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science-fiction - Page 5

  • Quand la science-fiction chinoise s’éveillera

    Je sais ce que vous allez dire : s'inspirer, pour le titre de cette chronique, de l’ouvrage d’Alain Peyreffite, Quand la Chine s’éveillera... le monde tremblera, est facile. Pourtant, cette accroche illustre parfaitement la "longue marche" de la république sino-communiste pour s’installer dans des domaines où elle était jusque-là absente, sinon invisible. Et parmi ces domaines, il y a la science-fiction. À bien y réfléchir, quoi d'étonnant dans un pays où la conquête spatiale est devenue depuis quelques années l'une des priorités du pays de Mao ?

    Un roman illustre cette intrusion dans la SF. En publiant le premier tome de sa saga Le Problème à trois Corps, le romancier Liu Cixin ne se contente pas de rafler une pléthore de récompenses (les Nebula Awards ou Xing yun, et surtout le Prix Hugo) : il donne à la science-fiction chinoise une reconnaissance mondiale et contribue à renouveler ce genre. L’auteur n’en est pas à son coup d’essai. En 1989, en pleine révolution avortée – et sanglante – de Tien-an-men, Cixin avait écrit Chine 2185, roman cyberpunk chinois interdit mais distribué sous le manteau. La revue spécialisée Perspectives chinoises, dans un numéro consacré à la science-fiction chinoise (Fictions utopiques et dystopiques en Chine contemporaine, 2015), y voit un ouvrage fondateur, à la fois engagé, inventif et provocateur, "au carrefour du roman politique fantastique et de la science-fiction." Le premier tome du Problème à trois Corps prend avec un contre-pied passionnant la question de la survie planétaire : dans une galaxie lointaine, la civilisation trisolarienne vit ses derniers temps. Elle met en place un plan pour venir coloniser une planète habitable, la terre. L’engouement pour ce cycle en trois volumes a secoué le petit milieu de la SF et promet de ne pas retomber car une adaptation cinéma est déjà en préparation.

    Justement, parlons ciné et SF. Le numéro de décembre 2016 de Mad Movies, le magazine spécialiste du cinéma fantastique, présente un dossier éloquent sur l'interventionnisme et l'influence de la Chine à Hollywood, y compris dans le domaine du cinéma fantastique et dans la science-fiction. Le journaliste Alexandre Poncet parle des enjeux économiques énormes comme des règles que les décideurs chinois imposent aux blockbusters. Les créateurs du Ghostbusters version 2016 ont appris à leur dépend qu'on ne met pas impunément en scène des fantômes dans le pays de Confucius. De même, le comité de censure communiste a passé à la moulinette des superproductions comme Suicide Squad ou Terminator Genesys. Les producteurs américains ou européens font le dos rond face à un pays au marché gigantesque et au pouvoir économique indéniable. Mad Movies cite par exemple le rachat par le groupe chinois CIH de 75 % des parts de Framestone, spécialiste des trucages (Gravity, Harry Potter ou Les Gardiens de la Galaxie). En 2016, Wanda Group a acquis pour 3,5 milliards de dollars Legendary Entertainment, producteur de Pacific Rim, Jurrasic World ou encore la dernière trilogie Batman. Quant à Marvel, il fait les yeux doux au public chinois en lui offrant une version longue d'Iron Man 3 – agrémentée d'une séquence en mandarin. Serions-nous dans une époque charnière ? On peut sans doute le penser : après "les premiers flirts" et la phase d'interventionnisme économique, la Chine pourrait bien jouer des coudes pour imposer sa griffe dans la SF – et le cinéma en général. Le film le plus cher du cinéma chinois, La Grande Muraille, avec Matt Damon dans le rôle principal, sort d'ailleurs en ce moment. Dans la science-fiction, la production n'en est qu'à de timides débuts. Fin 2016, est sorti Mad Shelia, furieusement pompé sur le tout dernier Mad Max. Un frémissement qui pourrait être annonciateur d'autres productions.

    Mais l'autre audace de la SF chinoise pourrait bien venir d'un autre domaine : l'Internet. L'un des succès les plus étonnants est l'auteur à succès Tang Jia San Shao (Zhang Wei, pour l'état civil), qui a reçu le coup de force de devenir millionnaire grâce à la publication sur le net de ses romans de fantasy. Son secret ? Vendre les droits de ses créations et de ses contenus (un concept chinois inédit, l'IP) pour le cinéma, la télévision ou le gaming. Les revenus directs de la consultation en ligne de ses œuvres ne représentent que 2 à 3 % de ses revenus. Mais la stratégie juridico-artistique de cet auteur de 35 ans lui permet aujourd'hui de drainer autant de revenus qu'un Stephen King ou qu'un George RR Martin, excusez du peu ! Et voilà l'ambitieux écrivain en ligne, auteur d'œuvres à succès dans son pays (Douluo Dalu ou Child of Light, quasi inconnues en Europe) rêvant de bâtir un empire à la Disney. Rien que ça ! En attendant, Tang Jia San Shao est le visage de cette littérature en ligne, souple, populaire, interactive mais aussi parfois frustrante. L'écrivain chinois admet en effet que beaucoup de romans proposés sur Internet sont des œuvres incomplètes. Tang Jia San Shao ne cache toutefois  pas sa satisfaction d'avoir su faire de sa passion pour l'écriture un tremplin qui pourrait l'amener loin. Lorsque la science-fiction et la fantasy chinoise s'éveilleront, celui-ci pourrait bien en être l'une des figures de proue.

    SinoSF, blog consacré à la science-fiction chinoise
    Liu Cixin, Le Problème à trois Corps, éd. Actes Sud, 2016
    Brice Pedroletti, "Premier du genre", in Le Monde, 11 novembre 2016
    "Mad in China", in Mad Movies, décembre 2016
    Amy Qin, "Making Online Literature Pay Big in ChinaMaking Online Literature Pay Big in China", in New York Times, 11 novembre 2016
    Wuxiaworld.com

  • Mais que lit donc un geek ?

    Les geeks souriront au nom "404 Factory" : le célèbre code d'erreur informatique "404" a été choisi pour désigner la "plate-forme d'écriture et de lecture créée par des geeks pour des geeks."

    La publication en ligne, déjà bien installée depuis quelques années, est sans doute en passe de prendre un nouveau visage avec l’émergence d’éditeurs numériques et Internet spécialisés. Malin, 404 Factory a choisi de s’attaquer à une niche a priori réceptive : celui des férus et spécialistes en informatique, "no life", nomades numériques, nerds et autres geeks. Créé il y a tout juste un an, 404 Factory revendique d'emblée son positionnement dans la pop-culture, celle de Minecraft ou de la Youtubeuse Andy et son roman en ligne Princesse 2.0.

    Mais que lit au fait un geek ? Et que pourrait-il écrire ? Pour avoir une réponse, le bloggeur a entrepris un tour sur 404 Factory et vous invite à l’imiter pour découvrir d'étonnantes stories, en sachant que cette plate-forme est gratuite.

    Les textes mis à disposition – et dont beaucoup sont à l'état d'ébauche – sont classés en 10 rubriques (ou "univers") : "Fantasy", "Sci-fi", "Objet Littéraire Non Identifié", "Fan Fiction", "In Real Life", "Gaming", Apocalypse", "Super Héros", "Steampunk" et "LOL".

    C'est la fantasy qui constitue le vivier le plus important du catalogue littéraire. Les geeks – et les autres – pourront y trouver des personnages familiers de l'héroïc-fantasy (citons Blanche Diamand et le Secret des Gardiens de Laura Said ou L'Entre-Monde d'Eydal) comme des incursions dans des univers dans la dark fantasy (Bran : Les Gardiens de Londres de Bastien Puech-Cessens) ou des contes d'ailleurs (Six Histoires pas très sages de Nurming).

    La science-fiction est l'autre domaine richement fourni chez 404 Factory : anticipation, voyages spatiaux-temporels, mondes d'ailleurs et créatures extra-terrestres inspirent le monde des geeks, même si nombre de textes restent à l'état d'ébauches comme Aurores d'Antoine Tyson le Maistre. D'autres projets sont plus évolués comme L42 d'EternalBoredorm, voire terminées comme Planète Ourrah d'Eva Colombe.

    404 Factory est une auberge espagnole dont la diversité n'est pas la moindre de ses qualités : à côté des textes plus ou travaillés, plus ou moins maladroits ou de projets arrivés presque à maturité, surgissent de simples pitchs à la faisabilité douteuse, que ce soit un préquel de Star Wars ou un début de spin-off d'Harry Potter mettant en scène le couple Drago Malefoy et Hermione Granger (Un amour haineux d'Elisa Mamet Roussel). Les histoires inspirées d’œuvres existantes font d'ailleurs l'objet d'une rubrique à part entière (Fan Fiction) où se pressent tour à tour le petit sorcier de JK Rowlings, l'Alice de Lewis Carroll, Sherlock Holmes ou les Pokémons !

    Le Objets Littéraires Non Identifiés renferment de petits trésors d'imagination, dont les couvertures ou simples titres font saliver : Je me suis perdu sur Internet de Joseph Bonte, L'envol d'une Cui-Cuillère de Léonardi di Carpaccio (sic), Favolascuro – Vies indépendantes d'Amanda_as ou Comment j'ai épousé mon commandant d'Unité de Sébastien Carré.

    Real Life présente "des stories ancrées dans le réel" : new romance (Amoureuse d'un Bad Boy d'Anastasija), suicide, prostitution ou addiction sont proposés à la "mode geek", avec ce je ne sais quoi d'impertinence mais aussi d'humour, tel le Journal d'une Patate de TheCutestPotato.

    Les univers du gaming et des super-héros s'offrent des places de choix chez 404 Factory. Le geek adore jouer jusqu'à pas d'heures ; le geek adore les personnages de Marvell ou de DC Comics ; le geek dévore les mangas : il se trouvera en terrain familier sur cet espace s'inspirant des jeux de rôles, des livres-jeux, des jeux vidéos ou des figures classiques du super-héros : Les Cauchemars se Peignent haut en Couleurs de Mélodie Wolfheart ou A Marvelous Carnage de Benjamin Beziat pour les deux ouvrages.

    Les sections Apocalypse et Steampunk sont les plus sombres de 404 Factory, que ce soit Apocalypse Doll de June DPZ, Z – Premiers Morts de Sebastien Carré (avec, pour figure à la mode, le traditionnel zombie) ou Chaos³ de MiKL BD. À noter la présence parmi les textes publiées d'une pièce de théâtre, L'Ombrelle de Mme Arriem de Luma.

    La dernière section, symptomatiquement appelée "Lol", rassemble quelques stories – ou plutôt projets de stories – inclassables : textes poétiques, loufoques, absurdes, dialogues décousus et expérimentations pour geek littérateur. Mais il est vrai que 404 Factory dans son ensemble reste un vaste champ d'expérimentations et de works in progress.

    www.404-factory.fr

  • Une chose venue d’un autre temps

    Stranger Things est cet objet télévisuel comme venu d’une autre époque, ou plus précisément d’une autre décennie tant cette série à succès produite par Netflix utilise à plein la nostalgie des années 80.

    Les auteurs ont soigné les détails pour une immersion totale et régressive. Rien ne manque : la musique (Toto, The Clash et une bande son dégoulinante de synthétiseurs), les références cinématographiques et littéraires (Spielberg, King), sans oublier ces détails du quotidien, voitures, vêtements, téléphones (à fil), talkies-walkies et autres radio-cassettes...

    Maintenant, l’histoire. Un enfant disparaît. Il se nomme Will, a dix ans, et est recherché conjointement par sa mère, par un shérif blasé mais opiniâtre et par trois amis de Will, des gamins futés biberonnés à la science-fiction, à Star Wars, aux jeux de rôle et aux super-héros.

    Le spectateur croisera au passage quelques figures classiques : un couple d’adolescents stéréotypé accompagné de la bonne copine qui regrettera longtemps d'avoir tenu la chandelle, un savant fou (Matthew Modine) et des policiers dépassés par la situation. Le tout est sur fond de disparitions, de phénomènes surnaturels, de créatures étranges et d’expériences secrètes.

    Les références de Stranger Things sont multiples : Spielberg, bien entendu (ET, Poltergeist, Rencontres du Troisième Type), mais aussi Stephen King, auxquels il faudrait ajouter JJ Abrams qui avait déjà fait une incursion similaire pleine de nostalgie dans Super 8.

    On pourrait pinailler sur le fait que Stranger Things ne révolutionne pas l’histoire de la série. Ce serait cependant dénigrer une création maligne de Netflix qui joue avec l’hommage et les références nostalgiques pour alpaguer les quadras et les autres.

    Stranger Things, de Matt Duffer et Ross Duffer
    avec Winona Ryder, David Harbour, Finn Wolfhard, Millie Bobby Brown,
    Gaten Matarazzo, Caleb McLaughlin, Natalia Dyer, Charlie Heaton et Matthew Modine

  • Laureline et Valérian, bons pour le service

    Les agents spatio-temporels Laureline et Valérian sont les madeleines de Proust de nombre d'amateurs de bandes dessinées. Je cite volontairement "Laureline et Valérian", bien que l'œuvre graphique de Christin et Mézière s'intitule en réalité "Valérian agent spatio-temporel".

    Il me paraît injuste de transformer l'héroïne de ce cycle en simple faire-valoir féminin de son compagnon. Car Laureline, l'alter-ego de Valérian, agent spatial comme lui, n'a pas à rougir de la comparaison avec ce dernier. Loin de là. La sémillante rousse, le vrai personnage principal de cette saga dessinée (du moins, c'est mon avis), dénote par ses qualités : courage, perspicacité, humanité, humour, intelligence et beauté. Elle le prouve dans un album que je viens de découvrir. 

    L'album publié en 1996, Otages de l'Ultralum, met en scène les deux agents spatio-temporels en lune de miel dans une croisière paradisiaque de l'astéroïde Ikotiklos. Les deux agents, devenus riches et n'aspirant qu'à une retraite bien méritée, sont rappelés au service, à la faveur de l'enlèvement du fils "tête-à-claque" du grand calife d'Iksaladam. Laureline est par accident, elle aussi, emmené par les instigateurs, le Quatuor Mortis, destiné à faire chanter Point Central , une sorte d'ONU galactique – qui n'est pas sans rappeler la République de Star Wars. Valérian part en chasse pour récupérer la belle qui, de son côté, va en faire voir de toutes les couleurs à ses ravisseurs.

    Les mauvaises langues trouveront l'œuvre de Christin et Mézières daté – vocabulaire désuet et renvoyant par moment à la série Star Trek, humour potache parfois retombant comme un soufflet – mais le bloggeur ne gardera que les qualités de cette série qui a marqué son époque : scénario bien construit, inventions graphiques, dialogues soignés, personnages principaux inoubliables, créatures extra-terrestres étonnantes. 

    Laureline et Valérian paraissent de si bons archétypes de fiction (et qui ont inspiré à leur manière la série Star Wars) que Luc Besson a décidé d'en faire les héros d'un prochain film qui promet de faire du bruit (voir à ce sujet cet article de MadmoiZelle).

    Le couple le plus glamour de la science-fiction sera de nouveau, bientôt, bon pour le service. On a hâte de voir ça.

    J.C. Mézières et P. Christin, Otages de l'Ultralum, Valérian agent spatio-temporel, éd. Dargaud, 1996