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C’est une imposture littéraire dont il est question dans Le Mystère Henri Pick (éd. Gallimard). Une imposture à vrai dire imaginaire mais qui n’a rien d’absurde, tant le roman de David Foenkinos paraît réaliste dans sa description du grand et du petit milieu des lettres. Rien ne manque dans ce roman énigmatique dans lequel l’auteur de La Délicatesse a certainement mis pas mal de moments vécus : une jeune éditrice ambitieuse, un écrivain qui rame à faire décoller sa carrière après un premier roman prometteur, un critique littéraire sur le déclin, quelques célébrités littéraires (Michel Houellebecq, Laurent Binet ou François Busnel) et bien entendu un mystérieux auteur nommé Henri Pick.
L'histoire démarre à Crozon, dans une obscure bibliothèque municipale. Là, son responsable a décidé en 1992 de consacrer un rayon aux manuscrits oubliés, où des écrivains en mal de reconnaissance viendraient déposer leurs œuvres. Aucun comité de lecture pour ces textes refusés : son principe est celui de l’authentique Brautigan Library, créé au début des années 80 dans l’État de Washington.
C’est dans cette bibliothèque de Crozon que Delphine Despero, éditrice chez Grasset et en vacances dans sa famille finistérienne, découvre ce qu’elle qualifie de "chef d’œuvre" : le livre, un roman, s’appelle Les Dernières Heures d’une Histoire d’Amour et a été écrit par un certain Henri Pick. Ce nom n’est pas inconnu des habitants de ce petit coin de Bretagne car cet homme très discret, décédé deux ans plus tôt, tenait une modeste pizzeria. Or, le manuscrit de cet Henri Pick s’avère intrigant puisque sa veuve ignorait jusqu’à l’existence de ce texte et apprend à l’éditrice qu’elle n’a jamais vu son mari écrire, et encore moins lire. En dépit de ce mystère, Delphine Despero est persuadé d’être en présence d’un nouveau Vivian Maier (1926-2009), du nom de ce photographe dont les clichés n’ont été découverts qu’après sa mort. "Pour Delphine, la comparaison avec Pick était justifiée. Il s’agissait d’un pizzaiolo breton qui, dans le secret absolu, avait écrit un grand roman. Un homme qui n’avait jamais cherché à publier. Cela intriguerait tout le monde, à coup sûr."
Aussi célèbre et mystérieux que Salinger ou Thomas Pynchon
Pour intriguer, le roman d’Henri Pick intrigue. La publication de son roman posthume devient un événement littéraire, que les éditions Grasset montent alimentent. Contre toute attente, la publication des Dernières Heures d’une Histoire d’Amour est un triomphe, alimenté autant par le bouche-à-oreille élogieux des lecteurs et des libraires que par les médias qui sont fascinées par cette histoire de pizzaiolo breton devenu aussi célèbre et mystérieux que Salinger ou Thomas Pynchon. Au milieu de cette folie littéraire, un homme est obsédé et dubitatif par l’histoire de ce roman rescapé de l’oubli : Jean-Michel Rouche, critique au Figaro littéraire, décide de mener l’enquête. Et ses pas le mènent, bien entendu, en Bretagne. Qui est réellement cet Henri Pick et est-il l’auteur de son best-seller ?
Il fallait la malice, la sensibilité et la connaissance du milieu littéraire de David Foenkinos pour écrire l’histoire de cette découverte littéraire. L’auteur de Vers la Beauté choisit la comédie mais aussi l’enquête pour raconter un destin artistique et la mise sur le devant de la scène d’un modeste citoyen qui, en tant normal, aurait été oublié de tous. Mais cette histoire éditoriale et médiatique complètement folle (que l’on pense à la scène d’interview hilarante de François Busnel) est aussi celle d’hommes et de femmes qu’un simple roman transforme : l’ambitieuse et douée Delphine Despero, bien entendu, mais aussi son petit ami Frédéric, le critique littéraire Jean-Michel Rouche, la veuve et la fille de Pick ou la bibliothécaire de Crozon.
Le Mystère Henri Pick garde la saveur d’un livre énigmatique jusque dans les dernières pages éclairant l’itinéraire d’un manuscrit qui su si bien bouleverser des millions de lecteurs. le roman de David Foenkinos a fait l’objet cette année d’une adaptation de Rémi Bezançon, avec Fabrice Luchini et Camille Cottin dans les rôles principaux.
David Foenkinos, Le Mystère Henri Pick, éd. Gallimard, coll. Folio, 323 p. 2016 @DavidFoenkinos
Dans le polar sombre et au caractère bien trempé de Sylvain Gillet, Ludivine comme Édith (éd. Thot), ne vous fiez pas trop au titre : en réalité, il est avant tout question d’Édith, une jeune actrice pleine de promesses, retrouvée morte près de Nemours après un tragique accident de voiture. En découvrant ce fait divers dans un journal local, Abel Diaz, bourlingueur et musicien de blues de son État, est d’emblée frappé par le portrait de la victime, qui lui rappelle Lola, son ancien amour, disparue tragiquement dans des circonstances que le lecteur apprendra au cours du roman.
Voilà donc notre guitariste lancé sur les routes du Gâtinais, en héros et justicier – presque – solitaire pour mener sa propre contre-enquête tambour-battant. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’Abel se montre bien plus pugnace, malin et surtout féroce que la maréchaussée qui n’a pas cru bon de plus creuser ce banal accident de la route.
Le détective non-assermenté découvre très vite que la voiture qu’occupait l’actrice appartenait à l’oncle d’une certaine Ludivine Cérandec, une autre comédienne qui l’a remplacée séance tenante dans une pièce de théâtre.
Voilà qui rend le fait divers bien moins clair que ce banal accident de la route. De fil en aiguille, Abel Diaz s’intéresse au petit monde du cinéma et de la télévision, et en particulier au tournage d’un film dans lequel pourraient bien se trouver le ou les responsables de la mort d’une jeune actrice qui ne cherchait qu’à réaliser ses rêves.
Comédiens en galère, metteurs en scène plombés de suffisance, célébrités devant plus à leur naissance qu’à leurs talents
Comédien, réalisateur et scénariste, Sylvain Gillet est à l’aise dans un milieu qu’il n’hésite pas à démystifier : acteurs et actrices en galère, metteurs en scène plombés de suffisance, célébrités devant plus à leur naissance qu’à leurs talents, producteurs ou agents peu regardants. Cela donne un polar vif, rugueux mais aussi engagé, lorsque par exemple l’auteur parle de ces apprenties actrices aussi peu considérées qu’Édith, sorte de victime expiatoire : "Qu’il est dur de gagner sa croûte comme comédienne. Qu’est-ce qu’il faut ramer. Surtout quand on n’a qu’un radeau pourri pour avancer sur la mer de l’espoir, alors que d’autres, comme Léo Seydur, naviguent en hors-bord à doubles moteurs de 500 chevaux… Bien sûr, c’est un peu le cas de tous les demandeurs d’emploi. Mais l’intermittent du spectacle, se dit Abel, doit certainement se coltiner une dose de baratin supérieure à celle du chômeur de base."
Pour son premier roman, Sylvain Gillet choisit la veine du polar noir et social à la Jean-Claude Izzo, mais où l’humour à la Frédéric Dard est omniprésent. L’auteur se fait boxeur lorsqu’il décrit au lecteur la descente aux enfers d’Édith : "Mais ce n’est pas possible. Tout ne peut pas se terminer ainsi. Elle aussi, elle a droit à sa petite part de bonheur." Il sait tout autant se montrer drôle et roublard lorsqu’il suit l’enquête échevelée du guitariste de blues : "Aussi se décide-t-il à rejoindre le bar de son pote Mickey. Et qu’est-ce qu’on boit chez Mickey ? Une mousse, bien sûr."
Dans Ludivine comme Édith, Sylvain Gillet fonce toute bribe abattue dans un polar plus que convaincant. Et le lecteur gardera encore en mémoire les images de cette petite actrice violée, démolie et détruite en plein vol après une nuit infernale : "Elle restera à jamais toute seule. Personne n’applaudit sa sortie de scène. Plus d’air, plus de cri."
Jamais là mais pourtant omniprésent, Wolfgang Amadeus Mozart est bien la figure centrale du roman d’Isabelle Duquesnoy consacré à sa femme Constanze Weber, que l’auteure fait parler dans son récit passionnant.
La redoutable Veuve Mozart (éd. La Martinière) démarre le 5 décembre 1791 à la mort du compositeur de La Flûte enchantée. Aux abois, l’artiste laisse, malgré l’admiration qu’il suscite, une dette importante, laissant sa femme et ses deux enfants dans une situation critique. Là sans doute réside l’explication de ce combat que n’aura de cesse de mener la veuve Mozart pour défendre à la fois l’héritage artistique de son mari et permettre à elle et ses deux fils, Franz-Xaver, dit Wolfgang Mozart II, et Carl Thomas, de sortir de la pauvreté. C’est ce dernier, l’aîné de la fratrie et aussi ancien fonctionnaire de Napoléon Ier, qui apparaît en filigrane du récit écrit à la première personne par Constanze.
Ce qui intéresse Isabelle Duquesnoy est bien entendu le destin de la veuve Mozart, autant que l’histoire d’une famille autrichienne pas tout à fait comme les autres. Il pèse en particulier sur les enfants Mozart autant le poids d’un compositeur exceptionnel (le plus jeune enfant, bien que musicien, sera dans l’incapacité d’approcher la notoriété de son père) que le caractère combatif et étouffant d’une femme qui s’est résolue à défendre l’œuvre de son mari et à se battre contre les créanciers et faire-valoir ses droits – que l’on pense à l’histoire des droits sur le Requiem.
Il rêvait d’en être admiré, ils l’humilièrent
Isabelle Duquesnoy, à travers son livre La redoutable Veuve Mozart, entend aussi dépasser les différentes légendes autour de Mozart – la commande du Requiem, la jalousie de Salieri, le corbillard roulant seul pour conduire la dépouille mortelle jusqu’à la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. L’auteure souligne aussi la situation inconfortable de Mozart, à la fois admiré et rejeté en raison notamment de son appartenance à la franc-maçonnerie : "[Il] détestait les aristocrates, mais il ne souhaitait pas d’autres reconnaissances que la leur. Il rêvait d’en être admiré, ils l’humilièrent. Il avait faim de leurs compliments, ils l’endettèrent. Il rêvait de les faire danser, ils l’enterrèrent. Je n’ai pas d’autre but que de leur faire regretter cette méprise."
Constanze Weber, veuve qui vouait un amour et une admiration inconditionnelle à "son Mozart" mari (que l’on pense à la scène de la recherche de son crâne dans la fosse commune), est bien plus qu’une défenseuse zélée de ses droits moraux : elle se montre opiniâtre pour payer ses créanciers, ne pas laisser le Requiem lui échapper, se mettre, elle et ses enfants à l’abri du besoin et aussi faire de Mozart une marque rentable à travers des produits dérivés, une fondation et bien entendu des concerts (nous sommes au début du XIXe siècle!).
Isabelle Duquesnoy peint aussi le paysage passionnant de l’Europe plongée dans les turpitudes de la Révolution française et de l’Empire napoléonien, dont Carl Thomas fut un fidèle serviteur.
Vrai roman historique, richement documenté et salué par la Fondation Mozarteum de Salzbourg, La redoutable Veuve Mozart est tout aussi passionnante pour des portraits émouvants et souvent aussi sans concession de quelques personnages historiques : Haydn, Casanova, Beethoven ou Nannerl Mozart.
Voilà un roman qui redonne vie à un compositeur légendaire comme à une femme peu connue, mais essentielle pour comprendre la pérennité d’une œuvre sans égal.
Vers la Beauté de David Foenkinos débute par un enjeu étonnant : un prestigieux professeur aux beaux-arts de Lyon choisit de postuler pour devenir simple gardien de salles au Musée d’Orsay. Mathilde Mattel, DRH de l’auguste établissement parisien accueille ce nouveau venu avec une très grande perplexité. Qui est cet Antoine Duris ayant choisi un poste sous-qualifié ? Comment expliquer que ce spécialiste de Modigliani accepte cet endroit effacé, même si ses connaissances pointues sur le peintre de Montmartre ne vont pas sans provoquer des remous, par exemple lorsque ce gardien de salles en vient à contredire les propos d’un guide trop sûr de lui. Un bien étrange agent en réalité, seul, et que l’on sent terrassé par une douleur indicible que seule la proximité de tableaux, dont ceux de Modigliani, semble parvenir à apaiser : "Quand il se sentait mal, il allait se promener dans un musée. Le merveilleux demeurait la meilleure arme contre la fragilité." Alain Duris est bien un mystère à part entière, un mystère qui conduit Mathilde à s’y intéresser malgré elle, puis à se rapprocher de lui. Un rapprochement qui les conduit jusqu’à Lyon où s’écrit l’histoire de cet ancien professeur et surtout celle d’une jeune femme de dix-huit ans, véritable réincarnation de Jeanne Hébuterne, la femme et muse de Modigliani.
David Foenkinos clôt la première partie de Vers la Beauté aux portes de Lyon, avant d’en ouvrir une seconde, consacrée cette fois presque exclusivement à Camille, cette jeune étudiante des beaux-arts, brillante peintre que son travail sur la beauté va singulièrement conduire au drame. "Elle comprenait le puissance cicatrisante de la beauté. Face à un tableau, nous ne sommes pas jugés, l'échange est pur, l’œuvre semble comprendre notre douleur et nous console par le silence, elle demeure dans une éternité fixe et rassurante, son seul but est de vous combler par les ondes du beau."
Un rendez-vous manqué
C’est une bouleversante lutte pour la vie que nous conte David Foenkinos, scrutateur de cette beauté qui est celle des beaux-arts. David Foenkinos est un témoin, mais comme l’est également Antoine Duris, ce professeur brillant dont une rencontre impromptue et l’histoire d’un rendez-vous manqué scelle le destin.
L’écrivain suit avec compassion Camille, autre Jeanne Hébuterne, victime innocente et gâchis humain autant qu’artistique. La deuxième partie de Vers la Beauté sonne comme un chemin de croix douloureux et d’une cruauté indicible. Le lecteur attend le moment où l’auteur parviendra à ressouder les deux parties de son roman. Il le fait en tissant un mince écheveau, sans doute le moins spectaculaire qui soit, mais aussi de la manière la plus réaliste, ce qui accentue d’autant sa dimension pathétique. "Antoine rentra chez lui, et continua de penser à Camille. Quelle jeune femme incroyable. Pendant l'heure passée avec elle, il avait tout oublié. Certaines personnes ont le pouvoir de vous fixer entièrement, totalement, dans une dévotion du présent."
Le roman se termine par un retour vers cette beauté qui est au cœur du roman, dont le personnage principal est finalement moins cet homme terrassé par l’injustice que par une jeune femme qui a fait de la beauté son combat mais qui en sera également indirectement une victime. "Face à un tableau, nous ne sommes pas jugés, l'échange est pur, l’œuvre semble comprendre notre douleur et nous console par le silence, elle demeure dans une éternité fixe et rassurante, son seul but est de vous combler par les ondes du beau."
David Foenkinos, Vers la Beauté, éd. Gallimard, 2018, 224 p. @DavidFoenkinos
Lola Nicolle signe avec Après La Fête (éd. Les Escales) un de ces romans emblématiques de la génération Y et un véritable récit sur le désenchantement, la séparation et les amitiés que l’on tient encore à bout de bras mais que l’on sait sur le déclin. Il n’est du reste pas anodin de préciser que le roman de Lola Nicolle démarre le 13 novembre 2015, date historique, tragique et funèbre.
Raphaëlle, brillante étudiante en lettres, s’apprête à se jeter dans le grand bain du monde professionnel, plus précisément dans l’édition, et non sans réussite il faut le dire. Ce passage capital dans l’âge adulte marque aussi la fin des fêtes étudiantes, de rêves, d’amitiés mais aussi, pour elle, d’une relation compliquée avec un petit ami qui semble toujours naviguer entre deux eaux ("Sans le savoir, tu gis là, innocent dans mon regard. Comme par le trou d'une serrure, j'observe la vie que nous n'aurons jamais. Les choix qui font bifurquer. Cette case de notre passé dans laquelle je t'avais rangé").
La narratrice, jeune femme chanceuse et gâtée par la vie, propose un regard aiguisé et acide sur son pays et sur une capitale devenue un monstre à la fois attirant et repoussant : "Impossible pour les jeunes Parisiens de choisir un quartier. Ce sont les quartiers qui les trouvent, en fonction de la somme de toute façon exorbitante qu’ils sont prêts chaque mois à débourser… Bientôt les grandes villes européennes ressembleraient à des halls d’aéroport. Le chant des valises à roulettes résonnant chaque matin, chaque soir, dans les rues bien endormies de la capitale."
L’éblouissement de la culture dans les milieux populaires
Délaissant la facture bobo, que le roman laissait craindre, au profit de la nostalgie et d’une touchante mélancolie, Lola Nicolle avance aussi à pas feutrés sur le terrain social lorsqu’elle parle de la famille de celui qui ne sera bientôt plus qu’un ex. D’une plume à la fois précise et imagée, l’auteure évoque l’éblouissement de la culture dans les milieux populaires ("Jamais tu ne t’arrêtais de lire. Tu achetais les livres par cinq, dix, de poche et d’occasion, chez les revendeurs qui bordaient le boulevard. Lorsque nous croisions une librairie, c’était plus fort que toi ; tu entrais, embrassais du regard l’ensemble des rayonnages. Tu aurais aimé avoir tout lu"), de la barrière symbolique entre le Paris fantasmé et les banlieues des deuxième, troisième ou cinquième zones, des rêves de réussites déçus ("À cette époque, on encourageait les plus jeunes à intégrer des écoles de commerce, à se laisser des portes ouvertes : généraliste en rien, spécialiste en vide") ou de son goût générationnel pour la culture urbaine et rap (50 Cents, PNL, NTM, Ménélik ou IAM).
Lola Nicolle se fait observatrice d’un désamour qui va croissant, sans pour autant abandonner la tendresse qu’elle porte encore à celui qui a accompagné les derniers temps de sa prime jeunesse et qu’elle veut fixer à jamais ("Je faisais des clichés de ton corps fragmenté. En gros plan, ta bouche. Tes merveilleuses lèvres. Les tâches de rousseurs constellant tes épaules. Tes pieds, lorsque tu étais allongé… Ton corps meuble-Ikea").
Raphaëlle, navigue, à la fois consciente d’être une privilégiée mais aussi terrifiée par un futur peu réjouissant : les avertissements terrifiants du GIEC, les barrières sociales et la "corruption" des modèles anciens. Comment être heureux dans un monde marchandisé ? Comment être femme et féministe au milieu de modèles imposés ? Comment aussi réinventer la fête et comment la faire durer si c’est encore possible ?
Adieu, chère adolescence et prime jeunesse, semble écrire Lola Nicolle qui n’entend pas non plus enterrer ses toutes jeunes années : "Et aussi, pour toujours, il y aurait le premier baiser, les bateaux chavirés, l’ivresse des beaux jours… même si chacun s’était éloigné."
À la lecture de La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert de Joël Dicker, un autre roman vient immédiatement en tête : Lolita de Vladimir Nabokov. Un professeur de littérature tombe amoureux d’une adolescente dans une petite ville américaine de l’est américain : le clin d’œil de l’écrivain suisse est flagrant jusque dans le prénom de la jeune fille et dans certains passages qui font écho à l’auteur russe : "Nola. Nola. N-O-L-A. N-O-L-A. N-O-L-A. Quatre lettre qui avaient bouleversé son monde. Nola, petit bout de femme qui lui faisait tourner la tête depuis qu’il l’avait vue."
Pour autant, Joël Dicker ne fait pas de cette histoire d’amour scandaleuse un roman social mais un polar ambitieux et passionnant de bout en bout.
Harry Quebert est au cœur d’une enquête menée par le personnage principal du roman, Marcus Godman, auteur à succès qui peine à sortir du syndrome de la page blanche. Nous sommes en 2008 et l’Amérique se passionne pour l’élection nationale qui s’apprête à envoyer Barack Obama à la Maison Blanche. Harry Quebert a été le professeur de Goldman mais aussi son mentor et ami. Ce charismatique homme de lettres, et auteur plusieurs années plus tôt d’un ouvrage majeur de la littérature, Les Origines du Mal, lui apprend qu’il est accusé d'un double meurtre durant l'été 1975, dont celui de Nola Kerrigan. Ce nom n'est pas inconnu pour le jeune écrivain qui a découvert quelques années plus tôt qu’Harry Quebert a entretenu une relation sulfureuse avec cette toute jeune femme. Une relation qui s'est terminée par la disparition.suspectecte de Nola en 1975. Sauf que, durant cet été 2008, c’est bien son corps qui est découvert, enterré dans la propriété du professeur.
Une contre-enquête dans laquelle les questions sont aussi nombreuses que les dissimulations
Circonstances atténuantes : On découvre à côté du cadavre un manuscrit original du livre à succès de Quebert avec un mot d’adieu écrit à la main. Et lorsque les enquêteurs, dont l’imposant sergent Gahalowood, découvrent qu’en 1975 une voiture suspecte a été filée la nuit du drame et qu’Harry Quebert conduisait une voiture de ce type, il semble que la messe soit dite pour l'intellectuel.
Mais Marcus Goldman ne veut pas croire à la culpabilité de son ami et se lance dans une contre-enquête dans laquelle les questions sont aussi nombreuses que les dissimulations. Au fil des 670 pages du roman, tout est remis en question, jusqu’au passé de Harry Quebert. Qui est-il ? Qui était au courant de sa relation secrète avec Nola ? Quels secrets elle-même cachait-elle ? Que s’est-il réellement passé la nuit du 30 août 1975 ? Le livre de Harry Quebert pourrait-il apporter des clés à ce crime ? En revenant sur les lieux de sa jeunesse, Marcus Goldman ne veut pas seulement percer les mystères d’un fait divers vieux de plus de trente ans : il entend bien aussi écrire le livre basé sur son enquête, d’autant plus que son éditeur se fait de plus en plus pressant.
Le roman de Joël Dicker peut se lire sur plusieurs niveaux. Il s’agit bien évidemment d'un policier dont la clé se dévoile dans les dernières pages. Que du classique a priori : un coupable parfait, des preuves accablantes, une victime bouleversante et aux lourds secrets et un meurtre sordide. Marcus Goldman, romancier tête à claque mais surtout pugnace est bien décidé à laver l’honneur de son ami. Un ami qui passe en quelques jours du statut de notable et d’intellectuel admiré à celui de criminel. Joël Dicker n’oublie pas d’épingler les travers de l’Amérique, de son puritanisme et de la toute puissance des médias comme de la vox populi. Mais La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert est aussi un grand roman sur la création littéraire, à travers une astucieuse mise en abîme, et sur les grands mensonges qui font aussi les chefs-d’œuvre : "Deux choses donnent du sens à la vie : les livres et l'amour."
La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, sorti il y a déjà sept ans, n'a pas perdu de sa maestria. Le roman a fait cette année l'objet d'une adaptation en série télé, réalisée par Jean-Jacques Annaud avec Patrick Dempsey, Ben Schnetzer et Kristine Froseth.
Joël Dicker, La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, éd. De Fallois / L’Âge d’Homme, 2012, 670 p. https://joeldicker.com
Le Temps d’un Abrazo, le dernier roman d’Isabelle Vouin, commence par des confidences singulières : celles d’un mas dans le sud de la France. Et c’est du reste cette maison, ce Moulin, qui vient conclure le livre et révéler les derniers secrets d’une histoire liant indéfectiblement amour et tango : "Les pierres ont une mémoire et nous observent. Elles enregistrent dans nos atomes les images et les émotions de nos vies."
Ce témoin silencieux porte le récit d’un deuil impossible et d’une reconstruction de deux êtres cabossés par l’existence, ne semblant s’ouvrir au monde et à la vie qu’à travers la danse et l’abrazo, cet art de l’étreinte et de se prendre dans les bras, moment essentiel dans la pratique du tango.
Nina a vécu heureux avec Ivan, danseur de tango doué mais décédé subitement, laissant sa compagne inconsolable. Elle choisit de se débarrasser de son passé et de vendre la maison qu’elle rénovait avec passion. Deux ans plus tard, elle y revient cependant, comme en pèlerinage : le mas est devenu, à la faveur de Salomé, sa nouvelle propriétaire, un lieu dédié au tango. Contre toute attente, un danseur accoste Nina et lui propose une danse. Elle accepte à contrecœur. L’homme se nomme Jean, et il a lui aussi derrière lui un lourd passé. Le tango et leur abrazo scelle bientôt une rencontre amoureuse.
Scandé de références musicales
Le Temps d’un Abrazo est scandé de références musicales – Alfredo de Angelis, Osvaldo Pugliese ou John Powell – avec en postlude les paroles d’Adios Corazón d’Héctor Sapelli et Lalo Etchegoncelay. Le tango, l’étreinte, les pas à deux : Isabelle Vouin fait de la plus sensuelle des danses et de ces instants sur une piste une métaphore de la séduction, de l’amour et de la vie en couple. Pour Nina, le tango est à la fois le catalyseur de souvenirs la ramenant à Ivan, mais aussi ce moment d’abandon qui lui permet d’oublier : "M’oublier dans ses bras, ce corps, cette musique, cette moiteur, le sang qui pulse, cette énergie, n’être plus que tournoiements, effleurement, dialogues, abandons."
Dans cette histoire de passion et de tango, c’est bien de vie dont il est question. Les deux protagonistes, Nina et Jean, tentent chacun à leur manière de cicatriser et de renaître, l’une d’un décès brutal, l’autre d’un traumatisme survenu sur un champ de bataille. Quelques pas de danse pourraient-ils illustrer ce qu’est la difficulté de vivre ? Isabelle Vouin semble répondre par l’affirmatif, lorsqu’elle fait dire ceci à son héroïne : "Il faut m'éloigner du buste, des pupilles, des mains, de la peau, de l'odeur, de la transpiration, de cette vie qui m'aspire. Reculer pour ne pas se coller à nouveau." Jean, de son côté, expérimente aussi cette attraction irrésistible autant que tétanisante pour cette future partenaire : "Une sale sensation de manque, soudain. Et cette impression de trou dans l’estomac qui revient. Sa noirceur me manque. Oui c’est ça, sa noirceur. Sa fragilité. Son désintérêt de la vie."
Le tango, ce moment où se jouent le désir, l’art et la vie en mouvement, est l’autre personnage de ce récit amoureux. Isabelle Vouin en parle avec la même passion que ses personnages danseurs – Nina, Jean, Ivan ou Salomé : "Les danseurs évoluent dans le sens inverse des aiguilles du temps. Les dos se redressent, les genoux s’assouplissent, les traits se détendent, les joues se remplissent, les fronts se lissent et les rides disparaissent."
Le temps d’un abrazo et d’un tango, la vie reprend ses droits, sans doute.
Nathalie Cougny fait partie des artistes que Bla Bla Blog suit avec intérêt : peinture, romans, théâtre, poésie, engagement. Cette artiste est partout et toujours avec passion. Sa dernière actualité est un roman, Paris Rome, qui imagine la rencontre de nos jours d'une jeune peintre médiatique avec Nietzsche. Rencontre improbable et incroyable qui méritait bien qu'on pose quelques questions à l'auteure.
Bla Bla Blog - Bonjour Nathalie. Tu as sorti ce printemps un nouveau roman : Paris-Rome. Derrière ce titre singulièrement simple se cache une histoire étonnante : celle de la rencontre de nos jours d’une artiste-peintre talentueuse et d’un philosophe bien connu, Friedrich Nietzsche. Finalement, de quoi s’agit-il ? D’une uchronie, d’un conte philosophique ou d’un roman surréaliste?
Nathalie Cougny - Certainement un peu des trois, mais avant tout un roman qui n’a de surréaliste que la présence de Nietzsche à notre époque et qui replace un personnage historique, réel, dans une fiction philosophique. Mais en fait, tout est vrai, même si tout n’est pas réel (sourire).
BBB - L’image de Nietzsche est encore aujourd’hui entachée de nombreux a priori qui n’ont rien à voir avec le personnage comme avec ses idées. Qu’est-ce que Nietzsche a encore à nous apprendre et que pourrait-il dire de nos sociétés?
NC - Je pense que les détracteurs de Nietzsche ne le connaissent pas, ne l’ont pas vraiment lu et se sont arrêtés sur des a priori colportés et une déformation de sa pensée initiale par ceux qui ne pouvaient pas faire mieux. En même temps, c’est difficile et c’est ce qui fait son génie, de comprendre une pensée que lui-même pouvait déconstruire pour montrer que rien n’est fixe. C’est ce que j’aime chez lui car, en effet, rien n’est établi et nous sommes en perpétuelle évolution. Par exemple on lui a prêté une accointance avec le régime nazi alors qu’il était antiantisémite. Mais sans doute que sa sœur y est pour beaucoup, elle qui s’est mariée à un nazi et qui a tenté de falsifier ses écrits après sa mort. La philosophie en général a plus que jamais à nous apprendre ou plutôt à nous replacer au centre de nous-même, dans une société ultra violente qui nous isole, nous rend dépendants, nous empêche de réfléchir à travers une surconsommation toujours plus grandissante et tente à nous faire perdre notre identité, je veux dire par là, qui nous lisse. La peur et la défiance sont des leviers majeurs pour parvenir à éteindre les âmes et en faire ce que l’on veut. Toutes sortes de peurs sont entretenues aujourd’hui pour nous empêcher de faire surface : le chômage, le terrorisme, la montée de l’extrême droite, répondre par une pulsion instantanée, des lois pour tout et n’importe quoi qui nous enferment, alors qu’il suffit parfois de bons sens, de remettre des valeurs en place, de se tenir aux choses, d’être ouvert à la différence et surtout d’éduquer en ce sens. Quand est-ce qu’on nous parle de réussite, de beau, d’amour ? On devrait d’ailleurs introduire la philosophie à l’école dès le plus jeune âge avec des méthodes adaptées. Aujourd’hui, nous avons oublié le sens réel du désir, du courage, du discernement, de la réflexion et donc de la philosophie. Nietzsche pourrait nous dire de ne pas nous laisser prendre à ce piège et de nous dépasser pour combattre ce qui nous tue à petit feu, l’Homme de pouvoir, et devenir ce changement, ce "surhomme", pour construire une autre société, plus juste, plus vraie, sans faux semblants, se départir de la morale chrétienne, notamment, qui est encore bien présente et qu’il tenait pour responsable de notre malheur, de cette négation de soi car elle n’est que souffrance pour l’Homme. De nous fier davantage à notre instinct plus qu’à la connaissance qui reste une interrogation, car nous vivons sur des schémas de représentation de l’Histoire, de ne pas nous laisser aveugler par ces marionnettes qui s’agitent constamment sur la place publique, d’être ami de notre solitude, d’être des créateurs, des bâtisseurs.
BBB - La philosophie est au centre de ce roman. Mais aussi la peinture, car l’autre personnage de ce roman est Charlotte K, une peintre. Toi-même tu es peintre, d’ailleurs. Jusqu’à quel point ce roman est un dialogue entre toi-même et Nietzsche ?
NC - Jusqu’à un point ultime (sourire) de réalité, de projections et de fantasmes. N’ayant pu, et pour cause d’époque, rencontrer Nietzsche, comme d’autres visionnaires ou révolutionnaires dans les codes, je pense à Klimt, Darwin ou George Sand, qui pour moi sont de réelles personnalités qui repoussent nos limites, font avancer les mentalités ou la compréhension du monde, j’ai tenté ce huis clos amoureux, car l’amour, sous plusieurs formes, est le fil conducteur de tout le livre, avec ma pensée aussi, en toute modestie. D’ailleurs, je pense que je n’aurais pas fui, comme Lou Salomé, un peu lâchement, je ne me serais sans doute pas mariée, mais je serais restée avec Nietzsche (sourire). Après, il me semblait essentiel d’amener l’art comme vecteur pour faire face à ce monde, pour nous sauver quelque part de cet engrenage. L’art nous ramène à nous-même tout en éclairant le monde. De plus, Nietzsche aimait l’art et défendait, comme aujourd’hui Boris Cyrulnik que j’ai eu la chance de rencontrer, au moins un (sourire), l’art comme "outil" de contradiction face à l’enfermement de la société, ses travers et ses abus. Les artistes sont essentiels pour, non seulement nous faire prendre conscience de la réalité à travers leurs œuvres, nous toucher, nous donner du bonheur, nous faire réfléchir et c’est valable pour tous les arts, mais leur liberté doit leur permettre aussi d’être des porte-voix, de faire tomber les préjugés et de défendre des causes ouvertement. Pour moi l’artiste est hors monde et en plein dedans, il n’est pas cet être naïf, perché sur son nuage et indifférent à tout, pour moi il est en plein dans la vie et son rôle est de premier plan.
J’aime les auteurs troubles et les personnages forts
BBB - Une question me taraude : plutôt qu’un nom de famille pour Charlotte, tu as choisi l’initiale K. C’est un hommage à Kafka ?
NC - Ça aurait pu être une Métamorphose à la Kafka, que j’ai pas mal lu aussi il y a longtemps, j’aime les auteurs troubles et les personnages forts, marquants, à la psychologie intrigante, à la limite entre la raison et la folie. Mais c’est un pur hasard, je trouvais que ça sonnait bien et j’avais envie de laisser planer un mystère, dont je n’ai pas tiré profit d’ailleurs dans le livre.
BBB - Paris-Rome se lit comme un roman véritablement engagé, âpre et en un sens provocateur comme beaucoup de tes livres. On sent chez toi la femme toujours en mouvement. Quel est ton moteur ?
Plus la société veut nous "enfermer", plus elle nous pousse à être engagé. J’estime que nous vivons des régressions, notamment pour les droits des femmes dans le monde, mais pour les personnes elles-mêmes, la multiplication des violences en tout genre, la liberté d’expression, le droit à la différence. J’ai le sentiment qu’on cherche à nous étouffer dans une société où le jugement gratuit est devenu la norme, notamment à travers les réseaux sociaux. J’avoue ne pas le subir personnellement, mais je le vois tous les jours. Mon moteur c’est la vie, peut-être parce que je suis athée et que je ne crois pas à la vie après la mort, alors c’est ici et maintenant. C’est ce que j’ai appris de Nietzsche notamment, le grand "oui" à la vie et dépasser toute chose, toute souffrance pour en faire quelque chose de positif, ne pas être dans le ressentiment, dans la jalousie, dans tous ces sentiments qui sont des freins à la vie et nous empêchent d’avancer. Ma vie a commencé sans père et a continué à mettre sur ma route des épreuves, encore récemment le décès de ma mère, que je surmonte par la création, l’amour, le partage, le soutien aux autres aussi et par ce sentiment que la vie, qui est gratuite et nous offre tous les possibles, doit être respectée, défendue et surtout vécue. Après, c’est à nous de la rendre acceptable et belle, nous en avons les moyens en nous, mais nous subissons tellement de choses de toute part que nous nous laissons enfermer. Ce roman est engagé car il déconditionne l’amour, pas seulement par l’histoire de Paris-Rome, mais aussi avec Rencontre à risque, à la fin du livre. Il montre différents aspects de l’amour et balaie un peu le schéma classique de la vie à deux sous le même toit, qui pour moi n’est pas une condition au bonheur. C’est déjà ce que j’avais fait dans mon premier roman Amour et confusions, en plus érotique. Il est engagé aussi pour la condition des femmes et c’est récurrent dans mes livres. La société doit accepter que des femmes fassent le choix de rester libres, ce qui ne veut pas dire forcément seules, dominantes ou je ne sais quoi, mais vivre leur vie et leur sexualité comme elles l’entendent, sans jugement. Ces femmes font peur, à tort et à raison (sourire), à tort pour les hommes qui voudraient partager leur vie et à raison pour ceux, qui que ce soit, qui voudraient les diriger.
BBB - Un de tes combats est pour la violence faite aux enfants. Peux-tu nous dire où en est aujourd’hui ton combat ?
NC - C’est un long combat difficile pour plusieurs raisons et il suffit de voir ce que font les associations depuis des années, sans toujours parvenir à leur fin en ce qui concerne la prévention, les lois et l’application des lois. Le plus dur est encore à faire je pense, car il faut absolument remettre de l’éducation, mais le refus de la société à ouvrir les yeux et le renoncement des politiques à mettre en place des actions fortes font que rien ne change ou très peu de choses. D’un côté on a allongé le délai de prescription de 20 à 30 ans, ce qui est très bien et de l’autre les victimes ont toujours du mal à porter plainte parce qu’elles sont seules et peu considérées. On ne veut pas croire la difficulté à entamer une action en justice et tout ce que cela implique personnellement et psychologiquement, par exemple. Comme on ne veut pas croire que des parents maltraitent leurs enfants, jusqu’à la barbarie parfois. Les formations promises auprès des professionnels sont rares ou inexistantes, il n’y a pas assez de moyens à tous les niveaux, alors que les violences sexuelles, par exemple, coûtent 8 milliards d’euros à la sécurité sociale chaque année. Mais il n’y a aucune prévention en France. Donc il faut faire avec. Si je suis arrivée sur ce sujet, c’est d’abord parce que des femmes que je faisais témoigner avaient presque toutes subi une agression sexuelle étant jeune. Je me suis dit alors qu’il fallait commencer par là. Ensuite pour des raisons personnelles de proches qui avaient subi l’inceste et en découvrant dans mon entourage, au cours de discussion même anodines, de nombreuses personnes, des femmes, qui avaient subi un viol étant enfant, et il y en a beaucoup trop. Mon implication contre la maltraitance des enfants est plus récente que celle pour les violences faites aux femmes, même si j’ai, tout au long de ma vie, fait des choses pour les enfants. Elle commence en 2017 avec une pétition qui interpelle les politiques, le clip de prévention des agressions sexuelles sur mineur : C’est mon corps, c’est ma vie !, également visible sur le site de France TV éducation et le projet d’un album jeunesse à destination des enfants du primaire. Je suis en discussion depuis plus d’un an et demi avec le ministère de l’éducation nationale, notamment, pour faire de la prévention dans les écoles via cet album. Mais je ne perds pas espoir, je cherche toujours une maison d’édition pour cet album, car je suis persuadée qu’il faut s’adresser directement aux enfants, qui sont les principaux concernés, pour faire changer les mentalités et libérer la parole. Je suis également membre de l’association StopVeo enfance sans violence, dont la présidente, Céline Quelen, déploie des actions essentielles, notamment via un Kit de prévention intitulé : “Les violences éducatives, c’est grave Docteur ?”. Un outil composé d’une affiche et de dépliants, lesquels sont mis à disposition des familles chez les médecins et les professionnels de santé, et ainsi font prendre conscience des conséquences des violences éducatives ordinaires et que l’on peut/doit élever un enfant sans violence. J’invite d’ailleurs tous les professionnels de santé à se rendre sur le site et à commander ce kit.
BBB - Parlons poésie. Car la poésie fait aussi partie de ton parcours. J’ai l’impression d’ailleurs que c’est quelque chose d’important, que tu y reviens régulièrement et que tu fais de la poésie un moment de respiration. Est-ce que c’est ainsi que l’on pourrait qualifier ton rapport avec ta démarche artistique?
NC - Oui, la poésie est très importante pour moi et oui c’est une grande respiration. Même si c’est une part de moi liée aux hommes et donc avec des souffrances aussi. D’abord, c’est la poésie sensuelle qui m’a fait connaître, à ma grande surprise. Je me suis aperçue qu’elle touchait beaucoup de monde, touchait dans le sens des émotions, du vécu, de l’intime, femmes comme hommes pour des raisons différentes et je reçois quantité de messages pour me dire merci et que ça fait du bien. Quel bonheur ! Ma démarche artistique est une démarche humaniste, qui rassemble. La poésie, c’est mon vent de liberté, un vrai plaisir de partage, alors que la peinture est plus introspective encore. La peinture touche à l’inconscient pour moi et reflète mon ressenti, un besoin urgent d’exprimer souvent une douleur pour m’en libérer. La poésie exprime mes émotions et mes sentiments, jusqu’au plaisir sexuel, dans une grande liberté. C’est sa force d’ailleurs, la liberté. Je crois aussi que tout mon travail a un grand rapport au temps, au temps qui passe trop vite, à l’instant que je veux saisir, à toutes ses minutes qui nous échappent et que je veux figer par les mots ou sur la toile, comme des instants de vie à ne jamais oublier.
BBB - La surprise est toujours au rendez-vous lorsque l’on suit ton parcours. Sur quoi travailles-tu? Un nouveau roman, de la poésie, du théâtre ? Ou bien vas-tu t’essayer à une nouvelle expérience artistique?
NC - Oui, j’aime bien surprendre, sinon c’est pas drôle (sourire) ! Alors, je travaille actuellement en tant que co-auteur sur l’écriture de livres pour deux personnalités avec des sujets qui ont du sens et qui devraient faire parler, c’est un gros travail qui va me prendre beaucoup de temps. Le one-woman-show Sex&love.com qui s’est joué près de 100 fois est actuellement revisité en pièce de théâtre. Nous sommes en train de faire la bande annonce pour une montée sur scène dans les mois qui viennent, avec deux comédiennes vraiment superbes et talentueuses. Je poursuis mon projet sur la maltraitance des enfants avec la recherche d’éditeur pour l’album et je suis invitée par la mairie de Nice pour 3 jours de conférence/débat et d’intervention devant des classes de primaire en novembre prochain. Et puis, il y a toujours une place pour les projets imprévus. C’est ce qui fait aussi tout le charme de ma vie d’artiste …
BBB - Merci, Nathalie.
NC - Merci, Bla Bla Blog.
Nathalie Cougny, Paris-Rome, Et Nietzsche rencontre Charlotte suivi de Rencontre à risque éd. Publilivre, 2019, 234 p. https://www.nathaliecougny.fr