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-M- Mathieu Chedid ne laisse pas tomber la musique et les concerts en cette période de confinement. Il propose sur Facebook et sur Instagram un concert live "Spécial Baïa" : au programme, des reprises à la gutare de ses créations (Baïa, Onde sensuelle, Le roi des ombres) mais aussi des reprises (Les mots bleus de Christophe, Le requiem pour un con de Serge Gainsbourg et C’est comme ça de Catherine Ringer et des Rita Mitsouko.
Confiné ou pas, M n’a pas abandonné le glam pour cette prestation chez lui : veste rouge, guitare rose, une étoile scintillante en arrière-plan.
Cette fois encore, les artistes et les musiciens sont devenus nos meilleurs amis en cette période de confinement.
Charlotte Gainsbourg était à la Philharmonie le mardi 9 juillet à l’occasion des Days Off. Un moment rare pour une artiste à la réserve légendaire.
On oublie aussi trop souvent que Charlotte Gainsbourg est une figure à part dans la musique, choisissant un chemin entre la pop-rock, la chanson et l’électro. Une synthèse souvent très audacieuse – mais il est vrai que la fille de Serge Gainsbourg sait de qui tenir en la matière.
Après un set rock énergique de Miles Kane, gâché cependant par une sono peu avare en basses, Charlotte Gainsbourg arrivait sur scène, plus attendue que jamais. En tee-shirt blanc et jeans comme ses musiciens, la chanteuse est restée dans l’ombre – ou plutôt sous la lumière de dix quadrilatères futuristes – pendant plusieurs titres, avant d’apparaître sur le devant de la scène, habillée à chaque fois de jeux de lumières d’une belle sophistication.
Ce concert de Charlotte Gainsbourg, dans l'écrin tout en courbe et en douceur de la grande salle Pierrre Boulez, reprenait très largement les titres de son dernier album Rest produit en grande partie par SebastiAn : Lying With You, Ring‐a‐Ring o' Roses, I'm a Lie, Deadly Valentine, Les crocodiles, Les oxalis et le très émouvant Kate. Deux grands classiques, écrits par son père, ont marqué la soirée : un Charlotte for ever hypnotique et une version tout aussi mémorable de Lemon Incest qui clôturait le set. Malgré sa timidité légendaire, Charlotte Gainsbourg montrait à travers ce dernier rappel qu’elle n’a rien perdu de son audace, avec ce nouvel hommage à son père.
Après ses deux EP, Mesure Première et Mesure Seconde, on attendait la sortie du premier album de Laurie Darmon. Que nous réservait la jeune chanteuse, vingt-sept ans à peine, qui avait fait sensation avec ses chansons au flow irrésistible et sensible, Rupture,Ta Voix ou le formidable Juillet Formiguères ? Son album Février 91 ne déçoit pas et suit la même veine intimiste et la même couleur rythmique.
Laurie Darmon a opportunément intitulé son premier opus en référence à sa date de naissance. Album très personnel, Février 91 parle de jeunesse, d’adolescence et des premiers émois. Il s’ouvre avec 17 ans, que la chanteuse propose dans deux versions – la seconde (17 ans Face B) s’avérant la plus efficace : "Ce soir, dis moi, t'as 17 ans déjà déjà / Ce soir, dis moi, t'as 17 ans, 17ans / Fugace, cocasse, / L'instant se forme et puis s'enfuit pour n'être plus qu'un souvenir…" A l’instar du Vingt ans de Léo Ferré, les adolescents de 2018 verront dans ce titre un hymne tendre, poignant et non sans humour à leurs jeunes années ("Puis un jour t'auras des gosses / Et tu leur criera "Bosse, bosse. / Puis après t’auras même des petits gosses / Et à eux tu leur diras « Encore tu bosses ? »"), chanté par une grande sœur bienveillante.
Sans lâcher son flow tendu, Laurie Darmon construit des textes auto-fictionnels dans lesquels il est beaucoup question d’elle (Moment d’Absence), de recherche de soi (Je pense), de dépression (La Rage au Cœur : "Elle ne m'a pas quitté vous savez / La rage au corps qui me bouffe depuis sept longues années / Comme un tunnel que je n'ai pas emprunté / Parfois je n'en vois pas le bout / Il y a de l'ombre partout / Sur le monde que j'ai tant aimé / Tant croqué / Les plaisirs de la vie s'échappent / Et ne reviendront pas") ou de fantasmes (Désirs interdits).
Laurie Darmon plonge avec un mélange de culot, d’audace et de sensibilité dans le royaume de l’intime. Elle parle de "Rêves / De choses un peu mauvaises / De douleurs qui apaisent / De gestes qui déplaisent… / De marcher sur la braise" dans ce Désirs interdits, un titre qui annonce le joyau gainsbourien qu’est Monte encore : "Au coin d'une rue / Je me suis perdue / Telle une chienne / Je me démène / Pour m'en sortir / Te voir languir / Au coin du feu / Me ferai jouir / C'est désarmant / Ce calme fou / Que tu prétends / Garder à bout / A bout de force / Je m'efforce / Tu me regardes / Sale bête féroce…" Tout, dans ce petit chef d’œuvre, que ce soit l’écriture ciselée et incandescente, la composition bluffante ou l’orchestration brillante, en fait l’un des titres inoubliables de cet album d’une grande ambition artistique.
Incandescente
À côté de l’étonnant, touchant et piquant hommage aux soldats anonymes (Les Militaires), l’auditeur s’attardera sur le sublime portrait Clémentine : "Clémentine part en vacances / mais Clémentine n'a pas de chance / le soleil s'est pas levé / alors elle est restée couchée / Clémentine n'a pas le moral / il l'a quitté et ça fait mal / Clémentine s'en remettra /Clémentine c'est un peu toi…"
Laurie Darmon propose avec Les Jupons de Madame une parenthèse sobre et élégante. Le slam fait place à une valse légère, classique et mélancolique, largement inspirée du répertoire de Barbara : "Les jupons de Madame ont vu pousser de jolies jambes / Auxquelles, ils ont vite enseigné l'intimité des jolies chambres / Là-bas, la porte reste close, la nuit dure une éternité / Madame baigne dans l'obscurité à l'abri d'une enfance morose."
Et puis, il y a Février 91. Ce titre de presque dix minutes clôture de la plus belle des manières un premier album très personnel. Laurie Darmon, qui nous avait parlé d’adolescence, propose un slam intime et bouleversant. Même si vous êtes nés bien avant 1991, il n’est pas possible de rester insensible à l’écoute de ces souvenirs égrainés par l’auteure, souvenirs qui parleront particulièrement aux trentenaires : "Février 98, bonne élève. Des mots de vocabulaire à apprendre tous les soirs. / Les dictées, les devoirs. Tom Tom et Nana sur Canal J. La douche, le dîner. / Denis la Malice le mercredi matin sur France 3. Les Minikeums. Les Filles d'à Côté. / Les jeux de bille au pied des troncs d'arbre dans la cour. /Les mammouths." Laurie Darmon slame avec grâce, pudeur et délicatesse. Elle nous ouvre son journal intime et partage la liste de saynètes de son enfance, de personnes qui ont croisées sa route ou de découvertes personnelles. Laurie Darmon parvient ici, comme ailleurs, à nous prendre par la main avec l’élégance, le culot et le talent d’une musicienne hors-pair.
Grâce à Février 91, l’histoire artistique de Laurie Darmon, du haut de ses vingt-sept ans, ne fait que commencer.
Romain Pinsolle n’a pas oublié ses classiques, lui qui puise ses influences aussi bien dans le rock (Les Pales), le blues (La Pluie), le reggae (Encore) ou dans la pop des années 80 (Le Vin et L’Assassin) – décidément une source d’influence inépuisable en ce moment chez la jeune génération d’artistes compositeurs.
Après un passage dans le groupe Hangar, encouragé par l’écurie Universal, le guitariste et co-compositeur a décidé de se lancer en solitaire dans un premier album solo, sorti en cette fin d’année.
Pas de tergiversations ni de chichis pour Romain Pinsolle qui a travaillé à l’ancienne : instruments acoustiques (guitares, claviers, piano, saxophone), enregistrement live, compositions rugueuses et rageuses et plaisir de livrer un disque vivant et audacieux, comme le prouve l’ouverture du premier titre désenchanté et inspiré du poème éponyme de Charles Baudelaire : "Ma femme est morte / Je suis libre" (Le Vin et L’Assassin). En digne héritier de Gainsbourg, Romain Pinsolle s’y livre dans un parlé-chanté acide comme le rock : "Me voilà libre et solitaire ! / Je serai ce soir ivre mort / Alors, sans peur et sans remord, / Je me coucherai sur la terre, / Et je dormirai comme un chien."
Tout aussi gainsbourien est le titre Encore, mais cette fois ce serait du côté du mythique album reggae Aux armes et cætera (1979) qu’aurait cherché le jeune chanteur pour ses influences.
Dans la droite ligne d’artistes comme Alain Bashung Romain Pinsolle a soigné les textes de chansons au romantisme noir : "J’ai niqué mon encre éphémère / Coulé ma barque sur terre / T’es tombé sur moi comme une goutte de pluie / T’as glissé sur mes bras t’as fini dans mon lit" (La Pluie).
Chercher l’amour chez Romain Pinsolle c’est se fracasser contre une "aliénante, / Ravissante / Traînée." Incommunicabilités et incompréhensions mènent des danses amoureuses, fiévreuses et terribles : "Dis à quoi tu penses / Quand tu baises dans le noir ?"
Plus délicat, Romain Pinsolle propose le langoureux Léonita : "Des humeurs vagabondes / Étourdissent nos cœurs / Et dans le soir qui tombe / Il rachète leur bonheur" ou encore Gueule d’Ange, pour un "instant de volupté."
L’influence de Jean-Louis Murat est visible dans le titre Les Joues creuses, à l’élégante austérité : "Cette présence qui se perd, / Toutes ces joies si éphémères / Comme une absente entre ces murs / Tu fais saigner tes veines dures." Le parlé-chanté de Romain Pinsolle s’appuie sur une instrumentation minimaliste et en particulier un délicat saxophone.
Plus rock, En Arrière sent bon ces rocks aux riffs fiévreux, avant la lumineuse ballade amoureuse Pierre Bonnard : "Si j’étais peintre / Je te peindrais / Comme Matisse, Jean Renoir / Ou Pierre Bonnard." Romain Pinsolle s’y dévoile non plus en beau gosse impertinent du rock mais en artiste à fleur de peau, délivrant un premier album sincère, brut et au solide caractère.
Eva-Léa sort son premier EP en septembre prochain, avant une série de concerts à Paris. Qui est cette Eva-Léa ? Une fille d’ici et d’aujourd’hui qui, du haut de ses 27 ans, est bien décidée à faire une place au soleil sur la scène de la chanson française.
Dans une pop acidulée aux délicates touches électroniques mais aussi 80’s, Eva-Léa propose six titres portés par une voix fraîche et posée avec une belle assurance.
Dans Élégie, le premier titre que l’on pourrait qualifier d’"électro onirique", Eva-Léa ose, dans une veine gainsbourienne, une ode moderne et baudelairienne : “Le temps qui tonne et qui traîne me tue / Sous les nuages dans l’étang j’attends nue / Qu’un coup d’éclair me transforme en statue.”
Il est encore question d’influence de Serge Gainsbourg dans Baiser bleu. Portée par une instrumentation cristalline, la chanteuse emploie le parlé-chanté, cher à "l’homme à tête de chou", pour traiter de fantasmes et d’intoxication amoureuse, dans un texte précis comme un scalpel : "J’ai le compas dans l’œil je croque ta carrure / Avec toi je ne veux ni brouillons ni ratures / Ton regard de fusain nuit et jour à mes trousses / Là sur mes pages blanches je trace tes lignes en douce."
Mais "l’intoxicated lady" sait aussi et surtout devenir une femme d’ici et d’aujourd’hui, comme elle le chante dans Je ne suis pas de celles : exigeante, sensible, libre (”Les qu'en-dira-t-on je les envoie valser”), une Carmen moderne qui serait éprise de séductions, de bonnes manières, de passions et de sensualités : “Je ne suis pas de celles / Qui se maquillent les yeux / Pour paraître plus belles / Mais pour pleurer un peu / Sans que ça ne se voie / Je tourne sur moi-même / Je m’arrêterai sur toi / Seulement si tu m’aimes.” Eva-Léa offre un magnifique titre sur la féminité, qui n’est pas sans faire écho à Je suis de celles de Bénabar, ce portrait d’une femme simple et paumée, caricaturant en creux son auteur. Aucune amertume ni trait grossier, par contre, chez Eva-Léa, femme jusqu’au bout des ongles : ”Je joue de mon talons / de mes talents cachés / À mes yeux du crayon / et les hommes à mes pieds.”
Mademoiselle Papillon, titre plus léger, s’adresse à une enfant par une sorte de grande sœur attentionnée et protectrice : "Ma jolie demoiselle / Mademoiselle Papillon / Moi je te ferai la courte échelle / Pour que tu captures un morceau de ciel.”
Dans Correspondance assurée, Eva-Léa s’engage dans une bossanova électro invitant l’auditeur au voyage et à la romance : Un jour sans crier gare / Tu seras là sur le quai / Évidence dans le regard / Correspondance assurée.”
Il est encore question de fuites dans le dernier titre Les Coureurs de rêves. Eva-Léa ne serait-elle justement pas une "coureuse de rêve” comme elle le chante elle-même ? Bien loin d’Élégie, la chanteuse parle de routines, de remords et des "manteaux ‘infortunes" : “Devant les journaux / Même refrain / Encore un café qui fume / Une journée de plomb de plus”. Il y a du Michel Berger dans cette réponse qu’offre Eva-Léa : "Si les coureurs de rêve / Ont une largueur d’avance / Au circuit du bonheur / C’est qu’au fond ils conservent / Le regard de l’enfance / Tout au fond de leur cœur.”
Eva-Léa est sans doute cela : coureuse de rêve, mais aussi fille d’ici et d’aujourd’hui, intoxicated lady, femme assumée, et bien entendu artiste à découvrir de toute urgence.
Eva-Léa, premier EP, sortie prévue le 1er septembre 2017 En concert le 16 septembre au SUNSET/SUNSIDE, le 17 octobre au Connétable (Paris) et le 25 novembre à La tête de chou (Paris), en compagnie de ses compères Florian Rousseau et Emmanuel Ducloux. https://www.difymusic.com/eva-lea
Dans la littérature gainsbourienne, il y a bien sûr la biographie de référence de Gilles Verlant, Gainsbourg (Albin Michel, 2000). En cette année de commémoration des 25 ans de la mort du chanteur, un autre ouvrage sort indéniablement du lot : Gainsbourg, le Génie sinon Rien de Christophe Marchand-Kiss (éd. Textuel, 2015), préfacé par Laurent Balandras que j’ai chroniqué il y a peu pour son essai sur Gainsbourg et La Marseillaise.
C’est d’abord un très bel objet qui est proposé, à savoir 239 pages consacrées à l’artiste, à sa carrière, avec des illustrations en nombre : des photographies rares (celle de sa première femme Elisabeth Levitsky, une photo de groupe de 1959 avec Serge Gainsbourg, Jacques Dufilho, Denise Benoît et Marcel Amont lors d’une remise de prix de l’Académie Charles-Cros ou des clichés pris avec Jane Birkin à la fin des années 60), des reproductions de textes et de compositions de la main de Serge Gainsbourg, des documents administratifs et privés (des relevés de notes du petit Lucien Ginsburg, une carte d’alimentation de 1949 ou une fiche professionnelle de la SACD), des clichés intimes avec Jane Birkin, Bambou et Charlotte Gainsbourg, des témoignages de ses proches (un émouvant dessin de Charlotte représentant son père "avec les rastas") et des centaines d'autres souvenirs de la carrière exceptionnelle de l’homme à tête de chou, des Trois Baudets au Palace en passant par la Jamaïque. Sans oublier la littérature et le cinéma où Gainsbourg a été prolifique comme acteur (quoique sous-employé, dit l’auteur), réalisateur et surtout auteur d’innombrables bandes originales de films.
L’essai illustré de Christophe Marchand-Kiss retrace plus de 35 années d’une carrière chaotique marquée par la recherche musicale permanente, une ambition artistique sans faille, un génie incandescent et une rigueur indéniable qui a pu être cachée par un personnage cynique et excessif vers la fin de sa vie.
Une biographie de plus sur un musicien que l’on aime ou que l’on aime détester ? Bien plus : il s’agit d’une passionnante plongée dans la vie comme dans l’œuvre de Serge Gainsbourg, car "toute vie est digne d’intérêt – même la plus intime" dit l'auteur en préambule.
Une cinquantaine de pages de l’ouvrage sont consacrées au petit Lucien Ginsburg, fils d’immigrés juifs russes. Avec un père pianiste, ayant joué notamment dans une boîte intitulée Les Enfants de la Chance (Gainsbourg saura s’en souvenir en 1987 pour l'une de ses dernières chansons), le destin semblait tout tracé pour cet enfant de la balle. Ce sera sans compter les coups durs, la seconde guerre mondiale, et aussi la part de chance qui permettra au petit Lucien ainsi qu’à sa famille – d’origine juive – d’échapper aux rafles allemandes.
Au milieu des années 40, le jeune homme se voit artiste peintre. Il étudie à l’académie Montmartre, est influencé par les l’impressionnisme mais la musique reste une option qu’il finira par adopter au point d’avoir détruit presque toutes ses œuvres picturales. À ce sujet le lecteur pourra découvrir dans le livre de Christophe Marchand-Kiss un autoportrait de Lucien Ginsburg. Une rareté.
L’intérêt principal de cette biographie réside dans l’auscultation d’un musicien ayant connu mille et une mues : chanteur de cabaret à ses débuts côtoyant Boris Vian, Juliette Gréco ou Guy Béart, parolier hors-pair (Le "Poinçonneur des Lilas", "L’Eau à la Bouche" ou "Mes Petites Odalisques"), expérimentateur pugnace durant les années 60 lorsqu’il s’inspire du jazz américain ("Black Trombonne"), qu'il utilise des percussions africaines ("New York USA") ou lorsqu'il adopte les courants easy listening ou le yé-yé ("Chez les yé-yé").
En 1962 sort La Javanaise. C’est l’occasion pour Christophe Marchand-Kiss de s’arrêter sur cette chanson mythique, pas si anodine que cela. Il en fait une étude de texte brillante et d’une rare pertinence : "La Javanaise est une dilution brutale, presque instantanée, de l’amour… d’une grande violence… Il y a aussi sa déroute et le suicide, simplement suggéré…" C'est une analyse remarquable d'une des plus belles chansons du répertoire français qui vaut à elle seule la lecture de cette biographie !
L’auteur ne passe pas sous silence les relations passionnées qu’il a entretenues avec quelques unes de ses muses, dont Brigitte Bardot. Sa relation brève mais passionnée lui inspira "Initials B.B.", "Bonnie and Clyde" et surtout "Je t’aime moi non plus" que le chanteur avait composé pour elle. Christophe Marchand-Kiss évoque les autres interprètes féminines des chansons de Gainsbourg : de Françoise Hardy à Isabelle Adjani, en passant par Régine et Bambou.
Deux longues parties du livre sont consacrées à la femme qui a partagé sa vie et qui lui a permis d’écrire quelques-unes de ses plus belles chansons : Jane Birkin. Dans le chapitre consacré au titre Jane B., Christophe Marchand-Kiss s’empare des paroles – "Signalement : / Yeux bleus / Cheveux châtains, Jane B / Anglaise / De sexe / Féminin" – pour les revisiter et écrire une magnifique déclaration d’amour.
Christophe Marchand-Kiss déniche un autre exemple des talents d’auteur de Gainsbourg. Il s’arrête sur "Ford Mustang", écrite en 1968 après un très long travail à la fois linguistique et sonore autour du français et de l’anglais : "Ce qu’obtient Gainsbourg n’est pas une autre langue : il même deux langues sans les confondre… Ce n’est pas non plus tout à fait du franglais, car le jargon que que ce mot prétend recouvrir n’existe pas. Des mots depuis le Moyen Âge passent d’une langue à une autre, voilà tout." Le livre reproduit un dépliant en anglais sur la Ford Mustang, dépliant que l’artiste a annoté, traduit et transcrit en sonorités, avant d’écrire les paroles d’une chanson plus expérimentale qu’il n’y paraît.
Le Gainsbourg explorateur musical se confirme durant les années 70 et 80, avec quelques concepts marquants. "Histoire de Meldy Nelson" (1971) est "une hallucination. Un égarement dans les méandres complexes du fantasme", véritable "poème symphonique de l’âge pop". Rock round the Bunker, sorti quatre ans plus tard, est la revanche de l’ancien petit Lucien pourchassé par les cohortes nazies et par l’État français : un album noir, sarcastique et vengeur. "Reste l’étoile jaune. La Yellow Star... Distanciation. Retour sur soir."
Ce retour à l’actualité et à l’autobiographie c’est un autre concept-album, L’Homme à Tête de Chou ("Marilou sous la Neige", "Variations sur Marilou"), sorti en 1976.
Gainsbourg a emprunté des chemins musicaux aussi variés que la chanson française traditionnelle, la pop anglaise, le rock, les rythmes latinos ou les percussions africaines. Le voilà qui s’aventure en 1979 avec le reggae et son album qui marque un virage dans sa carrière. J’avais parlé sur ce blog du scandale de La Marseillaise jamaïcaine, Aux Armes et caetera. C’est peu de dire que cet album a été un véritable coup de tonnerre médiatique. Devenu immensément populaire, Gainsbourg voit aussi sa vie privée chamboulée : divorce avec Jane Birkin, dépression, création de son personnage Gainsbarre, fumeur, buveur et provocateur. L’homme fascine autant qu’il exaspère. Ses prestations télévisées avec Catherine Ringer, Whitney Houston ("I want to fuck you") ou ce célèbre billet de 500 francs brûlé devant les caméras deviennent mythiques.
Trois disques viendront clôturer une carrière exceptionnelle : Mauvaises Nouvelles des Etoiles et surtout Love on the Beat (voir l’article qui est consacré "Il n’y a pas que la beat dans la vie") et You’re under Arrest, deux albums funks montrant qu’à 60 ans l’artiste n’a pas fini d’arpenter de nouveaux univers musicaux. L'artiste se permet encore de faire chanter et danser la jeunesse de son pays sur Mon Légionnaire et sur Aux Enfants de la Chance, "réminiscence d’un nom de cabaret où son père travailla avant guerre."
Avant de mourir le 2 mars 1991, l’homme aura pu éditer une intégrale de ses chansons (1989) et entrer dans le Larousse encyclopédique : "Doué d’un humour grinçant et subtil, il a su imposer au public un personnage de désinvolte désenchanté et sardonique qui cache une très vive sensibilité." Un artiste qui a accompagné et la société et la culture française sans renier ses exigences. Un enfant de la chance.
"Je suis un insoumis et qui a redonné La Marseillaise son sens initial ! Et je vous demanderai de la chanter avec moi !"
La scène se passe le 4 janvier 1980 à Strasbourg, dans le cadre d’un concert de Serge Gainsbourg, concert qui, du reste, n’aura jamais lieu. L’essai de Laurent Balandras, La Marseillaise de Serge Gainsbourg, Anatomie d’un Scandale (éd. Textuel) s’ouvre sur ce moment phare de l’histoire de la chanson française, coup de tonnerre médiatique autant que virage artistique dans la carrière de l’homme à tête de chou.
L’essai de Laurent Balandras est exemplaire à bien des égards. En retraçant le contexte de La Marseillaise version reggae de Gainsbourg (et intitulée Aux Armes et cætera), il ausculte les tenants et les aboutissants d’un scandale qui dépasse largement le simple contexte musical.
En janvier 1979, Serge Gainsbourg, toujours en quête de renouvellement musical, enregistre en quelques jours à la Jamaïque l'album Aux Armes et cætera. L’auteur d’Initials BB a, par le passé, puisé son inspiration dans le jazz, les percussions africaines, la pop anglaise ou le rock. Cette fois, c’est sur le reggae que Gainsbourg jette son dévolu, convaincu par son directeur artistique Philippe Lerichomme après l’écoute de la première version de Marilou Reggae dans l’album L’Homme à Tête de Chou (1976). Parmi les 12 titres enregistrés figure cette fameuse Marseillaise revisitée dans un style reggae, "un chant révolutionnaire sur une musique révolutionnaire" comme l’expliquera inlassablement le chanteur en pleine tourmente.
L’album Aux Armes et cætera sort le 13 mars 1979. Le scandale éclate moins de trois mois plus tard lorsque le futur académicien Michel Droit publie dans Le Figaro Magazine une violente tribune contre "l’outrage à l’hymne national" que constitue cette Marseillaise reggae : "un rythme et une maladie vaguement caraïbe… à l’arrière-plan, un chœur de nymphettes émettant des onomatopées totalement inintelligibles… et au ras du micro, d’une voix mourante, exhalant comme on ferait des bulles dans de l’eau sale, des paroles empruntées à celles de … La Marseillaise." L’ancien résistant va plus loin en s’attaquant à l’artiste : "œil chassieux, barbe de trois jours, lippe dégoulinante… débraillé… crado…" La charge de Michel Droit atteint des sommets lorsqu’il considère qu’en adaptant La Marseillaise à des fins mercantiles ("en tirer profit aux guichets de la Sacem"), l’initiative du chanteur porte "un mauvais coup dans le dos de ses coreligionnaires". Autrement dit, par son acte "provocateur" contre l’hymne national, Serge Gainsbourg est accusé de favoriser l’antisémitisme… en raison de ses origines juives. Cet article donne le départ d'un scandale si brutal que Gainsbourg en restera définitivement meurtri.
Relatant cette affaire, Laurent Balandras ne se contente pas de dresser l’historique de ce qui n’était au départ qu’une adaptation moderne - et exotique - de l’œuvre de Rouget de Lisle. Il retrace aussi en quelques pages l’enfance du petit Lucien Ginsburg, fils d’immigrés russes et de culture juive. Il rappelle que, né en 1926, le futur Serge Gainsbourg a été élevé dans l’amour de la culture française, dans une famille laïque, naturalisée et amoureuse de son pays d’adoption. Musicien très jeune, pianiste classique, il échappe de peu à la déportation comme d’ailleurs ses parents et ses sœurs. Un véritable traumatisme, comme le rappelle Laurent Balandras et qui resurgira en 1979 à la faveur d’un article haineux écrit par l'ancien résistant Michel Droit.
Cet essai sur La Marseillaise de Gainsbourg abandonne le chanteur le temps d’un chapitre pour s’intéresser à l’histoire de l’hymne national. Il se nommait à l’origine Le Chant de l’Armée du Rhin, et a été composé en avril 1792 à Strasbourg (et oui !) par Claude Joseph Rouget de Lisle, modeste officier et musicien amateur. Un chant révolutionnaire donc, comme le rappellera Serge Gainsbourg deux siècles plus tard. Laurent Balandras rappelle l’histoire tumultueuse de ce chant patriotique qui est devenu un hymne national après pas mal de déboires… et d’adaptations, jusqu'à la version de Gainsbourg, Aux Armes et cætera.
Au sujet de ce titre, le chanteur rappellera qu’il respecte un manuscrit original de Rouget de Lisle. Laurent Balandras nuance cependant ses propos : "Les paroles reproduites dans le Larousse contiennent cette indication afin de ne pas réécrire sempiternellement le refrain. C’est presque vrai à cette nuance que la mention exacte est Aux armes, citoyens… etc."
L’album reggae de Gainsbourg, vendu à plus d’un million d’exemplaire, est un succès inédit pour le musicien. À 50 ans, l’auteur de La Chanson de Prévert ou de L’Eau à la Bouche devient un artiste populaire, adoré par la jeunesse et considéré avec respect par la profession. Le jour de gloire est arrivé, donc. Cependant, "la fête est brutalement gâchée par l’article scandaleux de Michel Droit." Serge Gainsbourg conservera toute sa vie dans ses archives les pièces qui ont constitué ce scandale de La Marseillaise "jamaïcaine" : lettres d’injures ou de soutiens, coupures de presse, photographies, télégrammes. La reproduction de quelques-unes de ces pièces à conviction constitue l’une des grandes richesses de l’ouvrage de Laurent Balandras. Elles illustrent à elles seules le degré de violence contre l’artiste, empêché à plusieurs reprises de se produire sur scène, ce qui ne l’empêchera pas de partir à la rencontre de son public. Mais c’est un homme blessé qui sort de cette épreuve : "Si les attaques de Michel Droit ont meurtri Gainsbourg, l’affront de Strasbourg l’a anéanti… Certes, il se doutait bien qu’une Marseillaise en reggae allait défriser quelques implants mais de là à menacer physiquement des saltimbanques…"
À partir de 1980, Serge Gainsbourg endosse un nouveau costume et se mue en Gainsbarre, son "double monstrueux" et provocateur, désinhibé, dépressif et (faussement?) alcoolisé. Sa vie privée est chambardée. Il quitte sa muse Jane Birkin, fréquente un temps Catherine Deneuve, avant de rencontrer sa dernière compagne, Bambou : Ecce homo, comme le dit la chanson phare de son album suivant Mauvaises Nouvelles des Étoiles (1981).
Mais l’ultime pied de nez de ce scandale, sur fond de patriotisme antisémite, viendra le 13 décembre 1981. Ce jour-là, contre vents et marées, Serge Gainsbourg achète pour 135 000 francs un manuscrit autographe de La Marseillaise rédigée en 1833 par Rouget de Lisle. Il racontera ainsi son retour de la salle des ventes, avec cette pièce historique : "Le retour de Versailles fut grandiose. J’étais accompagné par Phify, garde du corps, videur au Palace, d’origine polonaise. Il y avait Bambou, ma petite amie, une Niak. Moi, je suis russe, juif et la voiture c’était une Chevrolet, une américaine ! Et sur la banquette arrière, y’avait le manuscrit original de La Marseillaise ! Étonnant !"
Laurent Balandras, La Marseillaise de Serge Gainsbourg, Anatomie d’un Scandale, éd. Textuel, 159 p.
Une réflexion m'agace lorsqu'il est question de Serge Gainsbourg : s'attarder sur les quinze premières années de sa carrière et oublier volontairement ses dernières œuvres, sur l'air du "Je préfère le Gainsbourg de La Javanaise que le Gainsbarre de Love on the Beat".
Ce rejet reflète sans doute une forme de pudibonderie pour ce qui est certainement un des albums les plus originaux et les plus mieux écrits de l'Homme à la Tête de Chou. Sorti en 1984, Love on the Beat peut même être qualifié d'un des meilleurs disques français de la décennie 80 (comme l'indique le classement des 1001 Albums qu'il faut avoir écouté dans sa Vie).
Ce qui a fait la (mauvaise) réputation de l'avant dernier album de Gainsbourg sont ces chansons sulfureuses qui ont heurté le public de l'époque : "Love on the Beat", "No comment" et surtout "Lemon Incest".
Arrêtons-nous sur la spécificité de cet album provocateur.
C'est avec audace que l'auteur de "L'Eau à la Bouche" a pris le parti d'écrire et composer un disque homogène, dont chaque titre est décliné sur les thèmes du sexe, de la grivoiserie et de la pornographie. "Love on the Beat", la chanson qui introduit l'album (sic), est un long et rugueux chant d'amour érotique, aux paroles exceptionnellement travaillées, et traversé durant les huit minutes par des gémissements féminins et des cris d'orgasme que d'aucuns trouveront à la longue insoutenables.
Les auditeurs des ondes FM de l'époque ont été certainement tout autant choquées par "Lemon Incest", une balade composée sur l'Etude n°3 "Tristesse" de Frédéric Chopin, et interprétée par Serge Gainsbourg et Charlotte Gainsbourg, sa fille âgée de treize ans à l'époque. Il a été reproché à son auteur d'écrire une chanson glorifiant l'amour incestueux, et surtout d'avoir entraîné sa propre fille dans cette aventure scabreuse. Une critique pleine de mauvaise foi comme l'affirmera toujours Charlotte Gainsbourg. La jeune interprète considère qu'elle participait de plein gréé à un projet artistique qu'elle soutenait. L'admiration du père et de la fille était réciproque.
Deux autres titres ont émergé auprès du grand public : "Sorry Angel" et "No Comment", un succès qui peut se lire comme un tube drôle et osé. Moins connus, signalons : "HMM HMM HMM", "Kiss Me Hardy", "I'm The Boy" et "Harley David (Son of a Bitch)". "Harley David (Son of a bitch)", à ne pas confondre avec le "Harley Davidson" que Gainsbourg avait écrit pour sa muse de l'époque, Brigitte Bardot, passerait presque pour une parenthèse amusante : "Hé, dis donc David fils de pute, qu'est-ce que tu fais sur ma Harley ?... Ses vibrations te font de l'effet...".
Gageons au passage qu'aucun de ces titres ne passerait de nos jours le filtre de la censure et de l'autocensure. Mais ceci est une autre histoire.