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roman - Page 26

  • Pour en revenir à Eddy Bellegueule

    La journaliste Catherine Vincent propose dans Le Monde daté du 11 décembre 2016 le portrait éloquent d’Edouard Louis, né Eddy Bellegueulle, ancien fils de prolétaire, issu d’une famille pauvre picarde et devenu en quelques années un des jeunes intellectuels les plus en vue de l’époque.

    Cette trajectoire hors du commun, Edouard Louis l’a retracée dans son premier ouvrage, En finir avec Eddy Bellegueule (2014), un phénomène d’édition (300 000 exemplaires vendus) autant qu’un ouvrage polémique en raison de la manière dont l’auteur décrivait sans fard ses premières années dans le modeste village d’Hallencourt. L’ancien gamin promis à une carrière dans un supermarché ou dans une chaîne d’usine se dévoile autant qu’il décrit l’existence d’habitants oubliés de tous : les conditions de vie indigentes de sa famille, la violence omniprésente, l’abandon de classe, le mépris pour la vie culturelle, la difficulté de se sortir d’un milieu défavorisé ou l’homophobie. Cette homophobie devient l’un des sujets principaux du récit d’Edouard Louis qui commente ainsi les crachats qui lui étaient lancés : "Ils ont été comme un acte de naissance. Ces crachats disaient : « Voilà donc ce que tu seras. Tu es un pédé, tu es différent, et tu seras conditionné par ça. »"

    Les lecteurs du premier roman écrit par le futur docteur en sociologie se souviennent de ces pages hallucinantes où les portraits cruels d’habitants côtoient des scènes d’une rare crudité. L’autofiction du jeune écrivain a fait pousser des cris d’orfraie à plusieurs membres de sa famille comme aux habitants de la cité. Rarement un artiste n’a été aussi loin dans le portrait d’un milieu largement oublié et qu’il a décidé de fuir. Une fuite qui a signé la mue salvatrice d’un jeune homme avide d’accomplissements personnels et intellectuels : cela passera par des études dans un lycée d’Amiens, par l’ENS, par des rencontres avec des personnes d’un milieu plus favorisé, par la rage d’apprendre, mais aussi par une transformation physique et par un changement de nom. Eddy Bellegueule, le gamin incompris et méprisé d’Hallencourt, devient Edouard Louis, l’intellectuel parisien admiré et reconnu. "Je leur avais dit que désormais, je m’appelais Edouard, et ça se passait très mal. « Eddy », c’est le nom que m’a donné mon père : j’étais son premier fils, et il était fou des films et des séries américaines – de l’Amérique en général."

    Autofiction polémique, En finir avec Eddy Bellegueule est aussi la porte ouverte sur des damnés d’une terre picarde et des oubliés des temps modernes. En cela, le premier livre d’Edouard Louis est salvateur et d’un engagement qui sonne juste : "Quand vous parlez des classes populaires, on attend de vous que vous évoquiez l’entraide, la bonne humeur, la solidarité… Mais la solidarité en question, elle existe surtout entre hommes blancs et hétérosexuels ! Les autres souffrent. Cette violence est produite par la domination, et celle-ci est si puissante qu’elle impose aux dominés de la reproduire."

    Un an plus, tard, Edouard Louis sort son deuxième ouvrage, Histoire de la Violence. Le lecteur avait quitté Eddy Bellegueule, sur les chemins d’une résurrection sociale ; il retrouve l’ancien fils de prolétaire picard victime d’un viol dans les beaux quartiers et devant expliquer ce fait divers à la policde, à ses amis et à sa sœur Clara. Voilà l’écrivain contraint de raconter une expérience douloureuse, tombée depuis dans la rubrique des faits divers. Le crime sordide est décrit dans une langue aux multiples circonvolutions. L’auteur ressasse les heures traumatisantes de son agression à coup de flash-back, de monologues et de va-et-vient d’une langue à l’autre : celle de son enfance picarde et celle de son éducation parisienne. Deux langues qui parviennent difficilement à rendre compte de l’histoire de cette violence : "Quand j'écris je dis tout, quand je parle je suis lâche", dit l’auteur. Eddy avait quitté une vie marquée par la violence dans son premier ouvrage ; voilà que, tel un retour du refoulé, cette violence rattrape son alter-ego Edouard, insidieusement, inconsciemment, impitoyablement : "La ruse de la violence est d’être la plupart du temps invisible. Elle se répète de manière tellement systématique qu’elle n’est plus perçue, elle devient normale, elle devient « la vie ». C’est la question de Bourdieu : pourquoi y a t-il si peu de révolte dans un monde si violent ?"

    Edouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule, éd. Seuil, 2014, 203 p.
    Edouard Louis, Histoire de la Violence, éd. Seul, 2016, 229 p.
    "Edouard Louis : Trump et le FN sont le produit de l’exclusion", Le Monde, 11 décembre 2016

  • Le club des coureurs à la fin du monde

    D’emblée, le livre d’Adrian J. Walker, The End of the World Running Club (éd. Hugo), pourrait se placer dans la lignée du roman apocalyptique de référence, La Route de Cormac McCarthy : un pays plongé dans le chaos après un cataclysme planétaire (ici, une pluie de météorite), un homme contraint de survivre et tentant également de préserver son humanité grâce à un lien familial tenu.

    Là pourtant s’arrête la comparaison. Car lorsque McCarthy fait de son roman de science-fiction une œuvre métaphorique sur la condition humaine, Adrian J. Walker bâtit un thriller prenant à partir d’une idée simple mais diablement efficace : la lutte pour la survie se transforme en course à pied dantesque.

    Rien ne prédestinait pourtant le personnage principal, Edgar Hill, père de famille banal, débordé, sans grande ambition, et surtout pas sportif, à devenir à la faveur d’un désastre continental un héros capable de traverser l’Angleterre pour rejoindre femme et enfants.

    Le livre démarre de manière classique, à la manière de La Guerre des Mondes : une pluie de météorites s’abat sur une partie de la planète, plongeant du jour au lendemain la Grande-Bretagne dans un chaos inédit. Ed, informaticien de son état, réussit à mettre sa famille sous protection. Une caserne près d’Édimbourg abrite une poignée de survivants, s’organisant avec leurs moyens. Mais Lorsque Ed apprend qu’une évacuation est organisée vers la Cornouailles d’où doivent partir des bateaux, il est trop tard : sa femme et ses deux enfants sont partis avant lui en hélicoptère. Il prend la décision, avec quelques camarades d’infortune, de les rejoindre à pied : une course de 800 kilomètres à travers une Grande-Bretagne en ruine, peuplée d’habitants perdus ou de survivants regroupés en clans violents.

    Ce voyage apocalyptique dans un paysage à la Mad Max est un thriller efficace autant que la découverte des capacités d’un homme que rien ne destinait à vivre de tels événements.

    Adrian J. Walker, The End of the World Running Club, éd. Hugo Thriller, 2016, 558 p. 

     

  • Tristes fêtes

    En-attendant-Bojangles-follement-attachant_width1024.jpgEn attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut a été le phénomène littéraire surprise de ce début d’année. Aucun bookmaker n’aurait sans doute parié sur ce premier roman d’un illustre inconnu, mais un bouche-à-oreille élogieux a, au fil des mois, consacré En attendant Bojangles et sa couverture délicieusement kitsch comme une œuvre marquante, et sans doute pour longtemps.

    Le titre du roman renvoie à un titre de Nina Simone, Mr Bojangles, dont le narrateur, un jeune garçon, se souvient comme de la chanson préférée de ses parents. De drôles de parents en vérité ! Lui, Georges, a abandonné son travail pour vivre dans une joyeuse oisiveté. Elle, fantasque et imprévisible, a choisi l’insouciance et n’a pour toute règle de vie que le plaisir, la passion pour son homme et la danse : "Mes parents dansaient tout le temps, partout. Avec leurs amis la nuit, tous les deux le matin et l'après-midi. Parfois je dansais avec eux. Ils dansaient avec des façons vraiment incroyables, ils bousculaient tout sur leur passage, mon père lâchait ma mère dans l'atmosphère, la rattrapait par les ongles après une pirouette, parfois deux, même trois. Il la balançait sous ses jambes, la faisait voler autour de lui comme une girouette, et quand il la lâchait complètement sans faire exprès Maman se retrouvait les fesses par terre et sa robe autour, comme une tasse sur une soucoupe."

    Nina Simone accompagne les journées folles de ce drôle de couple et de leur fils, témoin et acteur malgré lui de cette histoire d’amour hors norme. Le plaisir, la fête, la musique, la danse et l’insouciance sont cependant rattrapés en cours de roman par le drame, la folie et la tragédie. Une lutte s’engage pour que la vie et le bonheur reprennent leur place. Est-ce encore possible ?

    Olivier Bourdeaut a été comparé à Boris Vian pour ce premier roman où derrière la fantaisie parfois surréaliste se cache le désespoir. En vérité, il y a du Francis Scott Fitzgerald dans ce premier roman finement ciselé. À l’instar de Tendre est la nuit, En attendant Bojangles est une ode triste à la fête pour échapper à des blessures insurmontables : "Quand la vérité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire."

    Olivier Bourdeaut, En attendant Bojangles, éd. Finitude, 2016, 156 p.

     

  • Les deux manières de lire Driven

    driven,bromberg,new romance,sexeIl y a sans doute deux manières de lire Driven. La première pourrait être réservée aux millions de fans de cette trilogie de new romance : poursuivre la lecture des aventures sulfureuses de Rylee Thomas et Colton Donovan à travers un quatrième opus (ou plutôt une saison 3.5 pour reprendre le sous-titre de Driven – Raced). Ce tome rassemble en effet des scènes complémentaires des trois premiers volumes, Driven, Fueled et Crashed, que les amoureux de K. Bromberg retrouveront avec plaisir.

    La seconde manière pourrait être celle d’un nouveau lecteur désireux de découvrir cette trilogie à succès : Raced peut en effet être parcouru chapitre par chapitre parallèlement lors de la lecture de chacun des trois tomes précédents. Voilà une manière originale de se plonger dans cette oeuvre de new romance. Et pourquoi pas ? Après tout, "la vraie vie commence au-delà de la limite de ta zone de confort", pour reprendre une citation de la romancière américaine.

    Soyons clair. Raced n’est pas stricto sensu un roman. Il s’agit autant d’une parenthèse littéraire à destination des fans de Driven que d’un projet éditorial autant qu’artistique. K Bromberg a choisi, dit-elle en préambule, d’écouter ses lecteurs – ou ses lectrices pour être plus exact : "J’ai décidé de me lancer un défi à moi-même… J’ai fait une sélection drastiques des scènes à réécrire." L’auteure américaine a pioché dans Driven, Fueled et Crashed ses scènes favorites, ainsi que celles de ses admiratrices consultées via son blog. À l’instar de Grey de EL James, K Bromberg revisite des passages de sa trilogie en se plaçant du point de vue du personnage principal masculin, Colton Donovan.

    Fans de Driven, vous vous retrouverez plongés dans un univers familier. Nouveaux lecteurs et curieux, Raced offrira une manière alternative de découvrir la trilogie à succès de K Bromberg, best-seller sur la liste du New York Times et de USA Today.

    K Bromberg, Driven, Raced, saison 3.5, éd. Hugo Roman, 2016, 230 p.
    http://www.kbromberg.com
    K. Bromberg sur Instagram

  • Layana et ses mecs

    Dans Black Lies, Layana Fairmont, sémillante et ambitieuse trentenaire californienne, avoue sortir avec deux hommes. Jusque-là, rien d’exceptionnel. Un roman ayant pour thème le triangle amoureux est un des classiques de la littérature au point que, sur ce sujet, tout semble avoir été dit. Mais attendez un peu la suite car cette histoire savamment épicée réserve son lot de surprise : "Si vous croyez avoir déjà lui une histoire comme la mienne, vous vous trompez" prévient Layana dans un prologue qui fleure bon la manipulation et le mystère.

    Brant et Lee sont donc les deux amants de la narratrice, deux amants aussi différents l’un que l’autre. Le premier est un brillant et fringant informaticien devenu directeur milliardaire de BSX, une multinationale que gère avec une main de fer la directrice financière Jillian Sharp. Le second mec de Layana, jardinier de son état (et l’on sait depuis Desperate Housewives le potentiel érotique insoupçonné de cette profession), est aussi rustre et brutal que son adversaire ne se montre attentionné et gentleman – trop gentleman ? Le feu couve sous la braise, et ce n’est pas dû qu’à cette relation amoureuse aussi compliquée qu’aventureuse. Entre ces deux hommes, qui choisir ? Et faut-il choisir ? "Allez-y. Jugez-moi. Vous ne pouvez pas imaginer les conséquences que cette situation entraîne."

    "Une montagne de mensonges" : tel est le cœur du roman d’Alessandra Torre qui cache derrière les scènes pimentées de Black Lies une intrigue savamment dissimulée que le bloggeur se gardera bien de dévoiler. Chacun des protagonistes dissimule une part d’artifice, y compris chez la narratrice qui prend chair comme rarement. Layana Fairmont a beau parfois tenir des propos faciles et entendus, elle ne devient jamais plus passionnante que lorsqu’elle est placée dans des situations extrêmes. Tour à tour, malmenée, aimée, dissimulatrice et manipulatrice, elle n’en devient que plus attachante parce que plus humaine. Là est la grosse réussite de ce roman. Le lecteur peut également se féliciter qu’Alessandra Torre ait pris soin de faire tomber les barrières de la new romance pour proposer une fiction mêlant sexe, mensonges, folie, thriller et bien entendu passion amoureuse. Une réussite dans le genre qui a permis à Black Lies de figurer dans la liste des meilleures ventes du New York TimesSi vous ne devez lire cette année qu’un seul ouvrage de la new romance, c’est celui-ci.

    Alessandra Torre, Black Lies, éd. Hugo, Paris, 2016, 422, p.
    www.Alessandratorre.com

  • Nos oiseaux, nos frères

    portillo,tzigane,roman,oiseauC'est un voyage dans une culture que nous connaissons si mal que nous propose Chantal Portillo: celui des tziganes. Son roman, Tsigane-Oiseau, commence par un combat de coqs, une lutte à mort symbolisant les relations conflictuelles entre trois frères, le Zébré, le Rouquin – des jumeaux aux dissemblances qui finiront par se faire jour – et le narrateur, l'Oiseau. Après son refus de devenir oiseleur comme ses frères, son oncle Tchirklo prend sous ses ailes le garçon de 10 ans. Il le charge de s'occuper d'un chardonneret, un tzigane-oiseau, Danseuse, et de la dresser à chanter.

    C'est une autre voie qu'ont choisie les jumeaux : coqueleurs et duettistes via des bêtes de combats réputées, les Géants des Flandres. Chantal Portillo propose d'intéressantes pages sur cette tradition aussi fascinante que cruelle et machiste: "Le monde des coqs c’est le monde des mecs, et c’est un monde de vrai. Le vrai monde. Tu dois accepter que tu vas faire mourir un coq que t’aimes et que t’aimes si fort, parce que c’est comme ça la vie, y’a toujours un gagnant et un perdant. Et qu’on ne peut pas faire autrement que de vouloir être le plus fort. C’est l’épreuve du sang qui fait devenir un homme."

    Un combat de coq entre ces deux frères va faire de l'Oiseau l'épicentre d'un conflit cruel entre les deux frères, jusqu'à la tragédie finale qui cueille à froid le lecteur mais qui, à bien y réfléchir, était inéluctable : "Le destin va bientôt nous frapper Qu’il vienne / Cela n’a pas d’importance / Qui peut nous empêcher d’aller sur les chemins."

    Tsigane-Oiseau est un hymne mélancolique à la liberté autant qu'un roman tragique à la sourde tension. Il s'agit également d'un véritable chant d'amour, sans dialogue, pour un peuple mal aimé : "Nous étions Sintis ou Manouches, Gitans, Roms, peu importait nous étions Tsiganes et nous étions La Musique...L'esprit tzigane est partout dans ce roman : dans les traditions, dans la religion (avec le Père Yoska, alias André Barthélémy à qui est dédié ce livre), dans les voyages, dans la mauvaise réputation des "voleurs de poules", dans la vie difficile des camps tziganes, dans la culture, la musique et les danses, dans la solidarité de clan tzigane, dans la fierté des hommes et dans l'effacement des femmes.

    Un effacement tout relatif avec ces deux personnages féminins centraux que sont la figure tutélaire de Chaga la Pithie ainsi que la Mariée, femme fatale que l'on croirait sortie d'une tragédie grecque.

    Tsigane-Oiseau séduit par ses tableaux picaresques : les combats de coqs, bien sûr, mais aussi le mariage aux Saintes-Marie-de-la-Mer, le dressage et les chants de Danseuse, les jeux d'enfants dans l'église Saint-Jean-le-Vieux de Perpignan, la vie autour des décharges ou les errances imposées : "Nous pouvions laisser humiliations, cris, menaces, et partir sur le chemin. Étions-nous Gitans, Yéniches, Manouches ou Sintis, nous étions Voyageurs. Nos pères avaient été marchands, brocanteurs, saisonniers, peintres ou maçons, artistes. Mais avant tout ils étaient Voyageurs."

    Il s'agit d'un roman sur les vaincus de la terre, les oubliés, les rejetés, que ce soit L'Oiseau le narrateur, le chardonneret Danseuse ou le coq Dark Vador : "Le chemin miroite à ceux qui n’ont rien" dit le narrateur.

    Chantal Portillo, Tsigane-Oiseau, Arcadia Éditions, 2016, 155 p.

  • Roman-feuilleton 3.0 sur un air de tango

    lcntdr-cover-ch1.jpgDans la grande tradition des romans-feuilletons du XIXe siècle, Céline Guarneri propose de renouveler ce genre sur le web grâce à un polar disponible gratuitement sur son site.

    Le Ciel ne te doit rien, dont les premiers chapitres sont en ligne ici, peut être qualifié de roman-feuilleton 3.0 et de "work in progess" dont l’ambition artistique mérite que l’on s’y arrête.

    La démarche de l’auteure est au départ de s’émanciper des moyens de publications classiques, que l’artiste elle-même juge "très décevants". L’Internet offre à cet égard de multiples avantages : universalité, gratuité et facilité d’utilisation.

    Depuis la mi-février, Céline Guarneri propose chaque semaine un chapitre supplémentaire de son polar Le Ciel ne te doit rien. Pour une fois, le bloggueur parlera d’un roman qu’il n’a pas terminé – et pour cause : la publication est en cours et va s’étaler sur plusieurs mois, en attendant une publication à la demande.

    Le roman a pour cadre Lyon, une ville que connaît bien l’auteure et qui, dit-elle, "se prête bien aux enquêtes policières". L’histoire – dont on devine qu’elle naviguera entre Lyon et l’Argentine – commence par un attentat et l’enlèvement non moins mystérieux d’une femme. Tony Hujarova, un capitaine de police désabusé est témoin de l’événement, tout comme Amélie, une femme qu’il a houspillée quelques minutes plus tôt. Au même moment, dans un hôpital psychiatrique, Camille, une jeune patiente atteinte d’une lourde dépression et d’amnésie, défie les psychiatres. Lorsqu’elle croise par hasard Estefan Belén, un danseur de tango, un déclic s’opère chez la jeune femme. La suite, le lecteur le découvrira tout au long des semaines qui verront la mise en ligne des chapitres de ce roman mené tambour battant.

    Dans les premières lignes de cet article, il était question de work in progress. Nous pourrions préciser : "work in progress augmenté". Céline Guarneri se lance en effet dans une aventure artistique inédite qui entend dépasser le strict cadre du roman policier : "Le but... est d'inviter d'autres artistes (photographes, dessinateurs, danseurs) à interagir avec le texte et à créer une autre matière à partir de l'histoire. La co-création sera ainsi au cœur de ce nouveau projet", explique l’auteure. Son pedigree lui offre d’ailleurs de sérieux atouts pour une telle démarche car, non contente d’avoir publié de manière traditionnelle romans, théâtre, contes pour enfants et d’avoir été remarquée pour plusieurs nouvelles (lauréate en 2000 du concours "Lire en fête" pour son texte Les femmes et le XXème siècle et primée pour Le héros en littérature dans le cadre de l'émission littéraire "Vol de Nuit" animée par Patrick Poivre d'Arvor), Céline Guarneri est une artiste dotée de multiples facettes : comédienne, réalisatrice, danseuse de tango (le tango tient d’ailleurs une place importante dans Le Ciel ne te doit rien), journaliste ou community manageuse.

    Umberto Eco avait traité d’œuvre ouverte dans un de ses premiers essais (L'Oeuvre ouverte, 1965). C’est également d’une œuvre ouverte dont il est question ici. Céline Guarneri voit ce roman policier, à la facture classique qui ne décevra pas les amateurs du genre, le premier jalon d’une œuvre totale mêlant musiques, photos (par exemple via une ou plusieurs expositions), danses (le tango, toujours), vidéos (un teaser est en ligne) voire – c’est un souhait affirmé de l’auteure – patrimoine historique à travers des visites de la ville de Lyon. Le texte lui-même est appelé à se transformer au fur et à mesure de la publication sur le web grâce au concours des internautes qui souhaitent le faire évoluer dans un sens ou dans un autre. Céline Guarneri "revendique ainsi une démarche éditoriale qui vise à faire bouger les lignes pour montrer qu'édition traditionnelle et autoédition ne sont pas incompatibles, s'enrichissent et se servent l'une l'autre. Une façon de les réconcilier à travers de nouvelles formes de passerelles et de collaborations".

    Ce roman-feuilleton enrichi, work in progress augmenté, n’attend plus que toi, lecteur et internaute, pour vivre et devenir une œuvre totale.

    Le ciel ne te doit rien, web-Feuilleton de Céline Guarneri
    https://www.celineguarneri.fr
    © Tous droits réservés, 2016
    Photo © Heaven Line

  • La soumission, ça s’apprend tôt

    la-petite-barbare-pave.jpg"La soumission, ça s’apprend tôt", dit, dans les dernières pages du roman d’Astrid Manfredi, La petite Barbare, celle qui se fait appeler ainsi. Elle n’a ni prénom ni nom. Toutefois, les lecteurs attentifs reconnaîtront derrière ce personnage fictif celui de l’appât ayant conduit Illan Halimi entre les griffes du Gang des Barbares. En 2006, le jeune homme avait péri après trois semaines de captivité et de tortures. Quelques années plus tard, la fille de ce gang avait été au centre d’un autre fait divers : emprisonnée à Versailles, elle aurait fait l’objet d’un traitement de faveur après avoir séduit un gardien de prison puis le propre directeur de la prison !

    S’agit-il d’un roman sur cette double affaire ? Non.

    L’auteure relate la séquestration et le décès dIllan Halimi en quelques pages. Et si les avances sexuelles de la petite barbare sont développées, il s’agit moins de relater un fait divers sordide que mettre en relief les motivations d’une jeune femme paumée.

    Ce dont il est question dans La petite Barbare c’est bien de misère matérielle et intellectuelle ainsi que d’une lutte des classes contre toute forme d’oppression, qu’elle soit économique ou machiste. On sort groggy de ce roman coup de poing, cri de haine d’une fille dont le seul espoir réside dans la violence et le mépris du genre humain – et masculin.

    Astrid Manfredi, La petite Barbare, éd. Belfond, 154 p.
    http://laisseparlerlesfilles.com