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roman - Page 10

  • La condition inhumaine

    Après sa biographie sur la photographe italienne Letizia Battaglia (Une Femme contre la Mafia, éditons de la Reine Rouge), Frederika Abbate est de retour pour un roman La Fille sauvage, toujours chez La Reine Rouge. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’auteure n’a choisi la facilité ni la compromission pour un récit violent et sulfureux se déroulant en Biélorussie puis en France.

    Lors d’un accident de voiture au cœur de la forêt de Belovejskaia Puctcha, Mitsu voit ses parents disparaître, non sans avoir subi des outrages post-mortem. Mitsu se réfugie dans des bois sauvages et peu accueillants. L’adolescente rencontre un ermite muet et difforme qui lui porte secours. En peu de temps,  l'adolescente quitte la civilisation et trouve dans une biche une amie et une compagne. Mais la fille sauvage fuit de nouveau et parvient dans une zone isolée où vit une communauté inquiétante.

    A Paris, Audrey Daylacs, une jeune actrice, naïve et enthousiaste, commence le tournage d’un film sur une sauvageonne. Pendant ce temps, les meurtres d’un tueur en série ensanglantent la capitale. 

    Des récits croisés et sombres, baignant dans un érotisme tout aussi sauvage que Mitsu lorsqu’elle se perd dans la forêt biélorusse

    La Fille sauvage ne laissera personne indifférent, avec ces récits croisés, sombres et baignant dans un érotisme tout aussi sauvage que Mitsu lorsqu’elle se perd dans la forêt biélorusse. Dans la première partie du livre, le lecteur suit, fasciné, le parcours d’une adolescente devenue une animale parmi les animaux – on aimerait aussi dire une humaine parmi les monstres. Des monstres qui renvoient à une région marquée encore aujourd’hui par l’explosion de Tchernobyl.

    "Mais qui sont les monstres ?" semble nous dire Frederika Abbate dans la deuxième partie du livre. L’anormalité, la violence, la manipulation (celle de l’inquiétant réalisateur Fulvio Berger), le machisme et finalement le sexe sont au centre du deuxième récit volontairement décousu. Le lecteur suit des récits divergents dans lequel les monstres – les vrais, cette fois, ceux de la fameuse forêt biélorusse – viennent s’installer à Paris.

    L’amour a sa place dans la dernière partie du roman, mais avec son lot de bizarreries mais aussi de perversités. La perversité, justement, ne fait pas peur à Frederika Abbate qui fouille la fange de la condition humaine ("Humains trop inhumains", écrit-elle, avec un accent nietzschéen). L'environnement, la nature et l'écologie deviennet vite un enjeu ("C’est étrange (…) cette recrudescence de catastrophes naturelles. Comme si la nature cherchait à se venger"). Le message de l’auteure est mis dans la bouche d’une monstre, Aglaé, dans le monologue du film tournée sur la sauvageonne. Tout se terminera dans une fin spectaculaire. Spectaculaire comme ce roman, décidément pas comme les autres. 

    Frederika Abbate, La Fille sauvage, éd. La Reine Rouge, 2022, 285 p.
    https://frederika-abbate.com/la-fille-sauvage

    Voir aussi : "Bataille contre la mafia"

    Couverture : Nicolas Le Bault

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  • La plume trempée dans le feu et le sang

    Attention : roman rare et exceptionnel ! La littérature kurde, très rare de ce côté-ci de l’Europe, nous offre un bouleversant récit de Jwan Awara : Nous avons traversé l'enfer que les éditions Michalon proposent dans un traduction de Ruya Marcou.

    L’éditeur nous apprend peu de choses sur l’auteure et poétesse. Elle est Kurde et vit aujourd’hui en France, ce qui donne évidemment à ce livre une portée particulière et un témoignage universel.

    Lorsque le roman commence, en 2010, alors que l’Irak est en pleine guerre, Janfida Bataman, une brillante juge irakienne d’origine kurde, est kidnappée par le parti Baas de Saddam Hussein, exécuté Quelques années plus tôt après l’invasion du pays par l’armée américaine. La prisonnière est jetée dans des cachots souterrains, sous une ancienne église de Duhok, à quelques heures d’Erbil, Souleimaniye et Mossoul, au sud du Kurdistan irakien. Janfida rencontre d’autres victimes comme elles, toutes des femmes, contraintes de fabriquer des bombes pour le parti Baas. Les viols, les tortures, les contraintes et le désespoir sont le quotidien de ces prisonnières désespérées. Janfida y croise Sharo, Sari, Berian puis, plus tard, à Bakuba, Anny Hajami qui lui raconte sa propre détention. 

    Le roman devient polyphonique, faisant se croiser et s’entremêler les récits qui s’emboîtent telles des poupées russes

    Le premier intérêt de l’ouvrage de Jwan Awara – et ce n’est pas le moindre – est de donner la parole aux victimes oubliées d’une guerre épouvantable qui a bouleversé l’ordre du monde. Le roman nous plonge dans un enfer sur terre. En cela le titre du livre n’est pas galvaudé. La guerre est là, dans toute sa cruauté et toute son injustice. Jwan Awara met chaque camp à égalité, que ce soit les kidnappeurs du Parti Baas, les militaires américains (on voit même apparaître secrétaire d’État Donald Rumsfeld), voire les gens du MI6 qui prennent une place particulière dans un récit incroyable. Un récit qui ne ressemble à rien et qu’il faut lire jusqu’à la dernière page.

    Nous avons traversé l'Enfer est écrit à la deuxième personne du singulier. Sauf que le "tu" est autant utilisé par la narratrice pour la protagoniste centrale, Janfida, que par ses codétenues – que ce soit Berian, Anny ou Najla/Malika. Le roman devient polyphonique, faisant se croiser et s’entremêler les récits qui s’emboîtent telles des poupées russes.

    Au final, le lecteur se plonge dans une histoire captivante, dense et terrible qui englobe dans un grand tout le martyr de ces Kurdes prises dans l’engrenage d’une guerre inhumaine. Que leur reste-t-il sinon l’absolue nécessité du témoignage, comme le dit Anny : "Tu n’es pas comme les auteurs ordinaires, qui écrivent avec un fond de musique et un verre de vin. Tu es la fille de cette terre et de ces eaux, Janfida. La fille de ce pays anéanti doit utiliser le feu pour écrire." Cette voix portant témoignage c’est évidemment celle, puissante, de Jwan Awara. Un très grand livre.

    Jwan Awara, Nous avons traversé l'Enfer,
    trad. Ruya Marcou, éd. Michalon, 2022, 308 p.

    https://www.michalon.fr

    Voir aussi : "Ceux qui partent et celle qui reste"

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  • Méchant coup de blues

    Revoilà Sylvain Gillet dans un polar dont il a le secret. Avec Venenum (éditions Ramsay), l’auteur montargois mène tambour battant un récit sombre à souhait.

    Le héros de ce polar est familier des lecteurs de Sylvain Gillet puisqu’il s’agit du guitariste de blues Abel Diaz. Lorsque commence le récit, le musicien, aussi usé qu’un animateur télé sorti de l’ORTF et blasé qu’un fils à papa obligé de diriger la boîte familiale avec des biftons plein les poches, se trouve embarqué dans une croisière au long cours qui tourne court, justement.

    Notre musicien de blues a été recruté avec trois autres confrères pour des représentations sur flot. Leur public ? Des salariés d’une multinationale biomédicale qui a offert à ses salariés – pour la plupart, des visiteurs médicaux – un voyage corporate. Voilà donc notre gratteux embarqué dans une drôle de galère, car son confrère et vieil ami Orville Montgomery est retrouvé mort. L’accident semble évident, mais pas pour Abel. Son pote amerloque vaut bien une petite enquête. 

    On peut remercier d’emblée Sylvain Gillet d’avoir pensé à faire un sort au monde des visiteurs médicaux

    On peut remercier d’emblée Sylvain Gillet d’avoir pensé à faire un sort au délicieux et très éthique monde des visiteurs médicaux et de ses labos à l'éthique aussi large qu'un string de Brésilienne dans un tripot de Copacabana. L’auteur ne fait pas dans la dentelle lorsqu’il épingle ces léviathans et autres avortons du néolibéralisme. Le CEO Léon Tusk est croqué avec férocité et un plaisir certain, faisant aussi de ce PDG à mi-chemin entre Bernard Tapie et Donald Trump un suspect idéal autant qu’une victime collatérale.

    Pour pimenter ce polar, une intrigue parallèle est tricotée aux petits oignons autour de meurtres de prostituées entre Bourges et Montargis. Les deux histoires vont bien entendu se rejoindre.

    Venenum se veut un polar décomplexé, avec un héros solitaire que l’écrivain avait mis en scène dans une précédente enquête (Ludivine comme Édith). Sa guitare Linda – douée de paroles – s’avère une compagne très "attachiante". Un autre personnage, humain et – court – sur pattes fait une réapparition : l’agent artistique Max Malakian, déjà présent dans Commedia Nostra.

    Abel Diaz parviendra bien entendu à résoudre (presque) seul cette énigme retors. Le bluesman finira vengé mais finalement pas si indemne que ça. Sale temps pour les artistes sur le retour. 

    Sylvain Gillet, Venenum, éd. Ramsay, coll. Polar, 2020, 308 p.
    https://sylvain-gillet.fr
    https://www.facebook.com/sylvain.gillet.372

    Voir aussi : "Les actrices rêvent et se couchent tard la nuit"
    "Du talent à mort !"
    "Décollement de la routine"

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  • Ceux qui partent et celle qui reste

    Pas de doute : avec Hana, la romancière tchèque Alena Mornštajnová a marqué les esprits. Dans son pays, son ouvrage est devenu un best-seller vendu à plus de 200 000 exemplaires. Traduit dans plus de 14 langues, il arrive en France et est proposé par les éditions Bleu et Jaune.

    Cette histoire commence par la bêtise d’une gamine de 9 ans, Mira. Durant l’hiver 1954, dans la petite ville tchèque de Meziříčí, la fillette, volontiers frondeuse, fait le pari avec des amis de monter sur un bloc de glace descendant la rivière. Mira en sort trempée et, évidemment punie par ses parents. Sa mère Rosa la prive de dessert. Cela va avoir des conséquences inattendues dans une famille soudée mais marquée par la présence régulière de la tante Hana, une femme murée dans un silence mystérieux et dont on ne sait presque rien. Quelques semaines plus tard, Mira et Hana vont finir par se côtoyer et briser le mur qui les sépare. Mira égéenne les années qui la construit en tant que jeune femme dans cette Tchécoslovaquie communiste où les études, le travail et les relations à deux ne vont pas de soi. Avec une Hana devenue très proche d'elle, et dont les secrets finissent par se dévoiler.

    Livre sur la jeunesse broyée, sur la lâcheté, sur la culpabilité mais aussi sur la mémoire

    Le roman Hana est partagé en trois parties : la première, écrit à la première personne, suit les jeunes années de Mira, avec sa bêtise originelles aux puissantes répercussions. Suit, à la troisième personne – un récit écrit par Mira –, l’histoire familiale de sa grand-mère, de sa mère et de sa tante Hana, dans une Tchécoslovaquie regardant d’un œil inquiet les menaces allemandes, avant de subir les méfaits de l’occupation et les persécutions contre les Juifs. Le roman devient histoire familial puis récit sur la plus importante tragédie humaine de notre histoire. Mira s'interroge sur cette mémoire tue : "Mais si j'avais alors fait un peu plus attention et si j'avais posé quelques questions sur les destinées que recouvraient les noms gravés en lettres dorées sur les pierres tombales, il me serait beaucoup plus facile, à présent, de recomposer à l'aide de milliers de souvenirs fragmentaires les événements ayant précédé ma naissance".

    La troisième partie relate le parcours d’Hana, le personnage qui est au cœur du roman d’ Alena Mornštajnová, qui nous entraîne dans les camps de Therensienstadt puis d’Auschwitz.

    Ne dites cependant pas à l’auteure que son livre est un de plus sur l’Holocauste. En vérité, c’est celle d’une jeune femme, enthousiaste, passionnée, sensible, se prenant les pieds dans la Grande Histoire et faisant des choix aux conséquences désastreuses, à l'instar de sa nièce Mira des années plus tard.

    Ce livre sur la jeunesse broyée, sur la lâcheté, sur la culpabilité mais aussi sur la mémoire, est une des belles surprises de cette rentrée littéraire. Et l’on n’est pas surpris qu’outre une adaptation théâtrale, une version cinéma devrait sortir prochainement sur grand écran.

    Bref, Hana est un très grand et très beau roman. 

    Alena Mornštajnová, Hana, éd. Bleu et Jaune, 2022
    https://www.editionsbleuetjaune.fr/livres/hana
    https://www.facebook.com/editionsbleuetjaune
    https://www.instagram.com/alenamornstajnova

    Voir aussi : "Maman, je te hais, maman je t’aime"

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  • Maman, je te hais, maman je t’aime

    Roman polyphonique, Ainsi naissent les Mamans d’Amélia Matar (éd. Eyrolles) suit trois personnages féminins en alternant les points de vue, donnant à ce récit personnel et familial un rythme qui tient en haleine le lecteur.

    Il y a d’abord Valentine de Barnay, une enfant de la bonne bourgeoisie parisienne, élevée sans amour par une mère dont "la cruauté (…) tissa une cote épaisse contre les vicissitudes de la vie", majore de promotion à HEC, brillantissime, ambitieuse, froide et mariée avec un homme mais sans passion ("Notre couple ne fut plus qu’une entente tacite, une alliance stratégique"). La deuxième protagoniste est sa fille Alice, élevée sans plus d’amour, mais qui porte en elle une intelligence folle, de l’humour à revendre mais aussi un immense besoin de tendresse que viendra lui apporter le troisième personnage de ce récit familial, Fatima Ayouch.

    Élevée dans une famille marocaine qui lui souhaite une réussite sociale et professionnelle, Fatima a choisi d’être éducatrice de jeunes enfants. Et c’est ainsi qu’elle devient la nounou d’Alice, dans le milieu bourgeois de Valentine, sa mère. Entre les trois, un fragile équilibre s’installe, jusqu’à une sortie au musée, qui va avoir des conséquences inattendues. 

    "C’est bien simple, je hais les hommes, surtout le mien." Voilà qui est dit.

    L’amour, la haine, la famille. Voilà une histoire vieille comme le monde et qu’Amélia Matar raconte sous l’angle de trois personnages qui vivent dans leur propre univers. C’est aussi la confrontation de deux mondes : Valentine, la bourgeoise de bonne famille et Fatima, la banlieusarde fille d’immigrée. Il s’agit d’une lutte des classes entre ces deux femmes, l’une étant la patronne de l’autre.

    Une autre fracture affleure : Valentine de Barnay, la manageuse impitoyable, a la sensation d’avoir travaillé et de s’être battue plus que n’importe qui – et surtout plus que n’importe quel homme – pour arriver à sa position envieuse. Elle en vient à poser le dilemme de la maternité et du féminisme : "Dès qu’une femme devient mère, elle se laisse absorber tout entière pour sa progéniture et c’en est fini de sa carrière… Les femmes doivent veiller à ne pas laisser les hommes occuper tout l’espace." Valentine émet également, plus expéditive encore : "C’est bien simple, je hais les hommes, surtout le mien." Voilà qui est dit.

    Au milieu de cette bataille, il y a une enfant, Alice. Le lecteur est attendri de lire ses mots, qui expriment la douleur de ne pas être aimée et bien aimée : "J’ai peur. — De quoi ? — De ne pas y arriver. — De ne pas arriver à quoi ? — À vivre."

    Ainsi naissent les mamans , brillamment écrit est le récit de trois personnages féminins dans l’incommunicabilité, voire la cruauté, mais qui arriveront finalement à faire un bout de chemin ensemble.

    Amélia Matar, Ainsi naissent les Mamans, éd. Eyrolles, 208 p., 2022
    https://www.facebook.com/webeuse
    https://www.instagram.com/ameliamatar
    @ameliamatar
    https://www.eyrolles.com

    Voir aussi : "Les cygnes du crime"
    "Les mots croisés, c’est sexy"

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  • Les cygnes du crime

    Pour Encens (éd. SNAG), Johanna Marines transporte le lecteur à la Nouvelle Orléans, en 1919. Mais il s’agit d’une Louisiane imaginaire, dans un style steampunk. Ce sous-genre de la fantasy utilise la culture et l’esthétique des révolutions industrielles. Dans ces mondes imaginaires, se côtoient machines à vapeur, costumes victoriens ou second empire, bâtiments haussmanniens et omniprésence de l’acier.

    Dans Encens, l’Amérique de Johanna Marines est celle d’une Louisiane encore marquée par l’esclavagisme, la ségrégation et la Guerre de Sécession. Mais les progrès scientifiques ont conduit à la création d’illusionnautes, des ouvriers mécanisés qui ont remplacé les esclaves noirs ("[Les] automates [ont] remplacé nos pères dans les champs de coton") et ont pu par là même générer de nouveaux problème pour la société – imaginaire – de l’époque. Aux revendications de liberté pour ces machines répond une défiance de la part des êtres de chair et de sang. Cette coexistence difficile a conduit à des drames : "Les conflits entre automates et humains n’étaient qu’un éternel recommencement. Il y avait eu trop de morts dans les deux camps. Les souvenirs des fusillades et des exterminations de masse des illusionnautes, les automates de première génération, étaient dans toutes les têtes". Voilà pour le tableau général de ce roman. 

    Grace Parkins travaille au Mechanic Hall comme voyante dans le plus célèbre aérocabaret de la ville, au milieu d’artistes aussi bien humains que mécaniques. La jeune femme - noire - vit, comme ses contemporains, les pensées absorbées par une sombre menace : un tueur à la hache sévit à La Nouvelle Orléans. Il se trouve d’ailleurs que son propre père, policier, est chargé de l’enquête. Et si, en fait, il y avait deux tueurs au lieu d’un ? 

    Maligne, Johanna Marines fait de l’imaginaire un médium pour parler finalement de nous et de nos sociétés

    Le premier intérêt de cet étonnant roman de Johanna Marines est bien entendu l’univers de fantasy steampunk : une Amérique fantasmée, des robots mécaniques, un XIXe siècle imaginé. Nous voilà dans un monde fascinant, avec une héroïne attachante et non sans blessures ni secrets. Ajoutez à cela des inventions incroyables, avec notamment ce fameux cabaret aérien.

    Encens est aussi une histoire policière sur fond de tueur en série (au masculin ou au pluriel – je ne vous en dit pas plus). L’intrigue criminelle va vite mettre Grace Perkins, bien malgré elle, en situation de protagoniste mais aussi de témoin. Car le passé peut  revenir comme un boomerang : "Les objets et les gens de notre enfance nous semblent toujours en vie dans notre esprit. On pense qu’ils ne vieillissent pas quand ils sont loin de nous, pas vrai ? Pourtant le temps passe pour eux aussi. On croit qu’ils plongent dans un profond sommeil".

    Les meurtres particulièrement pervers deviennent une histoire personnelle et familiale, avec la présence de William Perkins et de son confrère Anton en enquêteurs perdus dans cette course au coupable. Et si les illusionnautes pouvaient être la clé de ce mystère ?

    Dans cette Amérique décalée et étrange, les ferrailleurs, machines humanoïdes et autres robots mécaniques font figure de victimes renvoyant à la ségrégation noire. Car, ici, le racisme change de couleur, si j’ose dire. Roman de fantasy autant que thriller, Encens envoie une série de messages engagés. Maligne, Johanna Marines fait de l’imaginaire un médium pour parler finalement de nous et de nos sociétés. 

    Johanna Marines, Encens, éd. SNAG, 2021, 500 p. 
    https://www.facebook.com/JohannaMarinesAuteur
    https://www.instagram.com/johannamarinesauteur
    http://www.gesteditions.com/snag/encens

    Voir aussi : "Les veilleurs immobiles"

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  • Les mots croisés, c’est sexy

    La Violoncelliste qui inventait des mots croisés érotiques : avec un titre pareil, le roman d’Hélène Élisabeth ne pouvait qu’interpeler et promettre un roman mêlant musique, romance, érotisme et un je ne sais quoi de feel good. Cependant, assez rapidement, ce roman paru aux éditions Librinova met en sourdine l’érotisme pour s’attacher aux aventures amoureuses d’Héloïse.

    Elle est violoncelliste dans un quatuor, avec son amie Solène. Elles sont accompagnées de deux garçons, Thomas et Cyril, ce dernier se montrant à la fois entreprenant et agaçant.

    La jeune musicologue trouve un petit boulot très original : concevoir des grilles de mots érotiques. Pour cela, la jeune femme commence à se documenter en dénichant des chefs d’œuvre de la littérature érotique : Les Contes de Canterbury, Justine, Les Liaisons dangereuses, Histoire d’O ou le Kamasutra.

    Héloïse a une autre passion : le tango, qu’elle pratique en semaine. Un soir, elle rencontre un danseur, Alejandro. Mais Cyril peine à cacher sa jalousie. 

    Un roman mêlant légèreté et complications

    Hélène Élisabeth se la joue sans esbroufe dans un roman mêlant légèreté et complications. La romance que l’auteure veut piquante grâce à cette astucieuse idée des mots croisés érotiques fait la part belle à la musique et à la vie d’un orchestre de chambre. Le lecteur entre comme par effraction dans les journées d’un quatuor classique, composé de deux femmes et deux hommes – parfait pour susciter les jeux de séduction et attiser les tensions, y compris sexuelles. Dans le même temps, la violoncelliste cherche à trouver des définitions sur des termes et des expressions grivois. A la fin du livre, l'auteure consacre d'ailleurs 20 pages de grilles.  

    Et puis il y a le tango, la danse des couples par excellence, l'un des arts les plus sexy. Ce qui ne veut pas dire que le couple qui va se former ne va pas connaître des atermoiements. Ce serait trop facile. Et c'est tout le sel de ce joli roman.      

    Hélène Élisabeth, La Violoncelliste qui inventait des mots croisés érotiques,
    éd. Librinova, 2022, 158 p.
    https://www.facebook.com/Helene-Elisabeth-Books-101822975740973
    https://www.netgalley.fr/catalog/book/256353
    https://www.facebook.com/helene.elisabeth.7311
    https://www.instagram.com/heleneelisabethofficiel
    https://www.linkedin.com/in/helene-lesbats-84349075

    Voir aussi : "La vie des plantes"
    "Roman-feuilleton 3.0 sur un air de tango"

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  • Moi, Marie-Madeleine

    Après la chronique consacrée au Jésus de Roland Hureaux (éd. Desclée de Brouwer), faisons le grand écart avec cette fois une autobiographie romancée sur une de ces femmes qui a accompagné la prédication du Christ.

    On la doit la journaliste, écrivaine et féministe espagnole Cristina Fallarás, dont le roman L’Évangile selon Marie-Madeleine (El Evangelio según María Magdalena), publié en France aux éditions Hervé Chopin, a fait couler de l’encre de l’autre côté des Pyrénées. C’est au lecteur français de se faire une idée grâce à la traduction de cette fausse autobiographie qui a décidé pour le moins de prendre ses libertés avec les sources canoniques. L’antithèse donc de la biographie sage (trop sage ?) de Roland Hureaux.

    La Marie-Madeleine de Cristina Fallarás, loin d’être la prostituée colportée par la tradition, est une fille de commerçant, issue d’une puissante lignée aristocratique, celle de la reine juive Salomé Alexandra, "la dernière à occuper un trône indépendant pour les juifs". Une fierté pour cette femme, mais aussi, on s’en doute, un modèle pour cette habitante d'une civilisation patriarcale. Marie-Madeleine regarde avec intérêt son père s’occuper de la conserverie de poisson au bord de la mer de Galilée, apprenant par là-même les rudiments du métier. Une vie paisible donc, jusqu’à l’assassinat de son  père par la secte des Zélotes, en raison des fête qui tourne au massacre.

    Orpheline, l’adolescente est envoyée à Rome et y reste quelques année, avant de revenir s’occuper du commerce de son père. Alors qu’elle reprend en main l'entreprise familiale, elle apprend que les prêches d’un Nazaréen draine des foules. C’est d’autant plus mauvais pour les affaires que plusieurs pêcheurs ont abandonné leurs bateaux pour suivre ce prophète qui est surnommé "fils de Dieu". Intriguée, Marie-Madeleine, par l’entremise de son ami Lévi (Matthieu dans les Évangiles synoptiques), propose à ce Nazaréen son aide, alors que les disciples grossissent à vue d’œil. 

    "J’ai toujours su que Simon-Pierre était un nuisible"

    Prenant à contre-pied les Évangiles, Cristina Fallarás conte le ministère de Jésus à travers le regard d'une femme - et pas n'importe laquelle. Mieux, l’auteure espagnole fait une lecture féministe de ces quelques années qui ont révolutionné le monde, et le moins que l’on puisse dire est que les paroles de Marie-Madeleine sonnent clairement à nous, contemporains et contemporaines du XXIe siècle.

    Cristina Fallarás imagine une femme non seulement éduquée mais en plus forgée par une histoire familiale édifiante. Il y a cette aïeule, Salomé Alexandra, l’assassinat de son père ensuite, victime de fous de Dieu, une éducation humaniste auprès des conquérants romans et surtout un caractère bien trempé dans un pays dominé par les hommes. Il faut aussi souligner son idéalisme, lorsqu’elle regarde ses consœurs écrasées par des lois masculines et la société guidée par la violence : elle veut "en finir avec le pouvoir, les lois, le Temple, l’obéissance, la tyrannie du châtiment et la violence…" Rien d’étonnant si elle trouve dans Jésus un alter-ego : "J’avais découvert ce que nous avions en commun".

    En romancière,  Cristina Fallarás imagine un destin commun pour ces deux-là, qui fera hurler, on s’en doute, pas mal de croyants.

    Marie-Madeleine réserve ses mots les plus durs pour les disciples et les apôtres de Jésus. Elle les qualifie d’idiots ("Bande de simples d’esprit", "J’ai toujours su que Simon-Pierre était un nuisible") et, pire, de lâches lorsque le Nazaréen (Jésus, donc) est arrêté ("Face à la mort, ceux qu’on appelle disciples ou fidèles partisans disparaissent… et (…) seules les femmes restent"). Après son arrestation, qui sera suivi de ses tortures et de son exécution, seules quelques femmes vont tenter de le soutenir, alors que les hommes fuient Jérusalem. Ce sont pourtant eux qui vont s’atteler à réécrire le récit des Évangiles officielles à leur compte, ce que Marie-Madeleine condamne comme une injustice, un mensonge et une faute morale : "Tous les faux témoignages des scélérats qui alors même qu’ils n’ont pas accompagné le Nazaréen, profitent de lui, ne sont que des bobards".

    Le lecteur prendra ce livre pour ce qu’il est : un roman. Mais c’est un roman engagé qui met à l’honneur les femmes des Évangiles, trop effacées dans les textes officiels, pour des raisons bien entendu idéologiques. Grâce à son best-seller, Cristina Fallarás met à l’honneur une figure importante du ministère de Jésus, qualifiée à tort, sans doute, de prostituée. L’éditeur rappelle que le pape François a décidé, en 2016, d’élever Marie-Madeleine au rang "d’apôtre des apôtres".

    Cristina Fallarás, L’Évangile selon Marie-Madeleine, éd. Hervé Chopin, 2022, 256 p.
    Traduit de l’espagnol par Anne-Carole Grillot
    https://www.hc-editions.com/livres/levangile-selon-marie-madeleine
    https://www.facebook.com/herve.chopin.5
    Cristina Fallarás : Chaîne Youtube


    Voir aussi : "Jésus, l'inconnu le plus célèbre du monde"

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