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film - Page 22

  • Les films que vous ne verrez jamais

    L'histoire du cinéma est riche de ces films qui n'ont jamais vu le jour... Plus que dans n'importe quel art, il existe une histoire alternative et parallèle du cinéma qui a vu des passionnés s'intéresser à des films qui ne sont jamais sortis. L'ouvrage de Simon Braund, Les plus grands Films que vous ne verrez jamais, fait le point sur ces projets avortés.

    Les raisons de ces œuvres inabouties sont diverses : décès du réalisateur, désaccords entre artistes et producteurs, contextes historiques et sociologiques, adaptations impossibles ou projets trop ambitieux pour être menées à bout.

    En introduction, l'auteur rappelle avec justesse que la sortie d'un film est en soi un miracle, tant la difficulté est grande de voir un scénario prendre vie sur grand ou sur petit écran. Le long-métrage Les Dents de la Mer (1975) est cité en exemple : scénario mal ficelé, budget dépassé, metteur en scène inexpérimenté (Steven Spielberg n'en était qu'à son deuxième film), effets spéciaux défaillants, techniciens et acteurs peu motivés et instillant une ambiance délétère sur les plateaux. Et pourtant, au final, Les Dents de la Mer a connu le succès exceptionnel que l'on connaît et propulsé son réalisateur comme un artiste majeur.

    Mais à côté de ce succès, ce livre répertorie ces films qui n'ont jamais vu le jour : le Napoléon de Charlie Chaplin (Return from St Helena), un Jésus de Carl Dreyer (1949), La Genèse de Robert Bresson (1963) - l'un des rares réalisateurs français cité dans ce livre avec Henri-Georges Clouzot pour L'Enfer (1964) -, La Tempête de Michael Powell (1975), Dune d'Alejandro Jodorowsky (1977), Night Skies de Steven Spielberg (1980), Moon Over Miami de Louis Malle (1982), Leningrad de Sergio leone (1989), Nostromo de David Lean (1990), Crusade de Paul Verhoeven sur lequel a également travaillé Arnold Schwarzenegger (1995), Superman Leaves de Tim Burton (1998), Batman: Year One de Darren Aronofsky (2000), To the white Sea des frères Cohen (2002), The Lady from Shangai de Wong Kar-wai (2005), Gladiator 2 de Ridley Scott (2006) ou Potsdamer Platz de Ridley Scott. Ce sont quelques-uns des titres de films qui ont failli voir le jour mais qui ont été abandonnés (provisoirement ou définitivement) par leurs créateurs.

    Parmi les auteurs maudits figure en bonne place Orson Welles dont les projets cinématographiques ont été, hélas, légion : It's all True (1942), Don Quixote (1969), Le Marchand de Venise (1969), The Other Side of the Wind avec John Huston et Dennis Hopper (1973) et The Cradle with Rock (1984) 

    Dans toute cette liste de films inachevés, très souvent de réalisateurs confirmés, il en ressort quelques-uns du lot, en raison de leur histoire légendaire. 

    Tout d'abord le Napoléon de Stanley Kubrick, sur lequel le réalisateur, réputé pour sa mégalomanie et son sens du détail, travailla à partir de 1969, et pendant des années, avant de jeter l'éponge, victime du budget colossal envisagé et des désaccords des studios. "Napoléon aurait été un film extraordinaire", soupire l'auteur (voir aussi notre Dossier spécial Kubrick qui fait notamment le point sur les autres films en projet du réalisateur américain).

    Un autre film est entré dans l'histoire : Something's Got to Give de George Cukor avec Marilyn Monroe, décédée pendant le tournage (1962). 37 minutes ont été dévoilé au public en 1990 et l'auteur ne désespère pas que la magie des effets spéciaux numériques permettra un jour de voir le film terminé.

    Les fans de Hayao Miyazaki seront sans doute surpris d'apprendre que le réalisateur japonais a eu pour projet en 1971 de réaliser une adaptation du classique Fifi Brindacier (La Fille la plus forte du Monde). Encore peu connu à l'époque, Miyazaki se voit déposséder de ses droits à l'adaptation par l'auteure elle-même, Astrid Lindgren. Cependant, ajoute Simon Braund, tous les films de l'animateur semblent s'inspirer de la célèbre fillette à la force surhumaine.  

    On ne peut pas passer non plus sous silence le projet de science-fiction A Princess of Mars de Bob Clampett (1936). Une adaptation sera finalement faite par les studios Disney sous le titre John Carter (2012), qui sera aussi l'un des plus grands bides de l'histoire du cinéma.

    De tous les films répertoriés, il en est un qui un sort particulièrement du lot. Et paradoxalement, il s'agit d'un long-métrage qui a été terminé, existe en copie mais que le public ne verra sans doute jamais. Il s'agit de The Day the Clown Cried de Jerry Lewis. Tourné en 1972, ce drame interprété par Jerry Lewis lui-même, suit les pérégrinations d'un clown allemand pendant la seconde guerre mondiale, chargé de distraire des enfants que l'on conduit vers les chambres à gaz. Cette histoire a des points communs avec La Vie est belle de Roberto Benigni (1997). Mais elle en diffère par son traitement caricatural qu'en aurait fait le réalisateur et acteur (le conditionnel est de mise, tant sont peu nombreuses les personnes qui ont visionné le film de Lewis) : "Un film radicalement choquant au pathos et à l'humour déplacés" a t-on pu entendre au sujet de ce "film culte le plus extraordinaire que vous ne verrez jamais.

    Concis et passionnant, l'ouvrage de Simon Braund nous gâte avec deux trouvailles éditoriales géniales. Tout d'abord, chaque film est illustré par des affiches conçues par des designers et des illustrateurs, donnant vie à ces projets qui n'ont jamais vu le jour (en illustration de cet article figure une représentation de The Lady from Shangai de Wong Kar-wai). Ensuite, l'auteur nous propose, sur une note de 0 à 10, la chance qu'a chaque film de sortir un jour.

    On pourra certes critiquer l'aspect arbitraire et subjectif de ce choix mais il reste tout de même intéressant en ce qu'il nous propose quelques beaux projets à venir : Ronnie Rocket de David Lynch, Megalopolis de Francis Ford Coppola, The Captain And The Shark de Barry Levinson, White Jazz de Joe Carnaham, Black Hole de David Fincher (une adaptation de la BD de Charles Burns), The Trial of the Chicago Seven de Spielberg mais aussi Franck or Francis de Charlie Kaufman, qui "a plus de chances de sortir que n'importe quel autre film de ce livre."

    À noter que depuis la sortir de ce livre (en 2013) le film satirique et "maudit" Nailed de David O. Russell devrait finalement sortir en 2015 sous le titre Accidental Love, avec comme réalisateur un certain Stephen Greene, alias David Russell qui a porté cette oeuvre contre vents et marées : un film qui ne devait jamais sortir et que finalement nous pourrons voir. 

    Simon Braund, Les plus grands Films que vous ne verrez jamais, éd. Dunod, 2013

  • 150 films cultes en cinq secondes

    vivaschi,milesi,h-57,essaiRegardez quelques secondes l'illustration de cet article. Ce pictogramme ne vous dit rien ? Je vous aide : il symbolise un film célèbre et multiprimé, interprété par Leonardo di Caprio et Kate Winsley. Vous y êtes : ce pictogramme symbolise le long-métrage Titanic, réalisé par James Cameron et sorti en 1997...

    Résumer en quelques coups de crayon 150 films aussi cultes que Metropolis, Jurassic Park, Taxi DriverLes Dents de la Mer (vidéo ci-dessous) ou La Fièvre du Samedi Soir est un tour de force qui vont ravir tous les fans de cinéma. Dans leur ouvrage 150 Films en Bref, Matteo Vivaschi, Gianmarco Milesi et le studio de design italien H-57 ont repris l'idée de leur précédent ouvrage (180 Histoires en Bref) : résumer un film en cinq secondes (Film in Five Seconds est le titre original). L'objectif est, comme le disent les auteurs en introduction, de supprimer le maximum d'informations "en ne gardant que l'essentiel en quelques pictos".

    Utiliser la pictologie pour parles des 101 Dalmatiens peut être simple ; la chose devient moins évidente pour Inglorious Basterds, Inception ou Shining. Et que dire de la saga en trois films du Seigneur des Anneaux, mise en image de manière extrêmement concise... et géniale !

    Le pari est au final tenu et largement gagné, au point que le lecteur pourra tout autant lire ce livre de la première à la dernière page que s'en servir pour jouer et défier ses amis. Au fait, et vous ? Comment résumeriez-vous en pictogrammes Le Magicien d'Oz ?   

    Matteo Vivaschi, Gianmarco Milesi et H-57, Pictologies, 150 Films en Bref,
    éd. Prisma, 192 p.

     

  • L'histoire d'un garçon

    A priori, rien d'exceptionnel dans l'histoire de Boyhood (littéralement "Une Enfance") : "On y suit le jeune Mason de l’âge de six ans jusqu’ à sa majorité, vivant avec sa sœur et sa mère, séparée de son père. Les déménagements, les amis, les rentrées des classes, les premiers émois, les petits riens et les grandes décisions qui rythment sa jeunesse et le préparent à devenir adulte", indique le synopsis officiel du film. 

    Or, la force de cette histoire américaine, celle d'un garçon ordinaire et de sa famille confrontés aux petits et grands heurs de l'existence, est de nous confronter de plain-pied avec le temps qui passe. Et avec quelle ambition ! Car le réalisateur a fait le choix, insensé de tourner son film en temps réel, de 2002 à 2013.

    Durant douze ans, le réalisateur Richard Linklater a réuni chaque année les acteurs de cette fiction pour nous parler de destinées et du temps qui passe. Cette aventure humaine autant qu'artistique est proprement passionnante. Le spectateur suit le parcours de Masson (Ellar Coltrane) et de sa sœur Samantha (Lorelei Linklater), les déboires sentimentaux de leur mère Olivia (Patricia Arquette) et la trajectoire libre de Masson Sr (Ethan Hawke), un père indépendant et fantasque, absent mais pourtant omniprésent.

    Les acteurs et vieillissent avec leurs personnages et le petit garçon au visage d'ange (six ans au début du film) voit se transformer au cours du film en un élégant et charismatique jeune homme de dix-huit ans.

    Dans ce joyau, un véritable OVNI cinématographique, peut-être l'un des meilleurs films de 2014, s'égraine l'histoire d'un garçon, dans lequel fiction et réalité sont liées comme jamais.  

    Boyhood, de Richard Linklater, avec Ellar Coltrane, Patricia Arquette, Ethan Hawke
    et Lorelei Linklater, Etats-Unis, 2014, 2h46 mn

  • Spartacus, mon frère

    Le documentaire coup de poing Spartacus et Cassandra a reçu un joli accueil critique et public (Louve d’Or au FNC Montréal 2014, Prix du Jury FIPRESCI au DOK Leipzig 2014 ou Grand Prix Ciné-Junior 2015).

    Les personnages principaux de cette réalisation française de Ioanis Nuguet sont deux gamins roms de 12 et 11 ans, Spartacus et Cassandra, recueillis par une jeune directrice de cirque, Camille. Le spectateur apprend dès le début du film que leurs parents, en rupture de ban, désociabilisés et ne parlant pas le français, sont sur le point d'être dessaisis de leurs enfants par la justice.

    Expulsés de ce cirque où ils avaient trouvé refuge, les deux adultes sont renvoyés à la rue, avec son cortège de violence, d'alcoolisme, de mendicité et d'indigence. Le film suit le parcours du sauvetage des deux enfants par une jeune femme, véritable Mère Courage. Cette dernière est bien décidée à donner une nouvelle chance aux gamins qui ont, jusqu'alors, vécu dans la rue. Cette résurrection passera par l'école, l'apprentissage d'un début de discipline, le déracinement hors d'un quartier misérable du 93 pour la vie à la campagne mais aussi et surtout par l'arrachement aux parents. 

    On ressort de ce film sonné. La plongée dans la misère contemporaine est terrible tout comme est cruelle cette manière dont les parents de Spartacus et Cassandra sont filmés alors qu'ils vont perdre leurs droits parentaux.

    Tout l'art du réalisateur est de s'intéresser aux plus misérables des misérables, à ces oubliés de la société. La caméra filme au plus près la détresse, sans fard, comme les malheurs les plus terribles, la séparation parents-enfants n'étant pas le moindre.

    Il y a également ses moments magiques, presque lyriques : la découverte d'une vie à la campagne, un véritable éden sur terre ; ces moments de solidarité au collège lorsque des gamines aident Spartacus à faire un devoir ; cette découverte du travail dans les champs ("je veux être paysan") ; cette maison bringuebalante mais devenue à force de travaux un havre de paix, sans oublier l'opiniâtreté et le courage de Camille, prenant les deux enfants perdus sous ses ailes afin de les remettre sur les rails.

    Et puis, il y a cet amour fraternel entre Spartacus et Cassandra, bouleversant comme un grand moment de cinéma. 

    Spartacus & Cassandra, documentaire de Ioanis Nuguet
    avec Cassandra Dumitru et Spartacus Ursu, France, 2015, 80 mn 

  • "Eyes Wide Shut" : Les yeux grands ouverts

    Douze années séparent Full Metal Jacket d’Eyes Wide Shut. Durant cette période, Stanley Kubrick travaille sur plusieurs projets de films : Une Education polonaise, un film sur la Shoah que Kubrick interrompt lorsqu’il apprend que Spielberg tourne La Liste de Schindler et IA Intelligence artificielle qui sera finalement réalisé par… Spielberg.

    Au milieu des années 1990, Kubrick reprend la caméra pour tourner un "petit film intimiste", l’adaptation contemporaine d’une nouvelle de l’auteur autrichien Arthur Schnitzler, Traumnovelle (La Nouvelle rêvée), sujet qu’il comptait déjà réaliser en 1968. Le scénario d’Eyes Wide Shut est co-écrit avec le scénariste français Frédéric Raphael. Les deux hommes travaillent sur une histoire mêlant crise conjugale, fantasmes, rêves érotiques, aventures amoureuses réelles et occasions manquées.

    Comme à son habitude, Kubrick opte pour des personnages contemplatifs, des mouvements de caméras fluides, l’utilisation de couleurs primaires, donnant à son film une atmosphère onirique. Le tournage du film débute fin 1996 dans le plus grand secret et non sans difficultés. Il dure 19 mois. Stanley Kubrick doit s’adapter aux acteurs qu’il dirige. Le couple Tom Cruise et Nicole Kidman est à l’époque l’un des plus en vue. La perspective de les voir ensemble à l’écran sous la direction de Stanley Kubrick suscite la curiosité du public. Le cinéaste doit aussi remplacer au pied levé Harvey Keitel qui quitte le tournage au bout de six mois. Il est remplacé par Sydney Pollack. De même, Kubrick décide également de retourner une scène entre Tom Cruise et Jennifer Jason Leigh, qui avait été engagée pour tenir le rôle de Marion. Malheureusement, à l’époque cette dernière est déjà sur le tournage d’eXistenZ de David Cronenberg. La scène est donc retournée mais avec l’actrice suédoise Marie Richardson.

    La fin du tournage a lieu en juin 2008. Le film est présenté quelques mois plus tard à la Warner. Lors de la projection le 6 mars 1999, Kubrick confie qu’Eyes Wide Shut est son meilleur film. Il décède d’une crise cardiaque le lendemain.

    Eyes Wide Shut, de Stanley Kubrick, avec Tom Cruise, Nicole Kidman et Sidney Polack, Etats-Unis, 1999, 159 mn

    La suite, ici avec les films laissés à l'état de projet par le réalisateur

  • 2001 en 1968

    En 1964, L’année de la sortie de Docteur Folamour, Kubrick rencontre Arthur C. Clarke. Ils décident de collaborer à un film de science-fiction. Clarke propose comme point de départ sa nouvelle La Sentinelle, écrite en 1948. Le sujet de cette histoire est la découverte par des astronautes d’un tétraèdre extraterrestre sur la lune.

    Kubrick et Clarke travaillent simultanément sur ce projet : le scénario pour Kubrick et un roman pour Clarke. Le parti pris est de construire une vaste saga de l’humanité depuis la naissance de l’intelligence humaine plusieurs milliers d’années avant notre ère jusqu’à la rencontre avec de nouvelles intelligences (artificielle puis extraterrestre) dans le futur.

    2001 : L’Odyssée de l’Espace (A Space Odyssey), film de science-fiction autant que fable philosophique et poétique, est d’une puissance et d’une ambition sans égale. Cette œuvre mythique a marqué le cinéma comme jamais. Kubrick, cinéaste confirmé en pleine maîtrise de sa technique, use de moyens jamais vus pour ce tournage. Il s’entoure de techniciens renommés et s’appuie sur des outils révolutionnaires de la NASA pour élaborer un film aussi impressionnant que magnifique.

    Cette œuvre audacieuse et complexe est en outre indissociable de sa bande-son : l’ouverture d’Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss (les trois plus célèbres notes de musique de l’histoire du cinéma !), le Kyrie de Ligeti et bien sûr Le Beau Danube Bleu achèvent de donner à ce film une couleur majestueuse.

    Il y a eu sans nul doute un avant et un après 2001 : l’Odyssée de l’Espace. Signe des temps, le film est sorti en 1968, année révolutionnaire s’il en est !

    2001, L'Odyssée de l'Espace ( A Space Odyssey), de Stanley Kubrick, avec Keir Dullea, Gary Lockwood et William Sylvester, Etats-Unis, 1968, 139 mn

    La suite de ce dossier ici, avec un focus sur Shining...

  • Stanley Kubrick [3] : Dernières années, derniers chefs d'œuvres

    Après l'échec commercial de Barry Lyndon, Kubrick a besoin d’un succès commercial pour la suite de sa carrière. Il choisit de tourner un film d’épouvante, un genre très à la mode à la fin des années 1970. Il achète les droits d’un roman de Stephen King, The Shining. Dans cette histoire de maison hantée (ou plutôt d’hôtel hanté), Jack Torrance, le personnage principal joué par Jack Nicholson, est recruté comme gardien d’un somptueux et mystérieux hôtel. Ce travail doit lui permettre de retrouver son inspiration d’écrivain. Sa femme et son jeune enfant, doté d’un pouvoir extralucide, le "shining", l’accompagnent. Dans cet établissement, le spectateur apprend qu’un précédent gardien a assassiné quelques dizaines d’années plus tôt sa femme et ses filles jumelles. Peu à peu, l’hôtel hanté – mais aussi les frustrations de Jack Torrance devant son incapacité à créer – font basculer le trio familial dans l’horreur.

    La sortie en 1980 de Shining suscite une réaction négative des critiques (bien qu’avec le recul il n’est pas injuste de dire qu’il reste la meilleure adaptation d’un roman de Stephen King). Au contraire des autres films de Kubrick dont le succès est venu grâce au bouche à oreille, cette fois la Warner a lancé une campagne de communication importante qui attire un public curieux. Lors du premier week-end d’exploitation aux États-Unis, Shining rapporte un million de dollars, un succès encore plus important que L’Exorciste (1973) et Superman (1978). Malgré tout, le réalisateur reconnaît n’être pas entièrement satisfait du résultat ; il reproche même au jeu de Jack Nicholson de n’être pas suffisamment... réaliste!

    Malgré tout, fort du succès de Shining, Kubrick peut poursuivre sa collaboration avec la Warner. En 1980, il s’intéresse à la guerre du Vietnam grâce à sa rencontre avec Michael Herr, l’auteur d’un livre reportage sur ce sujet mais aussi suite à la lecture du Merdier, un roman percutant et provocateur de Gustav Hasford sur ce sujet. En 1987, sort Full Metal Jacket, succès public autant que critique ("Le plus grand film de guerre de tous les temps", annonce l’affiche promotionnelle), et ce malgré la sortie simultanée de Platoon, d’Oliver Stone, autre film de guerre sur le Vietnam. La renommée de Full Metal Jacket tient pour beaucoup à la composition magistrale du sergent instructeur Hartman, qu’aucun spectateur ne peut oublier.

    Au début des années 1990, Kubrick souhaite tourner un film "intimiste", en attendant de s’attaquer à une œuvre plus ambitieuse. Il s’intéresse à la nouvelle autrichienne d’Arthur Schnitzler, Traumnovelle (La Nouvelle rêvée) et intitule son projet : Eyes Wide Shut.

    Kubrick transpose à New York cette histoire d’un couple en pleine interrogation sur ses désirs, ses pulsions et ses fantasmes. Mais, une fois de plus, il transcende cette histoire intimiste. Sous l’œil du Maître, Eyes Wide Shut devient une œuvre grandiose à l’esthétique somptueuse. Il atteint dans ce film le sommet de son art.

    Ce succès tient aussi à la performance de Tom Cruise et de Nicole Kidman, deux stars hollywoodiennes en couple à la ville à l’époque du tournage (il est patent de signaler qu’ils divorceront peu de temps après la sortie du film). Sidney Pollack remplace au pied levé, et avec bonheur, Harvey Keitel, après six mois de tournage.

    Lors de la présentation du film à la Warner le 8 mars 1999, Kubrick déclare qu’il s’agit de sa meilleure œuvre. Il décède le lendemain à l’âge de 70 ans et ne peut assister au succès critique et public de ce film hors norme.

    Filmographie complète de Stanley KubrickDay of the fight (1951), documentaire, court-métrage, NB, 16 mn, avec Walter Cartier. Flying Padre (1951), documentaire, court-métrage, NB, 8 mn, avec : Fred Stadmueller. Fear and Desire (1953), film de guerre, NB, 68 mn, avec Franck Silvera, Paul Mazursky, Kenneth Harp, Steve Coit, Virginia Leith. The Seafarers (1953), documentaire, court-métrage, couleurs, 30 mn. Le Baiser du Tueur (Killer’s Kiss , 1955), polar, NB, 67 mn, avec Franck Silvera, Jamie Smith, Irene Kane et Jerry Jarret. L’Ultime Razzia (The Killing , 1956), polar, NB, 85 mn, avec Sterling Hayden, Coleen Gray, Vince Edwards, Jay C. Flippen, Ted de Corsica, Mary Windsor, Elisha Cook Jr, Joe Sawyer, James Edwards. Les Sentiers de la Gloire (Paths of Glory , 1957), film de guerre, NB, 86 mn, avec Kirk Douglas, Ralph Meeker, Adolphe Menjou, George Macready, Christiane Susanne Harlan. Spartacus (1960), péplum, couleurs, 198 mn (version restaurée de 1991), avec Kirk Douglas, Laurence Olivier, Jean Simmons, Charles Laughton, Peter Ustinov, John Gavin, Nina Foch, John Ireland, Herbert Lom, John Dall, Charles McGraw, Woody Strode, Tony Curtis, Anthony Hopkins. Lolita (1962, comédie dramatique, NB, 152 mn, avec James Mason, Sue Lyon, Shelley Winters, Peter Sellers, Garry Cockrell, Jerry Stovin, Diana Decker, Lois Maxwell. Docteur Folamour (Dr Strangelove : or How I learned to Stop Worrying and Love the Bomb , 1964), comédie satirique, NB, 93 mn, avec Peter Sellers, George C. Scott, Sterling Hayden, Keenan Wynn, Slim Pickens, Peter Bull, James Earl Jones. 2001 : l’Odyssée de l’Espace (2001 : a Space Odyssey, 1968), avec Keir Dullea, Gary Lockwood, William Sylvester, Daniel Richter, Leonard Rossiter, Margaret Tyzack, Robert Beatty, Sean Sullivan, Dougals Rain. Orange mécanique (A Clockwork Orange, 1971), avec Malcolm McDowell, Patrick Magee, Michael Bates et Warren Clarke. Barry Lyndon (1975), film d’époque, couleurs, 184 mn, avec Ryan O’Neal, Marisa Berenson, Patrick Magee, Hardy Krüger, Steven Berkoff, Gay Hamilton, Marie Kean et Franck Middlemass. Shining (The Shining , 1980), épouvante, couleurs, 146 mn, avec Jack Nicholson, Shelley Duvall, Danny Lloyd et Scatman Crothers. Full Metal Jacket (1987), film de guerre, couleurs, 116 mn, avec Matthew Modine, Adam Baldwin, Vincent D’Onofrio et R. Lee Ermey. Eyes Wide Shut (1999), drame intimiste, couleurs, 159 mn, avec Tom Cruise, Nicole Kidman, Sidney Pollack, Marie Richardson, Julienne Davies, Vinessa Shaw et Leelee Sobieski.

    Paul Dunca, Stanley Kubrick, Filmographie complète, éd. Taschen, 2003
    Michel Ciment, Stanley Kubrick, éd. Calmann-Levy, 2011
    Les Cramés de la Bobine

    Voir aussi les deux articles précédents :

    Stanley Kubrick [1] : Premiers pas d'un géant
    Stanley Kubrick [2] : Émancipation d'un génie

    Ici, la suite de ce Dossier Kubrick 

  • Stanley Kubrick [2] : Émancipation d'un génie

    Plus que Spartacus, c’est le film suivant, Lolita, qui va être déterminant dans la carrière de Kubrick.

    Alors que Kirk Douglas le contacte pour qu’il tourne ce péplum flamboyant, le cinéaste travaille déjà sur un autre projet : l’adaptation du roman de Vladimir Nabokov, Lolita. Sorti aux États-Unis en 1958, ce livre scandaleux a été un succès public et critique. Kubrick et son fidèle associé Harris, qui ont acheté les droits, négocient avec la United Artists pour faire ce film tout en gardant le contrôle absolu sur sa réalisation. Après avoir obtenu gain de cause, ils s’envolent en 1962 pour la Grande-Bretagne afin de bénéficier de clauses financières plus intéressantes. James Mason est engagé. La jeune Sue Lyon (14 ans à l’époque) est recrutée pour jouer le rôle de Lolita et Peter Sellers est choisi comme second rôle. Cette histoire d’amour entre une jeune adolescente et un homme mûr parvient à contourner la censure anglaise grâce à la grande diplomatie de Kubrick et à sa mise en scène tout en nuance. L’humour n’est pas absent de ce drame amoureux, pas plus que les attitudes ambiguës des personnages secondaires. Au final, ce film au budget moyen, tourné en quelques semaines, s’avère non seulement rentable commercialement mais en plus il installe Kubrick parmi les cinéastes les plus en vue. Après Lolita, ce dernier est conforté dans son désir de contrôler de A à Z ses créations, de la production jusqu’au montage et à la musique.

    De retour aux États-Unis, il s’attaque à un thème bien différent : la course à l’arme atomique. Après le choix de l’adaptation d’un roman sombre de Peter George (Red Alert), Kubrick confie au journaliste satirique Terry Southern le soin d’en faire un scénario loufoque. Le titre complet en anglais est lourd de sens : Dr Strangelove : or How I learned to Stop Worrying and Love the Bomb (que l’on pourrait traduire par : Dr Folamour : ou comment j’ai arrêté de m’en faire et que je suis tombé amoureux de la Bombe). Docteur Folamour raconte l’histoire d’un bombardier sommé par erreur de larguer des ogives nucléaires sur l’URSS, ce qui déclenche l’apocalypse nucléaire. Ce film très sarcastique et pessimiste (et aussi avec une forte connotation sexuelle !) permet à Kubrick de retrouver deux acteurs qu’il avait déjà mis en scène, Peter Sellers et Sterling Hayden. Après la fin du tournage en 1963, Kubrick passe au montage, qui dure huit mois et aboutit à un film proche de la perfection. C’est aussi un succès critique et commercial.

    L’année de la sortie de Docteur Folamour, Kubrick rencontre Arthur C. Clarke. Ils décident de collaborer à un film de science-fiction. Clarke propose comme point de départ sa nouvelle La Sentinelle, écrite en 1948. Le sujet de cette histoire est la découverte par des astronautes d’un tétraèdre extraterrestre sur la lune. Kubrick et Clarke travaillent simultanément sur ce projet : le scénario du film pour Kubrick et un roman, 2001 : l’Odyssée de l’Espace pour Arthur C. Clarke. Ces deux œuvres seront des succès autant que de véritables classiques. Le parti pris du cinéaste est de construire une vaste saga de l’humanité depuis la naissance de l’intelligence humaine plusieurs milliers d’années avant notre ère jusqu’à la rencontre avec de nouvelles intelligences (artificielle puis extraterrestre) dans le futur.

    On ne soulignera pas assez à quel point 2001 : l’Odyssée de l’Espace, film de science-fiction autant que fable philosophique et poétique, est d’une puissance et d’une ambition sans égale. Cette œuvre mythique a marqué le cinéma comme jamais. Kubrick, cinéaste confirmé en pleine maîtrise de sa technique, use de moyens jamais vus pour ce tournage. Il s’entoure de techniciens renommés et s’appuie sur des outils révolutionnaires de la NASA pour élaborer un film aussi impressionnant que magnifique. Il y a eu sans nul doute un avant et un après 2001 : l’Odyssée de l’Espace. Signe des temps, le film est sorti en 1968, année révolutionnaire s’il en est !

    Vers cette époque, la vie de Kubrick commence à fasciner la presse. Installé à Londres avec sa femme et ses trois filles, sa vie personnelle est surveillée par les médias. On le sait hyperactif, méticuleux jusqu’à l’obsession et capable de documentations phénoménales pour ses projets.

    En 1971, Kubrick s’attaque à l’adaptation du roman d’Anthony Burgess, Orange mécanique. Là encore, l’auteur de Lolita frappe fort mais pas là où on l’attendait. En suivant l’itinéraire criminel de jeunes adolescents puis l’histoire de la réintégration mouvementée d’Alex, le leader de ce gang dans la société, Kubrick déclenche la polémique. Certains auteurs de faits violents à l’époque l’accusent de les avoir inspirés. Les images chocs ont tout pour susciter l’indignation de la censure (scènes de viols, détachements des personnages principaux devant leurs méfaits, notions fluctuantes du bien et du mal). Aux Etats-Unis, le film est classé X. Pour stopper la vague d’indignation en Grande-Bretagne, Kubrick choisit d’arrêter de lui-même la diffusion de son film dans ce pays. Il n’y sera autorisé qu’en 2000, soit un an après la mort du cinéaste.

    Fort du soutien de la Warner, Stanley Kubrick peut se permettre un contrôle artistique absolu sur sa création artistique, tout en pouvant user de budgets conséquents. Son souci de perfection atteint des sommets avec Barry Lyndon, un film longtemps sous-estimé. Il s’agit d’une adaptation du roman anglais de William Makepeace Thackeray, Les Mémoires de Barry Lyndon, écrit en 1844 et racontant à la première personne la réussite sociale puis la chute d’un parvenu irlandais au XVIIIe siècle. Kubrick choisit cependant pour voix off celle d’un narrateur anonyme, donnant au personnage de Lyndon une distance froide et cynique.

    Le tournage de Barry Lyndon est devenu légendaire : tournages aux chandelles (grâce à un objectif mis au point par la NASA ! – 2001 : l’Odyssée de l’Espace n’est pas loin!), costumes historiques achetés par Kubrick lui-même et copiés méticuleusement, perruques réalisées avec les cheveux de jeunes Italiennes entrant au couvent, répétitions incessantes des acteurs, décors entièrement naturels, prises innombrables et épuisantes pour l’équipe de tournage. À sa sortie en 1975, et bien qu’il soit considéré comme un chef d’œuvre primé à de multiples reprises, le public boude cette fresque somptueuse.

    Stanley Kubrick doute : durant cette période, il se demande comment il pourra rebondir...

    La suite, ici...