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film - Page 18

  • Mon année Salinger

    Le pitch de Mon Année à New York du Québécois Philippe Falardeau renvoie à un autre film, plus ancien. Une jeune femme enthousiaste, à peine dégrossie, est décidée à réussir à New York. Elle est embauchée dans une agence prestigieuse tenue par une femme froide et dédaigneuse. Vous l’aurez compris, les points communs avec Le Diable s’habille en Prada sautent aux yeux.

    Sauf que Mon Année à New York ne se déroule pas dans le milieu de la mode mais dans celui de l’édition. Quant à la directrice cassante, interprétée par Sigourney Weaver, elle s’avère beaucoup plus subtile que la Miranda Priestly/Anna Wintour.

    Basée sur les mémoires de la personnage principale Joanna Rakoff, Mon année à New York se déroule en 1995, dans un New York qui n’a pas encore connu le 11 septembre. C’était une période où les ordinateurs restaient relativement rares, l’Internet inconnu et le sexisme à la fois présent et (plus ou moins) édulcoré. Avec le recul, c’est une époque charnière entre un ancien monde – symbolisé par le cultissime Salinger – et un nouveau monde numérique qui prenait déjà ses marques. 

    L’auteur de L’Attrape-Cœur et de Franny et Zoé intervient comme catalyseur des rêves de littérature d’une jeune femme qui se cherche

    Joanna Rakoff a les pieds dans ces deux périodes : moderne, active et ambitieuse, son rêve est la littérature. Sauf qu’elle ne se sent pas légitime à devenir écrivain (ou écrivaine, dans le langage d’aujourd’hui). Sentimentalement, sa vie privée est tout aussi floue : elle commence une relation avec Don, sans avoir rompu définitivement avec son précédent petit ami.

    Professionnellement, Joanna est engagée dans une agence littéraire new-yorkaise prestigieuse qui peut se targuer d’avoir, parmi ses auteurs suivis, un certain JD Salinger. Cette légende de la littérature mondiale garde intact son souci de la discrétion et son silence médiatique. Sauf que Joanna finit par l’avoir au téléphone. Commence entre les deux une relation à distance marquante.

    Quel dommage que les traducteurs français n’aient pas choisi d’intituler ce film : "Mon année Salinger" (My Salinger Year, comme le titre original) ! Bien qu’il n’apparaisse qu’extrêmement fugacement, l’auteur de L’Attrape-Cœur et de Franny et Zoé, décédé en 2010, intervient comme le catalyseur des rêves de littérature d’une jeune femme qui se cherche.

    Qui se cherche mais aussi qui construit son rôle d’agent littéraire respectueux des lecteurs et des admirateur de J.D. Salinger. Là est sans doute l’une des réussites esthétiques du réalisateur et scénariste Philippe Falardeau, donnant la parole à des anonymes, prêts à tout quitter pour accomplir leurs rêves, à l’image de Holden Caulfield, l’antihéros de L’Attrape-Cœur.

    Dans le rôle de Margaret, la brillante et parfois tyrannique directrice, Sigourney Weaver s’impose sans surprise, en y insufflant humanité mais aussi désillusion.

    La facture classique de Mon Année à New York sert cette comédie-dramatique douce-amère qui nous parle autant de la nostalgie d’une époque disparue que de rêves d’une jeune femme se construisant dans une ville qui lui paraissait au départ trop grande pour elle.

    Mon année à New York, comédie dramatique canado-itrlandaise de Philippe Falardeau,
    avec Margaret Qualley, Sigourney Weaver, Douglas Booth, Colm Feore, 2020, 96 mn

    https://www.canalplus.com/cinema/mon-annee-a-new-york/h/17049652_50001
    http://www.joannarakoff.com

    Voir aussi : "Le cancer est un sport de combat"

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  • Le cancer est un sport de combat

    Voilà un film, commençant comme une romance glacée mais qui finit par surprendre. Glacée comme la facture très américaine tournant autour de Carley Allison, jeune Canadienne promise à un bel avenir. Tel est le sujet de Kiss & Cry, avec Sarah Fisher dans le rôle-titre.

    Au début du film, patineuse douée, Carley vient de passer en catégorie Elite, sous la houlette de son coach, l’austère Shin. Optimiste, souriante, chanteuse à ses heures perdues, entourée d’une famille aimante et soudée qui l’aide et l’admire, rien ne manque à l’irrésistible jeune femme, pas même un petit ami, le fringant John, beau gosse, un rien provocateur. Commence une love story pour la sportive qui passe ses soirées sur la glace.

    C’est précisément sur la glace que tout dérape : Carley est prise d’une forte quinte de toux et d’un problème respiratoire. Elle s’avère en réalité beaucoup plus grave que prévu. Lors de sa première soirée en amoureuse avec John, ce dernier l’amène à l’hôpital, il s’avère que la jeune patineuse ne souffre pas d’asthme mais d’un mélanome malin sur la trachée. Une forme sévère de cancer, très rare. Elle avait une chance sur un milliard d’être touchée. Carley comme un combat contre sa maladie. 

    Un film édifiant sur le match d’une vie pour une vie

    Vous l’avez deviné, le patinage artistique est abandonné au premier tiers du film pour s’intéresser à la lutte de Carley Allison contre son cancer. Il faut d’ailleurs préciser que ce récit est tiré d’une histoire vraie, ce que montre le générique de fin avec des photos de la jeune femme et les témoignages de ses parents et de son petit ami.

    Le long-métrage, disponible sur Netflix, frôle parfois le mélodrame, sans jamais toutefois y tomber complètement. Disons aussi que le parti-pris est de faire un film édifiant sur le match d’une vie pour une vie. Le metteur en scène a choisi de rompre avec une facture classique grâce à la voix off de Carley, des confidences avec le spectateur mais aussi des seconds rôles intéressants : une infirmière mal embouchée mais aussi son coach, Shin.

    C’est du reste à lui que l’on doit l’une des phrases les plus fortes et les plus justes du film : "Il faut traiter les victoires comme des enterrements et les enterrements comme des victoires."

    Kiss & Cry, drame canadien de Sean Cisterna, avec Sarah Fisher,
    Luke Bilyk, Chantal Kreviazuk, 2017, 93 mn, Netflix
    https://carleysangels.ca

    https://www.netflix.com/fr/title/80178720

    Voir aussi : "Patins sur glace"

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  • Patins sur glace

    Vous que les romances et les histoires d’amour horripilent, passez votre chemin.

    Ice, comédie romantique russe d’Oleg Trofim, avec la sémillante Aglaya Tarasova dans le rôle principal, suit les pas – ou plutôt les patins – d’une brillante sportive russe, engagée dans le patinage en couple, l’une des disciplines les plus dures et les plus exigeantes qui soit.

    Disons-le tout de suite : il faut passer les 40 minutes de ce film disponible sur Amazon Prime pour apprécier pleinement l’histoire d’une renaissance et la naissance d’un couple.

    Le film commence par l’ascension de Nadia, dans un début digne d’un conte de fée moderne : une enfant devenue orpheline après le décès de sa mère malade (elle décède sur un lac gelé, détail qui a bien entendu son importance symbolique), l’entrée dans une école de patinage exigeante, la présence d’une entraîneuse exigeante et qui devient sa seconde mère et la rencontre avec le jeune premier Leonov, patineur hors-pair qui choisit Nadia comme partenaire.

    Fin de la romance ? Et non ! Car c’est en réalité là que tout commence, et là aussi que le film prend véritablement son envol. 

    Fin de la romance ? Et non !

    Hospitalisée suite à un accident et immobilisée sur un lit d’hôpital, l’ancienne patineuse ne doit son salut qu’à son entraîneuse ainsi qu’un joueur de hockey. Il s’appelle Sasha et cumule des défauts irrémédiables : impulsif, colérique et à l'humour... froid. C’est pourtant lui qui est chargé de jouer la nounou pour la patineuse désormais en fauteuil roulant. Le retour sur glace de l’ex-sportive est-il possible ? A priori, non.

    Voilà une romance qui glisse toute seule. Le spectateur peut certes craindre au début que l’histoire se porte sur Nadia et son bellâtre de partenaire, après un début sirupeux et un brin convenu. Tout l’intérêt vient bien entendu de la relation entre Nadia et Sash, deux personnes que tout sépare, si l’on excepte la glace. Dans le rôle de Nadia, Aglaya Tarasova épate. Elle trouve son alter-ego en la personne de Sasha (Alexandre Petrov).

    On trouve dans Ice tout ce qui fait le charme de ces romances : deux personnages à la solide personnalité mais qui n’auraient jamais dû se rencontrer, un duo finissant par trouver ses marques et un happy-end. Pour corser le tout, ajoutez le milieu du patinage artistique, un pays – la Russie – pas assez souvent mis à l’honneur dans le cinéma et un défi sportif en forme de message universel.

    Du bel ouvrage, donc. Pas un chef d’œuvre mais du bel ouvrage. 

    Ice, romance russe d’Oleg Trofim, avec Aglaya Tarasova, Alexandre Petrov,
    Milos Bikovic et Maksim Belborodov, 2019, 93 mn, Rimini Éditions, Amazon

    https://www.primevideo.com

    Voir aussi : "Margot Robbie sur glace et en majesté"

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  • Margot Robbie sur glace et en majesté

    Aujourd’hui, j’ai choisi de vous parler d’un film sorti il y a trois ans et qui mérite vraiment d'être découvert ou redécouvert.

    Moi, Tonya, avec Morgot Robbie dans le rôle titre, retrace la carrière de la patineuse Tonya Harding, devenue célèbre – et aussi la personnalité la plus détestée en Amérique au mi-temps des années 90 – en raison de l’agression de sa rivale Nancy Kerrigan. L’affaire se passait en 1994, quelques semaines avant les Jeux olympiques d'hiver de Lillehammer.

    Bien évidemment, le cœur du film est cette histoire à la fois sordide et surréaliste. Le réalisateur a cependant fait le choix de ne pas s’attarder sur l’agression elle-même : elle est filmée caméra sur l’épaule et dans un plan-séquence nerveux. Le spectateur ne voit que de manière furtive la malheureuse sportive attaquée. Cette affaire va évidemment mettre un terme à la carrière de Tonya Harding.

    Le parti-pris est le refus de faire le procès de cette patineuse ultra-douée. Il faut rappeler ici que Tonya Harding a été la première femme à essayer et réussir le triple axel. Sauf que son physique cadrait mal avec les canons de beauté que jugeaient – aussi – les jurys. Loin d’être un film à charge contre la sportive, Moi, Tony est au contraire le portrait d’une femme issue d'un milieu pauvre et victime des hommes, des préjugés mais aussi de proches prêts à tout. 

    Margot Robbie s’est enlaidie pour le rôle – si encore c’est possible !

    Pour jouer la patineuse, Margot Robbie s’est enlaidie pour le rôle – si encore c’est possible ! Elle a fait un remarquable travail de composition pour jouer le rôle de sa compatriote. Mieux, le spectateur ne peut qu’admirer les reconstitutions plus vraies que nature des figures sur glace. Outre les costumes et les les coiffures bluffantes de réalisme, les pas et les sauts sont filmé avec un réalisme confondant : triples axels, loops, vrilles piquées et chasse-neiges sont au programme de ce très grand film sur le patinage.

    Mais Moi, Tonya est plus que cela : c’est aussi un biopic enlevé, mêlant la tragédie familiale, l’ambition sportive et le fait divers, le tout avec un humour décapant et des clins d’œil réguliers au spectateur.

    Tonya Harding se trouve aussi blanchie de sa responsabilité dans une sombre affaire qui était plus de l’ordre du sale coup organisé par des branquignols que d’une rivalité sportive – Nancy Kerrigan et Tonya Harding, nous dit-on, s’entendaient bien et étaient même camarades de chambre.  

    Le passionnant biopic, porté de bout en bout par une Margot Robbie épatante, est à voir enfin sous un angle sociologique : celui d’une femme libre, malmenée par sa mère, LaVona Fay Golden (la formidable et oscarisée Allison Janney) puis par son mari Jeff Gillooly (Sebastian San). Paul Walter Hauser, que l’on a vu ensuite au premier plan dans Le Cas Richard Jewell de Clint Eastwood, impose sa présence dans le rôle de Shawn Eckhardt, l’ami roublard et mythomane qui va être celui qui, avec Jeff Gillooly, contribuera à faire chuter une patineuse qui était pourtant promise à une carrière exceptionnelle.   

    Franchement, ce film est à voir, à déguster et à revoir. Avec une Margot Robbie qui s’impose comme l’une des meilleures actrices actuelles. En un mot : majestueuse.

    Moi, Tonya, biopic américain de Craig Gillespie,
    avec Margot Robbie, Sebastian Stan et Allison Janney, 2017, 121 mn, sur Amazon Prime

    https://www.francetvpro.fr
    https://www.primevideo.com

    Voir aussi : "Le retour sur grand écran des maîtres et de leurs serviteurs"

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  • Le retour sur grand écran des maîtres et de leurs serviteurs

    Les fans de la série Downton Abbey n’ont à coup sûr pas manqué la sortie du film éponyme qui poursuit les aventures des Crawley et de leurs domestiques.

    Le passage du format série pour petit écran au long-métrage pour cinéma n’est pas toujours une réussite. Le scénariste Julian Fellowes s’est attelé à la tâche pour offrir sur une durée de moins de deux heures (soit l’équivalent de deux épisodes télé) une intrigue à la hauteur du château de Downton Abbey.  

    Nous sommes en 1928. Robert et Dora Crawley, ainsi que leurs filles Mary et Edith apprennent que le roi George V, sa femme la reine Lady Mary, leur fille la princesse Mary et leur suite, feront une visite dans la demeure familiale. C’est le branle-bas de combat pour tout le monde : tout doit être parfait et chacun, y compris les serviteurs, sont motivés pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Sauf que le protocole exige que le roi vienne avec sa propre armada de domestiques, cuisiniers et autres valets de pied. L’affront est mal vécu par Anna Bates, Madame Patmore ou Daisy qui sonnent le vent de révolte. Une révolte qui sera, on s’en doute, feutrée mais diablement efficace.

    Dans le même temps, Tom Branson, le beau-fils préféré de la famille, est approché par un étrange individu. Une histoire d’héritage vient par dessus le marché sonner la discorde entre les murs épais de Downton Abbey.

    Un petit côté Bijoux de la Castafiore 

    Les inconditionnels de Downton Abbey se régaleront de la suite ciné d'une série qui a rendu addict des millions de fans à travers le monde. Ils retrouveront les personnages familiers, à commencer par Lady Mary (Michelle Dockery) qui prend une place de plus en plus centrale dans le domaine. Lady Violet est là elle aussi : Maggie Smith joue avec le même mélange de charme désuet, de truculence, de finesse et d’esprit vachard la vénérable dame, garante des traditions du domaine, dans un XXe siècle plongé dans la modernité. Une modernité qui trouve aussi son essence en la personne du majordome Thomas Barrow, le majordome tête-à-claque devant assumer ses choix personnels au cours d’une soirée mémorable.

    La romance est présente dans le film qui ne fait pas l’économie du décor du château, de costumes et de coiffures somptueux, de dialogues d’une autre époque (et qui colle avec l’esprit du film comme de la série) et d’un happy-end concluant une féérique scène de bal d'un autre temps.

    En regardant le film, le spectateur peut y trouver un petit côté Bijoux de la Castafiore : huis-clos feutré, intrigue resserrée et minimaliste, vieilles dames capricieuses, jusqu’à la présence de la couturière et du vol d’objets précieux. Les tintinophiles apprécieront.

    Pour être plus complet, précisons que ce Downton Abbey version ciné sera suivi d’un deuxième opus, qui est actuellement en préparation.

    Downton Abbey, drame historique et familial anglais de Michael Engler, sur un scénario de Julian Fellowes,
    avec Hugh Bonneville, Maggie Smith, Elizabeth McGovern, Laura Carmichael, Jim Carter, Aleen Leech, Imelda Staunton et Michelle Dockery, 2019, 117 mn, MyCanal, Canal+

    https://www.universalpictures.fr/micro/downton-abbey
    https://www.canalplus.com/series/downton-abbey/h/4443993_40099
    http://www.downtonabbey-lefilm.ch

    Voir aussi : "Maîtres et serviteurs à Downton Abbey"

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  • Anti-Genèse

    Il y a des œuvres qui, dès leur sortie, semblent hors du temps. Elles font figure d’objets artistiques indéfinissables, exigeants et déstabilisants. Le Cheval de Turin, le dernier film du réalisateur Béla Tarr (en tout cas, selon lui qui a décidé d’abandonner la mise en scène) peut être défini comme tel. Le long-métrage est sorti il y a 10 ans mais il mérite bien d’être redécouvert. Rappelons aussi que le film avait à l’époque obtenu l’Ours d’argent au Festival de Berlin, provoquant aussi bien des louanges que des critiques sévères pour son aridité.

    Mais de quoi parle Le cheval de Turin, dont le titre lui-même peut étonner ?

    Une voix off commence par raconter l’histoire de ce fameux cheval que croisa le philosophe Friedrich Nietzsche à Turin. Nous sommes en 1889 et l’auteur d’Ainsi parlait Zarathoustra est témoin d’une scène entre un paysan tentant de faire avancer son cheval qui refuse d’obéir. Furieux, le maître fait pleuvoir sur sa bête des coups de cravache, sous l’œil interloqué de badauds, dont Nietzsche. Ulcéré par la scène, le philosophe se précipite vers le cheval, lui entoure l’encolure et l’embrasse dans un geste de consolation. De retour chez lui, bouleversé par ce qu’il vient de voir, il commence à délirer. Débute pour le penseur une période de 11 années de démence qui se terminent avec sa mort. La voix off précise que ses derniers mots pour sa mère furent ceux-ci : "Mutter, ich bin dumm". La traduction française peut être lue à double sens : "Mère, je suis bête". La voix off conclut sa présentation en précisant qu’on ne sait pas ce qui est arrivé à ce fameux cheval de Turin.

    Le film du cinéaste hongrois entend a priori suivre l’histoire cet animal. La scène d’ouverture est d’ailleurs celle du retour d'un cheval au bercail, mené par son maître. Ils rejoignent une bicoque dans un paysage désertique battu par les vents et où vit légalement la fille de du conducteur. La suite du film raconte six jours dans la vie de ces trois personnages : le vieil homme, la jeune femme et leur cheval. Interviendront également un étrange visiteur prophétique et aussi, quoique plus brièvement, un groupe de tziganes.

    Chaque plan est bâti comme un tableau à l’esthétisme soigné

    Pas de trace de Nietzsche donc, si ce n’est par allusions allégoriques, que ce soit avec la mort de Dieu (les références religieuses sont bien présentes), le ton prophétique du film ou encore cet éternel retour, lorsque le vieil homme et la fille tentent de partir de leur maison avant d’y revenir. 

    Le cheval de Turin s’attache à six jours de ce couple taiseux et de leur cheval. Six jours à la portée bien entendu symbolique et derrière laquelle on pourra voir dans ce film aride une "anti-Genèse" : un couple isolé dans une terre non pas paradisiaque mais infernale (un arbre fantomatique et une campagne balayée par les vents) et un animal qui n’est pas un serpent diabolique mais un cheval paisible, innocent et tourmenté ("Tu ne vas nulle part", lui dit la jeune femme), celui qu’aurait pu défendre Nietzsche à Turin avant de sombrer dans une folie de plusieurs années.

    Voilà qui donne à ce film un caractère allégorique. Sur une musique néoclassique, sombre et lancinante de Mihály Vig et servi par la photographie en noir et blanc somptueuse de Fred Kelemen, Béla Tarr fait le choix courageux de la longueur et de la lenteur. Chaque plan est bâti comme un tableau à l’esthétisme soigné, mais aussi académique et froid selon les détracteurs.

    Des scènes sont comme figées, tournées dans la durée, mais non sans ellipses, telle la toute dernière séquence. Le spectateur assiste, pendant les 2H30 du film à des moments quotidiens et ordinaires : la jeune femme s’occupant du cheval dans l’écurie, aidant le père à s’habiller, préparant le repas ou allant au puits. Il y a aussi le lent et somptueux travelling du début avec le vieil homme dans sa carriole. Les moments contemplatifs sont également nombreux. 

    La caméra s’attarde sur de petits gestes : le poêle que l’on charge, les vêtements que l’on range ou une bible que l’on lit. Au bout d’une heure, un dialogue singulier a lieu entre le vieil homme et un mystérieux visiteur, dans une ambiance tout aussi lugubre, filmée avec une économie de moyen autant qu’un travail esthétique remarquable dans les cadrages et la lumière. Dans ce quasi monologue, le spectateur a la clé du film, Béla Tarr y dévoilant son message apocalyptique et nihiliste.

    Le visionnage du Cheval de Turin est ardu, certes, mais sa découverte ou redécouverte est importante, le dernier film du réalisateur hongrois pouvant figurer, selon ses plus ardents défenseurs, parmi les œuvres les plus importantes de ces 10 dernières années. Rien que ça. 

    Le Cheval de Turin (A Torinói ló), drame hongrois, français, allemand, suisse et américain de Béla Tarr,
    avec János Derzsi, Erika Bók et Mihály Kormos, 2011, 146 mn, noir et blanc, en DVD et Blu-Ray, Blaq Out

    https://www.dulacdistribution.com/film/le-cheval-de-turin/55

    Voir aussi : "Jolie bouteille, sacrée bouteille"
    "Borges magyar"

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  • Jolie bouteille, sacrée bouteille

    On sait que l’on peut faire un mauvais film avec une bonne idée, mais peut-on faire un film excellent avec une idée, sinon mauvaise, du moins improbable ? La réponse est oui, si l’on pense au dernier film de  Thomas Vinterberg, Drunk, avec la star mondiale Mads Mikkelsen dans le rôle-titre.

    Le réalisateur de Festen et théoricien du "Dogma 95", a fait en 2020 son grand retour avec cette comédie dramatique et sociale, sur fond de réflexions sur l’alcool et sur son importance sociale. Contre toute attente, Drunk a récolté pléthore de récompenses : les César, Oscar et BAFTA du meilleur film étranger, une coquille d’argent au Festival international du film de Saint-Sébastien en 2020, sans compter les principaux prix du cinéma européen (meilleur, film, meilleur réalisateur, meilleur scénario et meilleur acteur pour Mads Mikkelsen).

    Autant dire que Drunk est marquant en dépit de son pitch à bien des égards piégeux. Quatre amis danois, des quadragénaires et professeurs de leur État, se lancent, lors d’une soirée, dans une expérience folle – puisqu’il fait bien appeler les choses par leur nom : mettre en pratique une théorie selon laquelle l’homme naît avec un déficit d’alcool de 0,5 g/litre de sang. Pour retrouver un équilibre, chacun devrait absorber de quoi retrouver cette dose originelle. Les quatre amis décident donc de consommer régulièrement de l’alcool, mais avec une rigueur toute scientifique. Toutefois, l’expérience a ses limites et finit par déraper.

    On devine les écueils qui attendaient Thomas Vinterberg et sa famille d’acteurs et d’actrices : une suite de scènes de bitures (certes, qui existent), un discours convenu sur les ravages de l’alcool ou une comédie à la fois lourdingue et pleine de pathos. Rien de tout cela, cependant, dans Drunk.

    Le passage vers une folie provisoire et un état de transe

    C’est d’abord le petit groupe d’amis quadras qui intéresse le réalisateur danois, auscultant les blessures, le rêves brisés et les déchirures de ces amis, lancés dans une quête improbable du bonheur. La présence magnétique de Mads Mikkelsen y est pour beaucoup : on est bouleversés par Martin, ce professeur d’histoire qui a perdu la flamme et voit son couple couler. 

    Des critiques ont vu, à juste titre , Drunk comme une critique sociale du Danemark, pays paisible, poli et convenu que les quatre modestes professeur secouent en mettant en pratique une expérience autant improbable que choquante. Que l’on pense à cette scène où un professeur de philosophie encourage son élève à prendre quelques rasades d’alcool pour pouvoir affronter un examen et disserter sur Kierkegaard !

    Thomas Vinterberg est maître dans son art de filmer les scènes de boissons : bouteilles que l’on débouche, verres de vin blanc portés à la bouche, scènes de beuveries ou encore cette manière de pousser tel ou tel à à s'en servir encore un... Boisson sociale s’il en est, l’alcool devient aussi, dans la dernière scène électrisante où Mads Mikkelsen montre tous ses talents de danseur, un produit euphorisant permettant le passage vers une folie provisoire et un état de transe que les Grecs anciens n’auraient pas renié. 

    Placer l’alcool au cœur d’un film était un pari risqué. Il est réussi à plus d’un égard dans Drunk, jusque dans le choix musical, bien plus malin qu’il n’y paraît : les musiques traditionnelles danoises – prouvant la dimension sociale du long-métrage – côtoient un répertoire classique et en premier Tchaïkovski (La Tempête) et Schubert (la fameuse Fantaisie en fa mineur). Deux compositeurs  évidemment consommateurs d’alcool, voire qui avaient des problèmes avec la bouteille. 

    Drunk, comédie dramatique danoise de Thomas Vinterberg,
    avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Magnus Millang et Lars Ranthe, 2020 , 115 mn, MyCanal, Canal+

    https://www.hautetcourt.com/films/drunk
    https://www.facebook.com/theofficialmads
    https://www.canalplus.com/cinema/drunk/h/14878879_40099

    Voir aussi : "Lumineuse secte"

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  • Marguerite et Margot

    Pourquoi faire la fine-bouche devant ce conte moderne qu’est L'Aventure des Marguerite, sorti l’an dernier et que Canal+ propose en ce moment ?

    Le sujet du film, tiré d’une bande dessinée (Le temps des Marguerite de Vincent Cuvellier et Benoît Robin, éd. Gallimard), est assez classique en soi : un voyage dans le temps d’une jeune femme, prétexte à une série de situations mêlant anachronismes et aberrations spatio-temporelles. Mais là où le film de Pierre Coré étonne c’est de proposer deux voyages en un par : l’un dans le passé effectué par Margaux, une adolescente de 2018 catapultée en pleine seconde guerre mondiale, l’autre par son double de 1942, Marguerite, qui, dans le même temps, découvre, ébahie, la France du début du XXIe siècle.

    Les deux jeunes femmes, jouées par la même actrice, la pétillante Lila Gueneau, ont pour point commun de ne plus avoir de père : l’un a disparu dans la tourmente de la guerre tandis que l’autre est parti s’expatrier en Australie après un divorce. Les voyages des deux Marguerite a pour objectif la recherche de ces deux paternités.

    D’un côté l’ado tête à claque et de l’autre la jeune fille corsetée

    Véritable conte moderne, L’Aventure des Marguerite laisse paradoxalement de côté l’aspect magique : il est bien entendu question d’une étrange malle qui sera le médium de ces sauts spatio-temporels, mais elle est bien vite oubliée au profit des voyages initiatiques de deux jeunes filles mal dans leur époque, pour des raisons différentes.

    Dans le rôle des deux Marguerite – en réalité Marguerite et Margot – Lila Gueneau se révèle en actrice pouvant endosser parfaitement d’un côté l’ado tête à claque de ce début de millénaire et de l’autre la jeune fille corsetée dans un milieu et une époque difficiles.

    Clovis Cornillac et l’irrésistible et truculente Alice Pol se sortent plutôt bien de cette comédie qui se regarde avec plaisir, même si le film ne passe pas à côté de curiosité scénaristiques (on pense à l’évasion en avion). Du bon sentiment, rechigneront certaines et certains...

    Bon, d’accord. N’empêche que les histoires de voyages dans le temps transbahutent souvent leur lot de surprises faits d’anachronismes, d’aberrations et d’uchronie. Ajoutons à cela, pour L’Aventure des Marguerite, une réflexion sur la paternité. Voilà qui donne une comédie sympa, pour ne pas dire une jolie surprise. Sans oublier, une nouvelle fois, la révélation qu’est Lila Gueneau.

    Voilà qui est très satisfaisant, comme le dirait une Margot de son époque. 

    L'Aventure des Marguerite, comédie fantastique française de Pierre Coré,
    avec Clovis Cornillac, Alice Pol, Lila Gueneau et Nils Othenin-Girard, 2020, 89 mn, Canal+

    https://www.canalplus.com/cinema/l-aventure-des-marguerite/h/14280558_40099

    Voir aussi : "Ma Vivian, mon amour"
    "Lumineuse secte"

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