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poésie - Page 2

  • Un ange passe

    Les deux personnages de ce conte moderne sont ceux du titre : Ève et l’Ange. Le court récit de Thomas Pourchayre publié aux éditions Abstractions met en scène les deux êtres les plus improbables qui soient, embarqués dans une histoire d’amour qui les surprend eux-même.

    Ève et l’Ange commence par l’évocation de la chute du paradis terrestre – en l’occurrence un foyer familial – ou plutôt patriarcat :  un père "attend sa fille son joyau majeure", telle une princesse de conte de fée. Mais elle tarde et ne reviendra pas : le père "attend longtemps… sa fille première fois ce soir-là s’est envolée".

    À partir de là commence l’histoire : celle d’une rencontre surréaliste entre cette Eve, irrésistible et assoiffée de vie ("La poitrine aboie / soudaine et gonflée") et un ange, "un ange... mais pas selon l’idée que les gens s’en font", précise l’auteur plus loin dans son livre. Cet être, comme sorti de l’enfance, découvre sa sexualité, qui est aussi la fin d’une forme d’innocence : "Mais où est passé la vierge à l’enfant / de mon enfance !" L’auteur avance aussi cet argument : cet ange est "descendu sur Terre pour éprouver [son] caractère et fortifier [ses] ailes." Mais aussi autre chose, serions-nous tentés de préciser.

    Il sera, par la suite, question  d’un jardin, de pomme aussi - mais pas de serpent, son rôle de tentateur étant endossé par l’ange, "le chaînon manquant", aussi crédule que fasciné par cette rencontre improbable mais qui promet de faire des étincelles : "Que viennent faire des anges qui passent / dans les moments d’intimité, hein ? / à qui s’en plaindre de toute façon ?" Une autre question se montre beaucoup plus directe : "Quelle femme voudrait d’ailes dans un lit ? / De clochettes contre ses cuisses ?"

    Thomas Pourchayre pratique l’art du télescopage dans ce conte surréaliste

    Thomas Pourchayre pratique l’art du télescopage dans ce conte surréaliste mêlant textes sacrés, souvenirs d’enfance, humour et saynètes prosaïques, telle la séquence de la terrasse de café, la découverte comique de l’appartement d’Ève ou des scènes d’intérieur que l’on croirait sorti de n’importe quelle émission de télé-réalité : Ève "s’installe dans le fauteuil velours velours / tambour d’attente / et feuillette un magazine féminin."

    Thomas Pourchayre se fait poète tout autant que disciple de Boris Vian dans sa manière de convoquer dans son récit des personnages singuliers, telle celle-ci : "Une femme pleure au clair de lune / car son lanceur de couteaux de mari, raconte-t-elle / trouve qu’elle n’a plus un physique aussi affûté qu’avant…"

    L’auteur a fait le choix de vers pour son récit mêlant poésie, religieux et érotisme, non sans de brillants aphorismes : "Les angélismes peuplent le monde / de diables forcenés, / de diables consternés tous moralistes". 

    Thomas Pourchayre, Ève et l’Ange ou la gravité négociable , éd. Abstractions, 2021, 63 p.
    www.editions-abstractions.com 

    Voir aussi : "Les loups sont entrés dans Paris"
    "Ça caille les belettes"

    Illustration :Jean-Christophe Stauder, La Beauté sort du chaos, créée pour Ève et l’Ange ou la gravité négociable,
    encre du Japon et lavis. 15 cm x 20 cm. 2021

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  • Les Fabuleuses

    roman,fables,fabuleuses,poésie,mes publications mes créationsLes Fabuleuses est toujours disponible.

    C’est une ferme. Une ferme comme il existe des milliers sur cette terre. Les Fabuleuses, qui se présente comme un recueil de fables, est moins sage qu’il n’y paraît. Ces 25 histoires montrent la cohabitation avec plus ou moins de bonheur d'animaux dans une ferme dirigée de main de maître par une dynastie de cochons "sacrés" présidents.

    À la faveur d’une peste, un cochon, élu roi, prend en main les destinées de ses congénères. Rude tâche pour cette nation en miniature qui devra affronter guerres, révolutions, épidémies, conflits religieux – autour de la relique de la Sainte-Rillette – et tous les désordres et tracas de la vie quotidienne qui sont capables de faire tourner en bourrique la plus paisible des vaches !

    Conçues comme des saynètes (parfois très courtes), Les Fabuleuses mettent en scène tout un peuple aux comportements très humains. Il y a le roi-président Cochon, autoritaire et imbu. Il est secondé par une belette, juriste machiavélique qui parvient toujours à se sortir des mauvais coups. On y trouve des ânes savants, des chevaux impétueux, un rat de bibliothèque, des vaches paisibles et des moutons dévots. Un coq s’est aussi érigé en artiste alors qu’un rat et une souris se chamaillent à propos d’une bibliothèque et qu’une maladie mystérieuse décime les paisibles vaches. Bref, ces animaux vivent ensemble ou du moins coexistent, cahin-caha. Regardez-les : c’est de nous qu’ils parlent… 

    George Orwell, Ésope et Jean de La Fontaine ne sont pas très loin dans ces poèmes mettant en  scène les travers de la race  humaine : l'orgueil, la cruauté, la lâcheté, la jalousie ou la vanité.

    Les Fabuleuses se distinguent surtout par un style volontairement archaïque qui prend à contre-pied la poésie contemporaine, l'auteur ayant choisi la versification classique pour donner à son premier livre un aspect suranné.

    Bruno Chiron, Les Fabuleuses, Le Manuscrit, 2002, 82 p.
    http://www.manuscrit.com

    Voir aussi : "« Rock'n'Love » d'Arsène K., toujours disponible »"
    "Les publications du blogger"

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  • Les Blefas de La Tainefon

    On aura reconnu derrière ce titre la traduction en verlan des Fables de La Fontaine. Il n’y avait que Fabrice Luchini capable de se prêter à une lecture publique de ce classique de la littérature, avec la verve qu’on lui connaît. Et, confinement oblige, c’est sur son compte Instagram qu’il s’est prêté à l’exercice, à raison d’un fable tous les deux ou trois jours. Cela a commencé par L’Ours et l’Amateur des Jardins, une poésie que – avouons-le – peu de personnes connaissent.

    Mais comme ce projet était trop simple et convenu, l’acteur s’est décidé à corser l’affaire en les récitant en verlan. Nous voilà plongé dans une autre dimension, avec ces fables que nous avons tous appris à l’école : "Tremaî Beaucor, sur un brear chéper, / Naitteu en son quebé un magefro" : évident, non ?

    Fabrice Luchini et les Fables de La Fontaine, sur Instagram
    https://www.instagram.com/fabrice_luchini_officiel/?hl=fr

    Voir aussi : "Renan Luce, Du bout des lèvres"

     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     

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  • Approcher Marie Noël

    "Qui peut prétendre connaître Marie Noël ?" Ainsi commence ces Portraits intimes de Marie Noël choisis et commentés par Chrystelle Claude de Boissieu, docteure en littérature comparée et chercheuse en lettres modernes.

    Marie Noël : la plus inclassable, la plus insaisissable, la plus discrète et la plus indépendante des poétesses du XXe siècle, fait l’objet ici d’un ouvrage constitué de 60 photos, comme autant de scènes fixant une auteure tour à tout raisonnable, déraisonnable, timide, intrépide, forte, faible, écrivaine, lectrice, indépendante ou dépendante. Ces qualificatifs forment autant de chapitres pour fixer une femme que l’on connaît si mal : "Les photographies choisies s’organisent en une galerie de portraits… des facettes antithétiques de son tempérament. De ce fait,elles regroupent autour d’un trait de caractère et de son contraire, tels qu’ils sont énoncés dans « Connais-moi »."

    Assez justement, Chrystelle Claude de Boissieu la compare avec une autre grande auteure incomprise à son époque, Emily Dickinson: "[Ces] sœurs jumelles n’ont guère apprécié le passage brutal de l’ombre à la lumière."

    Le lecteur trouvera dans ce livre proposée par les éditions Desclée de Brouwer une autre manière d’approcher la petite Marie Rouget, fille d’un professeur de philosophie rude. Contrairement à une biographie traditionnelle, Chrystelle Claude de Boissieu trace un portrait vivant et sensible de Marie Noël, à la manière d’une peintre impressionniste. L’auteure bourguignonne se dévoile par petites touches : interrompant une minute sa lecture ; déchiffrant une partition à son piano ; se promenant dans un jardin ; posant, petite fille, en robe de dentelles ; croisant à Auxerre le Général de Gaulle ; surprise au milieu d’un tournage ; ou bien au cœur d’une cour de récréation en compagnie d’enfants, de pied avec son chien.

    Inconsolable après le deuil d’un petit frère et une rupture amoureuse

    Femme de lettres effacée, Marie Noël se révèle surtout une femme autant qu'inconsolable après le deuil d’un petit frère et une rupture amoureuse : deux événements qui la laisseront blessée à jamais. Durant la période de Noël 1904, c’est d’abord un jeune homme, qu’elle aimait, qui choisit de s’éloigner d’elle. De cette "trahison", qui la marquera à jamais, Marie écrit : "Il a marché sur moi, suivant sa route" (Chanson). Quelques jours plus tard, elle découvre dans son lit le corps inerte de son petit frère Eugène ("Marie Noël paraît projetée dans un roman de Charles Dickens"). Le choc est immense pour cette jeune femme pieuse : "Ô Dieu ! La Mort ouvrant la porte / Me l’a volé ! / Mon agneau blanc, le loup l’emporte !" (Hurlement).

    Ce double événement privé va marquer profondément la carrière artistique de Marie Noël, dont on souligne souvent la nature pieuse ("Plus près de Marie Mère", "Pied à pied pour la chrétienté", "Pas à pas vers la sainteté"), mais sans doute moins le caractère hypersensible d’une femme de son époque (le chapitre de sa rencontre surprenante avec le Général de Gaulle peut être lu comme le récit d’une auteure déjà incomprise), indépendante, insatiable et sans doute aussi "rassurante" ("[P]ouvais-je refuser de partager avec ceux qui suivent l’expérience de ma misère ?").

    Au terme de la lecture de ces Portraits intimes de Marie Noël, Le lecteur sera sans doute décontenancée par les propos d’une auteure inclassable, à la fois passionnée, très croyante et d’une sensibilité rare : "J’ai été toute passion, tout élan, toute flamme, toute folie, pourtant je n’ai jamais commis d’action folle ou singulière… Ma seule action déréglée, je m’en suis rendue coupable quand j’aimais Jésus."

    Marie Noël paraît finalement plus appartenir au XIXe siècle qu’à ce XXe siècle brutal et, à bien des égards, nihiliste. Mieux, l’auteure des Chansons semble échapper à tous les qualificatifs : "Ces oscillations se succèdent aux caprices du temps et des humeurs." Chrystelle Claude de Boissieu choisit de conclure ainsi cet ouvrage : "Connaissons-nous Marie Noël ? Le pouvons-nous ? / Nous l’avons approchée. / Nous l’avons observée. / Nous l’avons imaginée. / Nous l’avons devinée./ Nous l’avons écoutée. / Nous l’avons vue, lue, entendue. / Au fur et à mesure. / Qu’avons-nous retenu ?"

    Chrystelle Claude de Boissieu, Portraits intimes de Marie Noël
    éd. Desclée de Brouwer, 2019, 321 p.

    https://www.editionsddb.fr/auteur/fiche/55284-chrystelle-claude-de-boissieu
    http://www.marienoelsiteofficiel.fr
    http://www.marie-noel.asso.fr
    https://fr.linkedin.com/in/chrystelle-claude-de-boissieu-389359126

    Voir aussi : "Marie Noël, jour après jour"

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  • Cuisine poétique

    paul pariente,rose poullot-robin,cuisine,poésie,poèmes,vigan,georges blancBla Bla Blog avait parlé il y a quelques semaines de l’étonnant livres de recettes de Paul Pariente. Pour ses plats du pays viganais, le chef avait imaginé un livre atypique mixant recettes, dessins humoristiques… et slam. Une manière de réconcilier plats traditionnels et culture urbaine.

    Pour ce nouvel ouvrage, Paul Pariente, qui ne dédaigne jamais le risque, choisit cette fois d’allier cuisine et poésie traditionnelle, grâce à la collaboration de Rose Poullot-Robin.

    Cuisine en Poésie, qui a été préfacé par Georges Blanc, propose douze recettes de Paul Pariente que Rose Poullot-Robin illustre en vers. Pourquoi poésie et cuisine font si bon ménage ? Les auteurs le précisent grâce à deux courtes présentations se faisant écho l’une et l’autre : une histoire synthétique de la cuisine et une autre sur la poésie : "Voici aujourd’hui la poésie associée à des recettes de cuisine. Chaque poème les mets en valeur, profitez de ce moment unique pour apprécier l’œuvre du cuisinier mais aussi l’œuvre du poète !"

    Voilà qui est "judicieux", pour reprendre un mot de Georges Blanc, le chef étoilé de Vonnas. Et il est vrai que l’alliance entre les recettes de Paul Pariente (la tarte aux quatre saveurs du pays viganais, la blanquette de veau à l’ancienne, le feuilleté cévenol, le petit sablé du Vigan, le gratin du docteur Brochet, la tarte à la brandade de morue et au foie gras, la truite en papillote "André Chamson", la pomme reinette en baluchon, les artichauts à la gantoise, l’escalope des camisards, la tourte de poulet de Bresse façon "Rose Poullot-Robin" et l’étonnant lapin rôti à la sauce à la réglisse) trouvent un écho à travers les textes d’une poétesse et femme de lettres qui a su mettre des mots sur les saveurs d’un chef, un chef qui a choisi de prendre des chemins de traverse pour faire partager sa passion : "La joie illumine le visage gracieux / De ces chefs où le temps a perdu sa victoire, / Où la cuisine est pour eux un hymne à la gloire, / Créant une œuvre d’art aux subtiles couleurs, / Mêlant à son bouquet la beauté et la flaveur."

    Peut-être est-ce là, comme l’écrit Rose Poullot-Robin, "la recette d’une bonne journée."

    Paul Pariente et Rose Poullot-Robin, Cuisine en Poésie, autoédité, 2018, 56 p.
    https://twitter.com/pariente

    Voir aussi "Feu sur l'omelette de la Mère Poulard"

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  • Marie Noël, jour après jour

    marie noël,poésie,poèmes,religion,dieu,solitude,christianisme,colette nys-mazureC’est l’une des très grandes femmes de lettres du XXe siècle – à l’égal d’une Colette, selon Montherlant – mais dont la renommée peine à s’imposer. Marie Noël est oubliée, et c’est injuste. Il faut dire aussi que cette auteure bourguignonne (comme Colette, d’ailleurs), n’aura jamais bougé d’Auxerre et a cultivé une forme de discrétion tout au long de sa vie ("Et quand tu m’écouterais, / Quand tu suivrais à mesure / Tous mes gestes, tous mes pas, / Par le trou de la serrure… / Tu ne me connaîtrais pas"), discrétion qui lui a survécu, hélas.

    Il est temps sans doute, de découvrir ou, pourquoi pas, de redécouvrir Marie Noël (1883-1967), récompensée en son temps de prestigieux prix (Académie Française, Société des gens de lettres ou Société des Poètes). Le Chant des Jours que publient les éditions Desclée de Brouwer, et dont le titre renvoie à ses Chansons, est une manière d’entrée en douceur dans une œuvre à la tonalité incomparable, tour à tour sombre, lumineuse, désespérée et aux éclats de lumière incroyables.

    La romancière et essayiste Colette Nys-Mazure a compilé dans cet ouvrage une sélection de textes, toujours très brefs, pour rendre Marie Noël accessible au plus grand nombre : "Quoi de mieux qu’un livre de poche lu par bribes dans le métro, l’avion, à la pause-café ou dans un lit d’hôpital, glissé sous l’oreiller à la place du téléphone ?"

    Le Chant des Jours c’est 365 jours avec Marie Noël, donc. Chaque mois de l’année correspond à une thématique abordée : la difficulté de se connaître soi-même, l’amour espéré et redouté, le repli et l’envol, la détresse et la confiance, la nature, les exigences de la création, le chez-soi, la solitude, le temps et la croyance. Une sorte d’almanach, donc, qui n’est pas sans rappeler cet autre : Almanach pour une jeune fille triste (2011, posthume).

    Le choix éditorial a été de proposer des textes extraits de poèmes s’étalant sur plusieurs jours, à l’instar de Ronde : "Mon père me veut marier, / Sauvons-nous, sauvons-nous par les bois et la plaine, / Mon père me veut marier, / Petit oiseau, tout vif te laisseras-tu lier ?" (7-12 juillet).

    L’humour et l’autodérision ("Je ris… Je me moque un peu de moi") est présent, sans pour autant que Marie Noël ne doute que l’écriture est ce qui la fait avancer, avec toujours le regard d’une femme croyante, pieuse (un procès en béatification est d’ailleurs en cours), mais d’une grande humilité.

    Le regard noëlien d’une femme rejetée, rappel d’un amour de jeunesse déçu

    Cette grande solitaire ("Il se fait tard. Personne ne viendra plus maintenant…") se confie via des textes denses, qui chantent le dépouillement, les autres ou la nature, autant que le malheur, le désespoir ou la mort, "entre révolte et acquiescement", comme le souligne Colette Nys-Mazure. Et avec toujours une importance laissée au sacré et à la foi. Les passages choisis pour les premiers jours de février renvoient ainsi au Cantique des Cantiques ("Mon bien-aimé descend la colline fleurie / De blé noir, / Très lentement par les champs pâles… C’est le soir"), mais cette fois avec le regard noëlien d’une femme rejetée, rappel d’un amour de jeunesse déçu ("Mon bien-aimé passa, voilé de rêverie, / L’âme ailleurs, / Sans rien me dire hélas ! Sans me voir, et j’en meurs"). L’amour apparaît chez elle comme un Souverain Bien inaccessible, et en tout cas pour lequel elle ne semble pas être destiné ("Dans l’Amour, si grand, si grand, / Je me perdrai toute / Comme un agnelet / Dans un bois sans route").

    Cet amour inaccessible et finalement cette solitude qui l’a pesée toute sa vie ("J’ai tellement besoin d’un ami que je l’invente"), on le doit sans nul doute à une éducation rigide, tiraillée entre un père philosophe, agnostique et dur ("- Va prier le soleil pour que mon champ prospère. / C’est ta dot qui mûrit dans nos blés. / Oui, mon père") et une famille pétrie dans une culture catholique extrêmement rigide ("Sommes-nous au couvent ?" demande-t-elle avec une ironie mordante) : une éducation qui est pour beaucoup dans le parcours personnel et artistique de Marie Noël ("Famille d’autrefois en province, composée de gens qui retombent – les femmes surtout – indéfiniment les uns sur les autres"). L’auteure parle également d’une des grandes déchirures de sa vie : la mort prématurée de son jeune frère Eugène en 1904 ("Sœur, la chanson d’amour que tu savais naguère, / Celle où passe un oiseau, chante-la… / Oui, mon frère" fait-elle dire à cet enfant qu'elle ne cessera jamais de pleurer).

    Artistiquement, le lecteur trouvera dans Le Chant des Jours des textes consacrés à son travail littéraire. Marie Noël l'appréhende comme une artisane à la recherche de la phrase parfaite, sans fioriture ("Ce que tu as dit en dix mots, tâche de le dire en sept. En trois si tu peux") mais aussi comme une poétesse en recherche perpétuelle ("Je voudrais retrouver le pays natal de ma poésie, le nid perdu de ma chanson").

    Femme de lettres importante, mais aussi croyante tourmentée, Marie Noël résume elle-même ce qui pourrait définir son œuvre : "J’ai toujours pensé que pour découvrir dans un poète la source subconsciente de sa Poésie, il n’était que de noter les mots qui reviennent le plus fréquemment, les plus involontairement dans son incantation. Chez moi j’ai trouvé : chemin, noir, perdu, pâle, seul…" Il est à cet égard frappant que ce ne sont pas des termes ayant trait à la religion ou à Dieu qu'elle choisit. Profondément croyante, Marie Noël n’en retira finalement que peu de réconfort : "Dieu n’est pas un lieu tranquille," écrit-elle pleine d'amertume dans un texte que le lecteur trouvera singulièrement à la date du 25 décembre.

    Marie Noël, Le Chant des Jours, textes choisis par Colette Nys-Mazure
    Ed. Desclée de Brouwer, 2019, 141 p.

    http://www.marienoelsiteofficiel.fr
    http://www.marie-noel.asso.fr
    http://www.colettenysmazure.be

    Voir aussi : "Ça caille les belettes"
    "Dante, voyage au bout de l'enfer"

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  • Charles Bukowski, affreux de la création

    charles bukowski,poésie,poèmesDe Charles Bbukowski, on retient habituellement les sulfureux Contes de la Folie ordinaire ou Women. Mais son œuvre est aussi celle d’un poète, sans doute le plus percutant, le plus outrancier et le plus déconcertant de la littérature américaine.

    Après la publication remarquée il y a deux ans d’une partie de sa correspondance (Sur l’Écriture), les éditions Au Diable Vauvert proposent, avec Tempête pour les Morts et les Vivants, une sélection de ses poèmes rares et souvent inédits.

    Le titre de cette anthologie (Storm for the Living and the Dead) est celui d’un texte tardif – en 1993, soit tout juste un an avant son décès –, dans lequel l’écrivain fait d’une scène quotidienne chez lui un moment à la fois trivial, tragique et plein de grâce ("Je suis un vieil écrivain. / un facture de téléphone me nargue / la tête à l’envers. / la fête est finie. / san Pedro, / en l’an de grâce / 1993. / assis là").

    Plus de trente ans de créations poétiques sont réunies dans cette précieuse compilation qui est souvent l’autoportrait d’un artiste en proie à ses dérives – l’alcool, la dépression, la solitude ou la dèche – ou à ses passions – les courses de chevaux, les femmes et bien sûr la littérature. "Pourquoi est-ce que tous les poèmes sont personnels ?" écrit en avril 1961.

    Ses mots sont des "flèches", comme il l’écrit dans "Dans celui-là " (1960), avant, quelques années plus tard, de revendiquer sa filiation avec quelques grands noms : Hemingway ("Je pense à Hemingway", 1962) ou Walt Whitman ("Corrections d'ego, principalement d'après Whitman"), jusqu’à écrire un panégyrique grinçant… sur lui-même : "Charles Bukowski est une figure de l’underground / Charles Bukowski pionce jusqu’à midi et se réveille toujours avec une gueule de bois / Charles Bukowski a été encensé par Genet et Henry Miller" ("Un poème pour moi-même", vers 1970).

    Les vers explosent, la langue s’affranchit des conventions et la voix du poète utilise d’innombrables registres

    Les textes de Bukowski, tranchants, provocateurs et rythmées, frappent par leur liberté formelle : les vers explosent, la langue s’affranchit des conventions et la voix du poète utilise d’innombrables registres, parfois étonnants. Certains poèmes s’apparentent à des micro-nouvelles ("Clones", février 1982), des extraits de journal intime ("Ai bossé dans le train" été 1985), des chroniques ("La lesbienne", 1970), voire de la correspondance ("Un lecteur m’écrit", 25 mars 1991).

    Charles Bukowski se fait sarcastique lorsqu’il parle d’une époque et d’un pays qui a fini par le rendre célèbre après des années de misère. L’auteur du Journal d'un vieux Dégueulasse est le poète d’une certaine Amérique cynique, cruelle, violente et impitoyable pour les marginaux et les pauvres ("Mon Amérique, 1936", octobre 1992).

    Finalement, il trouve son salut dans la poésie et la littérature ("2 poèmes immortels", 1970). À côté de textes sombres, l’homme de lettres propose des instants lumineux : la confession d'un père ("Conversation téléphonique avec ma fille de 5 ans à Garden Grove", 1970), une chanson d’amour (mars 1971), un poème sur sa grand-mère ("Verrues", 1973), le tableau d’un couple de hippies attendrissants ("Bob Dylan", 1975), sans oublier ces portraits de femmes ("Les femmes de l’après-midi", 1976).

    Le recueil se termine avec ce qui est certainement son tout dernier texte ("Chanson pour ce chagrin doucement dévastateur") : une sorte de confession en forme de singulière leçon de vie et de sagesse : "Laissons la lumière nous éclairer / souffrons en grande pompe – / le cure-dent aux lèvres, tout sourire. / on peut y arriver. / on est né fort et on mourra / fort… / ça été très / plaisant. / nos os / tels des tiges dressés vers le ciel / crieront victoire / jusqu’à la fin des temps."

    Charles Bukowski, Tempête pour les Morts et les Vivants
    éd. Au Diable Vauvert, 350 p.

    http://charlesbukowski.free.fr

    Voir aussi : "Ivre de vers et d’alcool"

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  • Nathalie Cougny, en adoration

    Sur Bla Bla Blog, nous adorons Nathalie Cougny pour des tas de raisons : son caractère entier, son opiniâtreté, son engagement auprès de causes qui lui tiennent à cœur (le féminisme et la protection de l’enfance) mais aussi et surtout son travail d’artiste se jouant des barrières et des étiquettes. N’avait-elle pas présenté au Julia (Paris 3e) en décembre 2015 son roman Amour et Confusions… (éd. Sudarènes) dans le cadre d’une exposition de peintures et de photos, au cours de laquelle étaient accrochée ses propres toiles ? Plus récemment, c’est le théâtre que l’artiste a choisi d’investir, à travers Sex&love.com, une pièce abrupte et sincère – sur l’amour et les femmes, toujours.

    Nathalie Cougny est entière, sincère et sans artifice. La poésie tient pour cette raison une place essentielle dans sa vie comme dans son œuvre. Mais il s’agit d’une poésie proche de nous, sensuelle et au plus près des corps : "Ma poésie traite essentiellement du sentiment amoureux. Depuis des changements importants dans ma vie personnelle, je pose des mots en musique, celle des émotions du corps et de l’âme" dit-elle au sujet de son dernier ouvrage.

    Adoration (éd. Mon Petit Éditeur) entre dans le domaine de l’intime, celle "des coups de reins, des coups de rien. / Emmêlés dans cette jouissance en fusion." Nathalie Cougny s’est emparée de la poésie pour libérer ses propres tourments et s’interroger sur l’amour, le thème le plus traité en littérature. Nathalie Cougny prend à bras le corps ce sentiment universel : "Tu éclaires tous les contre-jours de ma vie", écrit-elle dans un élan qui ne saurait faire de distinction de genre et de sexe. Dans sa bouche, l’amour devient une religion envoûtante qui se joue de toutes les règles : "Délivre-moi du bien /Jusqu’à la défaillance."

    Les poèmes en vers ou en prose de Nathalie Cougny ne s’embarrassent pas de mièvreries. Ils sont racés, colorés, épanouis, et en même temps piquants comme autant de roses offertes en bouquets : "Je voudrais pleurer encore, de cet amour-là, / Qui me parlait en secret, pour ne rien me dire. / M'étrangler de tes silences, en liberté, / Égoïste, je les veux tous pour moi."

    "La belle charogne"

    Il est question de pulsions insensées et libératrices ("Je m’offre à ton emprise, / Comme une viande / À la belle charogne, / Léchant jusqu’à l’aube, / Ma cuisse, mon sexe et l’autre. / Profite, salive, viens !"), mais aussi de trahisons ou de fuites ("Tu n’as pas su m’habiller de tes souffrances. / Tu as pris le chemin de la fuite en instance"), avec ces mots qui savent happer le lecteur, le séduire, le désarçonner et se jouer de lui : "De ton âge à mon âge il y a deux pas, / Encore et encore, il n’y a qu’un pas. / Que dit ton corps à demi-mot ? / Un pas de plus, un pas de trop."

    C’est à pas feutré que l’auteure nous fait entrer dans ces intimités, telle cette "chambre blanche" qui a accueilli les étreintes de deux amants éperdus : "Nos mains désinvoltes, offertes aux instants, : Qui ont tout pris de ton corps, de mon corps. / Caresses sur caresses, langues curieuses, / Assoiffées de désir, puis nos souffles, chauds."

    Un grand souffle chaud balaie ce recueil. Il respire de vies et d’envies : "Au risque de me perdre, je fais ce voyage, / De mon corps à ton corps, sans aucun bagage, / J’approche ma bouche de tes envies, / Tu es cette sublime et divine rêverie." Nathalie Cougny a choisi de faire de ces amours-là une matière littéraire et libératrice – qui fait du bien.

    Nathalie Cougny, Adoration Poésie libre et sensuelle, inclus : (Ta) Plénitude – Carnet amoureux, éd. Mon Petit Éditeur, 2017
    https://www.nathaliecougny.fr
    "Mes hommes"
    "En corps troublé"
    "Homo errectus on ligne"

    Photo © Walt27