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Quel est l'intérêt d'un essai historique sur Eva Braun ? La question se pose s'agissant de celle qui, finalement, n'a été que la maîtresse d'Adolf Hitler et n'a jamais joué de rôle notable, politique ou autre.
Et pourtant, Eva Braun demeure un personnage extrêmement connu (la plus connue sans doute de toutes les compagnes de dictateur) et ce, alors même qu'Hitler l'a soigneusement cachée pendant les 14 ans qu'a duré leur relation. Il ne se maria avec elle que quelques heures avant leur suicide en avril 1945 dans Berlin assiégé.
Cette célébrité, dit Heike B. Görtemaker, vient sans doute en partie de son intimité avec celui qui personnifie plus que jamais la figure du Mal. Il est pourtant intéressant de suivre le parcours d'Eva Braun. Sa rencontre en 1929 avec Hitler est en soi un choc de génération. Il a déjà 40 ans, est célibataire, passionné par la politique, impitoyable et est certain d'arriver à ses fins dans la conquête du pouvoir. Elle a 17 ans, est une jolie blonde sportive et plutôt cultivée et restera des années encore insouciante et naïve.
L'idylle naissante arrive alors que Hitler se remet difficilement d'une histoire d'amour avec sa nièce (sic) Geli Raubal, terminée avec le suicide de cette dernière, désespérée. Heike B. Görtemake suit pas à pas les circonstances et les premières années du couple Hitler/Braun : confiances réciproques, séparations, tentatives de suicides et manipulations ponctuent cette union peu ordinaire et cachée des années durant (l'auteur explique pourquoi).
Heike B. Görtemake s'attache également à montrer le degré d'implications de cette jeune femme dans le cours de l'histoire. Jamais encartée au NSDAP, elle adhère pourtant aux idées du parti nazi et restera l'une des dernières vraies fidèles de Hitler, au point de refuser de fuir Berlin assiégé et de mourir avec son compagnon. Ce portrait trace également un portrait saisissant de la petite société qui tournait dans l'intimité du dictateur et de sa compagne. C'est enfin l'occasion de s'arrêter longuement sur les femmes de dirigeants nazis, tenues à l'écart de toute politique (pour raisons idéologiques) mais qui en savaient bien plus que ce qu'elles ont voulu admettre.
En 1942, Jan Karski est désigné comme messager de la résistance polonaise pour avertir les Alliés du sort fait aux Juifs. Arrivé aux Etats-Unis, Karski s'emploie au mieux dans sa mission et parvient à rencontrer Roosevelt, sans résultat hélas, pour les Juifs européens.
Cette vie aventurière de Jan Karski (décédé en 2000), Yannick Haenel choisit de la traiter sous une forme hétéroclite, mi roman, mi récit. Ce choix artistique explique en partie la polémique qui concerne ce livre sorti en 2009. Le roman s'articule en trois parties : la première parle du témoignage de Karski pour le film Shoah de Claude Lanzmann) ; la seconde parle toujours sous forme d'un récit du parcours de Karski de ses premières années jusqu'à son rôle de messager ; la troisième, la plus polémique, est écrite à la première personne. Haenel prend la liberté de se mettre à la place de Karski pour évoquer l'échec de sa mission.
Cette dernière partie a provoqué les foudres des historiens et aussi de Jacques Lanzmann, accusant l'auteur de malhonnêteté intellectuelle et d'approximations. Un livre certes imparfait mais qu'il faut lire, au moins pour connaître la vie de ce très grand résistant qu'était Jan Karski.
Le premier épisode est consacré à l’histoire et à la vie de l’effroyable ghetto. Quinze minutes, c’est évidemment court pour raconter un des épisodes tragiques de la Shoah et la condition de vie misérable de ses habitants. 400 000 juifs et juives, hommes, femmes, enfants et personnes âgées, vivent dans un peu plus de 3 km². Les témoignages de l’INA donnent à entendre des scènes à peine imaginables : la mort omniprésente, la famine, les manipulations des autorités allemandes et ces scènes de survie effroyables.
750 jeunes, hommes et femmes de 14 à 25 ans
Les trois principaux épisodes reviennent sur les quatre semaines héroïques qui ont conduit près de 750 jeunes, pour la plupart des hommes et femmes de 14 à 25 ans, à se procurer des armes pour se défendre et finalement résister face à l’armée la plus puissante du monde. L’histoire se terminera bien sûr tragiquement pour cette armée de guérilla urbaine. La série explique que cette révolte débute alors que les Allemands lancent une deuxième rafle de grande ampleur sur le ghetto afin d’envoyer ses habitants vers les camps de la mort – essentiellement Treblinka.
Le 19 avril 1943, la veille de la Pâque juive, une révolte éclate grâce à des moyens rudimentaires mais avec deux atouts pour les jeunes combattants et combattantes : la connaissance du ghetto et la certitude qu’ils n’ont plus rien à perdre. Par contre, ils rencontreront peu d’aide chez les Polonais non-juifs comme chez les Alliés. Le 16 mai 1943, le ghetto est définitivement "liquidé", selon le vocable des bourreaux nazis.
Les quatre épisodes de France Culture sont passionnants grâce aux témoignages des rescapés de cet événement qui est resté dans la mémoire collective. Outre les voix des survivants et survivantes, captés entre 1964 et 1998 –Marek Edelman, Cywia Lubetkin, Symcha Rotem, Krystyna Budnicka, Halina Aszkenazy, Régine Poloniewska, Stanislaw Tomkiewicz, Léon Abramowicz, Gutka Steinberg, Henry Favel, Lola Liblau, Marek Rudnicki et Pierre Ruff – une voix off lit des extraits du rapport Stroop, rédigé en mai 1943 par Jürgen Stroop, membre de la Waffen-SS et commandant des forces allemandes qui liquidèrent le ghetto de Varsovie.
En 1944, alors que la Solution Finale contre les Juifs européens bat son plein, les pontes de la SS, dont Ernst Kaltenbrunner, Heinrich Himmler et Rudolf Höss, le responsable d’Auschwitz, ont l’idée d’immortaliser en photos "l’efficacité" de la machine de mort nazie. Entre mai et août 1944, le "Programme Hongrie" organise la déportation de près de 600 000 juifs hongrois - qui seront pour la plupart tous exterminés. Deux photographes allemands, Bernhard Walter et Ernst Hoffmann sont chargés de multiplier des clichés qui serviront de bases à une dizaine d’albums.
Un seul est retrouvé par une déportée hongroise, Lili Jacob. En avril 1945, alors qu’elle est mourante et que les troupes américaines approchent du camp de Mittelbau, elle tombe sur cet album d’Auschwitz. En dépit de l’utilisation de quelques clichés pour des procès, dont celui d’Eichmann, l’album reste curieusement dans l’ombre. Le voilà maintenant restitué et analysé dans cet essai incroyable autant que bouleversant.
Ces visages d’hommes, de femmes et d’enfants – beaucoup d’enfants
Rarement une source historique n’a été autant scrutée et étudiée. Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller analysent les lieux des crimes, Auschwitz, l’un des nombreux sites de mise à mort dans l’Europe nazie, devenu symbolique pour son étendue, son "efficacité" et finalement le nombre de victimes. En ayant l’idée perverse de laisser des preuves photographiques de leur crime – bien qu’aucune photo ne montre chambres à gaz et fours crématoires, hormis deux clichés ajoutés sur le tard – les dignitaires, militaires, responsables des camps et forces supplétives laissent à l’histoire les images d’un des plus grands crimes de l’humanité.
Le lecteur sera secoué devant les files de déportés. Ces visages d’hommes, de femmes et d’enfants – beaucoup d’enfants ! – affrontent l’objectif. La plupart mourront peu après. Pas de morts sur ces photos – hormis la silhouette d’une vieille femme morte d’épuisement – et la violence ne surgit qu’épisodiquement – une canne à la main d’un officier, une vieille femme conduite par deux hommes vers la mort et les tours d’un four crématoire. Le lecteur sera frappé par ces clichés où des milliers de personnes arrivent sur les quais du camp nazi, des ballots de bagages et des foules de déportés attendant dans un bois que les chambres à gaz, mis à contribution, se libèrent.
Il a souvent été dit que les Juifs exterminés étaient conduits à la mort sans se défendre. Quelques indices nous indiquent qu’il n’en a rien été : les regards plein de défiance, les tentatives de révolte, mais aussi ces langues tirées avec affront en direction du photographe et de leurs bourreaux. Gestes faussement anodins, mais riches de sens.
Un bien énigmatique titre pour une histoire qui ne l’est pas moins.La Ruse, film d’espionnage réalisé par John Madden et sorti en France l’an dernier, se présente comme un récit d’autant plus ahurissant qu’il se base sur une historie vraie, survenue en pleine seconde guerre mondiale. Et l’un des protagonistes – certes un des personnages secondaires – n’est autre que Ian Flemming, le père de James Bond.
En 1943, les Alliés s’apprêtent à reconquérir l’Europe dominée par les armées hitlériennes. La première étape est un débarquement qui doit avoir lieu en Sicile, "le ventre mou de l’Europe", selon Churchill lui-même. Le hic c’est que les Allemands le savent aussi. Une opération de désinformation est lancée par les services secrets britanniques. Le moyen ? bâtir de toute pièce un récit sur un officier britannique retrouvé noyé sur les côtes espagnoles et transportant avec lui des faux-documents pour duper l’ennemi.
Derrière cette opération d’intoxication se cache une célébrité : Ian Flemming
L’histoire de cette opération surnommée "Mincemeat" ("Chair à pâté") fait partie des opérations d’intoxication militaire les plus impressionnantes de l’Histoire. Elle a surtout permis d’épargner, nous dit le film, la vie de dizaine de milliers de soldats lors du Débarquement d’Italie en 1943. Autant dire que cela méritait bien un long-métrage et une reconstitution, depuis les discussions sur sa faisabilité jusqu’aux retournements complètement imprévus, en passant par le choix du cadavre et la création de l’identité du noyé. Le film s’avère de ce point de vue efficace.
Ce qui l’est moins est la partie sentimentale : une sémillante secrétaire et fonctionnaire (Kelly Macdonald) courtisée par deux brillants officiers (Colin Firth et Matthew Macfadyen). Cette jeune veuve assez peu éplorée est prête à tomber dans les bras d'un mari dont le couple flanche, sous les yeux d'un agent jaloux en mal de reconnaissance. Cette partie du film est la moins convaincante et tend à alourdir un film d’espionnage qui tenait largement la rampe avec cette histoire de manipulations, d’imprévus et de coups tordus.
C’est là aussi qu’il faut parler de ce qui s’avère être le vrai sel de La Ruse. Car, derrière cette opération d’intoxication se cache une célébrité : Ian Flemming, le créateur de James Bond. Les scénaristes ont fait du futur écrivain la voix off du récit. Une liberté, certes, mais qui cache aussi les origines du célèbre et fictionnel 007 : l’amiral John Henry Godfrey, le supérieur de Flemming, surnommé M, et Q trouvent leurs origines dans l’opération "Mincemeat". Et si James Bond était réellement né durant ces années de sang et de feu ?
La Ruse, film d’espionnage et de guerre britannico_américain de John Madden, avec Colin Firth, Kelly Macdonald, Matthew Macfadyen, Penelope Wilton et Johnny Flynn, 2021, 128 mn, Canal+ https://www.canalplus.com/cinema/la-ruse/h/19150840_50001
C’est un livre de témoignages tout à fait exceptionnel que nous propose Benoit Vidal avec son ouvrage, Gaston en Normandie (éd. FLBLB). Les monographies, autobiographies, enquêtes et documents sur le Débarquement du 6 juin 1944 sont très nombreux. L’auteur rappelle aussi les films aussi emblématiques que Le jour le plus long ou Il faut sauver le soldat Ryan.
Là où Benoit Vidal étonne c’est la facture de son ouvrage se voulant au plus près des témoins ordinaires de cette journée capitale dans l’histoire du XXe siècle : il choisit le roman-photo, un genre qui a été popularisé par les romances populaires.
Pour Gaston en Normandie, le lecteur découvre que ce type de livre se prête si bien à ce genre de projet littéraire et historique qu’il est étonnant qu’il n’ait pas été si souvent utilisé. Sans doute trouverait-il un nouveau public et une nouvelle manière de vulgariser l’histoire. Mais fermons la parenthèse.
Le Gaston en question est le père de l’auteur, un témoin jeune à l’époque des fais – il avait 7 ans en juin 1944 – mais à la mémoire intacte. Si intacte que, grâce à Gaston, l’auteur dévoile par exemple un discours du Général de Gaulle à Bayeux en juin 1945 (en plus de ceux de 1944 et de 1946) que l’Histoire avait oublié. "L’histoire vue par le bas, comme disent les historiens, ne correspond donc qu’imparfaitement à l’histoire vue d’en haut" écrit en avant-propos Olivier Wieviorka, de l’ENS Paris-Saclay, comme pour faire écho à cet "oubli".
Ce qui intéresse Benoit Vidal est l’histoire vue par les gens ordinaires : ces témoins, résistants ou non, découvrant le débarquement un petit matin de juin. Ce sont ces Normands apeurés par les bombardements alliés, hésitant à quitter leur domicile comme le confie Joséphine, la grand-mère maternelle de l’auteur. Son témoignage recueilli par Benoît Vidal est riche de ces petits faits ignorés par la grande histoire et pourtant poignants et mémorables : ce soldat anglais capturé par les Allemands, les jeunes filles s’improvisant infirmières de campagne ou encore cet homme enseveli suite à un bombardement et sauvant son bébé.
Le jeune Gaston voit le champ de bataille normand comme un terrain de jeu
Olivier Wieviorka dit encore ceci : "Le livre de Benoit Vidal (…) ne retrace ni la bataille de Normandie ni les hauts faits des guerriers alliés. Il se propose de présenter le débarquement et ses suites à hauteur d’homme, tels que les événements ont été vécus par des Français moyens — sa famille en l’occurrence."
Les témoignages de Gaston, que son fils a enregistré en dépit du caractère pudique du vieil homme de 80 ans, viennent apporter la saveur du regard d’un enfant de sept ans. Un gosse traumatisé par la guerre ? Non, bien au contraire. En dépit de la prudence exigé par ses parents pour éviter les dénonciations (l’auteur s’arrête sur le cas épouvantable et inhumain d’un médecin dénoncé par une jeune femme, maîtresse d'un militaire allemand), le jeune Gaston voit le champ de bataille normand comme un terrain de jeu ("À l’époque on n’avait pas peur. On laissait faire les enfants d’une façon incroyable !… On était très libres").
Le témoignage déborde de son cadre lorsque Benoit Vidal fait entrer dans ce récit centré sur le 6 juin 44 l’intime, les souvenirs familiaux, au point d’évoquer des secrets de famille. Dans les derniers chapitres, Gaston en Normandie s’apparente à un face-à-face émouvant entre un père et son fils, comme le dit l’auteur : "Mais je prends conscience dans le même temps que la quête qui me pousse à collecter la mémoire familiale est motivée par la volonté de combler un manque de communication". Cette rencontre entre un père et son fils est l'une des très belles surprises de ce roman-photo pas tout à fait comme les autres.
S’attaquer à un morceau comme ce Churchill d’Andrew Roberts (éd. Perrin) demande une sacrée ténacité : plus de 1 300 pages en comptant l’index et une biographie. Il faut cependant bien cela pour saisir la vie d’une des figures majeures du XXe siècle, celui qui a largement permis la victoire des Alliés pendant la seconde guerre mondiale tout autant qu’il a fait entrer l’Angleterre dans la modernité.
Un homme exceptionnel, donc, dont on peut dire qu’il a un pied dans le XIXe siècle post-victorien et l’autre dans le XXe siècle post-colonial. Il faut citer pour la traduction française Antoine Capet pour son remarquable travail, permettant au lecteur français de découvrir ou redécouvrir "le vieux lion".
Connaît-on réellement Churchill ? Andrew Roberts a une étonnante réponse en toute fin de l’ouvrage, lorsqu’il parle de la jeune génération : "Dans un sondage de 2008 auprès de 3 000 adolescents britanniques, pas moins de 20 % d’entre eux pensaient que Winston Churchill était un personnage de fiction…" Hormis le fait que cela remet en question les programmes scolaires anglais où Churchill a été presque totalement éliminé, apprend-on, cela reste cependant un "hommage" singulier pour le premier ministre britannique, comme si sa destinée était trop invraisemblable pour avoir été réelle.
La biographie d’Andrew Roberts est constituée de deux parties : "La préparation" et "L’épreuve". Les jeunes années de Churchill, ce fils de l’aristocratie anglaise ayant fait ses armes sous les drapeaux, semblent être, comme l’a dit lui même l’intéressé, une période de formation avant l’épreuve de la seconde guerre mondiale. Le lecteur a peine à imaginer le futur premier ministre rondouillard de l’Empire Britannique en soldat aguerri : "À 25 ans, il s’était battu sur davantage de continents qu’aucun soldat de l’histoire, hormis Napoléon", raconte un portrait de l’époque.
Courageux jusqu’à la témérité, Churchill devient aussi un homme de lettres autant qu’un tribun, laissant une œuvre aussi impressionnante que l’homme lui-même, récompensée par ailleurs d’un Prix Nobel de Littérature.
Impérialiste libéral, Churchill se lance dans la politique à l’âge de 26 ans. C'est le début d’une carrière impressionnante, non sans soubresauts et traversées du désert qu’Andrew Roberts détaille avec patience. L’homme monte les échelons : sous-secrétaire d'État aux Colonies, ministre de l'Intérieur puis Premier Lord de l'Amirauté, une nomination qui le rendra le plus heureux comme jamais, comme en témoignera plus tard son amie Violet Asquith.
C’est sous son mandat que commence la première guerre mondiale. Il est déjà aux avant-postes de la Grande Histoire. C’est aussi et surtout une période d’apprentissage, avec des victoires (la création du MI5 et du MI6) mais aussi des erreurs (l’opération des Dardanelles en 1915, qui le marquera toute sa vie), erreurs qui lui seront profitables des années plus tard.
Le lecteur qui croit au destin historique, pourra s’appuyer sur cette éloquente citation de l’intéressé au moment où il accède au poste de premier ministre en mai 1940 : "J’avais l’impression d’être guidé par la main du destin, comme si toute mon existence préalable n’avait été qu’une préparation en vue de cette heure et de cette épreuve…"
"À 25 ans, il s’était battu sur davantage de continents qu’aucun soldat de l’histoire, hormis Napoléon"
Cette épreuve, c’est bien évidemment la seconde guerre mondiale. L’armée d’Hitler conquiert l’Europe et l’Angleterre est à deux doigts de sombrer comme la France, piteux vaincu après quelques semaines d’une bataille peu glorieuse. Churchill va se servir de son expérience pour convaincre son peuple que la défaite n’est pas inéluctable, en dépit des bombardements nazies sur Londres. "Âgé de 65 ans, il était magnifiquement préparé (…) pour les épreuves qui l’attendaient".
Ces cinq années éprouvantes, il les affronte avec un courage frôlant la témérité, lui qui n’hésite pas à parcourir le monde en avion ou en bateau en dépit des dangers. La Bataille d’Angleterre fait l’objet de longues pages, et l’auteur ne tait pas les combats politiques, rythmés par les discours légendaires du prime minister, tout au long de ces 5 années de guerre, développées sur environ 400 pages, avec minutie et grâce à une documentation impressionnante.
Andrew Roberts rappelle que les États-Unis sont aux abonnés absents au début du conflit et qu’il a fallu toute la pugnacité de Churchill pour convaincre Roosevelt d’entrer en guerre, chose faite après Pearl Harbour en décembre 1941. L’essayiste souligne l’importance capitale de la Bataille de Dunkerque en mai 1940 avec l’Opération Dynamo qui a eu une importance capitale dans la résistance anglaise en ce qu’elle a permis de préserver la marine britannique. Le Blitz et la Bataille d’Angleterre constituent deux chapitres pour ce tournant décisif. Ce que le lecteur découvrira sans doute c’est la saignée dans les forces aériennes anglaises lors de la Bataille d’Angleterre ("en tout, depuis le 10 mai, la RAF avait perdu 1 067 appareils et 1 127 aviateurs"). Cela rend la résistance menée par Churchill tout à fait remarquable ("Nous sommes résolus à poursuivre le combat encore et toujours"), d’autant que le premier ministre lui-même a plusieurs fois risqué sa vie au milieu des bombardements, en raison de sa proverbiale témérité, même si des observateurs ont trouvé qu’il s’était malgré tout "assagi". L’auteur nous apprend que pendant ces 1 900 jours de guerre, il a parcouru 180 000 kilomètres en bateau, en train et en avion.
Avec un luxe de détails, le biographe suit Churchill du 10 Downing Street au Canada en passant par Washington ou Téhéran, le chef de guerre se révélant un diplomate parfois dupé par un Staline lors de tractations narrées avec précision et un grand sens de la théâtralité, comme on le découvre lors d’une série de rencontres à Moscou.
Andrew Roberts parle du tournant qu’a été 1942, année décisive au cours de laquelle le monde a été sur une ligne de crête, entre victoire annoncée et défaite inéluctable. Du point de vue intérieur, Churchill est critiqué ("le plus grand marchand de défaites de l’histoire anglaise" est-il dit de lui). En dépit de cela, le peuple le suit, comme le montrent des sondages de l'époque. Le débarquement en Normandie, imaginé dès le début du conflit mondial, est finalement brièvement évoqué, en dépit de son importance stratégique considérable.
"Victoire et défaite" : tel est le titre du chapitre consacré à la période de janvier à juillet 1945. S’il est vrai que le triomphe de Churchill est l’anéantissement de l’armée nazie, pour autant le premier ministre se voit débarqué après la perte des élections par les conservateurs à l’été 1945.
Les derniers chapitres de ce Churchill sont consacrés aux années d’opposition, à des discours importants consacrés à la Guerre Froide naissante, aux colonies britanniques et à l’Europe. Puis, advient le retour au pouvoir de Churchill de 1951 à 1955, dans une période que l’auteur juge plus crépusculaire.
On ressort de la lecture du livre d'Andrew Roberts éclairés par un des plus grands hommes de l’histoire britannique et sans doute du XXe siècle. Sans doute la meilleure conclusion à apporter à ce Churchill reste le portrait "multiple" qu’en a fait un autre biographe : "Homme politique, sportif, artiste, orateur, historien, parlementaire, journaliste, essayiste, joueur de casino, soldat, correspondant de guerre, aventurier, patriote, internationaliste, rêveur, pragmatique, stratège, sioniste, impérialiste, monarchiste, démocrate, égocentrique, hédoniste, romantique".
On ne va pas se mentir : l’histoire d’Anne Franck n’a jamais été aussi bien traitée que par le film de George Stevens (The Diary of Anne Frank, 1959) et bien entendu par le Journal d’Anne Franck. Le manuscrit de l’adolescente néerlandaise, retrouvé par miracle par son père après la guerre, est par la suite devenue une œuvre majeure de la littérature mondiale, le journal le plus célèbre du monde et aussi une des pierres angulaires de la littérature concentrationnaire.
Le film Anne Frank, ma meilleure amie, proposé par Netflix, est consacré à ce sujet sensible et difficile sous un biais inattendu. Il fallait être culotté pour revenir sur ce récit, ce que Ben Sombogaart et ses deux interprètes principales, Josephine Arendsen et Aiko Mila Beemsterboer, font avec conviction.
Le film est tout d’abord inspiré d’une histoire vraie, celle d’Hannah Goslar, toujours vivante en 2022, qui a été la plus proche amie d’Anne Franck. Adolescentes lorsque les Pays-Bas sont envahis par l’occupant nazi, les deux jeunes juives vivent de plein fouet l’antisémitisme et les rafles qui font rage.
Elles se vouent une amitié solide en dépit de leur caractère opposée : Hannah est réservée, presque effacée, alors qu’Anne, la future auteure du Journal, se montre drôle, prolixe, ambitieuse (elle rêve d’être écrivaine connue et de parcourir le monde), avec parfois des réactions qui laissent son amie désarçonnée.
Ce sont des adolescentes comme il en existe des millions par le monde : l’école, les jeux, les premiers émois, les dragues avec les garçons et les amitiés, tantôt trahies tantôt respectées jusqu’à la mort. Et c’est justement la mort qui rôde autour de ces jeunes filles.
Une amitié exceptionnelle et bouleversante
Anne Frank, ma meilleure amie n’est pas le récit des deux années de clandestinité dans l’Annexe d’Amsterdam où elle et sa famille se sont cachées pour échapper à leur arrestation. Cette arrestation aura finalement lieu en août 1944. Anne Franck meurt l’année suivante, en avril 1945, à Bergen-Belsen.
C’est du reste dans ce camp de concentration qu’ont lieu plusieurs scènes majeures du film. On y suit Hannah, déportée comme son amie. Elle est persuadée qu’Anne a émigré en Suisse, suite à une lettre laissée par son père Otto. Elle s’aperçoit de son erreur : non seulement son amie n’a jamais quitté Amsterdam, mais en plus elle a été arrêtée comme elle et est détenue dans le même camp. La retrouver et lui parler devient son obsession.
Ben Sombogaart alterne les épisodes à Amsterdam, préludes au cauchemar qui s’annonce et la reconstitution d’un camp de concentration avec une Hannah Goslar s’accrochant à la vie et prenant une fillette sous sa protection. Josephine Arendsen et Aiko Mila Beemsterboer dans le rôle d’Anne Franck sont formidables de justesse. Le refus d’édulcorer le personnage de la jeune auteure est louable. Par contre, le public sera sans doute déçu que sa période de clandestinité dans l’Annexe soit volontairement mise de côté.
L’essentiel n’est pas là : le jeune public va pouvoir grâce à Netflix découvrir voire redécouvrir la figure majeure d’Anne Franck et pourquoi pas lire son indispensable Journal. Le film, lui entend surtout insister sur une amitié exceptionnelle et bouleversante.