Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

roman - Page 24

  • On achève bien les romans

    Terry Pratchett, l’auteur mythique de la saga de fantasy Les Annales du Disque-monde refait parler de lui, deux ans après son décès le 12 mars 2015.

    Le 31 août dernier, c’est pour respecter ses dernières volontés que son ami Rob Wilkins s’est chargé de détruire les derniers travaux sur lesquels travaillait Terry Pratchett au moment de sa mort. Un disque dur de l’auteur britannique, comprenant notamment 10 romans inachevés et des notes inédites, ont été détruites en public… au rouleau compresseur.

    Avec un sens de la provocation peu commune pour ce genre d’événement, Rob Wilkins a choisi d’utiliser un engin de chantier du XIXe siècle. Le disque dur sacrifié devrait être exposé au musée de Salisbury à partir de septembre prochain.

    Et voilà comment s’achève l’œuvre romanesque d’une œuvre monumentale vendue à plus de 80 millions d’exemplaires. Face aux réactions courroucés d’admirateurs de Terry Pratchett, Rob Wilkins a commenté ainsi les dernières volontés de l’auteur des Annales du Disque-monde : "Un dangereux rouleau compresseur, 10 romans non publiés, et regardez tous les problèmes dans lesquels je suis."

    http://www.terrypratchett.fr
    "Terry Pratchett, ou comment conquérir le Disque-Monde ?", Fantasy à la Carte

  • Victor, Victoria

    Je ne sais pas pour vous, mais moi j’ai un faible pour les romans traitant du diable, de rites sataniques et autres objets démoniaques. Il se dégage de ces livres un je ne sais quoi de soufre, de provocation, voire même d’interdits. Bien sûr, cela fait des lustres que ce genre d’ouvrages ne risque plus l’index de l’Église, les foudres des autorités publiques ou de passer sous les fourches caudines de la censure. Code Victoria de Thomas Laurent (éd. Zinedi) aurait été, en un temps pas si lointain, pointé du doigt. Pour le lecteur de 2017, ce thriller mené tambour battant apportera une délectation certaine.

    La Victoria du titre est la narratrice et personnage principale du roman : une journaliste et bloggeuse, partie à la recherche de son compagnon et âme sœur, Victor. Il a passé ses dernières heures à Rochehauh, un village paumé au fin fond de l’Ariège et condamné à disparaître englouti par les eaux d’un barrage. Victor est déclaré mort et Victoria part à sa recherche, recherche qui la mène sur les traces d’un manuscrit mystérieux, dans un lieu aux lourds secrets et aux stupéfiantes croyances. 

    La journaliste, transformée en héroïne d’un autre genre, à mi-chemin entre Guillaume de Baskerville et Lara Croft, est lancée dans une investigation à haut risque autour d'un codex médiéval crypté et, à l’instar d’un épisode de Twilight Zone, du diable emprisonné au sein d’un monastère : "L’Ordo Oleam a choisi l’endroit, et c’est un bon lieu. Pour que les hommes n’aient plus à craindre la Bête, ils l’y ont enfermée. Le Diable sommeille, et les moines en sont les gardiens. Ne gravissez jamais ces monts, disaient-ils, ne cherchez pas du regard leurs cimes au milieu des nuages : car là est et sera pour l’éternité la prison du Diable."

    Thomas Laurent s’est inspiré de l’histoire troublante de Rennes-le-Château et de l’abbé Bérenger Saunière tout autant que d’exemples de manuscrits mystérieux (celui de Voynich notamment) pour bâtir une intrigue à la Dan Brown. Des documents anciens, une relique ardemment chassée par des individus prêts à tout, du surnaturel, des crimes impunis, des disparitions mystérieuses et un passé peu glorieux forment un parfait cocktail pour une chasse au démon… et aux nazis.

    Dans un village de tous les dangers, Victoria, notre Indiana Jones féminine, se débat comme une diablesse pour faire surgir la vérité et aller sur les traces de son petit ami Victor. L’auteur strasbourgeois fait se croiser monde contemporain, érudition et croyances millénaires pour écrire son deuxième thriller. Tout comme son premier roman, Le Signe du Diable (éd. Zinedi), Thomas Laurent nous parle de surnaturel et de superstitions, finalement pas si étrangers que cela à notre époque contemporaine  : "Les hommes et les femmes du Moyen Âge, ceux qui avaient cru aux sorcières, aux goules et aux vampires, n’étaient pas si différents. Ils n’étaient pas plus stupides : on aurait tort de se croire préservé des superstitions, des croyances irrationnelles, sous prétexte que le monde avait changé. Rochehauh en était la preuve."

    Thomas Laurent, Code Victoria, éd. Zinedi, 2017, 261 p.
    https://www.facebook.com/thomas.laurent.ecrivain

    http://www.zinedi.com/pages/auteurs/thomas-laurent.html

  • L'odyssée de Nicci, vers l'infini et au-delà

    Je vous ai trouvé une lecture idéale pour cet été. Je ne vous parle pas de polars, de romans historiques ou d’une guimauve sentimentale. Non, l’un des musts pour cet été est de mettre dans votre valise un livre de fantasy, et de la bonne si possible.

    Terry Goodkind a signé L’Épée de vérité, un cycle de 15 volumes (sans les préquelles), bien connu des amateurs de fantasy. La Maîtresse de la Mort est le premier volume de son nouveau cycle, Les Chroniques de Nicci.

    Cette Nicci, aux lointains airs de Daenerys Targaryen et au doux surnom de "Maîtresse de la Mort", est une magicienne apparue avec L’Épée de vérité. Elle devient le personnage principal de cette nouvelle série de Terry Goodkind.

    Accompagnée du sorcier Nathan Rahl, un autre revenant du précédent cycle, la magicienne a été chargée par le seigneur Richard Rahl de visiter les limites de l’empire connu – et au-delà. C’est en diplomate vers des terres inconnues que Nicci entend aussi tourner une page de sa propre existence et retrouver "sa vie et sa liberté".

    Les voyageurs entament la mission par la visite de Rouge, une voyante réputée. Le sorcier se voit délivrer son Livre de Vie, sensé contenir le passé et le l’avenir de son possesseur. Or, le futur des deux envoyés pourrait bien se situer dans un étrange lieu, Kol Adair, dans une zone de l’Ancien Monde.

    Ainsi commence cette première Chronique de Nicci. La magicienne et Nathan sont bientôt rejoints par un troisième compagnon, Bannon. Le voyage de ces ambassadeurs d’un nouveau genre devient une odyssée épique et picaresque dans des régions inconnues et reculées. L’aventure, les dangers, les rencontres impromptues et les morts brutales jalonnent ce premier volume passionnant où l’imagination de Terry Goodkind fait merveille : attaque de selka et de morts-vivants, découvertes de villes surnaturelles, raid d’esclavagistes Norukai, affrontement avec l’impitoyable Juge Suprême et, the last but not the least, la guerre contre les éléments naturels de vie et de mort à partir du Surplomb du Monde.

    Nicci, dangereuse et mystérieuse magicienne guerrière, porte à elle seule cette odyssée aux rebondissements incessants. Les derniers chapitres ouvrent même la porte non seulement à une suite mais aussi à un futur cycle : gageons que nous pourrons trouver en librairie d’ici quelques années de nouvelles chroniques autour des érudits et mémorialistes du Surplomb du Monde, Oliver et Peretta, chargés de faire le voyage inverse de celui de Nicci.

    En attendant, cette dernière production de Terry Goodkind ne trahit pas l’essence de la fantasy, la littérature de l’imaginaire par excellence. Tout y est : quête pour sauver le monde, luttes entre le bien le mal, héros attachants, messages édifiants ("Mes vœux, je fais en sorte qu'ils se réalisent, et ma chance je la fabrique", dit par exemple la magicienne), voyages initiatiques ("L'avenir et le destin dépendant à la fois du voyage et de la destination"), créatures fantastiques et civilisations créées de toute pièce. Ajoutez à cela quelques dragons, des femmes fatales, de l’humour et des dialogues vivants : Terry Goodkind offre à ses millions d’admirateurs le parfait compagnon de lecture et de voyages.

    Terry Goodkind, La Maîtresse de la Mort,
    Les Chroniques de Nicci
    , tome 1, éd. Bragelonne, 2017, 478 p.

    http://www.terrygoodkind.fr

  • Alsacian fake story

    C’est d’une falsification dont il est question dans le roman de François Hoff, Floréal Krattz, écrivain inachevé (éd. Le Verger). Vraie fausse chronique, l’auteur nous raconte la création d’une imposture littéraire, décidée et pensée par quelques notables et intellectuels alsaciens. À l’instar du trio imaginé par Umberto Eco dans Le Pendule de Foucault, le narrateur se lance avec des congénères falsificateurs dans un canular pensé jusque dans ses moindres détails. L’objectif très sérieux  est d’offrir à l’Alsace une figure emblématique : "Nous allons discuter pour élire une personnalité-phare de la culture, de l’art ou de la pensée alsacienne. Ce sera un choix, forcément arbitraire, et qui ne portera pas nécessairement sur quelqu’un de très connu déjà."

    L’histoire de ce Floréal Krattz commence par la découverte d’un journal anonyme lors de travaux de rénovations d’un lycée de Strasbourg. Son auteur est un obscur professeur ou un pion qui a côtoyé la bonne société du XIXe siècle. Un mystérieux organisme de lobbying, soutenu en sous-main par les autorités régionales et organisé en société secrète, demande à des conjurés triés sur le volet de faire de ce journal le point de départ d’une fake story. Floréal Krattz sera sensé être une "figure positive, dans laquelle les Alsaciens puissent se reconnaître, et dans laquelle on puisse reconnaître les Alsaciens," pour "la construction cohérente et positive de l’Alsace." En bref, une sorte de marque déposée destinée "à améliorer l’image touristique de la région."

    Au terme d’un brainstorming, l’obscur écrivain, dont on a découvert le journal dans la quasi-indifférence, se voit affublé d’un état civil : Floréal Krattz. Cette créature aura vocation à devenir pour l’Alsace ce qu’était James Joyce pour Dublin, Shakespeare pour l’Angleterre ou Frantz Kafka pour Prague.

    La référence à l’auteur du Procès n’est pas innocente. Outre que Floréal Krattz porte les mêmes initiales que Frantz Kafka, il est aussi l’auteur d’un journal capital dans lequel l’obscur Strasbourgeois déplore son incapacité à produire et à publier des œuvres grandioses qui seront découvertes dans ce journal. "L’écriture du moi devient l’activité majeure de sa vie, et elle est, non pas l’accompagnement de son œuvre, mais l’œuvre elle-même." Le travail de faussaire pensé par les conjurés devient mieux qu’une machinerie destinée à duper : une création à part entière donnant vie à Floréal Krattz.

    Les auteurs tracent son parcours de vie, jusqu’à sa mort dans le chaos des bombardements de 1870. Les conjurés littérateurs produisent surtout des textes hétéroclites, l’essentiel de son œuvre littéraire qui serait tombée dans l’oubli : un roman historique (Fabricius ou les Partisans d’Altitona), un roman-feuilleton à la Eugène Sue (Les Mystères de Strasbourg, un ouvrage qui a en réalité été écrit en 2013 par… François Hoff), des références à un drame (Eticon), des poèmes, des cantiques ou des chansons écrits en français, en alsacien ou en allemand, des nouvelles fantastiques, mais également des enquêtes policières, un genre dont est spécialiste François Hoff.

    L’auteur fait de cette fake story alsacienne un roman plus vrai que nature sur un écrivain imaginaire du XIXe. Les références littéraires ne manquent pas : Alexandre Dumas, Eugène Sue, Fustel de Coulanges, Balzac mais aussi, plus proche de nous, Georges Perec, Umberto Eco ou Frantz Kafka.

    Ni génie, ni figure politique, ni intellectuel engagé, Floréal Krattz dépasse le stade du canular littéraire : le succès de ce monstre littéraire échappe à ses créateurs et finit par devenir une idole effrayante. Étrange destin pour cet écrivain alsacien raté promu au rang d’icône régionale, ce qu’un comploteur résume ainsi avec férocité : "Il est médiocre, touche-à-tout, indécis, éclectique, contradictoire. Vous vouliez en faire un Alsacien typique ? Vous l’avez."

    François Hoff, Floréal Krattz, écrivain inachevé (1828-1970), éd. Le Verger, 2017, 247 p.
    http://www.verger-editeur.fr

  • Frontières

    Un petit mot d’abord sur le titre du roman de Ragnar Jónasson, Mörk (éd. De La Martinière). En islandais, mörk désigne la frontière ou la marche frontalière. Il est vrai que l’intrigue de ce polar venu du nord se situe à Siglufjördur, à l’extrême nord de l’Islande. Dans ce village proche du cercle polaire, un meurtre impensable a lieu. Alors que le pays est à la frontière entre l’automne et l’hiver, l’inspecteur Herjólfur intervient aux abords d’une maison abandonnée. Un coup de feu retentit. Le policier est abattu.

    Son collègue Ari Thór (déjà apparu dans son précédent roman Snjór) est chargé de l’enquête dans ce coin reculé et, jusque-là, paisible. Secondé par l’inspecteur Tómas, le crime de l’inspecteur Herjólfur pourrait bien être le révélateur de lourds secrets : celui de cette maison bien entendu, mais aussi ceux du maire Gunnar Gunnarsson, de sa collaboratrice Elín et de quelques notables de la région.

    Entre chien et loup, Mörk déploie à partir d’une intrigue policière a priori classique un ensemble de tableaux tragiques, ponctués par des extraits d’un journal intime qui viendra éclairer les circonstances du drame. À la frontière du polar et du roman intime, le livre de Ragnar Jónasson, multi-récompensé, nous murmure à l’oreille des histoires de vies brisées, de mensonges destructeurs, de cachotteries cruelles et de soifs de rédemptions.

    Mörk prouve aussi que le polar venu du froid a encore beaucoup à nous raconter.

    Ragnar Jónasson, Mörk, éd. De La Martinière, 326 p., 2017

  • La vie sexuelle de Laura L.

    Récit, roman, ou autofiction ? La catégorie du livre de Laura Lambrusco, Comment j’ai raté ma Vie sexuelle (éd. Act), importe sans doute moins que la facture décomplexée d’un ouvrage à la langue aussi verte qu’un gazon irlandais et aussi pétillant qu'un verre de lambrusco.

    En 14 chapitres, cette auteure qui n’a pas froid aux yeux dévoile tout de ses frasques amoureuses, de ses parties de jambes en l’air et de sa vie sociale régie par les petits boulots, les fins de mois difficiles et les amants et maîtresses de passage.

    A l’instar de Catherine Millet (La Vie sexuelle de Catherine M.), mais avec plus de légèreté et de verve, Laura L. ne cache rien du sexe dont elle a exploré les moindres recoins, dans toutes les positions et avec à peu près n’importe qui. Voilà qui fait d’elle quelqu’un de tout indiqué pour nous parler "sérieusement" du sujet le plus universel, le plus partagé mais aussi le plus caché : "La baise, l’amour, les pratiques bizarres, l’exclusivité sexuelle dans le couple, la bisexualité, l’homosexualité, la beauté, la branlette, l’enculage, le cocufiage, le mariage, les gosses, le boulot, les boîtes à partouze… et encore tout un tas de questions qui font chier, au fond, parce qu’elles dérangent l’ordre social plus que nous-mêmes."

    Et pour déranger, Laura L. en dérangera sans doute quelques-uns. D’abord par son style, un argot que la belle revendique : "L’argot, pour plein de choses, c’est mieux que le langage châtié, qui a parfois tendance à être un langage châtré." Cette langue assumée et travaillée à la Cavanna nous rend immédiatement familier cette bonne copine qui a décidé de ne rien cacher de ses fantasmes comme de ses coups d'un ou plusieurs soirs.

    L’auteure ne se contente pas de dresser un tableau de chasse de ses conquêtes masculines et féminines. Elle esquisse aussi quelques jolis portraits, tour à tout émouvants, singuliers ou pathétiques des hommes et des femmes qu’elle a croisés. Parmi ceux-ci, figure en première place Paulette, le rare personnage tragique de ce roman. Cette modeste caissière de supermarché est l’antithèse de Laura : quinquagénaire cataloguée comme "pas très jolie" mais au cœur d’or, fière et éprise d’idéal amoureux.

    Contrairement à Paulette, Laura s'écarte de ce destin tragique toute tracée. Elle n’est pas du bois dont on fait les femmes soumises, frustrées ou méprisantes pour ses contemporains. Elle aime le sexe, jusqu’à tenter les expériences les plus diverses : adultères en chaîne, lesbianisme, sodomie, escort-girl, boîtes de nuit ou strip-teases pour particuliers. Une vie sexuelle bien réussie en un sens… mais aussi ratée : en empruntant des chemins de traverse, notre Laura choisit en toute connaissance de cause la marginalité. Et même lorsqu’elle décide de suivre une "voie vertueuse", par exemple un modeste travail de secrétariat, "grâce à magnifique curriculum vitae, à peu près entièrement faux, mais qui reprenait point pour point ce qu’ils demandaient dans l’annonce", la belle expérimente une autre facette de la sexualité, glauque et scandaleuse, et qu’elle traite avec humour et férocité. Elle égratigne du même coup ces petits chefs qui pullulent en entreprise.

    Dans Comment j'ai raté ma Vie sexuelle, il est bien question de la "misère et grandeur" de cette vie faite de liberté mais aussi de solitude : Laura tire à boulet rouge sur la plupart des hommes qu’elle côtoie tout en se montrant en général bienveillante pour ses sœurs féminines, dont certaines ont d’ailleurs partagé un moment ou un autre son lit.

    Au final, Laura Lambrusco écrit dans les dernières lignes : "Voilà, vous savez tout et comment j’ai raté ma vie sexuelle. Et le reste aussi, ma vie professionnelle, affective, amoureuse, tout… Vous me trouvez pas humaine ? Très humaine ?" Cette ode à l’indépendance et à la liberté pourrait cependant se conclure par cette autre réflexion de notre bonne copine Laura, alors qu’elle vient d’abandonner son autoentreprise spécialisée dans le porno sur Internet au profit d'une carrière d’auteure : "Vous savez quoi ? Depuis, je suis heureuse et je me la coule douce." Une vie ratée ? Vraiment ?

    Laura Lambrusco, Comment j’ai raté ma Vie sexuelle, éd. Act, 2017, 126 p.
    http://www.editions-act.fr/lambrusco.html

  • Naija ou mutations en chaîne

    Naija, c’est le Nigeria, un pays vers lequel nous mène Thierry Berlanda, dans son thriller du même nom.

    Mais auparavant, c'est en France que débute Naija, avec comme point de départ une enquête policière à la facture faussement classique, et menée par un duo improbable.

    Jacques Salmon et Justine Barcella sont deux agents de la cellule ultra-secrète Titan. Lui est un vieux briscard rompu aux missions de barbouzes. Elle est une redoutable militaire cachant derrière son physique de mannequin une détermination à toute épreuve et une passion pour l'action.

    Lorsque ces deux là se rencontrent et font équipe, c’est pour se lancer dans un dossier épineux et particulièrement sensible. Le président d’une multinationale spécialisée dans l’agroalimentaire a été retrouvé sauvagement agressé puis jeté dans une bétaillère au milieu d'animaux. Nos agents très spéciaux sont chargés de dénouer ce qui s'apparente à une agression spectaculaire destinée à faire un exemple aux yeux du monde. Qui en est l'instigateur ? Que cache cet homme d'entreprise ? Qui tire les ficelles ? Salmon et Justine suivent la piste de trois mystérieuses femmes noires. L'enquête mène les deux limiers jusqu'à Marseille, avant que leur attention ne se porte sur le Nigeria. La résolution de cette affaire pourrait venir d'Histal, une multinationale prospère et tentaculaire, et de ses responsables, dont l'intrigant Seymour Silverstone.

    Dire que le roman de Thierry Berlanda réserve son lot de surprise est un euphémisme. Véritable page-turner, de fausses pistes en rebondissements, Naija se joue du lecteur en faussant la grille de lecture d'un thriller diablement malin et comme en perpétuelle mutation.

    Dès le début du roman, Thierry Berlanda nous place en terrain familier : une enquête, un crime sordide, un duo d'enquêteurs opposés, cyniques et pugnaces, un journaliste curieux et des secrets inavouables. Les premiers chapitres de Naija s'inscrivent dans la droite lignée du polar français "chabrolien" : notables et industriels englués dans une affaire qui les dépassent, petites frappes ou d'escrocs sans foi ni loi et dialogues incisifs à la Michel Audiard.

    Bientôt, à l'image des agents de Titan, le lecteur voit l'enquête suivre une piste inattendue. Déracinée de France, c'est au Nigeria que l'affaire va se jouer. Naija qui s'annonçait comme un polar à la Fred Vargas, prend une l'ampleur inattendue. Cette fois, il n'est plus seulement question de coups tordus, de secrets de petits-bourgeois ou de malfrats maîtres-chanteurs mais de crimes organisés à l'échelle planétaire et de manipulations scientifiques ahurissantes. Salmon et Justine pénètrent dans un univers inédit, au risque d'y laisser leur peau, et sans doute plus encore.

    Le lecteur est happé par ce thriller aux dimensions atypiques. Thierry Berlanda s'offre le luxe de passer, dans la deuxième partie de son ouvrage, du roman noir traditionnel au livre d'espionnage à la James Bond, avec son lot de criminels et de génies du mal. Comment ne pas voir dans la redoutable île Banana Island le fameux domaine du Dr No, avec Jacques Salmon en James Bond dans une situation désespérée et Justine en Ursulla Andress – en moins écervelée et plus cabotine ?

    Polar, puis roman d'espionnage, Naija mue de nouveau en livre d'anticipation, sur fond de manipulations génétiques et de nanotechnologies. L'Île du Docteur Moreau est comme transposée sur le continent africain, dans un pays chaud, contrasté et étouffant où les technologies les plus avant-gardistes et le capitalisme le plus débridé côtoient la misère la plus sordide. L'auteur a depuis plusieurs pages abandonné ses dialogues imagés à la Audiard pour une écriture à l'américaine, nerveuse et efficace, au service d'un message alarmant.

    Finalement, c'est en philosophe que Thierry Berlanda dresse le tableau d'une humanité cynique menacée par des sciences débarrassées de toute éthique. Un danger immense et terrifiant nous menace, nous prévient en substance l'écrivain qui conclue Naija sur le sol européen. Le dénouement de ce roman aux multiples mutations permet à l'auteur, dans les dernières pages, de prendre une nouvelle fois le lecteur à contre-pied, qui aura été manipulé jusqu'au bout par ce thriller mené tambour battant.

    Thierry Berlanda, Naija, éd. du Rocher, 431 p., 2017

  • Fils brisés

    L'écrivain, philosophe et universitaire Serge Doubrovsky vient de s'éteindre à Paris, le 23 mars 2017, à l'âge de 88 ans. Sa disparition ne fera sans doute pas la manchette des journaux, c'est pourtant un artiste exceptionnel - mais aussi controversé - qui mérite d'être honoré. 

    On doit à Serge Doubrovsky l'invention du concept d'auto-fiction, avec ses romans fracassants, La Dispersion (1969), Fils (1977), mais surtout Le Livre brisé (1989). le très stoïque Bernard Pivot avait, lors de son émission Apostrophe (13 octobre 1989), accusé l'écrivain d'avoir provoqué la mort de la propre compagne de Serge Doubrovsky.

    Bla Bla Blog avait chroniqué cet ouvrage il y a plusieurs mois. Retrouvez cette critique sur ce lien. Et Découvrez ou redécouvrez une œuvre exceptionnelle et, comme l'écrit Michel Contat dans Le Monde, "une des entreprises littéraires les plus passionnantes de son époque." Les auteurs d'auto-fiction perdent leur père spirituel.  

    "Un livre comme une vie se brise"