny 1962, Vosne-Romanée-Conti, Château Petrus 1947 ou des Clos-saint-denis millésimés de 1945 à 1971. Et sur à cause de ces derniers vins qu’il va se faire pincer.

    Omerta

    Rudy Kurniawan est doué d’une connaissance encyclopédique en œnologie et il impressionne ses nouveaux amis collectionneurs. En quelques années, il devient un personnage emblématique des salles de vente et il s’associe avec le commissaire-priseur new-yorkais John Kapon qui se charge de revendre les vins de sa collection. Non seulement Rudy Kurniawan gagne beaucoup d’argent, mais il contribue aussi à bouleverser le marché du vin et à faire grimper les prix. L’escroquerie va être dévoilée parallèlement par le milliardaire et collectionneur Bill Koch et le viticulteur bourguignon Laurent Ponsot qui s’aperçoit que certains crus… n’ont jamais existé.

    Pas la peine d’être un spécialiste du vin pour apprécier Sour Grapes (comme d’ailleurs le numéro d’Affaires sensibles). Le spectateur sera fasciné par l’histoire d’une arnaque savamment organisée qui a tellement roulé dans la farine des hommes d’affaire roublards qu’aujourd’hui encore on estime que près de 10 000 faux crus de Rudy Kurniawan sont encore en circulation dans le monde. Et personne ne semble vraiment tenir à ce qu’on les déniche.

    Une vraie omerta qui a tout de même conduit derrière les barreaux un brillant spécialiste et fraudeur en vin, sans que l’on sache complètement toutes les complicités. Le milieu des collectionneurs de vin n’a pas été le moins gêné par cette escroquerie exceptionnelle. Et dans un milieu régi par le bling-bling, le fric et les signes extérieurs de richesse, on pourrait résumer ainsi les réactions des acheteurs des vins made in Kurniawan : "Qu’importe si mon Domaine de la Romanée-Conti à 85 000 dollars la bouteille est faux, du moment que l’étiquette indique que c’est un Domaine de la Romanée-Conti…"

    Sour Grapes, documentaire américain de Jerry Rothwell, avec Laurent Ponsot, Jay McInerney, Jefery Levy, Maureen Downey et Rudy Kurniawan, 2016, 85 mn, Netflix
    https://www.netflix.com
    "Le vigneron et le faussaire", Affaires sensibles, France Inter, 2017, en podcast
    https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles

    Voir aussi : "Histoire sensible"

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  • Beau comme Apollo

    Le cinquantième anniversaire du plus grand événement de l’histoire humaine valait bien une commémoration digne de ce nom. Anthony Philipson propose de revenir sur la mission d’Apollo 11 en juillet 1969 qui permit aux premiers hommes de quitter le berceau terrestre pour visiter notre astre le plus proche, la lune.

    Ce voyage exceptionnel de huit jours, trois heures, dix-huit minutes et trente-cinq secondes, dont deux heures seulement sur notre satellite naturel, est relaté dans le documentaire de la BBC au titre très "Jules Verne" : 8 jours de la Terre à la Lune.

    C’est à partir d’un mélange d’images d’archives, pour beaucoup inédites, et de reconstitutions fidèles basées sur des enregistrements sonores de l’époque – car l’intégralité du voyage a été captée par la NASA – que le film suit les trois astronautes dans ce périple, depuis les derniers préparatifs jusqu’à leur minuscule vaisseau spatial de moins de 5 m², propulsée par la fusée Saturn V, un monstre de technologie haut de 36 étages et propulsé par des moteurs d’une puissance prochaine d’une bombe nucléaire.

    L’aspect technique n’est en effet pas éludé dans ce film qui rappelle l’exploit scientifique de ces missions inédites par leur ampleur : il n’y a qu’à penser à ces reconfigurations qui ont permis la transformation de la fusée gigantesque en un module lunaire à plus de 16 000 kilomètres heures. Des quelques jours de voyage dans un vaisseau à peine plus grand qu’une petite automobile, les astronautes Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins se sont cependant montrés discrets en révélations : la recherche d’une caméra, quelques exercices sportifs et l’écoute d’actualités pour rester en contact avec la terre constituent les seules anecdotes.

    "Ce que c’est beau !" dit un de ces trois voyageurs de l’impossible

    Le moment le plus attendu de ce documentaire est bien entendu celui de la cinquième journée, le 20 juillet 1969, qui est celui de l’alunissage d’Eagle, le module lunaire, un appareil qu’Armstrong et Aldrin n’ont utilisé qu’en simulateur de vol. L’alunissement du minuscule engin n’a pas été si simple que prévu, avec un ordinateur de bord (bien moins puissant que le plus modeste de nos smartphones) finissant par saturer en raison du nombre élevé d’informations à traiter et des astronautes ayant de peu échappé au pire. "C’est un petit pas pour l’homme mais un bond de géant pour l’humanité" prononce Armstrong au moment où il pose le premier pas sur le sol poussiéreux du désert lunaire. Les petites deux heures de ces hommes sur la lune ont marqué à jamais l’histoire de l’humanité et constituent encore aujourd'hui l'une des aventures les plus prodigieuses qui soit.

    On ressort fasciné par la magie des photos et des films à la qualité médiocre pris à 385 000 kilomètres au-dessus de nous. "Ce que c’est beau !" dit un de ces trois voyageurs de l’impossible au moment du voyage spatial le plus ahurissant qui ait jamais été fait. Cinquante ans plus tard, à défaut de viser les étoiles, la beauté de la mission d’Apollo 11 reste intacte et inédite.

    8 jours de la Terre à la Lune, documentaire d’Anthony Philipson,
    Grande-Bretagne, BBC, 2019, 98 mn, actuellement sur Canal+

    https://www.bbc.co.uk/mediacentre/mediapacks/8-days

    Voir aussi : "Si vous avez tout compris à cet article c’est que je me suis mal exprimé"

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  • Chef, un petit verre

    Depuis les Brèves de comptoir on savait que le zinc était une source d’inspiration intarissable, capable de livrer citations pleines de bon sens, réflexions socio-philosophiques ou punchlines incroyables.

    Paroles de Zinc, websérie documentaire sortie en ce début d’année, ne fait rien d’autre que s’incruster au cœur des bistrots, troquets et autres cafés pour une plongée au milieu de l’univers si français des bistrots parisiens, l’un des derniers grands lieux populaires.

    Le bistrot devient grâce à ces courts reportages une micro-société ou une grande famille où presque tous les sujets sont dissertés par des consommateurs prolixes : la crise, le travail, la dèche, la politique, le logement, le "village" de Paris, le RSA, les voyages ou les arts. Les réalisateurs, Seb, Fred et Will savent se faufiler entre les tables et le comptoir pour faire parler et écouter ces clients qui ne demandent qu’à raconter quelques tranches de leur vie. Paroles de Zinc permet également d’être témoin de plusieurs apparitions émouvantes du regretté Rachid Taha.

    Cinq épisodes sont déjà en ligne, "Bistrot", "Crise", "Paname", "Cinéma" et "Français". Ils ont été tournés dans deux bistrots parisiens typiques : Chez Ammad, dans le XVIIIe arrondissement de Paris et à La Liberté dans le XIIe. C’est l’occasion de rencontres, parfois très alcoolisées, avec des anonymes qui sont aussi des frères et des sœurs à qui l’on a envie d’offrir pour quelques minutes ou quelques heures de chaleur humaine. Comme le disait Antoine Blondin, "quand on meurt de faim, il se trouve toujours un ami pour vous offrir à boire."

    Paroles de Zinc, websérie documentaire, sur Youtube
    https://www.facebook.com/ParolesdeZinc

    Voir aussi : "Beb des Soggy, le Sugar Man français"

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  • Moi, Nadia, brodeuse et artiste

    broderie,brodeuse,nadja berruyer,maison lesage,christian lacroix,éléonore faucher,documentaire,artisanatC’est une artiste hors du commun qui a les honneurs du documentaire d’Aurélie Martin, sobrement intitulé : Nadja Berruyer, Brodeuse.

    Ce film est le fruit de sept ans de travail autour d’un art méconnu, lorsqu’il n’est pas dénigré. Nadja Berruyer parle de la genèse de ses tableaux perlés, comme de la manière dont elle les réalise.

    Perles de métal et de verre, paillettes, fils d'or et de soie : c’est tout un univers qui peuple son atelier si caractéristique. L’artiste brode également avec des matériaux plus spéciaux comme des pièces de monnaie, des engrenages d'horlogerie, des mécanos, des pendentifs, des plumes, des cheveux et des bijoux. Nadia Berruyer dépasse les frontières de l'artisanat et se donne toute liberté pour organiser selon sa volonté toutes ces matières qui la fascinent. Dans ce documentaire, Nadja Berruyer explique aussi pourquoi et comment elle est devenue brodeuse.

    Très jeune, le talent de Nadja Berruyer est reconnu. Elle travaille pour le prêt-à-porter, la haute couture : Christian Lacroix, le théâtre, le cinéma – pour le film Brodeuse d’Éléonore Faucher, elle crée un tableau de perles de 3 mètres de haut.

    Se débarrasser des idées reçues

    Depuis 30 ans, broder tous les jours pendant de nombreuses heures sans s'arrêter à fini par imposer à son corps de la souffrance due à la position de la broderie. Elle doit donc maintenant se reposer un peu plus souvent.

    Peu de choses filmées existent sur la broderie. Dans le film d’Aurélie Martin, la parole de Nadja est l'occasion de se débarrasser des idées reçues : un métier identifié de manière simpliste à la vénérable Maison Lesage, une activité ringarde et vieillissante réservée aux grands-mères fripées.

    Nadja Berruyer, Brodeuse entend parler autrement de cet art, exigeant et passionnant. Le film d’Aurélie Martin, disponible en DVD et VOD, fera aussi l’objet d’une projection exceptionnelle le dimanche 17 mars 2019 à 11H45 au cinéma Saint-André des Arts (Paris 6e). 

    Aurélie Martin, Nadja Berruyer, Brodeuse, France, 62 mn, en DVD et VOD
    Projection spéciale le dimanche 17 mars 2019 à 11h45
    au cinéma Saint-André des Arts, Paris 6e

    http://www.lesmutins.org/nadja-berruyer-brodeuse

    Voir aussi: "Spartacus, mon frère"

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  • La vie et les deux morts de Louis Althusser

    Le 16 novembre 1980, le nom du philosophe Louis Althusser rejoignait la colonne des faits divers. Le brillant intellectuel de la rue d’Ulm, maniaco-dépressif et, ce jour-là, dans un état de démence, étrangla sa compagne Hélène Rytmann. Reconnu irresponsable de ses actes, Louis Althusser passa les dix dernières années de sa vie en traitement, avec interdiction de s’exprimer publiquement. L'affaire judiciaire se conclua par une première mort symbolique du philosophe, avant son décès le 22 octobre 1990.

    Étonnamment, le documentaire de Bruno Oliveira, L’Aventure Althusser, visible en replay sur Arte pour encore quelques jours, s’attarde peu sur cet homicide – ou ce "suicide altruiste" comme il a été dit non sans un certain cynisme. Ce qui intéresse le réalisateur c'est le parcours philosophique et politique d’un des intellectuels français les plus brillants de la deuxième moitié du XXe siècle.

    La carrière de Louis Althusser est intimement liée à celle du communisme qu’il épousa, en adhérant au PCF, jusqu’à en devenir une figure importante. Ne rêvait-il pas d’en devenir son idéologue, comme le rappelle le film de Bruno Oliveira ?

    L’Aventure Althusser retrace le cheminent philosophique de celui qui va relire en profondeur l’œuvre de Marx, et en particulier Le Capital, grâce à un groupe de recherche de l’École Normale Supérieure. Les travaux d’Althusser et de ses élèves vont avoir une influence majeure sur l'histoire de la pensée. Ils contribuent à dépoussiérer le marxisme et le remettre au centre des débats idéologiques. Nous sommes dans les années 60. Après le décès de Staline, Khrouchtchev a procédé à une condamnation virulente de son prédécesseur. En Chine, Mao est le centre d’intérêt d’une partie de la jeunesse européenne, passionnée par une révolution communiste menée tambour battant et avec les escès que l'on connaît : "Pendant la dictature bourgeoise, la bourgeoisie a obligé les travailleurs a ramer dans un certain sens. Maintenant, nous obligerons tout le monde, pas seulement les travailleur, mais aussi leurs adversaires, à ramer dans un autre sens. C’est ça, la dictature du prolétariat" comme l'a affirmé Louis Althusser.

    L'auteur de Pour Marx se fait le chantre d’un nouveau communisme, après les règnes violents de ces "philosophes froids" qu’ont été Lénine ou Staline. Or, mai 68 voit le succès des concepts marxistes "marcher contre lui" ! Les témoignages des élèves d’Althusser comme de ses amis sont un rappel du rendez-vous manqué de cette année révolutionnaire. La voix de Louis Althusser est singulièrement absente. Il est vrai que l’homme est déjà malade, sujet de troubles maniaco-dépressifs à répétition qu’une frise chronologique éloquente vient rappeler dans le documentaire.

    Ce film sur Louis Althusser est certes insuffisant pour embrasser une carrière philosophique majeure. L’homicide d’Hélène Rytmann reste pudiquement en arrière-plan (pas un mot notamment sur son essai autobiographique posthume L'Avenir dure longtemps, 1992). De même, sa relation sentimentale avec sa traductrice italienne Francesca est seulement dévoilée. Sans doute, y aurait-il matière à faire un second film sur la vie personnelle d'Althusser pour comprendre les motivations d'un meurtre épouvantable. Cependant, le film de Bruno Oliveira reste une passionnante découverte ou redécouverte d’un philosophe majeur du XXe siècle, dont les idées semblent reprendre de la vigueur depuis une dizaine d'années.

    Bruno Oliveira, L’Aventure Althusser, 2016, 60 mn, sur Arte, en replay en ce moment

  • Du 11 septembre à Daech

    Il a été dit et prouvé comment Al Qaïda doit son existence aux pays occidentaux lorsque, en pleine guerre froide, les États-Unis ont armé, financé et formé des combattants islamiques afin de déloger les Soviétiques d’Afghanistan. La suite est connue : mainmise des Talibans sur le pays, développement de la cellule terroriste d’Oussama Ben Laden et les attentats du 11 septembre 2001, il y a quinze ans jour pour jour.

    Le reportage de Michael Kirk et Mike Wiser, Du 11 septembre au Califat, L’Histoire secrète de Daech, diffusé il y a quelques jours sur Arte et toujours disponible sur Internet, retrace le parcours d’une organisation terroriste tentaculaire née en fait sur les ruines des Twin Towers. Grâce à des images rares et des témoignages d’agents du FBI, spécialistes du terrorisme, de journalistes d’investigation mais aussi d’hommes au pouvoir ces dix dernières années (Chuck Hagel, Colin Powell, Paul Bremer ou David Petreus) les deux auteurs montrent ce que Daech doit aux aveuglements et aux choix politiques cyniques des dirigeants américains après le 11 septembre.

    Au lendemain de l’attentat contre les tours jumelles du World Trade Center, la préoccupation de George Bush semble être autant la lutte contre Al Qaïda et son chef Ben Laden que la mise hors d'état de nuire de l’Irak de Saddam Hussein. Or, à l’époque, un djihadiste dangereux est repéré par la CIA, un certain Abou Moussab Al-Zarqaoui, une ancienne petite frappe irakienne que Ben Laden jugeait lui-même peu fiable. Mais Al-Zarqaoui présente un grand avantage pour le gouvernement américain : étant irakien, ce djihadiste inconnu du public, pourrait être un maillon entre Ben Laden et Saddam Hussein. En tout cas, c'est ce que les faucons de l’administration américaine voudraient croire car cela voudrait dire que l’Irak a orchestré les attentats contre le 11 septembre. Mais les experts de la CIA sont formels : Al-Zarqaoui est certes un djihadiste dangereux mais il n'a pas pris part aux attaques meurtrières d'Al Qaïda. 

    Contre cette évidence, les hommes du Président George W. Bush établissent pourtant, via Al-Zarqaoui, un lien - imaginaire - entre Ben Laden et Saddam Hussein pour justifier l’invasion de l’Irak. Lors d’un des plus célèbres discours de Colin Powell à l’ONU, Al-Zarqaoui passe du jour au lendemain du statut d’obscur combattant islamique à celui d’ennemi numéro 1 – après Ben Laden et Saddam Hussein. "Vous vous rendez compte de l’effet de ce discours sur l’ego de Zarquaoui ? On parle de lui à l’ONU ! Maintenant, Ben Laden et Al Qaïda savent qui il est vraiment. Il devient une figure emblématique sans avoir fait quoi que ce soit" juge sévèrement une spécialiste.

    La guerre éclair menée par les États-Unis contre l’Irak en 2003 marque une étape capitale dans la carrière de Zarqaoui et aussi dans les origines de Daech. L’occupation désastreuse par les États-Unis de l’Irak pousse des milliers d’anciens soldats sunnites à prendre les armes contre l’armée américaine et les nouveaux gouvernants irakiens chiites. Al-Zarqaoui devient le principal instigateur de cette insurrection.

    Le reportage de Michael Kirk et Mike Wiser s’arrête de longues minutes sur la sanglante guerre civile qui déchire l’Irak à partir de 2003. Zarkaoui tire les marrons du feu en mettant en place une stratégie terroriste chaotique, devenant l’un des hommes les plus dangereux de la planète : attaques kamikazes, enlèvements, tortures, exécutions sauvages filmées et communiquées via Internet. L’origine de Daech (qui ne porte pas encore ce nom) est là : un groupe terroriste dont l’extrémisme est inédit et diablement séduisant pour des milliers de jeunes Sunnites. Avec un Ben Laden aux abois, Zarkaoui, l’homme que les États-Unis ont contribué à mettre au grand jour, prend la main sur le djihadisme qui n'est encore que localisée dans ce pays du Moyen-Orient.

    Sa tête est mise à prix pour 25 millions de dollars mais il est déjà trop tard. L’ennemi public numéro un n’a jamais été aussi puissant, devant l’égal de Ben Laden qui avait, ironie du sort, rejeté Zarqoui quelques années plus tôt : "Zarqaoui est la start-up qui marche et Ben Laden veut investir dedans. Il veut que Zarqaoui utilise la marque "Al-Qaïda". Al-Qaïda n’a plus rien fait depuis le 11 septembre. C’est donc une occasion rêvée pour Ben Landen d’entrer dans la partie."

    Ben Laden désavoue finalement son "protégé" lorsqu’il apparaît que ce sont les musulmans chiites qui sont en première ligne des actions de Zarkaoui, "le cheikh des égorgeurs". La guerre civile devient totale en Irak, attisée par une propagande efficace et ambitieuse. Pour la première fois, Zarkaoui annonce son objectif : mettre en place un califat, un état islamique. La rupture fondamentale avec Al-Qaïda est là, dans le rétablissement d’un empire musulman sur la planète.

    En 2006, une attaque de l’armée américaine permet l’élimination de Zarkaoui, suivie d’une nouvelle opération d’envergure de l’armée américaine afin de pacifier l’Irak mais il est déjà trop tard : les germes de l’organisation de l’État islamique sont là. Son nouveau leader, Abou Bakr al-Baghdadi, ancien universitaire et djihadiste forcené, rusé et pugnace, va mettre en place un califat dont rêvait son prédécesseur, aidé en cela par la guerre civile en Syrie.

    L’organisation État Islamique, officialisée quelques mois après la mort de Zarkaoui, n'aspire qu'à renaître. Elle va profiter de la tentative révolutionnaire contre Bacher el-Assad à partir de 2011 pour déplacer ses actions terroristes vers ce pays et attiser les braises de insurrection contre le dictateur. Les attentats prennent de l’ampleur, d’autant plus que les rebelles syriens modérés et laïques sont laissés pour compte. L’aide américaine est refusée par Obama qui ne souhaite pas que les États-Unis, échaudés par l'après 11 septembre, s’engagent dans une action extérieure. L’opposition à el-Assad prend la forme d’une organisation djihadiste, parvenant au centre d’un jeu politique délétère. Al-Baghdadi arrive à son but : créer un État islamique, avec pour capitale Raqqa.

    Daech, cette fois définitivement déconnectée d’Al-Qaïda, à terre après l'exécution par le services secrets de son leader Ben Laden en mai 2011, devient une menace de plus en plus sévère, d’autant plus que l’objectif suivant est de transporter le conflit vers l’Irak, de nouveau en pleine tourmente. Al-Bagdadi, en 2014, lance ses troupes vers ce pays et s’empare de de Falloujah puis Mossoul. Le 4 juillet 2014, al-Baghdadi réalise le rêve de Zarkaoui et se proclame calife et commandeur des croyants.

    Un spécialiste rappelle qu’en septembre 2011, 400 personnes avaient prêté allégeance à Ben Laden. 15 ans plus tard, Daech a des pays, des armées, des tanks, des missiles. L’organisation a pu renaître de ses cendres et a déjà commis plus de 90 attentats de par le monde, de Paris à San Bernardino en passant par Istanbul ou Copenhague.

    La menace est bien présente et nombre de dirigeants occidentaux n’y sont pas pour rien, comme le rappelle le reportage à charge de Michael Kirk et Mike Wiser. La question de la responsabilité des Présidents Bush et Obama est bien en jeu. Comme le dit un spécialiste américain : "Nous avons créé le chaos et nous l’avons laissé là." Un chaos qui a commencé il y a quinze ans, un 11 septembre, par une belle journée d'été.

    Du 11 septembre au Califat, L’Histoire secrète de Daech
    de Michael Kirk et Mike Wiser, 52 mn

  • Dans la peau d’un djihadiste

    Soldats d’Allah est un documentaire exceptionnel, engagé et rude que tout citoyen devrait regarder pour saisir une partie – et une partie seulement – de la réalité du djihadisme en France.

    Pendant six mois, des journalistes (bien qu’un seul prenne la parole, visage caché et voix dissimulée) ont infiltré un réseau de partisans de DAESH installés en France. Les enquêteurs, restés dans anonymat pour des raisons de sécurité, sont parvenus, via les réseaux sociaux et des contacts directs, à sympathiser avec des "soldats" de l'Etat Islamique puis à les suivre dans leur quête folle d’un djihad en France. Ils ont filmé en caméra cachée pendant six mois cette plongée dans un de ces groupuscules ultra-violents et hyper fanatisés.

    Étonnamment, la cellule dormante qu'ils ont infiltrée ne se situe pas dans un quartier fiévreux de la région parisienne ou dans un des quartiers nord de Marseille mais au cœur de la France profonde, à Châteauroux (Indre). On y suit Ossama, 20 ans, gamin perdu et frustré et complètement radicalisé, avec la foi enchaînée au corps, à la recherche du paradis après sa mort en "martyr".

    C’est du reste la seule trace de religion dans cette enquête dangereuse. On devine les connaissances religieuses de ces djihadistes plus que succinctes et le reportage aborde peu les motivations politico-stratégiques de ces soldats de Daesh. Il est question dans les conversations d’Ossama et de ses sbires de guerre sainte, de plans d’attaques plus ou moins élaborées, d’entraînements militaires, de recherches d’armes, de discours enflammés au vocabulaire "daeshien" et de précautions pour maintenir leur clandestinité (bien que la plupart des individus rencontrés sont "surveillés" par les forces antiterroristes).

    La clandestinité passe par une utilisation prudente des moyens de communiquer : dans des fast-foods, des jardins publics, par courrier détruit après lecture ou via des réseaux sociaux sécurisés comme Telegram que les journalistes critiquent pour son refus de collaborer avec les autorités.

    Des informations et des moments surprenants parsèment cette enquête hors du commun : la haine rédhibitoire entre salafistes et partisans de Daesh (alors que les deux vocables sont en général indistinctement utilisés et confondus), la méfiance des djihadises pour la quasi-totalité des mosquées françaises et la personnalité de ces candidats au djihad - de jeunes hommes frustrés et aveuglés. Et puis, il y a ces scènes hallucinantes : un mariage célébré par téléphone en plein jardin public, un attentat suicide par un Français parti mourir au Moyen-Orient, les échanges de missives pour organiser des coups, les témoignages du père d’Ossama, impuissant à freiner les pulsions de son fils, ou les réactions des candidats du djihad à l’annonce des attentats du Bataclan et du Stade de France. Du reste, ces attentats marquent la dissolution du groupuscule qui s’apprêtait à s'attaquer à une caserne d'Orléans, cible privilégiée d'Ossama qui semble porter une rancune personnelle tenace à l'égard de l'Armée française.

    Soldats d’Allah est un documentaire hallucinant, engagé et démonstratif, non sans effets de mise en scène. Un reportage choc sur une enquête au terme de laquelle un journaliste, lui-même de culture musulmane, avoue que durant ces six mois il n’a pas vu Allah !

    Soldats d’Allah de Marc Armone et Saïd Ramzy, 2016, 1H27
    Canal + Investigations, jusqu’au 15 mai 2016