En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
À quelques heures du déconfinement, il est encore temps de vous présenter le polar qu'a écrit Nicolas Feuz pendant cette crise sanitaire et qu'il a mis en ligne sur sa page Facebook.
Restez chez vous est le titre de son roman en ligne, et aujourd’hui terminé : 70 chapitres et un épilogue écrits tambour battant par l’auteur suisse, qui fait se dérouler l’action à Neuchâtel. L’histoire – vous l’aurez deviné –est celle d’une épidémie qui part d’une grotte et d'animaux sauvages, et cette fois il n’est pas question de pangolins mais de chauve-souris.
Nous avons posé quelques questions à l’auteur. Et d’abord, d’où est venu l’idée de ce challenge littéraire ? Verbatim : "À la base, plusieurs réflexions ont accompagné cette idée. Je me suis dit que les gens chercheraient probablement quelque chose à lire en cette période de fermeture des librairies et que tout le monde ne commande pas en ligne. L'idée de surfer sur la situation actuelle s'est vite imposée, mais dans deux ou trois mois, elle aurait été dépassée, car de nombreux auteurs vont surfer sur ce thème" dit Nicolas Feuz, avant de prévenir que les éditeurs vont très vite faire une overdose de livres sur le confinement ("Il va y en avoir une avalanche", prévoit-il, non sans raison). Message spécial pour les auteurs qui pensaient avoir fleurer le bon sujet...
Il n’est pas question ici de pangolins mais de chauve-souris
Mais comment Nicolas Feuz a-t-il travaillé sur ce polar, écrit en un peu d’un mois, du 27 mars au 28 avril ? Voici ce qu’il nous a répondu : "Durant cette période, j'ai écrit tous les jours, entre un et trois chapitres par jour, pour une publication d'en moyenne deux chapitres par jour. J'avais en moyenne cinq ou six chapitres d'avance sur les publications du soir. J'ai dû construire le scénario très rapidement (4 ou 5 jours), puis attaquer l'écriture."
Le roman prend pour point de départ une intrigue imaginaire mais largement crédible, intrigue qui a été enrichie et documentée grâce à l’actualité du moment. L’auteur nous éclaire à ce sujet : "Je me suis tenu informé tous les jours, en suivant notamment les conférences de presse du Conseil fédéral suisse et les interventions d'Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe, pour coller au plus près de la réalité."
Nicolas Feuz était déjà sur les starting-blocks pour un prochain polar, L’Engrenage du Mal à paraître aux aux éditions Slatkine & Compagnie, le 15 mai en Suisse et le 27 mai en France. Restez-chez vous sera également bientôt disponible en librairie, pour découvrir cette historie de pandémie qui en rappelle une autre.
Au final, le défi artistique a été rondement mené, ce dont se félicite l’écrivain helvète : "Restez chez vous a été un sacré marathon, mais il m'a permis de ne pas m'ennuyer une seule seconde durant ce confinement."
Les ouvrages sur les violences aux enfants ne manquent pas. Pensons par exemple à l’indépassable Vipère au Poing d’Hervé Bazin. Sur un sujet aussi douloureux que celui-ci, il est difficile pour un ou une auteure, reconnaissons-le, de faire œuvre de littérature.
Isabelle Vouin parvient pourtant dans son dernier roman, Qui aime bien (éd. Talents Hauts), à faire une lecture singulière de la violence aux enfants – en parlant d’un autre acte de violence. C’est en effet d’une gifle dont il est question, la gifle d’une adolescente, Valentine : "C’est parti tout seul. Aujourd’hui, j’ai giflé ma mère." Une gifle d'autodéfense.
Dans ce court récit – bref roman ou longue nouvelle – écrit à la première personne, la jeune fille revient sur l’histoire d’une éducation rude qui semble, hélas, trop bien illustrer le proverbe : "Qui aime bien châtie bien."
Valentine décrit son chemin de croix d’une violence trop ordinaire par une mère que très peu verraient en tortionnaire : "Le chic absolu", "pas du tout grosse ni vulgaire", qui "a dû en faire tourner des têtes", avec son "tailleur impeccable et ses talons hauts pour aller bosser au tribunal..." Car, ironie du sort, cette Folcoche du XXIe siècle, est une greffière et habituée des cours de justice.
En devenant son double Colombine, Valentine parvient à devenir ce qu’elle est
Cette fameuse gifle est l’élément déclencheur autant que l’aboutissement d’un processus de libération d’une jeune fille qui a compris sur le tard qu’il se passait quelque chose d’anormal avec ces coups domestiques, ces "roustres" qu’elle trouve, pendant des années, "normales", et ces humiliations quotidiennes. Si Isabelle Vouin parle de son père, c’est pour parler d’un autre drame : celui d’un deuil, qui explique également la démarche de Valentine : "Pour moi, Papa c’était Dieu, alors il ne risquait rien. Du coup, moi aussi je lui ai dit d’y aller. Mais Dieu a glissé."
La libération de l’adolescente passera par son amour pour Lorenzo mais aussi par un projet artistique et professionnel : devenir clown. En devenant son double Colombine, Valentine parvient à devenir ce qu’elle est : "Quand je mets mon nez rouge, c’est instantané, je passe direct dans une autre dimension, un autre espace-temps. Et là, je suis dans ma vraie vie."
À bien des égards, Qui aime bien est l’histoire d’une série de dévoilements : de la violence domestique, d’un rêve de spectacles, d’un secret familial (admirablement mis en scène dans la scène du cimetière), et finalement de la mise au grand jour ("J'écarte le tissus et je les vois assis autour de la piste") de cette mère violente, dans un avant-dernier chapitre où tout se noue et se libère.
Gecko de John Renmann inaugure le cycle de polars Gwada Cops, dont le lieu géographique, la Guadeloupe, n’est pas la moindre des caractéristiques.
Un homme est retrouvé mort au cœur de Pointe-à-Pitre, atrocement mutilé suite à une attaque vraisemblable d’un chien qu’un témoin dit avoir vu. Mais il y a aussi l’empreinte d’un lézard qui semble avoir été dessiné avec le sang de la victime. Ce détail laisse perplexe l’inspectrice Marie Kancel et son homologue, le bourru Nicolas Rousseau.
Quelques heures plus tard, a lieu en Basse-Terre une autre mort atroce, cette fois chez un journaliste, puis une attaque incroyable au cœur d’un amphithéâtre du campus de Fouillole. Et là encore, il est question d’un animal, mais aussi d’un gecko. Lorsque les deux policiers découvrent le nom d’une future victime, une course contre la mort s’engage, qui sera jalonnée de cadavres.
Crimes, superstitions, humour et enquête policière
A priori, voilà un polar régional qui ravira à la fois les amateurs d’enquêtes rythmées et les amoureux de la Guadeloupe. John Renmann, qui voyage entre la métropole et les Antilles, fait de la Guadeloupe l’autre personnage de Gecko : Grande-Terre, Basse-Terre, Marie-Galante, Désirade et Les Saintes ont une importance capitale dans l’intrigue. Mais ce qui intéresse surtout l’auteur ce sont les traditions de cette région, ce qui lui permet d’insuffler du fantastique dans son polar.
Crimes, superstitions, humour et enquête policière se mêlent avec harmonie pour faire de ce premier volume des Gwada Cops ("flics de la Guadeloupe") un roman vif et qui permet de sortir des traditionnels policiers venus des États-Unis ou des pays scandinaves. Gecko se conclue par un autre crime, au cœur de Zaïgo (2019), la deuxième enquête des inspecteurs Nicolas Rousseau et Marie Kancel.
Comment définir Mais rien ne vient (éd. Du Rocher), le premier roman de Julien Moraux ? Hommage aux "romans de gare" de Gérard de Villiers ? Polar psychédélique dopé aux amphétamines ? Réflexion et autofiction sur la difficulté d’être écrivain ? Ou bien encore, comme je l’ai lu sur la page Facebook de l’auteur, "la plus atroce et la plus merveilleuse des fictions sur l’alcoolisme" ? À vrai dire, cette dernière critique peut laisser dubitative, dans la mesure où celui qui la prononce ne serait autre que Kingsley Amis, auteur d’un James Bond (Colonel Sun), mais décédé… en 1995, soit il y a vingt-quatre ans. Voilà qui prouve en tout cas deux choses : le romancier d’origine normande est bourré d’humour autant que de références littéraires.
Nous parlions de James Bond. Bien entendu, l’agent 007 britannique reste dans le coin de la tête de Julien Moraux. Cela dit, ce n’est ni Ian Flemming ni Kingsley Amis qui l’intéressent mais un autre auteur de roman d’espionnage : Gérard de Villiers et sa créature, Malko Linge. Au moment où démarre Mais rien ne vient, le narrateur se lance dans un projet de roman sur l’auteur prolifique de quelque 200 SAS, entre 1965 et 2013.
Voilà donc notre écrivain lancé dans une enquête sur Gérard de Villiers, enquête qui démarre en Bretagne et qui va rapidement mettre notre écrivain, déjà mal engagé pour ce projet biogtraphique, dans de sales draps. Il croisera tour à tour Frédéric Beigbeder, Michel Houellebecq, Thomas Pynchon, mais aussi Gérard de Villiers en personne, les personnages de Malko Linge, d'Aimé Brichot et de Boris Corentin, de la série Brigade Mondaine. Il y aura aussi un génie du mal bien destiné à détruire la littérature des hommes-singes nazis et quelques vamps pour corser le tout – même si les amateurs des SAS regretteront que l’impitoyable agent de la CIA ait perdu son côté bad boy, sexiste et un tantinet misogyne.
Un roman qui semble foncer à toute vitesse comme une machine infernale
L’aventure narrée par un écrivain devenu acteur de sa propre histoire se déroule aux quatre coins du monde, dans les endroits les plus reculés et les plus improbables qui soient. Pour autant, avec Mais rien ne vient, Julien Moraux ne propose pas de énième intrigue autour de SAS mais un hommage aussi démesuré que ne l’était son auteur Gérard de Villiers. Véritable monstre de la littérature mondiale, souvent moqué pour sa production de "romans de gare", le créateur de Son Altesse Sérénissime a droit à un hommage d’autant plus vibrant que le livre peut se lire comme l’aventure d’un projet artistique qui peine à prendre forme : les personnages surgissent, aimantent et se dérobent à l’écrivain, lui même entraîné dans une histoire où de les enjeux lui échappent. L’humour et le non-sens sont omniprésents dans un roman qui semble foncer à toute vitesse comme une machine infernale. Jusqu’à un final étonnant qui vient donner la clé du roman et se termine singulièrement par un "chapitre 1" sur la jeunesse de Gérard de Villiers.
Julien Moraux a reçu, pour son roman Mais rien ne vient, le Prix Café Joseph.
C’est une imposture littéraire dont il est question dans Le Mystère Henri Pick (éd. Gallimard). Une imposture à vrai dire imaginaire mais qui n’a rien d’absurde, tant le roman de David Foenkinos paraît réaliste dans sa description du grand et du petit milieu des lettres. Rien ne manque dans ce roman énigmatique dans lequel l’auteur de La Délicatesse a certainement mis pas mal de moments vécus : une jeune éditrice ambitieuse, un écrivain qui rame à faire décoller sa carrière après un premier roman prometteur, un critique littéraire sur le déclin, quelques célébrités littéraires (Michel Houellebecq, Laurent Binet ou François Busnel) et bien entendu un mystérieux auteur nommé Henri Pick.
L'histoire démarre à Crozon, dans une obscure bibliothèque municipale. Là, son responsable a décidé en 1992 de consacrer un rayon aux manuscrits oubliés, où des écrivains en mal de reconnaissance viendraient déposer leurs œuvres. Aucun comité de lecture pour ces textes refusés : son principe est celui de l’authentique Brautigan Library, créé au début des années 80 dans l’État de Washington.
C’est dans cette bibliothèque de Crozon que Delphine Despero, éditrice chez Grasset et en vacances dans sa famille finistérienne, découvre ce qu’elle qualifie de "chef d’œuvre" : le livre, un roman, s’appelle Les Dernières Heures d’une Histoire d’Amour et a été écrit par un certain Henri Pick. Ce nom n’est pas inconnu des habitants de ce petit coin de Bretagne car cet homme très discret, décédé deux ans plus tôt, tenait une modeste pizzeria. Or, le manuscrit de cet Henri Pick s’avère intrigant puisque sa veuve ignorait jusqu’à l’existence de ce texte et apprend à l’éditrice qu’elle n’a jamais vu son mari écrire, et encore moins lire. En dépit de ce mystère, Delphine Despero est persuadé d’être en présence d’un nouveau Vivian Maier (1926-2009), du nom de ce photographe dont les clichés n’ont été découverts qu’après sa mort. "Pour Delphine, la comparaison avec Pick était justifiée. Il s’agissait d’un pizzaiolo breton qui, dans le secret absolu, avait écrit un grand roman. Un homme qui n’avait jamais cherché à publier. Cela intriguerait tout le monde, à coup sûr."
Aussi célèbre et mystérieux que Salinger ou Thomas Pynchon
Pour intriguer, le roman d’Henri Pick intrigue. La publication de son roman posthume devient un événement littéraire, que les éditions Grasset montent alimentent. Contre toute attente, la publication des Dernières Heures d’une Histoire d’Amour est un triomphe, alimenté autant par le bouche-à-oreille élogieux des lecteurs et des libraires que par les médias qui sont fascinées par cette histoire de pizzaiolo breton devenu aussi célèbre et mystérieux que Salinger ou Thomas Pynchon. Au milieu de cette folie littéraire, un homme est obsédé et dubitatif par l’histoire de ce roman rescapé de l’oubli : Jean-Michel Rouche, critique au Figaro littéraire, décide de mener l’enquête. Et ses pas le mènent, bien entendu, en Bretagne. Qui est réellement cet Henri Pick et est-il l’auteur de son best-seller ?
Il fallait la malice, la sensibilité et la connaissance du milieu littéraire de David Foenkinos pour écrire l’histoire de cette découverte littéraire. L’auteur de Vers la Beauté choisit la comédie mais aussi l’enquête pour raconter un destin artistique et la mise sur le devant de la scène d’un modeste citoyen qui, en tant normal, aurait été oublié de tous. Mais cette histoire éditoriale et médiatique complètement folle (que l’on pense à la scène d’interview hilarante de François Busnel) est aussi celle d’hommes et de femmes qu’un simple roman transforme : l’ambitieuse et douée Delphine Despero, bien entendu, mais aussi son petit ami Frédéric, le critique littéraire Jean-Michel Rouche, la veuve et la fille de Pick ou la bibliothécaire de Crozon.
Le Mystère Henri Pick garde la saveur d’un livre énigmatique jusque dans les dernières pages éclairant l’itinéraire d’un manuscrit qui su si bien bouleverser des millions de lecteurs. le roman de David Foenkinos a fait l’objet cette année d’une adaptation de Rémi Bezançon, avec Fabrice Luchini et Camille Cottin dans les rôles principaux.
David Foenkinos, Le Mystère Henri Pick, éd. Gallimard, coll. Folio, 323 p. 2016 @DavidFoenkinos
Dans le polar sombre et au caractère bien trempé de Sylvain Gillet, Ludivine comme Édith (éd. Thot), ne vous fiez pas trop au titre : en réalité, il est avant tout question d’Édith, une jeune actrice pleine de promesses, retrouvée morte près de Nemours après un tragique accident de voiture. En découvrant ce fait divers dans un journal local, Abel Diaz, bourlingueur et musicien de blues de son État, est d’emblée frappé par le portrait de la victime, qui lui rappelle Lola, son ancien amour, disparue tragiquement dans des circonstances que le lecteur apprendra au cours du roman.
Voilà donc notre guitariste lancé sur les routes du Gâtinais, en héros et justicier – presque – solitaire pour mener sa propre contre-enquête tambour-battant. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’Abel se montre bien plus pugnace, malin et surtout féroce que la maréchaussée qui n’a pas cru bon de plus creuser ce banal accident de la route.
Le détective non-assermenté découvre très vite que la voiture qu’occupait l’actrice appartenait à l’oncle d’une certaine Ludivine Cérandec, une autre comédienne qui l’a remplacée séance tenante dans une pièce de théâtre.
Voilà qui rend le fait divers bien moins clair que ce banal accident de la route. De fil en aiguille, Abel Diaz s’intéresse au petit monde du cinéma et de la télévision, et en particulier au tournage d’un film dans lequel pourraient bien se trouver le ou les responsables de la mort d’une jeune actrice qui ne cherchait qu’à réaliser ses rêves.
Comédiens en galère, metteurs en scène plombés de suffisance, célébrités devant plus à leur naissance qu’à leurs talents
Comédien, réalisateur et scénariste, Sylvain Gillet est à l’aise dans un milieu qu’il n’hésite pas à démystifier : acteurs et actrices en galère, metteurs en scène plombés de suffisance, célébrités devant plus à leur naissance qu’à leurs talents, producteurs ou agents peu regardants. Cela donne un polar vif, rugueux mais aussi engagé, lorsque par exemple l’auteur parle de ces apprenties actrices aussi peu considérées qu’Édith, sorte de victime expiatoire : "Qu’il est dur de gagner sa croûte comme comédienne. Qu’est-ce qu’il faut ramer. Surtout quand on n’a qu’un radeau pourri pour avancer sur la mer de l’espoir, alors que d’autres, comme Léo Seydur, naviguent en hors-bord à doubles moteurs de 500 chevaux… Bien sûr, c’est un peu le cas de tous les demandeurs d’emploi. Mais l’intermittent du spectacle, se dit Abel, doit certainement se coltiner une dose de baratin supérieure à celle du chômeur de base."
Pour son premier roman, Sylvain Gillet choisit la veine du polar noir et social à la Jean-Claude Izzo, mais où l’humour à la Frédéric Dard est omniprésent. L’auteur se fait boxeur lorsqu’il décrit au lecteur la descente aux enfers d’Édith : "Mais ce n’est pas possible. Tout ne peut pas se terminer ainsi. Elle aussi, elle a droit à sa petite part de bonheur." Il sait tout autant se montrer drôle et roublard lorsqu’il suit l’enquête échevelée du guitariste de blues : "Aussi se décide-t-il à rejoindre le bar de son pote Mickey. Et qu’est-ce qu’on boit chez Mickey ? Une mousse, bien sûr."
Dans Ludivine comme Édith, Sylvain Gillet fonce toute bribe abattue dans un polar plus que convaincant. Et le lecteur gardera encore en mémoire les images de cette petite actrice violée, démolie et détruite en plein vol après une nuit infernale : "Elle restera à jamais toute seule. Personne n’applaudit sa sortie de scène. Plus d’air, plus de cri."
Jamais là mais pourtant omniprésent, Wolfgang Amadeus Mozart est bien la figure centrale du roman d’Isabelle Duquesnoy consacré à sa femme Constanze Weber, que l’auteure fait parler dans son récit passionnant.
La redoutable Veuve Mozart (éd. La Martinière) démarre le 5 décembre 1791 à la mort du compositeur de La Flûte enchantée. Aux abois, l’artiste laisse, malgré l’admiration qu’il suscite, une dette importante, laissant sa femme et ses deux enfants dans une situation critique. Là sans doute réside l’explication de ce combat que n’aura de cesse de mener la veuve Mozart pour défendre à la fois l’héritage artistique de son mari et permettre à elle et ses deux fils, Franz-Xaver, dit Wolfgang Mozart II, et Carl Thomas, de sortir de la pauvreté. C’est ce dernier, l’aîné de la fratrie et aussi ancien fonctionnaire de Napoléon Ier, qui apparaît en filigrane du récit écrit à la première personne par Constanze.
Ce qui intéresse Isabelle Duquesnoy est bien entendu le destin de la veuve Mozart, autant que l’histoire d’une famille autrichienne pas tout à fait comme les autres. Il pèse en particulier sur les enfants Mozart autant le poids d’un compositeur exceptionnel (le plus jeune enfant, bien que musicien, sera dans l’incapacité d’approcher la notoriété de son père) que le caractère combatif et étouffant d’une femme qui s’est résolue à défendre l’œuvre de son mari et à se battre contre les créanciers et faire-valoir ses droits – que l’on pense à l’histoire des droits sur le Requiem.
Il rêvait d’en être admiré, ils l’humilièrent
Isabelle Duquesnoy, à travers son livre La redoutable Veuve Mozart, entend aussi dépasser les différentes légendes autour de Mozart – la commande du Requiem, la jalousie de Salieri, le corbillard roulant seul pour conduire la dépouille mortelle jusqu’à la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. L’auteure souligne aussi la situation inconfortable de Mozart, à la fois admiré et rejeté en raison notamment de son appartenance à la franc-maçonnerie : "[Il] détestait les aristocrates, mais il ne souhaitait pas d’autres reconnaissances que la leur. Il rêvait d’en être admiré, ils l’humilièrent. Il avait faim de leurs compliments, ils l’endettèrent. Il rêvait de les faire danser, ils l’enterrèrent. Je n’ai pas d’autre but que de leur faire regretter cette méprise."
Constanze Weber, veuve qui vouait un amour et une admiration inconditionnelle à "son Mozart" mari (que l’on pense à la scène de la recherche de son crâne dans la fosse commune), est bien plus qu’une défenseuse zélée de ses droits moraux : elle se montre opiniâtre pour payer ses créanciers, ne pas laisser le Requiem lui échapper, se mettre, elle et ses enfants à l’abri du besoin et aussi faire de Mozart une marque rentable à travers des produits dérivés, une fondation et bien entendu des concerts (nous sommes au début du XIXe siècle!).
Isabelle Duquesnoy peint aussi le paysage passionnant de l’Europe plongée dans les turpitudes de la Révolution française et de l’Empire napoléonien, dont Carl Thomas fut un fidèle serviteur.
Vrai roman historique, richement documenté et salué par la Fondation Mozarteum de Salzbourg, La redoutable Veuve Mozart est tout aussi passionnante pour des portraits émouvants et souvent aussi sans concession de quelques personnages historiques : Haydn, Casanova, Beethoven ou Nannerl Mozart.
Voilà un roman qui redonne vie à un compositeur légendaire comme à une femme peu connue, mais essentielle pour comprendre la pérennité d’une œuvre sans égal.