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Roman ou récit, ce petit livre écrit à la première personne parle d'une tare humaine bien courante : la radinerie. La narratrice décrit avec une certaine truculence les origines de ce qu'elle considère elle-même comme un handicap social ainsi que le mode de vie qu'elle s'impose et qu'elle impose aux autres. Un ouvrage à la fois drôle et amer qui se lit avec plaisir.
Ces chroniques d’un Allemand en France, Douce Frankreich de Frank Gröninger (éd. AlterPublishing), sont un hommage appuyé autant qu’un récit amoureux pour un pays – la France – à la fois attirant, fascinant, mais qui est aussi mal compris, sinon mal aimé. Qui peut le mieux en parler que précisément un étranger, qui a aujourd’hui la double nationalité ? L’auteur, Frank Gröninger, cite à ce sujet cette phrase de Kurt Tucholsky : "Un Allemand, il faut le comprendre pour l’aimer ; un Français il faut l’aimer pour le comprendre".
Frank Gröninger appartient à cette génération d’Allemands qui a connu les bouleversements des relations franco-germaniques : les traumatismes de la seconde guerre mondiale font encore partie des souvenirs familiaux, souvent avec des non-dits perturbants, et que les premiers voyages dans les années 80 d’un jeune homme dans ce "pays mystérieux" ne sont pas sans attirer méfiances, surprises et incompréhensions. Il est aussi de la génération ayant connu la chute du Mur de Berlin, la réunification et la construction européenne derrière le couple politique franco-allemand et le mandat d’Angela Merkel.
Depuis les premiers voyages scolaires jusqu’à l’installation définitive d’un citoyen européen né de l’autre côté du Rhin, Frank Gröninger relate ses découvertes de cet étrange pays qu’est la France, qui se targue d’être le pays du cinéma (tout en considérant que les classiques se limitent parfois aux Gendarme de Louis de Funès, aux Bronzés ou au Père Noël est une Ordure), un pays en retard dans le tri des déchets, un pays où "tous les français sont un peu pharmaciens/médecins dans l’âme", le pays des bises et des grèves ("Même dans un pays bordélique comme l’Italie ça n’existe pas !"). Le pays aussi où la nourriture est aussi importante que le sexe ("Ça me faisait rire car on se moque toujours des Allemands qui manqueraient de spontanéité et qui veulent tout planifier et pour le sexe les Français auraient-ils besoin d’un plan ? Il y a même des « films de cul ». Bizarre."). Et puis, il y a cette étrange relation entre Allemands et Français, faite de méfiance, d’incompréhension, mais aussi de fascination et de réelle sympathie.
L’Europe, les classes sociales, les mariages, les femmes, la culture, La mélancolie ou le cul
Les chroniques de Frank Gröninger, chronologiques, ne dressent pas le parcours de l’auteur mais préfèrent s’arrêter sur ses rencontres au cours de ses 40 ans de vie entre la France et l’Allemagne : du jeune homme au pair lorsqu’il était étudiant à l’enseignement à Sciences Po Paris comme appariteur, l’ENA, au lycée Henri IV (avec un Un voyage eu Europe de l’Est pas forcément très glorieux pour la prestigieuse école) et son travail de traducteur à l’Assemblée nationale, au Conseil d’État, dans des écoles de commerce, à Matignon, au Ministère de l’Économie, au Ministère de l’Agriculture et au Ministère des Affaires étrangères où il exerce toujours, comme il l’explique au début de son livre.
"Grâce à mes cours j’ai eu très vite un accès à « la France d’en haut », la France des grandes écoles, des concours…", dit-il. Pour autant, Frank Gröninger a aussi côtoyé la France dite "normale", celle des entreprises privées, des milieux populaires, des communautés immigrées où il a exercé comme "prof interculturel". Il témoigne, non sans émotion : "Je décidai de leur apprendre comment les préjugés naissent et qu’eux (et moi aussi) en avaient également. Ils venaient tous du 93, du « neuf trois », et avaient tous plusieurs « bagages » à porter."
Il parle aussi de cette "France qui n’existe plus, une France du passé, celle de Juliette Gréco, de Georges Moustaki, de Bardot et de Brassens."
Ces chroniques sont un peu moyen de faire passer quelques messages de tolérance et de compréhension entre les peuples : "Vous devez être conscients de l’image qu’on a de vous pour en jouer ou la contredire par vos gestes." Il y a encore cette remarque fort bien vue sur les incompréhensions encore présentes entre les deux pays anciennement ennemies : "Les Français pensaient que les Allemands n’avaient pas de savoir-vivre et ne pensaient qu’au travail. Les Allemands prenaient les Français pour des latins pas très sérieux qui arrivent en retard et veulent d’abord un café."
Douce Frankreich est un témoignage sur les liens indéfectibles entre deux pays anciennement ennemis, mais aussi un livre plein d’espoir, en ce qu’il montre que des traumatismes nationaux peuvent être surmontés. Le lecteur s’arrêtera par exemple avec intérêt sur une expérience de professeur qui s’est avérée délicate pour Franz Gröninger : Comment enseigner l’allemand dans une école juive lorsqu’on est précisément le premier Allemand y enseignant depuis la seconde guerre mondiale ?
300 pages ne sont pas de trop pour parler avec piquant, humour, mais aussi parfois sévérité, des préoccupations et des caractéristiques de la France et des Français d’aujourd’hui : la nationalité française, l’Europe, les classes sociales, les mariages, les femmes, la culture, La mélancolie ou le cul... Voilà qui rend sans doute notre pays si fascinant et étrange. Voilà aussi pourquoi Franz Gröninger a choisi d’en faire sa deuxième patrie : "Quoi qu’il advienne je resterai toujours « l’Allemand » aux yeux de la majorité des gens. Cela ne me gêne pas, car je suis conscient d’être assis « le cul entre deux chaises » pour parler français."
En ce mois de juin, ressort en librairie le mythique Gens de France et d'ailleurs de Jean Teulé. Il avait été publié une première fois à la fin des années 80, avant de connaître une réédition il y a un peu plus de 15 ans (éd. Ego Comme X). C’est aujourd’hui les éditions Fakir qui proposent de découvrir ou redécouvrir cet album, l’ultime album graphique de Jean Teulé, avant que celui-ci ne se lance avec succès dans le roman.
Gens de France, c’est un voyage baroque et barré dans notre pays, avec des personnes ordinaires. Loïc Néhou, le directeur de l’éditeur Ego comme X, commente ce livre ainsi : "Dans son œuvre, Jean Teulé est le passeur attentif des individus en marge. Il n’a pas son pareil pour dégoter en France, ou à l’autre bout du monde, de drôles d’allumés en proie à quelques drames, qu’il épingle sur sa page avec une attention délicate et parfois cruelle."
Du soutien-gorge de Zohra à la soucoupe volante de Jean‑Claude
À mi-chemin entre la bande dessinée, le roman, et le roman-photo, Gens de France a marqué les esprits et a inspiré pléthore d’artistes et de photoreporteurs grâce à ses personnages hauts-en-couleur et ses situations ahurissantes, du soutien-gorge de Zohra à la soucoupe volante de Jean‑Claude : "Y y a un mec qui est en train de construire une soucoupe volante en bois pour emmener sa mère mourir sur une étoile…"
Extrait : "Tout en me parlant de la soucoupe de son fils, la mère crachait dans la cuisine. À chaque fois, elle visait la poubelle, à chaque fois, elle la ratait. À un moment, elle a visé la friteuse. Manque de bol, elle l’a eue du premier coup. Il m’en a fallu de la concentration pour ne pas envoyer des fusées partout en mangeant les frites !"
Une vraie curiosité. Mieux : un classique.
Jean Teulé, Gens de France et d'ailleurs, éd. Casterman, 1988, Ego Comme X, 2005, éd. Fakir, 2021, 272 p. https://www.fakirpresse.info
C’est d’un retour à la terre dont il est question dans le roman d’Éric-Louis Henri, La Souciance (éd. du Panthéon). Un homme, au parcours professionnel brillant comme consultant, plus habitué aux long-courriers en première classe qu’aux promenades en pleine campagne, se prend d’amour pour un village perdu dans un arrière-pays du sud de la France - en Corse peut-on apprendre par ailleurs ("D’un côté, la mer à perte de vue. Et de l’autre, abrupt, un désordre de profondes vallées creusées par le temps.").
En posant ses valises dans un lieu perdu, peuplé de villageois à la fois taiseux, bourrus et attachants. Le "lieu de villégiature" devient rapidement le havre de paix où s’installe cet homme qui y trouve ses vraies racines (l’auteur dévoilera en quelques pages une enfance difficile et sa rupture familiale).
Il s'agit là, pour lui et sa compagne, d'un renouveau et d’une authentique aventure humaine : "Il y a tout un monde entre ce que l’on nous projette d’un lieu la nuit, et ce que l’on découvre aux premières lueurs du jour ensuite." L’installation de cet ancien citadin, ne prend cependant pas, dans La Souciance, la forme d’une description enchanteresse, légère – et insouciante. Éric-Louis Henri développe, en deux parties – "Il y eut un avant et un après…" et "La sagesse est un futur en soi car elle se joue de nos plans" – le parcours intérieur d’un homme qui, tel Ulysse dans L’Odyssée, parvient au bout d'un long parcours sur des terres qui deviennent finalement les siennes ("Mes cailloux, mes gisants. Ils furent mon arbre, cette nuit-là. En creux, ils m’ont murmuré : « C’est ici... »").
L'art de faire un café à l’ancienne
Homme sans doute aussi taiseux que les villageois qui vont l’accueillir comme un des leurs, le narrateur fait des pages qu’il écrit une confession autant qu’une série d’observation sur sa vie, sur le monde, sur la société de consommation et de communication mais aussi sur les quelques personnes marquantes qui ont croisé sa vie. Éric-Louis Henri délivre quelques pages sur ces petits riens : l’art de faire un café à l’ancienne, le souvenir marquant d’une voisine polonaise, une conversation sur un vol vers la Nouvelle-Zélande ou la rencontre avec des personnes âgées du village où il a fini par acheter une maison.
"Moi, je demeure un irréductible amant du sens. Mon addiction ! Ma seule confession !" L’auteur veut voir derrière ses souvenirs, ses observations et des choses qu’il a vues des enseignements sur la condition humaine. Des passages peuvent aussi bien s’intéresser à ces héros invisibles et silencieux que sont les diplomates et les négociateurs de paix qu’à un ouvrage de développement personnel qu’il a digéré avec passion (Cinq Secondes pour changer la Vie de Mel Robbins) ou alors à une petite bibliothèque, "une maison aux livres ouvertes à tous".
Cette découverte est le point de départ de la deuxième partie du roman, qui est consacrée à un projet qui est sensé lui apporter du sens : "L’exigence se nourrit en fait d’utilité et de raison, impérieuse souvent." La quête du narrateur dans ce village – l’île – se nourrit de rencontres pour atteindre enfin un objectif : "Nous avions jeté l’ancre au village, certes. Mais non pour y enfouir nos incertitudes, justement. Le village était notre socle. Chaque départ était un événement. Chaque retour, une fête."
Passé, présent et futur : La Souciance est le récit d’un cheminement intérieur, presque éthéré, apportant un souffle d’air pur en contant l’histoire d’une vie qui repart.
Si vous voulez vous faire une idée du Ghetto Intérieur de Santiago H. Amigorena (éd. POL), ce roman très remarqué lors de la dernière rentrée littéraire, évitez de vous référer au 4e de couverture, pour le moins aride. Il est vrai que la prestigieuse maison littéraire – comme beaucoup de ses consœurs – n’a jamais été très inspirée pour ses textes de présentation – du moins, lorsqu’elle en proposait.
Le Ghetto intérieur est le récit poignant du silence de Vicente Rosenberg, le grand-père de l’auteur, immigré en Argentine dans les années 20. Alors que cet homme originaire de Pologne a trouvé en Amérique du Sud une nouvelle vie – une femme, Rosita, avec qui il aura deux enfants, un emploi à responsabilités, des amis immigrés comme lui et une nouvelle patrie – sa conscience est resté dans son pays d’origine et sa famille juive.
L'indicible
Le roman de Santiago H. Amigorena démarre en septembre 1940, lorsque la seconde guerre mondiale fait déjà rage, le point de départ du cauchemar juif. Vicente Rosenberg se renseigne sur les nouvelles dans son pays, de plus en plus rempli d’angoisse pour ce qui s’y passe, et en particulier pour sa mère qu’il n’a pas su convaincre de l’accompagner en Argentine. De mois en mois, la réalité de ce qui se passe dans la Pologne en guerre rattrape cet homme exilé à des milliers de kilomètres : "Comme tous les Juifs, Vicente avait pensé qu'il était beaucoup de choses jusqu'à ce que les nazis lui démontrent que ce qui le définissait était une seule chose : être juif."
La grande force de ce court récit familial est de parler de la manière dont cet homme va vivre son isolement loin de sa mère et de son pays natal. Santiago H. Amigorena ponctue son livre de passages sur la Solution Finale, auxquels répond l’incapacité de Vicente de se confier ne serait-ce qu’à sa femme : "Il voulait parler, mais, prisonnier du ghetto de son silence, il ne pouvait pas parler. Il ne savait plus."
Face à l’indicible, désespéré et démuni ("Brutalement, à ce moment-là, Vicente était devenu étranger à lui-même. Il était devenu un autre, un autre vide de sens, vide d’espoir, vide d’avenir"), cet immigré juif va peu à peu s’enfermer dans un insupportable silence ("Il voulait parler, mais prisonnier du ghetto de son silence, il ne pouvait pas parler. Il ne savait plus"), que l’auteur a choisi de mettre fin : "J’aime à penser que Vicente et Rosita vivent en moi, et qu’ils vivront toujours lorsque moi-même je ne vivrai plus."