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roman - Page 23

  • Il faut capturer Mengele

    nazisme,aushwitz,eichmann,brésil,argentine,paraguay,amérique du sud,allemagne,roman,josef mengeleJosef Mengele représente une figure hors du commun dans l’histoire de la Shoah. D’abord pour ses responsabilités pendant la seconde guerre mondiale : fonctionnaire nazi fanatique et zélé, il fut nommé médecin en chef à Auschwitz de 1943 à 1945, une fonction qu’il occupa en véritable docteur Mabuse, envoyant à la mort des centaines de milliers de déportés. Ensuite par la manière dont il est parvenu à disparaître de la circulation après 1945. De ce point de vue, son itinéraire de fuyard est symptomatique des lacunes de la dénazification après la seconde guerre mondiale.

    Olivier Guez raconte dans son roman historique, La disparition de Josef Mengele (éd. Grasset, Prix Renaudot 2017), le parcours clandestin de cette sinistre figure de la Shoah, des quartiers sinistres de Buenos Aires jusqu’à une ferme isolée de Nova Europa, en passant par le Paraguay de Stroessner ou l’Uruguay. C’est notamment là que Mengele épousa en 1958 en seconde noce Martha, sa propre belle-sœur.

    En véritable détective, Olivier Guez nous prend par la main pour nous entraîner sur les pas du criminel de guerre, certes condamné par contumace, mais qui réussit grâce à ses nombreux soutiens en Amérique latine comme en Europe, à échapper à ses juges. En 1956, l’ancien médecin en chef et bourreau d’Auschwitz va même pouvoir revenir en Europe quelques mois pour voir ses proches, dont son fils.

    Il épouse en 1958 sa propre belle-sœur

    Le lecteur découvre, effaré, une idéologie nazie bien vivace, que ce soit dans l’Argentine péroniste ou dans une RFA traumatisée mais peu encline à véritablement aider à la chasse aux criminels de guerre. En Amérique latine, les anciens fonctionnaires ou militaires du IIIe Reich peuvent trouver des soutiens ou, à tout le moins, de l’indifférence, sinon de l’indulgence.

    À partir de 1960 et l’arrestation d’Eichmann, les choses se corsent cependant pour Mengele qui s’angoisse à l’idée de tomber entre les mains du Mossad. Le nazi en fuite vit dans la peur et la paranoïa permanente, qui ne le quitteront qu’avec sa mort en 1979, au cours d’une noyade au Brésil, sur les côtes atlantiques.

    Olivier Grez signe dans avec ce roman historique un récit plus vrai que nature des trente années d’une vie clandestine, au cours de laquelle jamais Mengele ne manifestera le début d’un remord.

    Olivier Guez, La Disparition de Josef Mengele, éd. Grasset, 2017, 237 p.

  • Le complotisme est-il un humanisme ?

    Je sais ce que vous allez dire : le complotisme n’a pas excellente presse depuis 2001, lorsque les attentats islamistes contre Al Qaïda ont eu pour dégât collatéral de réveiller des mauvaises consciences tour à tour antisémites, anarchistes ou d’extrême-droite. Aujourd’hui, parler en public de complot c’est déjà se ranger dans un camp aux contours gris, sinon peu recommandable.

    Il y a pourtant un complot sur lequel il convient de s’arrêter. Il a récemment été mis au devant de la scène à l’initiative de Donald Trump. Le président populiste américain a pris une des rares décisions à saluer : celle de déclassifier 3100 documents secrets défense autour de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963. Il était temps.

    Le moins que l’on puisse dire c’est que plus de cinquante après la mort de JFK, les braises sont encore si chaudes que l’administration américaine – le FBI et la CIA en tête – est peu pressée de livrer au public les dernières documents sous scellés de ce meurtre. Elle se réserve d'ailleurs le droit de garder sous le coude quelques pièces jugées trop sensibles. "Sensibles pourquoi ?" se demandent comme un seul homme celles et ceux qui voient derrière cet assassinat autre chose qu’un coup de folie entrepris par un meurtrier solitaire obnubilé par des idées marxistes ?

    Certes, il y a toujours la version officielle : JFK a été assassiné par l’ancien marine Lee Harvey Oswald de trois coups de fusil tirés depuis le Texas School Book, une bibliothèque de Dallas, avant d’être arrêté dans la journée dans une salle de cinéma de la ville. Le coupable idéal est lui-même assassiné quelques jours plus tard par Jack Ruby, un personnage au parcours pour le moins trouble.

    Cette thèse, appuyée et soutenue par la commission Warren, est également défendue par Vincent Quivy dans son enquête Qui n’a pas tué John Kennedy ? (éd. Seuil) Le journaliste et écrivain malmène les théories complotistes des plus rocambolesques aux plus réalistes dans un essai aussi précis que tendu. En tordant le coup aux légendes d’un "coup d’État" fomenté par une administration conservatrice irritée par le jeune président américain, d’une opération menée par des barbouzes plus ou moins soutenus par la CIA ou d’une vengeance ourdie par les mafias, Vincent Quivy se fait l’apôtre de la version racontée par les manuels d’histoire : un assassinat ordinaire menée contre un personnage extraordinaire.

    D’où vient alors le malaise de la lecture de ce livre ? Sans doute à cette impression que les questions posées et les zones d’ombres sont chassées avec un mélange d’agacement, de froideur et d’ironie.

    Bien différente est la posture de Thierry Lentz qui, dans un essai documenté et épais, décortique jusqu’au moindre détail les faits et les circonstances de l’événement du 22 novembre 1963. L’Assassinat de John F. Kennedy (éd. Nouveau Monde) propose une lecture à plusieurs facettes d’un fait historique majeur de ces cinquante dernières années. Thierry Lentz souligne d’abord à quel point la société américaine des sixties, annihilée par une prospérité insolente, a pu accepter avec une certaine naïveté un crime commis par un jeune homme à la carrière bien mystérieuse : marine, passé à l’Est avec la même facilité qu’il est revenu dans son pays natal, ayant fréquenté aussi bien les cercles anti-castristes que pro-castristes, et capable de tirer à bout portant sur un Président à l’aide d’un fusil italien en mauvais état. L’auteur pose énormément de questions et le lecteur ne peut qu’en sortir pour le moins troublé : pourquoi la commission Warren a-t-elle toujours appuyé que JFK avait été tué par deux balles par l’arrière alors que le film amateur d’Abraham Zapruder – qui fut d’ailleurs longtemps caché du grand public – montre le Président touché par l’avant ? Comment expliquer le parcours intrigant de Lee Harvey Oswald  ? La théorie de l’homme au parapluie pourrait-elle cacher quelque chose ? Qui sont ces clochards arrêtés puis relâchés après le meurtre ? Pourquoi tant de zones d’ombres autour de l’autopsie du Président, au point que le rapport original a été brûlé dans la cheminée du médecin légiste ? Et pourquoi tant de morts brutales de suspects et de témoins dans les mois et les années qui ont suivi l’assassinat ?

    Ces questions ne sont pas nouvelles. Elles ont été soulevées à partir de 1965 par Jim Garrison, le District Attorney de La Nouvelle Orléans. Outre son témoignage écrit (On the Trail of Assassins), le travail de ce procureur minutieux et opiniâtre ont fait l’objet d’un film à succès d’Oliver Stone à la fin des années 80 (JFK - Affaire non classée). Jim Garrison pointe du doigt la responsabilité de l’administration d’État, et en premier lieu de Lyndon Johnson, vice-président en exercice sous Kennedy, devenu suite à son assassinat son successeur avant d’être élu Président un an plus tard.

    Alors, complot ou pas complot ?

    Durant les années 50 et 60, la société américaine corsetée et engourdie par des envies de consommation et de richesse, la parole officielle pouvait être rassurante. Marc Dugain revisite cette période dans Ils vont tuer Robert Kennedy (Gallimard). Sorti cet automne, ce roman auto- fictionnelle entend parler d’un autre crime célèbre – et d’un autre Kennedy. Il est encore question de complots, que l’auteur lie à sa propre histoire familiale (les décès de son père et de sa mère à un an d’intervalle). Il lie ces interrogations à une analyse forte et troublante de la contre-culture américaine. Marc Dugain transforme sa soif de vérité et sa recherche de complots – imaginaires ou non – à une véritable quête humaine, sinon humaniste, qui n’est pas exempte de paranoïa et de folie.

    Dans son livre dense et passionnant il est amplement question de ces complots qui ont touché une autre famille, les Kennedy et d’autres interrogations portant sur des personnages fondamentaux mais rarement évoqués dans les études sur l’assassinat de Dallas : que faisaient les futurs présidents George Bush, un familier de la CIA, dont il prendra la tête quelques années plus tard, et son fils George W. Bush dans cette ville ? Pourquoi une telle amnésie ?

    Autant de questions que l’ouverture des archives publiques américaines pourraient bien aider à éclaircir. À moins que le FBI et la CIA ne se gardent pour encore quelques années les documents les plus fondamentaux. Jusqu’au décès des derniers acteurs, George Bush en tête ?

    Vincent Quivy, Qui n’a pas tué John Kennedy ?, éd. Seuil, 2013, 285 p.
    Thierry Lentz, L’Assassinat de John F. Kennedy, éd. Nouveau Monde, 2010, 446 p.
    Jim Garrison, JFK, éd. J’ai Lu, 1988, 319 p.
    Marc Dugain, Ils vont tuer Robert Kennedy, éd. Gallimard, 399 p.

  • La femme est l'avenir de l'homme planqué

    Durant la Grande Guerre, un soldat déserte en se travestissant en femme. Le synopsis du film d’André Téchiné, Nos Années folles, est la trame d’une autre œuvre, le roman de Frédéric Lenormand, Seules les Femmes sont éternelles (éd. de la Martinière). L’auteur des Nouvelles Enquêtes du Juge Ti (éd. Fayard) inaugure avec ce polar enlevé et haut-en-couleur une nouvelle série policière : Les Enquêtes de Loulou Chandeleur.

    Loulou Chandeleur est en réalité Raymond Février, brillant inspecteur de police que l’armée appelle pour venir mourir dans les tranchées. Très peu pour ce fin limier, bien décidé à faire le mort pour échapper à la patrie plutôt qu’à l’être vraiment dans la boue. Le fonctionnaire Ray déserte donc en disparaissant et choisit, avec la complicité de Léonie, une prostituée qu’il a tirée d’affaire, de se travestir en femme sous l’identité de Loulou Chandeleur.

    Et parce qu’il est un enquêteur hors-pair, c’est aussi comme enquêteur – ou plutôt enquêtrice – que Ray/Loulou réapparaît dans un Paris en guerre, vidé de ses hommes partis au front et peuplé de femmes devenus conductrices de tramway, ouvrières ou détectives privées. C’est justement une détective privée qui recrute Loulou Chandeleur pour l’agence qu’elle dirige depuis la mobilisation de son père. La sémillante mais inexpérimentée Cecily Barnett va former avec cette employée douée et tombée du ciel un duo détonnant.

    Leur première affaire concerne une étrange histoire de chantage : la baronne Schlésinger charge l’agence de détective de découvrir le maître-chanteur qui menace son fils Paul parti au front. Pour alléger le compte en banque de l’aristocrate bien sous tout rapport, le corbeau laisse sur son passage des macchabées. L’enquête mène Loulou et Miss Barnett dans des endroits interlopes et en compagnie de personnages peu recommandables, avant un dénouement inattendu.

    "Je suis avec vous mes sœurs"

    La vraie originalité de cette première enquête de Loulou Chandeleur réside dans l’histoire de travestissement, inspirée par l’authentique subterfuge du soldat déserteur Paul Grappe. Ici, Frédéric Lenormand en fait le point de départ d’un roman policier à la Arsène Lupin, virevoltant, ponctué de rebondissements, de traits d’humour et de dialogues qui font mouche. En endossant, pour sa survie, les atours que lui conseille Léonie ("Décidément, la femme était l’avenir de l’homme planqué."), Ray devient un semblable de celles qu’il considère très vite comme ses semblables.

    Métamorphosé, l’ancien policier élevé dans une société machiste découvre la réalité de ces Françaises tenant à bout de bras l’arrière d’un pays plongé dans une guerre inhumaine : "Sa mission était de se battre pour la vie. Cela pouvait très bien se faire en jupe, personne n’avait besoin d’un pantalon pour ça. Il regarda les femmes autour de lui, celle qui se lamentait, celles qui retournaient à leur travail, et se dit : « Je suis avec vous mes sœurs ! »"

    L’émancipation féminine est aussi au cœur de Seules les Femmes sont éternelles. Il y a par exemple cette scène de "sédition" au cors de laquelle Loulou et Cecily se muent en suffragettes au cours d’une investigation auprès d’ouvrières : "Miss Barnett (…) se sentait devenir la Cecily Engels de Loulou Marx."

    Devenu femme "dans un océan d’autres", Ray n’en reste pas moins un homme devant soigner sa couverture s’il veut vivre parmi les "survivantes", ce qui ne va pas sans dilemme : "Il avait le choix entre s’exiler dans des tranchées dépourvue de femmes ou rester ici sans pouvoir profiter de sa chance."

    Le lecteur se plongera enfin avec plaisir dans un polar à l’ancienne qui est aussi un roman historique pour sa peinture plus vraie que nature de la vie à l'arrière du front. Et parce que le crime ne s’arrête pas pendant la guerre, on peut faire confiance à Loulou Chandeleur et son amie Cecily Barnett pour mener à bien leurs enquêtes, que ce soit en jupon ou en pantalon.

    Frédéric Lenormand, Seules les Femmes sont éternelles,
    Une Enquête de Loulou Chandeleur
    , éd. de la Martinière, 286 p., 2017

     

  • On achève bien les romans

    Terry Pratchett, l’auteur mythique de la saga de fantasy Les Annales du Disque-monde refait parler de lui, deux ans après son décès le 12 mars 2015.

    Le 31 août dernier, c’est pour respecter ses dernières volontés que son ami Rob Wilkins s’est chargé de détruire les derniers travaux sur lesquels travaillait Terry Pratchett au moment de sa mort. Un disque dur de l’auteur britannique, comprenant notamment 10 romans inachevés et des notes inédites, ont été détruites en public… au rouleau compresseur.

    Avec un sens de la provocation peu commune pour ce genre d’événement, Rob Wilkins a choisi d’utiliser un engin de chantier du XIXe siècle. Le disque dur sacrifié devrait être exposé au musée de Salisbury à partir de septembre prochain.

    Et voilà comment s’achève l’œuvre romanesque d’une œuvre monumentale vendue à plus de 80 millions d’exemplaires. Face aux réactions courroucés d’admirateurs de Terry Pratchett, Rob Wilkins a commenté ainsi les dernières volontés de l’auteur des Annales du Disque-monde : "Un dangereux rouleau compresseur, 10 romans non publiés, et regardez tous les problèmes dans lesquels je suis."

    http://www.terrypratchett.fr
    "Terry Pratchett, ou comment conquérir le Disque-Monde ?", Fantasy à la Carte

  • Victor, Victoria

    Je ne sais pas pour vous, mais moi j’ai un faible pour les romans traitant du diable, de rites sataniques et autres objets démoniaques. Il se dégage de ces livres un je ne sais quoi de soufre, de provocation, voire même d’interdits. Bien sûr, cela fait des lustres que ce genre d’ouvrages ne risque plus l’index de l’Église, les foudres des autorités publiques ou de passer sous les fourches caudines de la censure. Code Victoria de Thomas Laurent (éd. Zinedi) aurait été, en un temps pas si lointain, pointé du doigt. Pour le lecteur de 2017, ce thriller mené tambour battant apportera une délectation certaine.

    La Victoria du titre est la narratrice et personnage principale du roman : une journaliste et bloggeuse, partie à la recherche de son compagnon et âme sœur, Victor. Il a passé ses dernières heures à Rochehauh, un village paumé au fin fond de l’Ariège et condamné à disparaître englouti par les eaux d’un barrage. Victor est déclaré mort et Victoria part à sa recherche, recherche qui la mène sur les traces d’un manuscrit mystérieux, dans un lieu aux lourds secrets et aux stupéfiantes croyances. 

    La journaliste, transformée en héroïne d’un autre genre, à mi-chemin entre Guillaume de Baskerville et Lara Croft, est lancée dans une investigation à haut risque autour d'un codex médiéval crypté et, à l’instar d’un épisode de Twilight Zone, du diable emprisonné au sein d’un monastère : "L’Ordo Oleam a choisi l’endroit, et c’est un bon lieu. Pour que les hommes n’aient plus à craindre la Bête, ils l’y ont enfermée. Le Diable sommeille, et les moines en sont les gardiens. Ne gravissez jamais ces monts, disaient-ils, ne cherchez pas du regard leurs cimes au milieu des nuages : car là est et sera pour l’éternité la prison du Diable."

    Thomas Laurent s’est inspiré de l’histoire troublante de Rennes-le-Château et de l’abbé Bérenger Saunière tout autant que d’exemples de manuscrits mystérieux (celui de Voynich notamment) pour bâtir une intrigue à la Dan Brown. Des documents anciens, une relique ardemment chassée par des individus prêts à tout, du surnaturel, des crimes impunis, des disparitions mystérieuses et un passé peu glorieux forment un parfait cocktail pour une chasse au démon… et aux nazis.

    Dans un village de tous les dangers, Victoria, notre Indiana Jones féminine, se débat comme une diablesse pour faire surgir la vérité et aller sur les traces de son petit ami Victor. L’auteur strasbourgeois fait se croiser monde contemporain, érudition et croyances millénaires pour écrire son deuxième thriller. Tout comme son premier roman, Le Signe du Diable (éd. Zinedi), Thomas Laurent nous parle de surnaturel et de superstitions, finalement pas si étrangers que cela à notre époque contemporaine  : "Les hommes et les femmes du Moyen Âge, ceux qui avaient cru aux sorcières, aux goules et aux vampires, n’étaient pas si différents. Ils n’étaient pas plus stupides : on aurait tort de se croire préservé des superstitions, des croyances irrationnelles, sous prétexte que le monde avait changé. Rochehauh en était la preuve."

    Thomas Laurent, Code Victoria, éd. Zinedi, 2017, 261 p.
    https://www.facebook.com/thomas.laurent.ecrivain

    http://www.zinedi.com/pages/auteurs/thomas-laurent.html

  • L'odyssée de Nicci, vers l'infini et au-delà

    Je vous ai trouvé une lecture idéale pour cet été. Je ne vous parle pas de polars, de romans historiques ou d’une guimauve sentimentale. Non, l’un des musts pour cet été est de mettre dans votre valise un livre de fantasy, et de la bonne si possible.

    Terry Goodkind a signé L’Épée de vérité, un cycle de 15 volumes (sans les préquelles), bien connu des amateurs de fantasy. La Maîtresse de la Mort est le premier volume de son nouveau cycle, Les Chroniques de Nicci.

    Cette Nicci, aux lointains airs de Daenerys Targaryen et au doux surnom de "Maîtresse de la Mort", est une magicienne apparue avec L’Épée de vérité. Elle devient le personnage principal de cette nouvelle série de Terry Goodkind.

    Accompagnée du sorcier Nathan Rahl, un autre revenant du précédent cycle, la magicienne a été chargée par le seigneur Richard Rahl de visiter les limites de l’empire connu – et au-delà. C’est en diplomate vers des terres inconnues que Nicci entend aussi tourner une page de sa propre existence et retrouver "sa vie et sa liberté".

    Les voyageurs entament la mission par la visite de Rouge, une voyante réputée. Le sorcier se voit délivrer son Livre de Vie, sensé contenir le passé et le l’avenir de son possesseur. Or, le futur des deux envoyés pourrait bien se situer dans un étrange lieu, Kol Adair, dans une zone de l’Ancien Monde.

    Ainsi commence cette première Chronique de Nicci. La magicienne et Nathan sont bientôt rejoints par un troisième compagnon, Bannon. Le voyage de ces ambassadeurs d’un nouveau genre devient une odyssée épique et picaresque dans des régions inconnues et reculées. L’aventure, les dangers, les rencontres impromptues et les morts brutales jalonnent ce premier volume passionnant où l’imagination de Terry Goodkind fait merveille : attaque de selka et de morts-vivants, découvertes de villes surnaturelles, raid d’esclavagistes Norukai, affrontement avec l’impitoyable Juge Suprême et, the last but not the least, la guerre contre les éléments naturels de vie et de mort à partir du Surplomb du Monde.

    Nicci, dangereuse et mystérieuse magicienne guerrière, porte à elle seule cette odyssée aux rebondissements incessants. Les derniers chapitres ouvrent même la porte non seulement à une suite mais aussi à un futur cycle : gageons que nous pourrons trouver en librairie d’ici quelques années de nouvelles chroniques autour des érudits et mémorialistes du Surplomb du Monde, Oliver et Peretta, chargés de faire le voyage inverse de celui de Nicci.

    En attendant, cette dernière production de Terry Goodkind ne trahit pas l’essence de la fantasy, la littérature de l’imaginaire par excellence. Tout y est : quête pour sauver le monde, luttes entre le bien le mal, héros attachants, messages édifiants ("Mes vœux, je fais en sorte qu'ils se réalisent, et ma chance je la fabrique", dit par exemple la magicienne), voyages initiatiques ("L'avenir et le destin dépendant à la fois du voyage et de la destination"), créatures fantastiques et civilisations créées de toute pièce. Ajoutez à cela quelques dragons, des femmes fatales, de l’humour et des dialogues vivants : Terry Goodkind offre à ses millions d’admirateurs le parfait compagnon de lecture et de voyages.

    Terry Goodkind, La Maîtresse de la Mort,
    Les Chroniques de Nicci
    , tome 1, éd. Bragelonne, 2017, 478 p.

    http://www.terrygoodkind.fr

  • Alsacian fake story

    C’est d’une falsification dont il est question dans le roman de François Hoff, Floréal Krattz, écrivain inachevé (éd. Le Verger). Vraie fausse chronique, l’auteur nous raconte la création d’une imposture littéraire, décidée et pensée par quelques notables et intellectuels alsaciens. À l’instar du trio imaginé par Umberto Eco dans Le Pendule de Foucault, le narrateur se lance avec des congénères falsificateurs dans un canular pensé jusque dans ses moindres détails. L’objectif très sérieux  est d’offrir à l’Alsace une figure emblématique : "Nous allons discuter pour élire une personnalité-phare de la culture, de l’art ou de la pensée alsacienne. Ce sera un choix, forcément arbitraire, et qui ne portera pas nécessairement sur quelqu’un de très connu déjà."

    L’histoire de ce Floréal Krattz commence par la découverte d’un journal anonyme lors de travaux de rénovations d’un lycée de Strasbourg. Son auteur est un obscur professeur ou un pion qui a côtoyé la bonne société du XIXe siècle. Un mystérieux organisme de lobbying, soutenu en sous-main par les autorités régionales et organisé en société secrète, demande à des conjurés triés sur le volet de faire de ce journal le point de départ d’une fake story. Floréal Krattz sera sensé être une "figure positive, dans laquelle les Alsaciens puissent se reconnaître, et dans laquelle on puisse reconnaître les Alsaciens," pour "la construction cohérente et positive de l’Alsace." En bref, une sorte de marque déposée destinée "à améliorer l’image touristique de la région."

    Au terme d’un brainstorming, l’obscur écrivain, dont on a découvert le journal dans la quasi-indifférence, se voit affublé d’un état civil : Floréal Krattz. Cette créature aura vocation à devenir pour l’Alsace ce qu’était James Joyce pour Dublin, Shakespeare pour l’Angleterre ou Frantz Kafka pour Prague.

    La référence à l’auteur du Procès n’est pas innocente. Outre que Floréal Krattz porte les mêmes initiales que Frantz Kafka, il est aussi l’auteur d’un journal capital dans lequel l’obscur Strasbourgeois déplore son incapacité à produire et à publier des œuvres grandioses qui seront découvertes dans ce journal. "L’écriture du moi devient l’activité majeure de sa vie, et elle est, non pas l’accompagnement de son œuvre, mais l’œuvre elle-même." Le travail de faussaire pensé par les conjurés devient mieux qu’une machinerie destinée à duper : une création à part entière donnant vie à Floréal Krattz.

    Les auteurs tracent son parcours de vie, jusqu’à sa mort dans le chaos des bombardements de 1870. Les conjurés littérateurs produisent surtout des textes hétéroclites, l’essentiel de son œuvre littéraire qui serait tombée dans l’oubli : un roman historique (Fabricius ou les Partisans d’Altitona), un roman-feuilleton à la Eugène Sue (Les Mystères de Strasbourg, un ouvrage qui a en réalité été écrit en 2013 par… François Hoff), des références à un drame (Eticon), des poèmes, des cantiques ou des chansons écrits en français, en alsacien ou en allemand, des nouvelles fantastiques, mais également des enquêtes policières, un genre dont est spécialiste François Hoff.

    L’auteur fait de cette fake story alsacienne un roman plus vrai que nature sur un écrivain imaginaire du XIXe. Les références littéraires ne manquent pas : Alexandre Dumas, Eugène Sue, Fustel de Coulanges, Balzac mais aussi, plus proche de nous, Georges Perec, Umberto Eco ou Frantz Kafka.

    Ni génie, ni figure politique, ni intellectuel engagé, Floréal Krattz dépasse le stade du canular littéraire : le succès de ce monstre littéraire échappe à ses créateurs et finit par devenir une idole effrayante. Étrange destin pour cet écrivain alsacien raté promu au rang d’icône régionale, ce qu’un comploteur résume ainsi avec férocité : "Il est médiocre, touche-à-tout, indécis, éclectique, contradictoire. Vous vouliez en faire un Alsacien typique ? Vous l’avez."

    François Hoff, Floréal Krattz, écrivain inachevé (1828-1970), éd. Le Verger, 2017, 247 p.
    http://www.verger-editeur.fr

  • Frontières

    Un petit mot d’abord sur le titre du roman de Ragnar Jónasson, Mörk (éd. De La Martinière). En islandais, mörk désigne la frontière ou la marche frontalière. Il est vrai que l’intrigue de ce polar venu du nord se situe à Siglufjördur, à l’extrême nord de l’Islande. Dans ce village proche du cercle polaire, un meurtre impensable a lieu. Alors que le pays est à la frontière entre l’automne et l’hiver, l’inspecteur Herjólfur intervient aux abords d’une maison abandonnée. Un coup de feu retentit. Le policier est abattu.

    Son collègue Ari Thór (déjà apparu dans son précédent roman Snjór) est chargé de l’enquête dans ce coin reculé et, jusque-là, paisible. Secondé par l’inspecteur Tómas, le crime de l’inspecteur Herjólfur pourrait bien être le révélateur de lourds secrets : celui de cette maison bien entendu, mais aussi ceux du maire Gunnar Gunnarsson, de sa collaboratrice Elín et de quelques notables de la région.

    Entre chien et loup, Mörk déploie à partir d’une intrigue policière a priori classique un ensemble de tableaux tragiques, ponctués par des extraits d’un journal intime qui viendra éclairer les circonstances du drame. À la frontière du polar et du roman intime, le livre de Ragnar Jónasson, multi-récompensé, nous murmure à l’oreille des histoires de vies brisées, de mensonges destructeurs, de cachotteries cruelles et de soifs de rédemptions.

    Mörk prouve aussi que le polar venu du froid a encore beaucoup à nous raconter.

    Ragnar Jónasson, Mörk, éd. De La Martinière, 326 p., 2017