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Au sujet de Jacques Lacan, dont Betty Milan est à la fois une admiratrice et une disciple, le lecteur de son court essai Pourquoi Lacan (éd. Érès) pourra avoir l’image d’un psychanalyste élitiste, obscur et qui cultivait cette approche déroutante : "Un maître dont la pratique exigeait la plus grande patience" et avait du mal à "se soumettre aux impératifs de la communication immédiate".
Ceci dit, ce Pourquoi Lacan a cette immense qualité d’être immédiatement accessible. Il se lit comme le témoignage d’une femme dont la rencontre avec Jacques Lacan s’est d’abord faite sur le divan du plus grand psychanalyste, avec Sigmund Freud. "Il a changé ma vie. Il m’a permis d’accepter mes origines, mon sexe biologique et la maternité", écrit Betty Milan en début d’ouvrage.
"J’ai fait mon analyse avec Lacan dans les années 1970. Quarante ans après sa mort, j’ai eu envie de revenir sur ce qui s’était passé au 5 rue de Lille" annonce l’auteure dès l'ouverture. À l’époque, celle qui n’est encore qu’étudiante brésilienne en psychiatrie se paie l’audace de frapper au cabinet du célèbre praticien et scientifique, au départ pour préparer un séminaire au Brésil sur les théories lacaniennes. Betty Milan est à Paris pour raisons universitaires mais cet exil s’expliquait aussi par les liens intellectuels de la France et de son pays d’origine. La situation politique du Brésil, en pleine dictature à l’époque, n’est pas non plus étrangère à sa présence au pays de Voltaire. La première visite chez Lacan sera suivie par plusieurs autres, dans le cadre d’une analyse.
"Le Docteur"
Grâce au témoignage de Betty Milan, le spectateur entre dans la tête d’une jeune Brésilienne des années 70, tiraillée entre plusieurs cultures puisque sa famille est originaire du Liban. Sa reconnaissance pour le psychanalyste ("Le Docteur" comme elle l’appelle) est immense : "Lacan a éclairé ma route, en permettant qu’une descendante d’immigrants libanais, victime de la xénophobie des autres et de la sienne propre, puisse enfin s’accepter".
L’ancienne analysée, devenue elle-même psychanalyste – lacanienne –, fait entrer le lecteur dans le cabinet du praticien et relate les échanges qu’elle a pu avoir avec lui au cours de séances souvent courtes. Elle raconte comment Jacques Lacan interrompait ses séances au moment où des informations pourtant importantes, commençaient à être révélées.
Betty Milan parle des rendez-vous réguliers, de l’interprétation des rêves, de la place de l’argent mais aussi du problème de la langue maternelle qui constituait a priori un obstacle à l’analyse (en ce sens, le titre Pourquoi Lacan – sans point d’interrogation – prend tout son sens).
Betty Milan parle aussi de la France, de Paris, des années 70 mais aussi du déracinement et de ses questionnements sur ses origines et sa liberté de femme. Car c’est bien de la réinvention de la vie dont il est question dans cette analyse d’une analyse chez une figure historique des sciences humaines disparue en 1981.
Les amateurs de peintures seront sans doute frustrés par cette encyclopédie de 240 pages proposée par les éditions Larousse. Dans La vie secrète des chefs-d’œuvre, Vincent Brocvielle propose un choix de seulement 28 artistes ou courants picturaux (pour les œuvres les plus anciennes). Le but est de répondre à cette question : pourquoi cette peinture a une importance capitale dans l’histoire de l’humanité et peut être considérée comme un chef d’œuvre.
Vaste question et plus complexe qu’on veuille bien le dire. Disons aussi que, par sa démarche, l’auteur entend bien affirmer que, contrairement à l’adage populaire, les goûts et les couleurs ça se discute. Il le dit autrement dans son avant-propos : "Je suis convaincu que les œuvres d’art mènent leur propre vie".
Outre les peintures pariétales, les créations égyptiennes, gréco-romaines et médiévales, Vincent Brocvielle a jeté son dévolu sur quelques peintures marquantes de Piero della Francesca, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Vélasquez, Goya, Courbet, Picasso ou Marcel Duchamp. On regrettera l’absence d’autres figures incontournables telles que Botticelli, Watteau, Ingres ou Matisse. Mais ainsi va la dure loi de ce genre de livres.
L’incroyable peinture d’Artemiscia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne, est la plus symptomatique des déboires de son auteure
C’est donc un choix extrêmement restreint, mais à travers des œuvres incontournables, que ce soit Le Jardin des Délices de Bosch, La Ronde de Nuit de Rembrandt ou Guernica de Picasso. Seules quatre femmes sont représentées : Artemisia Gentileschi, Rosa Bonheur, Berthe Morisot et Frida Kahlo. L’auteur de ce beau livre propose de revenir sur la genèse de chaque œuvre, en les plaçant dans l’histoire de son auteur ou auteure. À cet égard, l’incroyable peinture d’Artemisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne, est la plus symptomatique des déboires de son auteure, victime de viol autant que de la justice.
L’aspect technique fait l’objet de développements, notamment pour les pages consacrées aux fresques romaines ou à l’art médiéval. Le lecteur français s’arrêtera avec grand intérêt sur le peu connu Hokusai, dans un livre largement consacré à l’art occidental.
D’autres passages sont consacrés à l’accueil du public, aux techniques de restauration et à de multiples anecdotes. Autant d’informations qui entendent montrer et démontrer le caractère unique de ces œuvres.
"Bataille" est traduit en italien par "Battaglia". "Battaglia" comme Letizia Battaglia, une photographe sicilienne qui s’est battue toute sa vie contre ce fléau qu’est la mafia. Elle est au cœur de l’ouvrage de Frederika Abbate, Letizia Battaglia, Une Femme contre la Mafia (éd. de la Reine Rouge).
L’essai n’a pas vocation d’être exhaustif mais plutôt de faire découvrir une figure héroïque qui a fait de son art un combat contre la pieuvre mafieuse. Letizia Battaglia, décédée en avril dernier, s’est souvent expliquée sur sa démarche et sur ce choix qui a mis sa vie en danger : "On a voulu faire croire à l’opinion publique, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Italie, que la mafia prospérait en Sicile à cause de la société civile, d’une certaine mentalité. Mais c’est une affirmation injuste qui nous humilie et nous dénigre".
L’appareil-photo de Letizia Battaglia est sa meilleure arme pour montrer que tout n’est pas perdu et que, face au crime, les mafiosos ne sont pas ces gentlemen dignes de figurer dans Le Parrain, mais des personnages vulgaires, violents et cruels. Disons aussi que sur l’œuvre de la photographe plane en premier lieu l’ombre de la mort.
Cette mort, écrit Frederika Abbate, "elle la photographie avec respect". Ces clichés "sont aussi des actes de dénonciation et de combat qui produisent leur effet". Dans ses noirs et blancs, derrière la grâce, la beauté et l’innocence se cache le deuil, la violence et le désespoir.
Guerre civile en Sicile
Le livre de Frederika Abbate pose quelques jalons chronologiques sur cette femme née une Sicile conservatrice, meurtrie par une agression sexuelle, enfermée par ses parents puis mariée jeune, avant que la photo ne la sauve littéralement. Elle vouera toujours un amour inconditionnel à la Sicile et à Palerme où elle est née, un amour auquel vient faire écho la propre histoire de l’auteure, transformant par moment l’essai biographique en hommage personnel.
Le livre revient en quelques pages sur les décennies de crimes impunies suivies de l’opération "Mains propres" menée par quelques juges et personnalités incorruptibles qui ont souvent payé de leur vie leur bataille contre la mafia, qu’elle s’appelle Cosa Nostra, Camorra ou 'Ndrangheta. Un des chapitres du livre se nomme "Guerre civile en Sicile", comme pour mieux marquer l’extrême violence de ces États dans l’État. On peine à croire que Letizia Battaglia a pu survivre aux attentats, règlements de compte et exactions sur une île qu’elle a très peu quittée et qu’elle a photographiée, le plus souvent pour le journal communiste L’Ora. Elle est décédée le 13 avril dernier à l'âge de 87 ans.
S’écartant de l’essai biographe pur, Frederika Abbate consacre plusieurs chapitres sur les séries et les clichés de Letizia Battaglia pour mieux y faire ressortir ses influences classiques autant que sa modernité (sa passion pour Pasolini, ses photos montrant la vie quotidienne à Palerme et son engagement féministe par exemple). La mort y est toujours présente, d’une manière ou d’une autre, cette mort qu’elle savait photographier à hauteur de femme et d’homme pour mieux lutter contre la mafia, devenue son ennemi intime – et sans doute aussi le nôtre : "Avant de lutter contre la mafia, tu dois faire ton propre examen de conscience et ensuite, après avoir détruit la mafia à l’intérieur de toi, tu peux combattre la mafia qui se trouve dans ton cercle amical. La mafia, c’est nous-même et notre mauvaise façon de nous comporter".
S’attaquer à un morceau comme ce Churchill d’Andrew Roberts (éd. Perrin) demande une sacrée ténacité : plus de 1 300 pages en comptant l’index et une biographie. Il faut cependant bien cela pour saisir la vie d’une des figures majeures du XXe siècle, celui qui a largement permis la victoire des Alliés pendant la seconde guerre mondiale tout autant qu’il a fait entrer l’Angleterre dans la modernité.
Un homme exceptionnel, donc, dont on peut dire qu’il a un pied dans le XIXe siècle post-victorien et l’autre dans le XXe siècle post-colonial. Il faut citer pour la traduction française Antoine Capet pour son remarquable travail, permettant au lecteur français de découvrir ou redécouvrir "le vieux lion".
Connaît-on réellement Churchill ? Andrew Roberts a une étonnante réponse en toute fin de l’ouvrage, lorsqu’il parle de la jeune génération : "Dans un sondage de 2008 auprès de 3 000 adolescents britanniques, pas moins de 20 % d’entre eux pensaient que Winston Churchill était un personnage de fiction…" Hormis le fait que cela remet en question les programmes scolaires anglais où Churchill a été presque totalement éliminé, apprend-on, cela reste cependant un "hommage" singulier pour le premier ministre britannique, comme si sa destinée était trop invraisemblable pour avoir été réelle.
La biographie d’Andrew Roberts est constituée de deux parties : "La préparation" et "L’épreuve". Les jeunes années de Churchill, ce fils de l’aristocratie anglaise ayant fait ses armes sous les drapeaux, semblent être, comme l’a dit lui même l’intéressé, une période de formation avant l’épreuve de la seconde guerre mondiale. Le lecteur a peine à imaginer le futur premier ministre rondouillard de l’Empire Britannique en soldat aguerri : "À 25 ans, il s’était battu sur davantage de continents qu’aucun soldat de l’histoire, hormis Napoléon", raconte un portrait de l’époque.
Courageux jusqu’à la témérité, Churchill devient aussi un homme de lettres autant qu’un tribun, laissant une œuvre aussi impressionnante que l’homme lui-même, récompensée par ailleurs d’un Prix Nobel de Littérature.
Impérialiste libéral, Churchill se lance dans la politique à l’âge de 26 ans. C'est le début d’une carrière impressionnante, non sans soubresauts et traversées du désert qu’Andrew Roberts détaille avec patience. L’homme monte les échelons : sous-secrétaire d'État aux Colonies, ministre de l'Intérieur puis Premier Lord de l'Amirauté, une nomination qui le rendra le plus heureux comme jamais, comme en témoignera plus tard son amie Violet Asquith.
C’est sous son mandat que commence la première guerre mondiale. Il est déjà aux avant-postes de la Grande Histoire. C’est aussi et surtout une période d’apprentissage, avec des victoires (la création du MI5 et du MI6) mais aussi des erreurs (l’opération des Dardanelles en 1915, qui le marquera toute sa vie), erreurs qui lui seront profitables des années plus tard.
Le lecteur qui croit au destin historique, pourra s’appuyer sur cette éloquente citation de l’intéressé au moment où il accède au poste de premier ministre en mai 1940 : "J’avais l’impression d’être guidé par la main du destin, comme si toute mon existence préalable n’avait été qu’une préparation en vue de cette heure et de cette épreuve…"
"À 25 ans, il s’était battu sur davantage de continents qu’aucun soldat de l’histoire, hormis Napoléon"
Cette épreuve, c’est bien évidemment la seconde guerre mondiale. L’armée d’Hitler conquiert l’Europe et l’Angleterre est à deux doigts de sombrer comme la France, piteux vaincu après quelques semaines d’une bataille peu glorieuse. Churchill va se servir de son expérience pour convaincre son peuple que la défaite n’est pas inéluctable, en dépit des bombardements nazies sur Londres. "Âgé de 65 ans, il était magnifiquement préparé (…) pour les épreuves qui l’attendaient".
Ces cinq années éprouvantes, il les affronte avec un courage frôlant la témérité, lui qui n’hésite pas à parcourir le monde en avion ou en bateau en dépit des dangers. La Bataille d’Angleterre fait l’objet de longues pages, et l’auteur ne tait pas les combats politiques, rythmés par les discours légendaires du prime minister, tout au long de ces 5 années de guerre, développées sur environ 400 pages, avec minutie et grâce à une documentation impressionnante.
Andrew Roberts rappelle que les États-Unis sont aux abonnés absents au début du conflit et qu’il a fallu toute la pugnacité de Churchill pour convaincre Roosevelt d’entrer en guerre, chose faite après Pearl Harbour en décembre 1941. L’essayiste souligne l’importance capitale de la Bataille de Dunkerque en mai 1940 avec l’Opération Dynamo qui a eu une importance capitale dans la résistance anglaise en ce qu’elle a permis de préserver la marine britannique. Le Blitz et la Bataille d’Angleterre constituent deux chapitres pour ce tournant décisif. Ce que le lecteur découvrira sans doute c’est la saignée dans les forces aériennes anglaises lors de la Bataille d’Angleterre ("en tout, depuis le 10 mai, la RAF avait perdu 1 067 appareils et 1 127 aviateurs"). Cela rend la résistance menée par Churchill tout à fait remarquable ("Nous sommes résolus à poursuivre le combat encore et toujours"), d’autant que le premier ministre lui-même a plusieurs fois risqué sa vie au milieu des bombardements, en raison de sa proverbiale témérité, même si des observateurs ont trouvé qu’il s’était malgré tout "assagi". L’auteur nous apprend que pendant ces 1 900 jours de guerre, il a parcouru 180 000 kilomètres en bateau, en train et en avion.
Avec un luxe de détails, le biographe suit Churchill du 10 Downing Street au Canada en passant par Washington ou Téhéran, le chef de guerre se révélant un diplomate parfois dupé par un Staline lors de tractations narrées avec précision et un grand sens de la théâtralité, comme on le découvre lors d’une série de rencontres à Moscou.
Andrew Roberts parle du tournant qu’a été 1942, année décisive au cours de laquelle le monde a été sur une ligne de crête, entre victoire annoncée et défaite inéluctable. Du point de vue intérieur, Churchill est critiqué ("le plus grand marchand de défaites de l’histoire anglaise" est-il dit de lui). En dépit de cela, le peuple le suit, comme le montrent des sondages de l'époque. Le débarquement en Normandie, imaginé dès le début du conflit mondial, est finalement brièvement évoqué, en dépit de son importance stratégique considérable.
"Victoire et défaite" : tel est le titre du chapitre consacré à la période de janvier à juillet 1945. S’il est vrai que le triomphe de Churchill est l’anéantissement de l’armée nazie, pour autant le premier ministre se voit débarqué après la perte des élections par les conservateurs à l’été 1945.
Les derniers chapitres de ce Churchill sont consacrés aux années d’opposition, à des discours importants consacrés à la Guerre Froide naissante, aux colonies britanniques et à l’Europe. Puis, advient le retour au pouvoir de Churchill de 1951 à 1955, dans une période que l’auteur juge plus crépusculaire.
On ressort de la lecture du livre d'Andrew Roberts éclairés par un des plus grands hommes de l’histoire britannique et sans doute du XXe siècle. Sans doute la meilleure conclusion à apporter à ce Churchill reste le portrait "multiple" qu’en a fait un autre biographe : "Homme politique, sportif, artiste, orateur, historien, parlementaire, journaliste, essayiste, joueur de casino, soldat, correspondant de guerre, aventurier, patriote, internationaliste, rêveur, pragmatique, stratège, sioniste, impérialiste, monarchiste, démocrate, égocentrique, hédoniste, romantique".
Navigatrices, pilotes de courses, peintres, écrivaines, scientifiques, cinéastes, philosophes, ministres et même présidentes de Républiques : ces femmes brillantes et souvent oubliées sont au cœur de l’ouvrage de Benjamin Valliet, 366 Dates pour célébrer les Femmes (éd. Favre). Le choix de l’almanach sert de cadre à ce projet éditorial exemplaire et qui apporte sa pierre au combat féministe.
En préface de l’ouvrage, Louise Ebel présente ainsi ce travail : "Benjamin Valliet, qui s’est penché sur ces dates clés que les manuels continuent de dédaigner, et sur les destins inspirants qui leur sont associés. En attendant que ces exemples soient un jour enseignés à l’école".
366 Dates pour célébrer les Femmes se présente comme un almanach traditionnel, découpé en mois. Le calendrier énumère, du 1er janvier au 31 décembre, les grandes et les petites dates autour de l’histoire des femmes, du féminisme et de l’émancipation de l'autre moitié de l’humanité.
Le livre aborde la plupart des domaines publics où les femmes se sont engagées, voire imposées : les médias (la journaliste belge Janine Lambotte), les arts et la culture (Marguerite Duras, Frida Kahlo ou Elsa Triolet, la première lauréate du Goncourt en 1945), l’économie (la businesswoman Ruth Handler, la créatrice de l’emblématique – et a priori peu féministe – poupée Barbie), le sport (Nadia Comaneci ou la nageuse australienne Fanny Durack), la technologie et les sciences (Irène Joliot-Curie ou l’astronome Edmée Chandon), la politique (Samia Suluhu Hassan, la présidente de la République unie de Tanzanie) et les grandes découvertes (Alexandra David-Néel).
Le lecteur pourra y trouver les dates de naissance et de décès de grandes figures féminines. Citons les naissances de la résistante allemande Sophie Magdalena Scholl (le 9 mai 1921), de la politique et ancienne candidate à la Présidentielle française Christiane Taubira (le 2 février 1952) ou encore de Sarah Bernhardt le 22 octobre 1844 . Côté décès, l’auteur cite celui de Louise Weber, dite La Goulue (29 janvier 1929), celui de la Suissesse Kitty Ponse, scientifique, pionnière de la génétique et de l’endocrinologie (10 février 1982) ou de la navigatrice Florence Arthaud (9 mars 2015).
"Il y a encore plus inconnu que le soldat inconnu, c’est sa femme"
La plupart des dates couvrent le XXe et XXIe siècle. Cependant, l’almanach peut remonter plus loin, preuve que le féminisme est un mouvement qui vient de loin : ainsi le 13 mars 1774 voit la naissance de la femme d’affaire américaine, née de parents esclaves, Rose Fortune. Bien avant, le 14 avril 1663, Catherine Duchemin, artiste peintre française, est la première femme admise à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Le 7 mai 1748 voit la naissance de Marie Gouze, dite Olympe de Gouges, quelques années avant celle de Jane Austen (le 16 décembre 1775).
Benjamin Viallet fait aussi une place aux "Milléniums", avec la naissance de Billie Eilish le 18 décembre 2001 et celle de Greta Thunberg le 3 janvier 2003.
L’ouvrage, bien entendu, n’oublie pas le militantisme et les grandes avancées du féminisme : le droit de vote aux citoyennes françaises le 29 avril 1945, le manifeste des 343 le 5 avril 1971, le discours de Simone Veil pour l’IVG le 26 novembre 1974, avant la promulgation de la loi dépénalisant l’avortement le 7 janvier 1975.
Des événements moins connus mais essentiels sont abordés. Ainsi, en 1930, Jane Evrard (1893 – 1984) décide de fonder elle-même son orchestre, "l’orchestre féminin de Paris". Elle devient la première femme cheffe d’orchestre professionnelle en France.Le 8 avril 1908, Madame Decourcelles obtient l’autorisation de conduire ses premiers clients en qualité de "chaufferesse", autrement dit de conductrice de taxi. Plus près de nous, le 28 février 2019, l’Académie française se prononce en faveur d’une ouverture à la féminisation des noms de métiers, de fonctions, de titres et de grades, alors qu’aux États-Unis, le 7 février 2021, Sarah Thomas devient la première femme à arbitrer le Superbowl.
Des biographies de femmes, modèles ou militantes, ponctuent l’almanach. Outre des citations mises en exergue tout au long du livre ("Il y a encore plus inconnu que le soldat inconnu, c’est sa femme"), l’auteur décide de mettre en avant des figures souvent peu connues, que ce soit Kate Warne, la première femme détective aux États-Unis, la cinéaste Alice Guy ou les sportives Violette Morris et Suzanne Lenglen.
Au final, Louise Ebel commente ainsi le projet de Benjamin Valliet : "La mise en lumière des destins de femmes à travers l’histoire n’est pas seulement notre affaire, c’est une affaire universelle". L’auteur ose un clin d’œil personnel inattendu avec une mention du 25 décembre 1949, la date de "naissance de Christiane Valliet, ma mère, une femme formidable", écrit son fils et auteur de cet Almanach peu commun.
Un an après sa biographie sur Simone Veil, c’est sur une autre femme que s’est penchée Amandine Deslandes : Diana, que la postérité à surnommé Lady Di (Diana, éd. City). Celle qui fut princesse de Galles, mariée à Charles, héritier du trône britannique, a connu une célébrité aussi brève que flamboyante. Son décès tragique le 31 août 1997 à Paris, suite à un dramatique accident de la route, a été aussi surmédiatisé que sa vie d’altesse royale et de people.
Une abondante littérature est revenue sur l’existence de Diana. La biographie d’Amandine Deslandes déroule avec limpidité l’histoire de cette jeune femme morte à l’âge de 36 ans et qui a bousculé, comme personne avant elle, les traditions pour le moins sclérosées de la couronne britannique.
L’histoire débute pour elle comme un conte de fée : Diana Spencer est issue d’une double lignée aristocratique, avec des ascendances "impressionnantes" (avec notamment "un lien d’alliance avec Churchill", tout de même). Son histoire familiale est cependant déchirée par le divorce de ses parents. Ce scandale pour l’aristocratie britannique ne va pas pour autant empêcher son union avec le Prince désigné de la couronne : Charles de Windsor, le Prince de Galles.
À l’âge de 17 ans, Diana rencontre le fils d’Elisabeth II lors d’une partie de chasse. Celui dont la réputation de coureur de jupons n’est plus à faire jette son dévolu sur cette fille simple, "fleur bleue" et timide qui lui a tapé dans l’œil : "Elle était belle, joyeuse, amusante et pleine de vie". Le hic c’est qu’une autre femme est déjà au cœur de l’existence du Prince Charles : Camilla Parker Bowles.
Le couple Charles-Camilla aurait mérité à lui seul un chapitre entier, tant leur relation est à la fois passionnée, complexe et romanesque. La maîtresse de Charles est omniprésent dans la vie de Diana ("l’ombre au tableau"), y compris le jour de son mariage, un événement médiatisé comme jamais avant lui : le faste et la pompe royale côtoient la modernité d’une retransmission télé et d’un merchandising qui prend des proportions inédites.
Le "mariage du siècle", en juillet 1981, est le réel point de départ d’une Dianamania : le public qui se reconnaît dans la nouvelle princesse ("[Les Anglaises] veulent toutes lui ressembler") et la presse populaire sont fascinées par cette jeune femme aux cheveux bonds et courts qui va vite devenir une égérie de la mode et une people incontournable. Une nouveauté pour l’époque, qui ne va pas être sans conséquence sur sa propre existence. "Diana est devenue le membre le plus populaire de la famille royale", ce qui n’est pas sans provoquer jalousies et désapprobations, y compris chez la reine, pourtant attachée à sa belle-fille.
Amandine Deslandes consacre de longues pages aux projets humanitaires de la princesse de Galles
L’auteure revient longuement sur les aspects de sa vie privée : les relations avec le Prince Charles qui font alterner froideur, dédain, incompréhension et franche haine, y compris lors des voyages officiels. La personnalité de Lady Di peut être vilipendée ("La princesse serait capricieuse, tatillonne et difficile à vivre"), le public voue une admiration sans borne à "la prisonnière de Galles".
Les aventures et les amants de Lady Di ne sont pas oubliées (un de ses amants parle à ce sujet de "baise de protestation"). La famille princière, agrandie très vite de deux fils, William et Henry, se déchire, jusqu’à rendre public leurs affaires privées : c’est le Camillagate en 1992 puis l’interview choc de Lady Di en 1995, qui a fait scandale 25 ans plus tard en raison des méthodes douteuses du journaliste Martin Bashir.
Amandine Deslandes consacre de longues pages aux projets humanitaires de la princesse de Galles : luttes contre la pauvreté, sensibilisation au problème du Sida, mines anti-personnels. Finalement, c’est dans ce domaine que l’action de Diana a été la plus déterminante, quitte à faire de cette aristocrate anglaise une madone qui a bousculé les comportements (notamment lorsqu’elle "a touché un malade du Sida") et qui a fasciné autant qu’elle a permis de drainé des centaines de millions de dollars en faveur des plus pauvres et des plus faibles.
Avec le divorce de Diana, négocié pied à pied avec la famille royale, l’existence de celle qui ne voulait et qui ne sera pas reine prend un nouveau virage, jusqu’à l’accident du Pont de l’Alma.
Amandine Deslandes consacre un dernier chapitre sur les suites de son décès. Elle pointe du doigt la mainmise des Spencer sur sa mémoire ("Nul ne saura jamais où la princesse repose") autant que les influences de Diana sur la couronne britannique, à commencer par ces fils qui ont été les premiers marqués par leur mère, disparue trop tôt.
Nul doute que cette biographie tombe à point nommé, alors que nous fêteront en août prochain les 25 ans de sa mort.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser le prologue du livre de Jeanne Boyaval consacré au "Taulier" (Johnny Hallyday sur le Divan, éd. Envolume), Johnny Hallyday ne s’est jamais allongé sur le divan et l’auteure, psychothérapeute de son état, a encore été moins sa praticienne. Malgré tout, elle imagine et propose en annexe une séance de thérapie avec Jean-Philippe Smet, quelques jours avant son décès, le 6 décembre 2017 à l’âge de 74 ans. Pour autant, c’est bien une analyse psychologique dont a droit le musicien, disparu il y a moins de 5 ans.
C’est peu dire que sa disparition a suscité l’émoi dans notre pays. À l’époque, c’était un hommage spontané, populaire et national qui lui avait été réservé, avec une cérémonie suivie par près de 15 millions de personnes, du jamais vu depuis les obsèques… de Victor Hugo en 1885 : "Il [Johnny] était devenu une religion nationale… Il est parvenu à relier dans ses concerts et il est impressionnant de constater qu’il continue de relier ses fans trois ans après sa mort un dimanche par mois dans l’église de La Madeleine".
Jeanne Boyaval rappelle que le chanteur a une relation particulière avec les Français, relation mystérieuse et fascinante, "christique" même, qui transcende de beaucoup son œuvre, par ailleurs importante et ayant traversé les générations. Sans lui faire offense, dit l’auteure, Charles Aznavour, disparu un an plus tard, n’a pas suscité pareille émotion.
C’est donc en psychothérapeute que Jeanne Boyaval s’est emparée du personnage à la fois vrai et romanesque de Johnny. Ni fan, ni proche de son entourage, mais citoyenne française attachée à ce chanteur hors-norme, l’auteure a choisi de reprendre les grands jalons personnels de la vie de Jean-Philippe Smet et de s’arrêter sur ses grandes blessures. Pierre Billon, l’ami de toujours qui a signé la préface, met en avant le caractère inédit de cet essai aussi court que pertinent, pour ne pas dire essentiel.
Blessure originelle
La psy et écrivaine rappelle les faces sombres de l’artiste : l’addiction à l’alcool, au tabac et aux drogues, son magnétisme, ses relations mouvementées avec les femmes – y compris avec sa dernière épouse, Laeticia – son caractère à l’emporte-pièce, parfois sa dureté dans les relations humaines, y compris avec ses proches.
Replongeant dans l’enfance du futur interprète du "Chanteur abandonné", Jeanne Boyaval rappelle la manière cruelle dont le petit Jean-Philippe Smet a été rejeté à l’âge de six mois par son père. Il laisse son enfant seul sur le sol de l’appartement familial, sous une couverture, après avoir emmené tous les meubles pour les vendre et s’adonner à l’alcool. Les deux hommes ne se reverront que des années plus tard, dans des circonstances pas moins cruelles. "Le traumatisme est massif", d’autant plus que c’est sa mère qui le délaisse quelques temps plus tard pour préférer une carrière de mannequin. Jean-Philippe Smet est finalement élevé par une tante, une femme dure mais aimante et avisée, qui pousse son neveu à se lancer dans la vie artistique. Sa nouvelle famille va devenir un jalon capital dans son existence, ses cousines devenant même de vraies sœurs (l’une d’elle, Desta, se marie avec un danseur américain, Lee Ketcham Hallyday, dont la future star reprendra le nom, avec le succès que l’on sait).
Johnny Hallyday sur le Divan fait de ces premières années la blessure originelle qui explique beaucoup de choix personnels : son hypersensibilité, son besoin de réussir, de se surpasser et de se faire aimer, son rapport avec les femmes et notamment avec Laeticia, jeune femme à la carrière de mannequinat arrêtée net (comme sa mère biologique !), son obsession de la famille et bien entendu l’adoption de ses deux dernières filles, Jade et Joy.
Le lecteur découvrira d’autres blessures moins connues, comme celle de son premier amour, une actrice, Patricia, décédée accidentellement. L’essai insiste sur ses relations incroyables avec son public, mêlant professionnalisme, engagement personnel et existentiel (l’auteure rappelle le danger qu’il pouvait mettre lors de ses shows, en arrivant par exemple en hélicoptère, alors qu’il avait le vertige) mais aussi et surtout l’amour. Un amour qui pouvait être âpre, puissant et aussi complexe que sa propre vie; johnny le chantait ainsi : "Derrière l'amour il y a / Toute une chaîne de pourquoi / Questions que l'on se pose / Il y a des tas de choses / Les pleurs qu'on garde sur le cœur / Et des regrets et des rancœurs / Des souvenirs éblouissants / Et des visions de néant."
Parmi les figures majeures de l’histoire mondiale, celle de Jésus tient une place à part. Personnage-clé, homme fascinant mais à la carrière brève (au plus, trois années d’activités publiques qui ont attiré les foules), n’ayant jamais eu de pouvoir public ni laissé d’écrits directs, Jésus est le personnage de l’Antiquité le plus connu, avant même Socrate dont il partage certains traits communs. L'histoire de Jésus est aussi relativement bien documentée, avec des textes nombreux pour un homme de cette époque.
Roland Hureaux, dans son essai Jésus de Nazareth (éd. DDB), revient aux sources principales que sont les Évangiles. L’auteur le fait avec rigueur, bien loin des lectures plus ou moins révolutionnaires qu’en ont fait avant lui d’autres essayistes. Disons-le : l’étude de Roland Hureaux, en choisissant de ne s’arrêter que sur les quatre Évangiles synoptiques (Luc, Mathieu, Marc et Jean), et en laissant de côté les écrits apocryphes, ne pouvait pas s’éloigner de la vision traditionnelle de celui qui a bouleversé l’histoire de l’humanité.
De la même manière, le linceul de Turin se voit redéfini comme pièce à conviction, comme il l'il l'a été pendant des siècles, en dépit des analyses qui en ont été faites au carbone 14. L’auteur s’en explique d’ailleurs, comme il justifie son choix, à quelques exceptions près, de ne pas s’attarder sur les écrits apocryphes (Évangiles de Thomas, de Philippe, de Judas ou de Marie, Le Rapport de Pilate à l’Empereur ou Le Livre de la Résurrection), qu’il estime, sinon peu fiables du moins (trop) tardifs et souvent sous influence de la gnose, lorsqu’ils ne sentent pas "l’esprit romancé" (Histoire de l’Enfance de Jésus).
C’est aussi l’occasion pour Roland Hureaux de poser la question de l’appartenance ou non de Jésus aux Esséniens
Là où Roland Hureaux se montre passionnant et novateur c’est dans son tableau d’Israël au Ier siècle : les généalogies de Jésus, ses parents, sa naissance (qui est assez peu discutée aujourd’hui, à savoir en -4) et surtout la société et la politique de l’époque. L’écrivain met aussi en perspective la carrière de Jésus avec les écrits de l’Ancien Testament qui auraient annoncé sa venue. Le lecteur de 2021 découvrira les mouvements politico-religieux de cette époque : pharisiens, zélotes, sadducéens, esséniens et tous ces groupes inféodés ou non à l’envahisseur romain. C’est aussi l’occasion pour Roland Hureaux de poser la question de l’appartenance ou non de Jésus aux Esséniens. Sa réponse pourrait bien surprendre aux entournures.
Après un portrait de l’homme Jésus, dont les qualités sont développées, suit une partie importante sur sa prédication, assez courte comme nous l’avons dit. Plutôt que la chronologie, l’essayiste préfère prendre des thématiques en s’appuyant sur de nombreux extraits des quatre Évangiles : le retour aux lois juives, la sagesse, les paraboles ou la place de l’argent. Une autre question, complexe, est posée : quel Messie Jésus est-il ? Une autre partie est consacrée aux miracles, sans toutefois que l’auteur ne tranche sur leur véracité ou non, pas plus qu’il ne le fera plus tard en parlant de la résurrection.
Plus étonnant, Roland Hureaux s’arrête sur le personnage de Paul, qu’il identifie dans une des scènes. L’organisation de Jésus est également décrite avec soin dans un long chapitre, faisant clairement apparaître un embryon de mouvement organisé.
Les deux dernières parties de l’ouvrage, en se consacrant à l’arrestation et à l’exécution de Jésus, font clairement apparaître les responsabilités des notables juifs comme des Romains, dont la cruauté est soulignée et mise en perspective. L’arrêt brutal de la prédication de cet homme mystérieux qu’est Jésus fait dire ceci à Roland Hureaux : "Que Jésus ait été trahi par un des siens [Pierre] puis abandonné par tous ses apôtres sauf un [Jean], montre d’abord la fragilité de l’œuvre qu’il avait tenté d’édifier au cours des quelques mois de sa vie publique". Lorsque Jésus est exécutée, de la pire manière qu'il soit, le mouvement de prédication qu'il a initié semble promis à disparaître. On connaît la suite.