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Étrange et magnétique projet musical que ce Guéthary, album en forme de mélange thématique, autour de la ville basque d’où vient le pianiste Aurèle Marthan. Le musicien y a même créé un festival.
À la première écoute, il est impossible de voir le point commun qui relie des artistes aussi différents que Camille Saint-Saëns ("Le Carnaval des Animaux"), Philip Glass, François Couperin (la pièce pour clavecin "La Basque"), les Eagles ("Hotel California") ou le groupe pop français La Femme ("Sur la planche"). Voilà un choix éclectique pour ce répertoire qui a tout pour décontenancer l’auditeur. Le résultat est pourtant un opus cohérent et envoûtant.
Guéthary est un voyage géographique et musical dans cette petite ville de la côte basque située non loin de Biarritz. Le pianiste en fait un album fait de sensations et d’impressions aux mille teintes. Aurèle Marthan impose lui-même la signature et la marque de cet opus avec une de ses compositions. Le bien nommé morceau "Guéthary" se veut une déambulation magique dans son pays, non sans des teintes raveliennes. Ravel, justement, a une place de choix. Le natif de Ciboure, à quelques encablures de la modeste cité balnéaire, est présent grâce à son "Concerto en sol M.83". Aurèle Marthan exprime dans son interprétation la puissance maritime et les contrastes envoûtants.
Les familiers de cette région de la côte basque ont une place de choix dans l’album
Les familiers de cette région de la côte basque ont une place de choix dans l’album, à l’image de l’Espagnol Esteban Sánchez Herrero ("Recuerdos de viaje"). Citons aussi Alberto Iglesias et son "O Night Divine", d’après la bande originale du film de Luca Guadagnino (O Night Divine) mais aussi l’hispanique "Piano Bar y coro infantil" tiré d’une autre BO, celle de Dolor y Gloria de Pedro Almodóvar. Pablo de Sarasate, originaire de Pamplune a tout autant sa place, lui qui a posé ses bagages dans le Pays Basque français. Aurèle Marthan propose une délicate version de sa "Prière et berceuse, Op. 17".
Igor Stravinsky s’est exilé à Biarritz entre 1921 et 1924, d’où sa présence avec la "Danse russe" tirée de Petrushka, qu’il écrivit en partie là-bas. Rameau connaissait bien lui aussi cette région et sans doute a-t-il déambulé dans Guéthary. Le jeune pianiste ne l’oublie pas et propose le formidable extrait de la suite n° 14 "Les Sauvages".
Un vent océanique et atlantique souffle sur ce très bel album qui emballera autant les amateurs de classique que les autres, à l’image des inratables versions d’"Hotel California" des Eagles et leurs plages océaniques? Parlons enfin du tube pop "Sur la planche" de La Femme. Un groupe dont les deux membres fondateurs sont originaire de Biarritz – bien entendu.
La pianiste Klaudia Kudelko sort cet été son premier album, Time, autour de deux compositeurs – Franz Schubert et Frédéric Chopin – et une compositrice, la Polonaise Grażyna Bacewicz que la pianiste entend faire découvrir ou redécouvrir.
L’album commence avec les six Moments musicaux, D. 780, op. 94 de Franz Schubert, des œuvres pour clavier écrites entre 1823 et 1824 dans lesquelles la rêverie le dispute à la fantaisie et au lyrisme.
Le Moment musical n°1, singulièrement léger, est servi avec retenue par une pianiste aux doigts de fée. Comme souvent chez le compositeur romantique, derrière l’apparente légèreté se cachent des douleurs indicibles. Le clavier élégant de Klaudia Kudelko vient entrouvrir la porte de ces tourments que le temps jamais ne vient effacer, à l’image du deuxième, mouvement musical, plaintif et consolateur tout à la fois.
L’auditeur sourira au 3e Moment musical, véritable tube de Schubert en forme de danse, sur un rythme de barcarolle. La pianiste polonaise s’en empare avec un plaisir certain et communicatif, assurément, mais sans surjouer de la virtuosité. Il est encore question de vivacité dans le moins connu 4e Moment musical aux couleurs chaudes, se déployant dans des nappes romantiques et non sans mélancolie amoureuse. La dernière partie du moment musical, allegro, revient vers l’allégresse des premières mesures. Le Moment Musical n°5, plus court (2 minutes 30) se fait plus expressionniste, pour ne pas dire tempétueux.
On retrouve avec le sixième et dernier Moment Musical ce qui fait l’ADN du compositeur Schubert : du romantisme assumé servi par la pianiste polonaise, délicate et toute en retenue. Ce dernier Moment Musical sonne comme un au revoir ou plutôt un adieu bouleversant. Le musicien allemand se laisse aller dans cette "Plainte d’un troubadour", jouant sur la longueur et la lenteur, comme s’il ne souhaitait plus retenir ses larmes.
Nul doute que le choix de cette Étude peut être interprété comme un engagement, en pleine guerre russe contre l'Ukraine
Pianiste classique d’origine polonaise, Klaudia Kudelko ne pouvait pas ne pas faire un sort à son illustre compatriote, Frédéric Chopin. Elle consacre son album Time à trois monuments du répertoire romantique. Pour l’Étude op. 10 n°12 en ut mineur, dite "la révolutionnaire". Klaudia Kudelko démontre toute sa virtuosité dans cette œuvre demandant autant de technique que de qualités d’interprétation. Cette étude a été écrite par Chopin en 1831, soit quelques mois après l’insurrection de Varsovie contre la Russie tsariste puis le bombardement de l’armée russe. Nul doute que le choix de cette Étude peut être interprété comme un engagement de la part de l'instrumentiste, en pleine guerre russe contre l'Ukraine.
Toute différente, l’Étude opus 27 n°7 en do dièse mineur donne tout le loisir à la pianiste de déployer son jeu aérien, mélancolique et onirique, à l’image de la Polonaise-Fantaisie opus 61 de Chopin. Klaudia Kudelko s’y balade avec un plaisir évident.
L’auditeur français découvrira sans doute la compositrice polonaise Grażyna Bacewicz. Considérée par son illustre contemporain Witold Lutosławski comme "une éminente compositrice polonaise du vingtième siècle et l’une des plus grandes femmes compositeurs de tous les temps". Pour Time, Klaudia Kudelko joue sa deuxième sonate. La modernité de cette œuvre, écrite en 1953, se nourrit de toute la tradition classique et romantique. Grażyna Bacewicz a composé une sonate au fort tempérament, servi par une pianiste ne se démontant pas et imposant un jeu robuste ("Maestoso"). Le "Largo" se déploie, lent et sombre, telle une marche funèbre. "Abandonne tout espoir", semblent nous dire la compositrice et la pianiste, jusqu’aux dernières notes s’éteignant dans un dernier souffle. Le mouvement "Toccata" vient clôturer l’album. Le morceau s’égaye avec liberté et gourmandise, comme si l’improvisation était à l’œuvre dans cette composition de Grażyna Bacewicz.
On peut remercier Klaudia Kudelko d’avoir fait connaître cette compositrice polonaise, prouvant par là-même qu’elle est une pianiste à l’univers passionnant et au panel musical très large, bien au-delà de Chopin – qu’elle sert du reste avec justesse.
Avec l’album Metamorphosis, Célia Oneto Bensaid se surpasse au clavier grâce à ses touches délicates dans un premier mouvement aux leitmotiv mystérieux. C'est l'image d'un album introspectif, confirmant une figure montante du piano classique et contemporain.
Pour cet album, la musicienne a choisi un répertoire rare et passionnant, avec deux compositeurs et une compositrice des XIXe, XXe et XXIe siècle : Maurice Ravel, Philip Glass et Camille Pépin. Le titre Metamorphosis font référence au roman de Kafka, La Métamorphose. Philip Glass a composé une œuvre importante et est une figure majeure de la musique contemporaine, en particulier du courant répétitif américain.
Célia Oneto Bensaid a fait le choix d’agencer les pièces de Glass, Rabel et Pépin dans un ordre peu orthodoxe mais faisant sens. La pianiste fait alterner les cinq mouvements de "Metamorphosis" de Glass et les cinq mouvements de "Miroirs" de Maurice Ravel. Évidemment, mettre en correspondance le thème de la métamorphose monstrueuse et celui du reflet a tout son sens. Le morceau "Number 1" de Camille Pépin vient compléter le programme de la pianiste.
La pianiste explique ainsi son choix : "En cherchant à provoquer une sensation de lâcher-prise chez l’auditeur, j’ai fait le choix de rompre les cycles et d’alterner les pièces, afin de mener à une écoute différente de ces répertoires : un fondu enchaîné au disque en somme !"
Il y a une évidence dans les proximités musicales, les sensibilités et les correspondances de ces trois compositeurs dont les carrières se sont étalées sur trois siècles – entre le XIXe et le XXIe siècle –, trois styles – le classicisme, le courant répétitif et le contemporain – et deux pays – la France et les États-Unis.
Évidemment, mettre en correspondance le thème de la métamorphose monstrueuse et celui du reflet a tout son sens
Le programme hétéroclite de Célia Oneto Bensaid fait de cet opus un "album-univers" à la fois cohérent et se jouant des époques et des styles. Le classicisme de l'auteur du Boléro se marie à merveille avec les œuvres oniriques et éthérée de Glass, comme à la modernité de Camille Pépin.
Même le très Méditerranéen "Miroirs – IV. Alborade del gracioso" de Ravel ne dénote pas avec l’œuvre de Glass. De même, les morceaux "Miroirs – V. La vallée des cloches" et "Miroirs - III. Une barque sur l’océan" ont le même parfum de mystère que le "Metamorphosis One".
L’auditeur sera électrisé par les tensions, les circonvolutions et l’architecture musicale audacieuse de "Metamorphosis IV". "Metamorphosis V" reprend de son côté le leitmotiv du premier mouvement, auquel vient répondre le mélancolique "Metamorphosis III".
Maurice Ravel a toute sa place dans le programme de Célia Oneto Bensaid. Sa musique délicate, onirique et teintée d’impressionnisme répond à ces métamorphoses, comme un miroir tendu, ce que l’interprète commente ainsi, grâce à une citation du compositeur : "La vue ne se connaît pas elle-même avant d'avoir voyagé et rencontré un miroir où elle peut se reconnaître".
La présence de Camille Pépin n’est pas une surprise si l’on pense à la participation de Célia Oneto Bensaid à l’album Chamber Musicqui avait été chroniqué sur Bla Bla Blog. Dans "Number 1 l'œuvre la plus récente de l’album, le néoclassicisme se réconcilie avec le contemporain dans un morceau alliant vagues sombres, éclats de lumière et moments introspectif. Un mot pourrait qualifier ce morceau : "souffle". Un souffle qu’accompagne une cavalcade joyeuse. Célia Oneto Bensaid réussit à abattre beaucoup de frontières dans cet opus d’une rare intelligence.
Fortement influencé par la nature dans la vie comme dans l’art, Jordane Tumarinson est également le porteur de l’ambitieux projet d’Uto’pians, une compilation où sont invités chaque année des compositeurs du monde entier et dont une partie des bénéfices est reversé à une association de protection de la nature.
Odyssée se revendique comme un opus humaniste, celui d’un artiste tentant de décrire l’homme au cœur de l’univers. Le sens de la mélodie est intact chez le musicien, comme le prouve "Hominidée", un titre à la facture romantique.
Il est encorequestion de légèreté avec "Corps céleste", un très court morceau – moins d’une minute – où Jordan Tumarinson choisit l’envol, avant de se faire debussyen dans "De l’intérieur". Parlons aussi d'"Éléphant blanc", un titre aussi mystérieux qu’attendrissant, tant la grâce est évidente dans sa manière d’exprimer la démarche lente et majestueuse du pachyderme.
Debussyen
Expressif, Jordane Tumarinson l’est sans aucun doute, que ce soit avec "Désolation", un morceau court et lancinant aux accents tragiquement actuels, "Le chant des sirènes", mystérieux et gracieux avec cette suite d’ondulations musicales ou encore la délicate variation "Dieux et démons".
L’auditeur s’arrêtera sans doute avec intérêt sur "Métal rouge", un titre étonnant, sans doute le meilleur de l’album. Dans cet hommage au milieu ouvrier et sidérurgique, la mélancolie domine grâce à un clavier d’airain.
Nous parlions de Debussy. Il y a aussi du Satie dans le convaincant "Momentum", auquel vient répondre le bien nommé "Force et douceur", aux mille nuances. "Se retrouver" est lui aussi un très joli titre à la construction intelligente et encore une fois marquée par le sceau de la sensibilité, tout comme "Quintessence", plus minimaliste encore.
"Les montagnes se soulèvent" un dernier morceau en forme d’élévation pour terminer un album en hommage à l’humanité. Nul doute que Jordane Tumarinson signe avec Odyssée un album qui fera date. On en fait le pari.
Pour son septième album Melancholy Island, Maxence Cyrin navigue entre classicisme, électro-pop et contemporain – version école répétitive américaine.
Composé au fil d’une période de près de deux ans, les titres de l’album peuvent s’entendre comme un journal intime, ou une série de nouvelles, qui documentent les états et les sentiments, ainsi que les lieux, les villes et les paysages que l’artiste a pu traverser, de la Bourgogne à Montmartre (où il vit), en passant par la région de l’Algarve, ses côtes et ses îles.
Contemplatif, le pianiste français l’est assurément, comme le prouve le premier titre "Faro Bay", passionnant et proposant une authentique invitation au voyage – au Portugal plus précisément.
La délicatesse du toucher frappe l’auditeur (les mélancoliques "Soft Skin" et "Antica"), tout comme son art de nous emporter dans ses créations mélodiques qui deviennent cinématographiques, à l’instar de "Seasons" ou "Dust", deux titres sur la fuite du temps que l’on dirait influencés par Yann Tiersen.
Si l’on parle références musicales, il faut aussi citer Debussy
Si l’on parle références musicales, il faut aussi citer Debussy ("Rivages") ou encore la grâce mystérieuse de Gabriel Yared dans cet autre morceau, "Salon de musique", qui n’est pas sans faire penser à la bande originale que le compositeur oscarisé a signé pour L’Amant de Jean-Jacques Annaud. Il y plus encore du Satie dans le titre onirique "Der Raüber und der Prinz", une reprise du titre eighties de DAF.
Tout le talent de Maxence Cyrin est d’offrir dans son album abouti jusqu’à l’apport de sons électroniques, toujours à bon escient ("Voyage").
Gris clairs et gris foncés : telles seraient les couleurs de ce très bel album avec ces sombres accents ("As The Darkness Falls"). Véritable hymne aux voyages ("Faro Bay", "Voyage"), Melancholy Island est aussi une formidable expérience sonore où le mystère affleure à chaque instant, comme le montre la revisite de DAF, "Der Raüber und der Prinz" ou de cette autre reprise, "The Carnival Is Over".
Duo Jatekok sort en ce moment un étonnant album de reprises pour deux pianos du groupe de metal Rammstein. Duo Jatekok plays Rammstein c’est un mariage inattendu entre le classique et le rock. Sur ce projet musical, nous avons interrogé Nairi Badal et Adélaïde Panaget, les deux membres de Duo Jatekok.
Bla Bla Blog – Bonjour Naïri et Adélaïde. Vous formez le Duo Jatekok. D’abord, comment est née votre collaboration et pourquoi ce nom « Duo Jatekok » ?
Duo Jatekok – Bonjour ! Nous avons commencé à jouer ensemble dès l'âge de 11 ans. Nous étions dans la même classe de piano et le piano à quatre mains et le deux pianos était une source de joie et de complicité musicale très ludique. Plus tard, lors de nos études supérieures, nous avons décidé de nous perfectionner dans cette discipline exigeante et originale et de préparer des concours internationaux. Le piano étant un instrument assez solitaire, nous avons d'emblée adhéré à cette carrière à deux. Le répertoire étant très différent du répertoire de piano solo, cela nous a ouvert de nouveaux horizons musicaux et nous a offert la possibilité de collaborations variées. Les Jatekok sont un recueil de pièces du compositeur hongrois Kurtág. Ce sont des miniatures inspirées de la manière dont les enfants approchent un clavier de piano. On y joue avec les coudes, la paume des mains, on glisse d'un bout à l'autre, on explore des registres. C'est un répertoire magnifique et le mot hongrois "Jatekok" signifie "les jeux". Nous avons aimé cette sonorité étrange et rythmique et la musique qu'elle représentait.
Bla Bla Blog – Vos deux premiers enregistrements laissaient déjà apercevoir votre appétence pour le répertoire contemporain et la musique du XXe siècle (Barber, Ravel, Trotignon), non sans passer par le jazz (Dave Brubeck). Maintenant c’est le groupe de métal Rammstein qui est au cœur de votre dernier album. N’avez-vous pas peur de déstabiliser le public avec ce mélange des genres – classique et rock métal ?
Duo Jatekok – Nous sommes nous-mêmes déstabilisées ! Mais la vie nous a offert des possibilités d'élargissement de répertoire et ça aurait été dommage de ne pas s'y engouffrer sous prétexte de rester dans des cases stylistiques. Au contraire, nous avons l'impression d'un enrichissement qui nous permet de construire des passerelles entre les genres. Nous avons beaucoup travaillé le répertoire du XXe siècle et le décloisonnement des genres nous a permis de rencontrer des musiciens fantastiques qui nous donnent des impulsions nouvelles dans notre art. Nous aimons sortir de notre zone de confort !
Bla Bla Blog – Comment s’est faite la rencontre avec Rammstein ? Est-ce que ce sont eux qui sont venus vers vous ou bien l’inverse ? Avant votre collaboration, connaissiez-vous le groupe ?
Duo Jatekok – C'est leur producteur français Olivier Darbois qui a eu l'idée de mettre une femme au piano en première partie pour créer un contraste. De plus, Rammstein a édité une partition piano-chant de certaines de leurs chansons. Il trouvait ce concept original et intéressant. C'était en 2017 pour leurs trois dates aux arènes de Nîmes. Lorsqu'il nous a proposé de le faire, nous avons trouvé l'idée intéressante et avons voulu relever ce challenge ! Nous ne connaissions pas du tout Rammstein et ça a été une sacrée aventure de s'imbiber de leur musique et de la retranscrire au mieux pour notre formation instrumentale.
Bla Bla Blog – Depuis 2017, vous faites les premières parties de Rammstein. Racontez-nous le souvenir de votre tout premier concert au milieu d’un public de fans, et dans une ambiance que j’imagine bien différente d’une salle de concert classique.
Duo Jatekok – C'était assez fou pour nous. Nous ne savions pas du tout comment le public allait réagir face à deux femmes sur un piano à queue. Une anecdote rigolote : on nous avait conseillé de faire le signe du diable en arrivant sur scène pour stimuler le public. C'était un code que nous ne connaissions pas du tout. On s'était dit qu'on garderait ça pour la fin de notre prestation. Or, en arrivant sur scène, le public nous a accueilli avec des cris et ce signe. Nous avons donc timidement répondu par le même signe et là, magie, les gens ont encore plus hurlé ! C'était incroyable. Je crois que nous avons par la suite utilisé un peu trop ce signe du diable tellement c'était une sensation incroyable ! Autre chose qui nous a surpris, c'est que les fans chantaient par-dessus nous pendant le set et c'était super de se connecter de cette manière.
Bla Bla Blog – Quel est le rapport de Rammstein avec le classique et le contemporain ? Si je les imagine mélomanes en dépit de leur style musical très rock de leurs légendaires guitares lance-flamme, suis-je dans le vrai ?
Duo Jatekok – Nous n'avons pas vraiment pu échanger avec eux à ce sujet malheureusement. Nous leur avons offert nos CD. On espère que cela leur a plu. Nous avons pu échanger avec Till [Till Lindemann, le chanteur de Rammstein] à propos de sa formation de chanteur. Il nous a donc confié que la professeure de chant qui l'avait formé était de formation classique. Cela lui a permis d'avoir une technique vocale plus large et une puissance qui est sa marque de fabrique.
"On nous avait conseillé de faire le signe du diable en arrivant sur scène pour stimuler le public"
Bla Bla Blog – Pour votre album Duo Jatekok plays Rammstein, qui sort en ce moment chez Vertigo, vous avez choisi de balayer toute la carrière de Rammstein, depuis ses débuts jusqu’à leur album éponyme sorti en 2019. Comment s’est fait le choix des titres ?
Duo Jatekok – Nous avons choisi avant tout des morceaux mélodiques qui nous plaisaient ! Les ballades comme Diamant, Fruhling in Paris ou encore Ohne Dich se prêtent particulièrement bien à la transcription. C'est moins le cas de morceaux plus rythmiques comme Du Hast ou Ich Will qui ne rendent pas très bien sur des pianos acoustiques. On a donc préféré les écarter.
Bla Bla Blog – L’auditeur de Rammstein pourra être frappé par l’écriture musicale des morceaux, une écriture très fine, parfois cachée par des interprétations rugueuses et des sons de guitare saturés. J’imagine que les adaptations au piano n’ont pas été simples.
Duo Jatekok – C'est vrai. Nous avons essayé d'être créatives et de retranscrire au mieux ces effets métal-rock. Pour cela, nous avons exploré les différentes manières de produire des sons sur nos pianos et avons utilisé la technique du piano "préparé". Cela consiste à rajouter des éléments dans les cordes du piano pour les faire sonner autrement : pâte à fixe, scotch, doigts, clusters…
Bla Bla Blog – En tant que musiciennes plus habituées au répertoire classique et contemporain, comment avez-vous procéder pour adapter aux pianos ces morceaux sans les dénaturer ?
Duo Jatekok – Nous avons gardé la spécificité de chaque morceau et avons apporté à partir de cette base notre touche classique. Par exemple, pour Seeman, nous sommes parties de l'accompagnement de Rammstein qui imite la mer et on s'est permises de s'inspirer de Debussy, maître de l'impressionnisme musical sur le plan aquatique ! De même pour Puppe, nous voulions retranscrire l'idée de la folie. Nous avons donc utilisé des clusters, de la pâte à fixe pour créer une ambiance malaisante. Et nous nous sommes inspirées de Prokoviev avec des célèbres toccatas : rythme rapide et répétitif en crescendo qui permet de créer un sentiment d'angoisse et de folie.
Bla Bla Blog – Une nouvelle tournée est-elle prévue avec les Rammstein ?
Duo Jatekok – Nous savons qu'une nouvelle tournée de prépare pour l'année prochaine mais pour le moment, nous nous préparons à la tournée 2022 qui a été reportée deux fois déjà : Europe et Amérique du Nord ! Un bel été à l'horizon.
Bla Bla Blog – J’ai envie de vous poser cette autre question : pouvons-nous rêver d’une première partie des Rammstein lors de vos prochains concerts ?
Duo Jatekok – On peut toujours se permettre de rêver ! Cependant, la technique nécessaire à Rammstein paraît compromettre cette idée !
Bla Bla Blog – Dernière question : d’autres enregistrements ou d’autres projets musicaux sont-ils prévus ?
Duo Jatekok – Nous avons un projet d'enregistrement à deux pianos autour du répertoire évoquant le diable, les sorcières. C'est un thème qui a inspiré un grand nombre de compositeurs. Nous avons également la volonté de passer des commandes auprès de compositeurs classiques et jazz.
Adapter en version acoustique et classique Rammstein, le groupe de rock metal allemand le plus emblématique de la scène mondiale : voilà un projet qui ne pouvait qu’interloquer Bla Bla Blog. C’est le Duo Jatekok, formé par les pianistes Nairi Badal et Adélaïde Panaget, qui s’est attelé à la tâche.
À bien y réfléchir, le projet a du sens si l’on pense à l’intrusion de sons symphoniques chez Rammstein ("Mein Herz Brennt" ou "Ohne Dich"). De plus, les fans du groupe allemand savent que les deux pianistes assurent depuis 2017 leur première partie. Ce pont entre deux courants musicaux, a priori aussi antinomiques que le metal et le classique, est à saluer. Le résultat est ce Duo Jatekok plays Rammstein, un passionnant album de reprises qui sort cette semaine. Un opus qui ravira autant les fans du groupe de rock que les familiers du classique – deux mondes qui peuvent d’ailleurs parfois se confondre.
Précisons aussi que le Duo Jatekok est l’auteur de trois enregistrements classiques et contemporains. Le premier, Danses, rassemble des œuvres de Grieg, Barber, Ravel et Borodine et le deuxième, Boys, propose des créations de trois hommes – comme son nom l’indique : Poulenc et sa sonate pour deux pianos, Points on Jazz de Dave Brubeck et trois pièces de Baptiste Trotignon.
Impertinentes, précises et virtuoses, Nairi Badal et Adélaïde Panaget adaptent donc cette fois Rammstein pour leur nouvel enregistrement, à travers des revisites balayant toute la carrière du groupe, depuis leur premier album Herzeleid ("Seemann") jusqu’au Rammstein 2019 ("Puppe", "Diamant"), en passant par le fameux Sehnsucht de 1997 ("Klavier", "Engel") ou Mutter ("Mutter", "Mein Herz Brennt") en 2001.
Les musiciennes du Duo Jatekok étincellent dans ce projet instrumental (il manque évidemment, dans ces reprises, le texte des morceaux, que l'auditeur pourra retrouver dans les albums originaux ou live), projet qui séduira autant les fans de du groupe aux guitares lance-flammes qu’il interpellera les habitués du classique – qui pourront y trouver une porte d’entrée vers un des groupes les plus célèbres de la scène metal internationale.
Ce projet séduira autant les fans de du groupe aux guitares lance-flammes qu’il interpellera les habitués du classique
La sonorité brute de Rammstein laisse place dans cet opus à une facture classique ou néoclassique, à l’image du fameux "Engel". Le duo met en valeur l’écriture harmonique et mélodique que l’interprétation originale très rock de Rammstein efface pour le moins.
Nairi Badal et Adélaïde Panaget entendent pour autant respecter l’esprit de Rammstein, que ce soit l’insouciance inquiétante de "Puppe" avec ces explosions de sons pianistiques, la puissance sombre de "Mein Herz Brennt" ou la ballade "Ohne Dich", une des chansons phares du répertoire de Rammstein sur le deuil, la mort et la solitude.
L’inquiétant "Klavier" est, quant à lui, peuplé de fantômes, de portes ouvertes sur le mystère et d’une étrange pianiste. Les musiciennes de Duo Jatekok en font une lecture très contemporaine, onirique, mais non sans ce rythme dingue, servi par leur virtuosité remarquable.
"Frühling in Paris" est à saluer comme une superbe composition sur le souvenir d’une histoire d’amour ("Oh non je ne regrette rien / Wenn ich ihre Haut verließ / Der Frühling blutet in Paris"), l’un des plus beaux morceaux de album, lumineux et au souffle romanesque incroyable. Le titre est habité d’éclairs mélancoliques, à la tristesse insondable. L’influence d’Edith Piaf est évidente dans ce qui sonne comme un hymne à la France.
"Mutter", lui, démarre doucement avant de trouver une puissance assez fidèle à Rammstein. Nairi Badal et Adélaïde Panaget font de ce morceau en hommage aux mères un bouleversant chant mêlant les regrets et la rancœur. Parlons aussi de "Diamant", sorti en 2019, qui a droit aussi à une revisite. Cette histoire d’amour toxique devient une ballade romantique très fidèle au titre original tout en retenue, mais son sans trouvailles sonores ni ce romantisme noir singulièrement plus présent dans cette version que dans l’original.
Le morceau "Ausländer", inspiré par Prokofiev, parle de la découverte de l’étranger et de l’étrangère ("Ich bin Ausländer / Mi amore, mon chéri"). Le Duo Jatekok en fait une fantaisie plus romantique, mais tout aussi légère. Romantisme aussi, mais cette fois sombre, avec l’étonnante et bouleversante adaptation de "Seemann", un chant funèbre que les fans de Rammstein connaissent bien.
L’album se termine avec "Sonne", tout aussi classique, adapté comme une marche lente et douloureuse, à l’image de l’œuvre originale, avec ces éclairs jazz qui en font un étourdissant voyage musical.
Revoilà le jazzman belge David Linx, dans une série de performances vocales, mais cette fois pour un album de duos et de featurings, Be My Guest. C’est peu dire que, véritable athlète de la voix, David Linx, le plus parisien des jazzmen bruxellois, nous avait tapé dans l’œil avec son précédent album, Skin in The Game, sorti en 2020. Le musicien invite cette fois du beau monde dans un opus produit avec soin et se jouant des frontières musicales. Pensez un peu : le pianiste argentin Gustavo Beytelmann, le guitariste Nguyên Lê, le pianiste israélien Or Solomon ou le percussionniste belge Bart Quartier. Grâce à de pareilles pointures, le jazzman ne pouvait que proposer des créations ou des reprises d’une incroyable diversité et originalité.
“Ce projet est venu à moi très naturellement tel un inventaire qui se réclame, un peu comme si je retournais à l’école. Il est un hommage à la transmission, à l’esprit de curiosité indissociable et indispensable à cet apprentissage par soi-même" a expliqué David Linx pour présenter son nouvel album.
Au minimalisme contemporain et étrange de "Close To You" avec Magic Malik à la flûte répond la mélancolie de "Making Do, Making News" avec Eric-Maria Couturier au violoncelle. La voix de Linx s’empare des lignes mélodiques d’Elgar avec délectation. "My Bee", avec le guitariste Nguyên Lê est un jazz apaisé puisant des inspirations dans un ailleurs que sert admirablement le guitariste français, avec la voix autant en nuances qu’en puissance du chanteur belge.
Avec "By The Seine, nous voilà maintenant à Paris dans une création mélancolique du percussionniste Bart Quartier ("By the Seine I walk, I deam / Sitting down, letting off steam…". David Linx retrouve aussi Diederik Wissels pour le titre "The Bystander effect". La complicité des deux artistes est évidente dans cette manière de mixer jazz, électro et musique urbaine, dans une fusion incroyable de jazz et d’électro à la Kraftwerk.
Écoutons maintenant "Vanguard » avec Ran Blake : là, les qualités de crooner de David Linx font sens, non sans une facture très contemporaine et des expressions sombres et tourmentées, tels des fantômes rôdant autour des artistes : "Soon the night is here / They all reappear / The shadows of thought are real".
David Linx a pour instrument une voix aux possibilités presque infinies
David Linx a pour instrument une voix aux possibilités presque infinies, promettant d’emmener l’auditeur vers des territoires musicaux dépaysants. On pense bien évidemment à "Waves" que le musicien interprète avec Theo Bleckmann.
Après "Letter to Trevor", un premier titre slam interprété avec Trevor Baldwin, c’est une reprise de Björk, "Hunter", que le Belge met à la sauce jazz avec le piano d’Or Solomon, tout en nappes irréelles.
Le jazz de David Linx se pare en vérité de mille couleurs, à l’instar de "Pagina de Dor", en featuring avec Hamilton de Holanda au cavaquinho. Il s’agit là d’une autre reprise, cette fois d’un titre brésilien traditionnel de Cãndido Das Neves et Pixinguinha.
L’amateur de jazz retrouvera d’autres visites, dont une pas si étonnante que cela : "Round Midnight". Pour cette reprise de ce standard incontournable, le chanteur belge s’est entouré du pianiste arménien multi récompensé Tigran Hamasyan. La voix posée de David Linx choisit la sobriété, la concentration et la précision au cordeau pour servir ce classique du jazz.
Revisite encore, avec "Tonight You Belong To Me". Rani Weatherby accompagne au ukulélé le jazzman donnant tout sa fraîcheur et son exotisme à ce classique de la musique populaire américaine des années 1920.
Avec "I Think It’s Going To Rain Today", avec le guitariste belge Peter Hertmans en featuring, c’est un autre standard, cette fois de Randy Newman, qui est remis au goût du jour, dans une ballade toute en nonchalance : "Lonely, Lonely, / Tin can at my feet. / Think I`ll kick it down the street, / That`s the way to treat a friend."
"Emportez-moi" avec Marc Ducret est la seule chanson française de l’album de duos. Elle a été écrite par le guitariste français sur des paroles d’Henri Michaux, sur des notes volontairement discordantes, bienvenues pour mettre en musique le poème surréaliste de l’écrivain belge : "Emportez-moi sans me briser, dans les baisers, / Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent, / Sur les tapis des paumes et leur sourire,/ Dans les corridors des os longs et des articulations."
La chanson argentine emblématique "Como La Cigarra", de María Elena Walsh est reprise avec Gustavo Beytelmann, dans un tango lent et mélancolique terminant magnifiquement cet album d’amitié et de passions : "Tantas veces me mataron / Tantas veces me morí / Sin embargo estoy aquí / Resucitando".