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sexe - Page 10

  • Dans la chaleur du Morbihan

    Sur Bla Bla Blog, on aime Bastien Vivès. Cet artiste a déjà fait l’objet de trois chroniques pour ses formidables BD Amitié étroite, Polina et L’Odeur du Chlore. Pour Une Sœur (éd. Casterman), son nouvel album, c’est en Bretagne, et plus précisément sur l'Île aux Moines dans le Morbihan, que l’auteur nous entraîne.

    Antoine, un adolescent de 13 ans, et son petit frère Titi, accompagnent leurs parents dans leur maison de vacances au bord de la mer. Nous sommes dans l’insouciance de l’été. La chaleur est là. L'océan aimante et électrise. Peu de temps après leur arrivée, une visite impromptue vient casser la routine estivale : Sylvie, une amie des parents qui vient de vivre une fausse-couche, est accueillie pour quelques jours avec sa fille. Cette dernière s’appelle Hélène. Elle a 16 ans. Bientôt, s’instaure entre elle et Antoine une complicité fraternelle.

    L’amitié, l’amour, l’adolescence : ces thèmes chers à Bastien Vivès sont concentrés dans un ce petit bijou qu’est Une Sœur. Sur une intrigue tenue, l’auteur parvient à tisser une histoire où se mêlent tableaux vécus plus vrais que nature, tragédie, comédies humaines, liens fraternels, relations ambiguës, moments de grâce et sensualités. Les corps et les adolescents se cherchent et se découvrent. On est à des âges où les cordons ombilicaux avec papa et maman sont en passe d'être rompus.

    Bastien Vivès ne cherche pas à provoquer ni à transgresser. Comme il le dit dans le magasine CasMate, Ma Sœur parle d'une rencontre inespérée, à la fois légère et capitale pour le jeune homme : "Je voulais que le ivre refermé, Hélène partie, on comprenne qu’elle et Antoine ont vécu un moment superchouette, un moment privilégié. Que plus tard ils y penseront avec tendresse."

    Avec un sens de l’économie, le dessinateur fait de ses jeunes gens les héros d’aventures et de romances rhomériennes dans lesquelles les adultes ont le second rôle, y compris singulièrement Sylvie, la mère d’Hélène malgré le drame qui l’a touchée.

    Bastien Vivès est en état de grâce dans cette bande dessinée bouleversante : le noir et blanc somptueux, les visages et les corps délicatement esquissés, les cadrages, l’intrigue patiemment déployée et rythmée par des points de bascule, jusque dans les dernières pages. L'auteur de Polina et de L'Odeur du Chlore propose l'histoire d'une rencontre érotique tout autant que d'un apprentissage, derrière laquelle pointe le drame et la tragédie que personne n'attendait.

    Ce magnifique album terminé, le lecteur n'a qu'une envie : se replonger dans ce récit simple et bouleversant. Éblouissant, comme un soleil d’été.

    Bastien Vivès, Une Sœur, éd. Casterman, 2017, 212 p.
    "Les meilleurs amis du monde"
    "De la piscine comme univers métaphysique"
    "Petite danseuse deviendra grande"
    http://bastienvives.blogspot.fr
    "Le sexe en 12 leçons", in Casemate, mai 2017

  • Ma chair et tendre

    Vous êtes avertis que le dernier ouvrage de Stella Tanagra s’aventure dans un domaine très chaud et prend à bras le corps un sujet universel : le sexe.

    Dans son recueil Sexe primé (éd. Tabou), celle que je nommerais "la petite princesse de l’érotisme" allie l’audace à une écriture ample et travaillée. Là est sans doute la spécificité de Stella Tanagra, qui n’entend pas laisser un pouce de terrain à la vulgarité facile, à l’intrigue neuneu ou à l’écriture basse de plafond : "Nos ergonomies s’éprennent comme deux ventouses dont les succions nous lient ardemment si bien que l’enchevêtrement de nos êtres est semblable à une sangsue géante. Nos apparats à l’accoutumée flasques se transforment en membres qui se contractent et s’allongent" (Ces Messieurs me disent).

    Pour brouiller les pistes, l’auteure débute et termine Sexe primé avec deux textes poétiques et amoureux (Tout se promettre sans le dire et Les Jours qui suivent), des sortes de contre-feux pour un recueil âpre, envoûtant et souvent déstabilisant. La passion (La dérive amoureuse), le coup de foudre (Ma Chair et tendre), la rencontre fortuite (Scène de crime), le quotidien triste, cruel et trivial (Un gentil garçon), le désir qui n’a ni âge ni raison (Puppy Love), ou encore les expériences extrêmes (Peau percée) parlent du désir, du corps, des fantasmes mais aussi des perditions. Le sexe, au cœur de ces nouvelles, est habillé de préliminaires littéraires grâce à une langue baroque et poétique.

    Dans La dérive amoureuse, une étreinte est racontée par un narrateur, installé avec sa femme Océane au bord d’une piscine. L’érotisme du moment se confond avec celui des souvenirs et des dialogues, jusqu’à cette scène tragique, décrite avec un lyrisme tout baudelairien : "Son visage livide aux lèvres violacées m’indiquait un message fatidique, celui de la laisser rejoindre la noirceur de la fosse océane."

    La mort et la souffrance affleurent d’ailleurs régulièrement dans le recueil. Scène de crime, qui commence par une scène de drague classique, glisse vers un jeu pervers : "Ton engin est une arme de crime excessivement jouissive." Stella Tanagra prend le lecteur à rebrousse-poil dans le texte Sans sortir. Cette étonnante et glaçante nouvelle est construite autour des cinq sens ("Vision", "Mélodie", "Parfum", "Sensation", "Saveur"). La jeune narratrice décrit une série de fantasmes rassurants dans un univers post-apocalyptique où le sexe est devenu l’arme du malheur, de l’abomination et de la solitude.

    Il est encore question de fantasmes dans Écran total. Un geek se fait le parangon du sexe triste à l’époque des écrans d’ordinateur, smartphones et autres tablettes : "Trop amoureux des femmes pour être capable de me contenter d’une seule, toujours à chercher plus que ce que j’ai déjà, je te tiens donc responsable, toi et ton petit cul à tomber par terre, de ma mélancolie de ce soir." La masturbation ne représente qu’un pis-aller dérisoire : "Ma vie sexuelle est une fatal error 404. Je me masturbe encore… Je suis un puceau qui a déjà tout vu mais qui n’a jamais rien fait."

    Il est vrai que "le fantasme est toujours plus ambitieux que le réel." Prenez l’exemple de la nouvelle Ma chair et tendre. Non sans référence à Alina Reyes (Le Boucher), l’auteure prend le partie d’érotiser des pièces de nourriture étalées dans un étal de boucherie. Une paupiette renvoie au bondage et une cliente devient l’objet de tous les fantasmes : "Toutes ses ficelles qui tracent les contours de son corps prononcent ses plantureuses rondeurs. Celles-ci se dévoilent à mesure que les filaments poursuivent les courbes de sa corpulence féminine… Saucissonnée dans ces fibres tendues de part en part de ses tissus organiques, je me gave de cette esthétique qui alimente ma déraison." Le péché de gourmandise devient dans la bouche de Stella Tanagra un moment de luxure délicieusement illicite : "La gloutonnerie est mon vice."

    Stella Tanagra reluit son érotisme d’une noirceur quasi omniprésente, en poussant loin l’audace. Aux descriptions bucoliques de Ces messieurs me disent répondent ces scènes sadiennes dans Les profondeurs ("J’étais dans l’antre des fantasmes") et plus encore dans Peau percée. Cette histoire à deux voix nous plonge dans une orgie racontée tour à tour par Tshuni (la "reine des bites") puis par son compagnon Luigi. Dans une langue ample et travaillée, la narratrice décrit un un gang bang fantasmagorique au cours de laquelle la jeune femme fait figure de déesse érotique autant que de défouloir collectif : "Mon corps s’écoule de tous ses avilissements, une liquéfaction libératrice sans doute et que reste-t-il ? Une peau neuve. Je me suis régénérée en emmagasinant les énergies de tous ceux qui ont fait de moi, la suite d’eux et de moi." L’auteure allie onirisme et crudité pour susciter chez le lecteur la même stupéfaction que le second narrateur : "Je croyais que les filles aimaient les contes de fées et les princes charmants. J’étais déboussolé, mes repères mis à mal."

    La violence se fait cruauté dans ce qui est la nouvelle la plus engagée, Un gentil garçon. L’auteure ouvre la chambre à coucher d’un couple ordinaire, avec un homme a priori au-dessus de tout soupçon mais qui se révèle un épouvantable pervers narcissique : "Il n’hésite pas à asséner des gifles soutenues sur les joues de Camille afin de libérer ses pulsions… Incapable de refréner ses élans passionnels, il aime la voir se mourir pour mieux la faire jouir."

    Sexe primé permet à Stella Tanagra de s’aventurer sur des chemins inattendus et aussi passionnants les uns que les autres. La petite princesse de l’érotisme fait trembler, l’air de rien, un genre littéraire parfois prisonnier d’archétypes. Ces 12 nouvelles délivrent au lecteur autant de coups de griffes revigorants, à l’instar celles qui ponctuent les étreintes des amants.

    Stella Tanagra, Sexe primé, éd. Tabou, 2017, 144 p.
    http://stellatanagra.com
    Pour adultes avertis

    © Stella Tanagra

  • La vie sexuelle de Laura L.

    Récit, roman, ou autofiction ? La catégorie du livre de Laura Lambrusco, Comment j’ai raté ma Vie sexuelle (éd. Act), importe sans doute moins que la facture décomplexée d’un ouvrage à la langue aussi verte qu’un gazon irlandais et aussi pétillant qu'un verre de lambrusco.

    En 14 chapitres, cette auteure qui n’a pas froid aux yeux dévoile tout de ses frasques amoureuses, de ses parties de jambes en l’air et de sa vie sociale régie par les petits boulots, les fins de mois difficiles et les amants et maîtresses de passage.

    A l’instar de Catherine Millet (La Vie sexuelle de Catherine M.), mais avec plus de légèreté et de verve, Laura L. ne cache rien du sexe dont elle a exploré les moindres recoins, dans toutes les positions et avec à peu près n’importe qui. Voilà qui fait d’elle quelqu’un de tout indiqué pour nous parler "sérieusement" du sujet le plus universel, le plus partagé mais aussi le plus caché : "La baise, l’amour, les pratiques bizarres, l’exclusivité sexuelle dans le couple, la bisexualité, l’homosexualité, la beauté, la branlette, l’enculage, le cocufiage, le mariage, les gosses, le boulot, les boîtes à partouze… et encore tout un tas de questions qui font chier, au fond, parce qu’elles dérangent l’ordre social plus que nous-mêmes."

    Et pour déranger, Laura L. en dérangera sans doute quelques-uns. D’abord par son style, un argot que la belle revendique : "L’argot, pour plein de choses, c’est mieux que le langage châtié, qui a parfois tendance à être un langage châtré." Cette langue assumée et travaillée à la Cavanna nous rend immédiatement familier cette bonne copine qui a décidé de ne rien cacher de ses fantasmes comme de ses coups d'un ou plusieurs soirs.

    L’auteure ne se contente pas de dresser un tableau de chasse de ses conquêtes masculines et féminines. Elle esquisse aussi quelques jolis portraits, tour à tout émouvants, singuliers ou pathétiques des hommes et des femmes qu’elle a croisés. Parmi ceux-ci, figure en première place Paulette, le rare personnage tragique de ce roman. Cette modeste caissière de supermarché est l’antithèse de Laura : quinquagénaire cataloguée comme "pas très jolie" mais au cœur d’or, fière et éprise d’idéal amoureux.

    Contrairement à Paulette, Laura s'écarte de ce destin tragique toute tracée. Elle n’est pas du bois dont on fait les femmes soumises, frustrées ou méprisantes pour ses contemporains. Elle aime le sexe, jusqu’à tenter les expériences les plus diverses : adultères en chaîne, lesbianisme, sodomie, escort-girl, boîtes de nuit ou strip-teases pour particuliers. Une vie sexuelle bien réussie en un sens… mais aussi ratée : en empruntant des chemins de traverse, notre Laura choisit en toute connaissance de cause la marginalité. Et même lorsqu’elle décide de suivre une "voie vertueuse", par exemple un modeste travail de secrétariat, "grâce à magnifique curriculum vitae, à peu près entièrement faux, mais qui reprenait point pour point ce qu’ils demandaient dans l’annonce", la belle expérimente une autre facette de la sexualité, glauque et scandaleuse, et qu’elle traite avec humour et férocité. Elle égratigne du même coup ces petits chefs qui pullulent en entreprise.

    Dans Comment j'ai raté ma Vie sexuelle, il est bien question de la "misère et grandeur" de cette vie faite de liberté mais aussi de solitude : Laura tire à boulet rouge sur la plupart des hommes qu’elle côtoie tout en se montrant en général bienveillante pour ses sœurs féminines, dont certaines ont d’ailleurs partagé un moment ou un autre son lit.

    Au final, Laura Lambrusco écrit dans les dernières lignes : "Voilà, vous savez tout et comment j’ai raté ma vie sexuelle. Et le reste aussi, ma vie professionnelle, affective, amoureuse, tout… Vous me trouvez pas humaine ? Très humaine ?" Cette ode à l’indépendance et à la liberté pourrait cependant se conclure par cette autre réflexion de notre bonne copine Laura, alors qu’elle vient d’abandonner son autoentreprise spécialisée dans le porno sur Internet au profit d'une carrière d’auteure : "Vous savez quoi ? Depuis, je suis heureuse et je me la coule douce." Une vie ratée ? Vraiment ?

    Laura Lambrusco, Comment j’ai raté ma Vie sexuelle, éd. Act, 2017, 126 p.
    http://www.editions-act.fr/lambrusco.html

  • Voir peut-il rendre fou ?

    Depuis 1987, Aurélie Dubois a entamé un parcours artistique où elle explore le dessin, la photographie, la vidéo et les installations.

    Dès le départ, son travail revêtit en toile de fond l’idée d’une garde, une garde artistique. Cette idée de l’artiste de garde, définie par le psychanalyste et écrivain Daniel Androvski en 2008, habite ses créations, en résistance à l’idée qu’une oeuvre d’art serait faite pour décorer plutôt que pour donner du sens ou révéler la nature des choses.

    "Nous pouvons considérer le corps comme une partition qui dès la naissance s’exprime par des cris ; Aurélie Dubois affirme par son oeuvre que ces cris s’écrivent même si ce qui se crie ne s’écrit pas. Au pire, ça se dessine, notamment sous la forme du sexe, de la tension, du râle et de certains hurlements" analyse Daniel Androvski.

    L’exposition présentée en mars prochain à Paris, est une rétrospective de ses œuvres passées et plus récentes. L’accent est mis sur le dessin, un étage entier de l’exposition lui est consacré. C’est aussi l’occasion de découvrir ses vidéos, telles que The Corridors, court métrage sélectionné pour le festival Coté Court en 2015, Traverse Vidéo en 2016 ainsi que son dernier court métrage expérimental Amour écrit en fer.

    Le commissariat de l’exposition est confié à Paul Ardenne, écrivain et curateur indépendant. "Aurélie Dubois est une artiste multidisciplinaire. Elle cherche, avec constance, à faire se rencontrer la création et la théorie dans ses oeuvres. Ses principales interrogations plastiques sont la sexualité et les rapports femme-homme, l’indétermination, la folie, la marginalité, l’étrange. Aurélie Dubois renouvelle l’image érotique pour éveiller notre imaginaire" explique Paul Ardenne.

    La rencontre entre ces différentes oeuvres permettra de prendre la pleine mesure de la philosophie d’Aurélie Dubois, son appel à la résistance et à la vigilance, face aux dérapages de notre société contemporaine et à ses tabous. "Rester en alerte, sur le qui-vive" !

    "Je considère être une Artiste de Garde. Je suis là, tout le temps. D’être en alerte me place dans la résistance aux idées reçues et aux convenances liées au corps et à ses sexualités. Je considère que mon travail de création est lié à la trahison de l’imaginaire sexué. Pourquoi résistante? Parce qu’il me semble nécessaire de démonter les systèmes conventionnels liés aux corps, l’érotisme bas de gamme, la pornographie liée au business. Par définition je suis en guerre. Ma démarche d’artiste vient donc trahir notre mensonge. Mais quel ce mensonge? Me direz-vous? C’est ce que nous faisons et que nous ne disons pas."

    Aurélie Dubois, "Voir peut-il rendre fou ?"
    Exposition du 16 au 26 mars 2017 au 24Beaubourg
    24, rue Beaubourg 75003 Paris
    www.aurelie-dubois.com
    "Aurélie Dubois unmakes sex"

  • Grey et sa secrétaire

    Une jeune Américaine mal dans sa peau tombe sous le charme vénéneux et érotique de Grey, son patron. Vous aurez bien sûr deviné le pitch du film... La Secrétaire.

    Alors que sort cette semaine le second volet de Cinquante Nuances de Grey, l'adaptation du best-seller de new romance de EL James , il n'est pas inutile de reparler de l'autre long-métrage notable sur le SM, sorti il y a une quinze d'années et qui prenait à bras le corps ce sujet sulfureux.

    À sa sortie en 2002, La Secrétaire de Steven Shainberg, avec Maggie Gyllenhaal et James Spader dans les rôles principaux, a été accueilli par des critiques flatteuses et une fréquentation honorable pour une œuvre qui faisait de la soumission sexuelle son thème de prédilection. Un effet collatéral de l'affaire Clinton-Lewinsky qui venait à peine de s'achever et qui faisait à l'époque les gorges chaudes des médias ? On peut s'interroger.

    Quinze ans plus tard, l'analogie entre La Secrétaire et Cinquante Nuances de Grey est troublante. Notons d'abord que ces deux films sont des adaptations d'œuvres romanesques écrites par deux femmes : Mary Gaitskill pour Secretary et EL James pour Fifty Shades of Pale, en trois volumes. C'est d'ailleurs l'adaptation du second tome, Cinquante Nuances plus sombres, qui sort cette semaine en salles.

    Deuxième point commun, le patronyme du personnage principal, Grey, n'est pas un effet du hasard. EL James n'a jamais nié l'influence de Mary Gaitskill pour l'écriture de son best-seller. Toutefois, là s'arrête la similitude, car même si les deux Grey jouent sur leur position hiérarchique pour soumettre leur maîtresse, le spectateur est en droit de regretter chez Christian Grey (joué par James Dorman dans Cinquante Nuances plus sombres) une certaine fadeur et un manque de charisme. Le caractère de ce sémillant businessman reste "flat" (si le bloggeur peut se permettre ce gimmick entrepreneurial), bien plus édulcoré en tout cas que "l'autre Grey", E. Edward Grey. Dans La Secrétaire, le personnage joué par l'excellent James Spader est un homme d'affaire névrosé. Sa rédemption doit passer par la soumission qu'il fait subir à sa secrétaire. Voilà d'ailleurs l'autre personnage de cette forme de dialectique du maître et de l'esclave : la merveilleuse Maggie Gyllenhaal est Lee Holloway, une fille mal dégrossie, frustrée et tout juste sortie d'hôpital psychiatrique. Pour elle, comme pour son patron d'amant, le salut viendra de cette forme d'asservissement. "L’expérience de la douleur et du plaisir" renverse la position de dominant-dominée. Lee et Edward font de leurs fantasmes des outils pour se construire en tant qu'homme et femme, mais aussi en tant que couple.

    Dans Cinquante Nuances de Grey, réalisé par Sam Taylor-Wood, le pacte entre le businessman et son assistante devenue maîtresse prend la forme d'un contrat froid et cynique. Il est vrai qu'entre La Secrétaire et l'adaptation des romans d'EL James il s'est passé quinze années, marquées par la crise des subprimes, la mondialisation à marche forcée et le triomphe des élites hyper-libérales. Alors qu'E. Edward Grey évoluait dans un modeste cabinet d'avocat, Christian Grey gère une multinationale prospère. La timide et transparente Anastasia Steele (Dakota Johnson) tombe dans les bras d'un homme d'affaire rendu d'autant plus irrésistible qu'il est fortuné en plus d'être séduisant. Voilà le vrai péché originel d'une trilogie où la soumission sexuelle semble être calquée sur une forme d'asservissement au pouvoir et à la richesse.

    Là où La Secrétaire faisait, non sans humour, du sado-masochisme une forme de libération des personnages, mais aussi une romance amoureuse, cette pratique sexuelle devient, dans Cinquante Nuances de Grey, une allégorie de l'aliénation dans laquelle SM, soumission, pouvoir et argent font trop bon ménage.

    La Secrétaire, de Steven Shainberg, avec James Spader et Maggie Gyllenhall,
    USA, 2002, 104 min,

    Cinquante Nuances plus sombres, de James Foley, avec Jamie Dornan, Dakota Johnson, Bella Heathcote et Kim Basinger,
    2017, USA, 178 mn, en salles à partir du 8 février 2017

  • Livre d’art ou bande dessinée ?

    ... Un peu les deux. Alex Varenne, un auteur marquant de la BD érotique, qui a fait l’objet de plusieurs chroniques sur Bla Bla Blog en 2016, présentait en cette fin d’année un autre visage : celui de peintre. Dans la lignée de Roy Liechtenstein, l’auteur des cycles Ardeur et d'Erma Jaguar exposait à la galerie Art en Transe Gallery un choix de toiles, Strip Art.

    Les éditions Zanpano proposent le catalogue de cette exposition, des reproductions d’environ 120 peintures, élégantes, chatoyantes mais aussi osées.

    Chaque page s’apparente à une planche de bandes dessinées, avec titre calligraphié, toutes regroupées en chapitres (Territoire de la Femme, Reines de l’Amour, Pulsions et Compulsions, Charmes asiatiques, Requiem et Épilogue).

    Quelques commentaires éclairent ces parties, mais sans trahir ce livre d’art conçu comme une authentique BD, rendant l’ouvrage d’une grande accessibilité.

    Dans sa préface, Vincent Bernière rappelle que "dans les années 60, des peintres américains ont pillé la bande dessinée pour en faire de l’art." Et voilà que 50 ans plus tard, par un retournement de l’histoire, Alex Varenne, "l’ancien tachiste", mais aussi légende de la bande dessinée érotique, s’est retrouvé adoubé par le milieu des beaux-arts et par les grandes salles de vente – jusqu’à "se venger phonétiquement du pop part." Et devenir l’égal de ses pairs.

    Alex Varenne, Strip Art, préface de Vincent Bernière, éd. Zanpano, 2016, 128 p.
    Dossier "Alex Varenne"

    © Alex Varenne

    Bla Bla Blog était partenaire de l'exposition Strip Art

  • Le Bilboquet c’est sexy

    Le bilboquet est ce jeu d’enfant dont le principe pourrait rappeler des activités un peu plus adultes. Mais Bilboquet c’est aussi le magazine des étudiants de l’association C'BD du CESAN, la première école de bande dessinée et d’illustration parisienne dont le premier numéro est justement consacré au sexe. Leurs auteurs étaient venus présenter leur ouvrage dans le cadre du premier salon de la littérature érotique.

    Le premier intérêt d’une telle revue collective est la variété de styles, d’univers et de talents. De ce point de vue, Bilboquet rassemble un vivier de créateurs qui risquent bien de faire parler d’eux dans quelques années. Mais n’allons pas trop vite en besogne et arrêtons-nous sur cette revue auto-éditée qui sera notamment présentée au prochain festival d’Angoulême (26 au 29 janvier 2017) et au Pulp Festival (du 21 au 23 avril 2017). Les responsables du projet, Matthias Bourdelier et Arthur Doremus, par ailleurs auteurs de plusieurs œuvres dans ce collectif, présentent l’ouvrage comme "un paysage éclectique, une diversité de personnalités, qui feront les prochains talents de la bande dessinée et de l’illustration."

    Aux planches poétiques, oniriques et surréalistes de Margaux Sourriceau, Claire LafargueKelly Calvez ou Charlotte Valerio (illustration de cet article) répondent des saynètes passionnantes et touchantes comme Je suis de Celles de Sarah Ulrici, une adaptation BD d’un titre de Bénébar (au passage, les fans du musicien populaire découvriront une interprétation culottée d’une de ses chansons). Emma Geisert propose, elle, une chronique sur un amour de vacances contrarié.

    Dans cet album dédié au sexe, certains auteurs se démarquent en prenant des chemins détournés, qui ne sont pas les moins intéressants. Le bloggeur citera d’abord Maël Nahon et ses très frappantes planches pop-art consacrées au bondage. Dans un genre diamétralement opposé, Antonin Serrault choisit la veine minimaliste grâce à une conversation entre deux hommes sur le thème du coup de foudre et rêve romantique. Le lecteur saluera le soin apporté au texte comme la finesse du coup de crayon. Le style du prometteur Antonin Serrault n’est pas sans rappeler Bastien Vivès que nous aimons particulièrement sur Bla Bla Blog et qui augure une carrière prometteuse.

    Autre style, autre auteure, Camille Brunier propose plusieurs pages au graphisme très travaillé. C’est d’abord Désir, deux somptueuses pages dans lesquelles les textes, en forme de suppliques amoureuses, viennent épouser des corps contorsionnés et comme gravés. Camille Brunier confirme son talent d’illustratrice avec sa suite de peintures aux formes naïves parfois réduites à leur plus simple expression. Les influences seraient à chercher du côté de l’affichiste des années 30, Cassandre.

    Dans une veine plus comique (Pin up Dessinatrice), Lounis choisit de détourner les jeux de points à relier et les labyrinthes pour activités interdites aux mineurs. Nico et Chad Poroi montrent de leur côté d’un humour noir assumé : le sexe n’est plus ludique ou futile mais souffre de névroses, de pulsions, voire de folie. Le personnage autobiographique de Nico ou ce couple de petits vieux de Chad Poroi grimacent et copulent dans des scènes rythmées et très rock.

    Matthias Bourdelier propose deux histoires différentes mais aussi touchantes et bien vues l’une que l’autre. La première, muette, met en scène un couple s’étreignant dans une salle de bain aux couleurs chatoyantes ; l’autre narre en noir et blanc une rencontre entre Jérôme et Sophie. La sécheresse de leurs dialogues et leur distance deviennent le véritable enjeu de ce couple, jusqu’aux dernières cases cruelles et à la rare pertinence.

    Les lecteurs pourront également admirer comment Arthur Doremus traite avec talent, réalisme et causticité de la vie sexuelle des agents de la RATP. De son côté, Marina Savani illustre au crayon sur deux pages une danse acrobatique, sensuelle et insolente entre corps féminins et motos. Une lointaine influence de Brigitte Bardot ?

    Elric Dufau clôt Bilboquet avec une série de six planches drôles, impertinentes, et qui sont une relecture croustillante de comics américains des années 50.

    Comment ne pas terminer cette chronique avec Marine des Mazery qui ouvre ce collectif ? Ses trois historiettes savoureuses s’inspirent des contes pour enfant qui, grâce à un simple carré de plastique rouge, deviennent des histoires salées. Et voilà comment le lecteur tombe dans le piège espiègle de cette jeune auteure. Il est vrai aussi que là, comme ailleurs, le plastique peut avoir des vertus insoupçonnées.

    Bilboquet, Cesan, 2016
    Matthias Bourdelier
    Arthur Doremus
    Marine des Mazery
    Margaux Sourriceau
    Claire Lafargue
    Kelly Calvez
    Sarah Ulrici
    Maël Nahon
    Antonin Serrault
    Marina Savani
    Elric Dufau
    et avec aussi : Charlotte Valerio, Camille Brunier, 
    Nico
    Lounis, Chad Poroi et Emma Geisert

  • La fille à la Jaguar

    Parmi les créatures féminines d’Alex Varenne, celui d’Erma Jaguar occupe une place à part. Cette personnification du fantasme féminin a fait l’objet de trois volumes entre 1988 et 1992, réunis dans une intégrale aux éditions Drugstore. Erma, nommée d’après la marque du véhicule qu’elle conduit tout au long de ce cycle, est une figure centrale dans l’oeuvre d’Alex Varenne.

    Qui est cette vamp dont nous suivons l’étrange road-movie à la fois sombre, sensuel et surréaliste ? Erma se dévoile finalement moins qu’elle ne se déshabille. Dans la première partie, elle rencontre Charlotte, son "Sancho Panza" féminin. Les deux femmes commencent une aventure dangereuse et érotique, passant de bras en bras dans les lieux interlopes, des garages sombres, des aires d’autoroute, des auberges de province ou des palaces somptueux. Les deux femmes croiseront sur leur route des hommes souvent transformés en pantins mais aussi des femmes au centre de tous les désirs et de tous les fantasmes.

    La deuxième partie met en scène Nina, troublante réincarnation de la Cicciolina, recueillie par Erma et Charlotte dans la fameuse Jaguar. Le trio de fuyardes se retrouve dans le château de Versailles, tels des personnages d’un conte de fées. Au terme d’une nuit mouvementée et torride, Erma est réveillée par sa femme de chambre Charlotte. Rêves, fantasmes ou fruits de l’imagination d’un auteur facétieux ?

    La troisième partie y répond grâce à une déambulation surréaliste au cours duquel Erma et sa coéquipière expérimentent les aspects les plus sombres de la sexualité – bondage, viols et actes pervers – moins vécus que rêvés. Ces personnages féminins, libres et retors adressent un dernier clin d’oeil au scénariste et dessinateur, se mettant en image dans les dernières vignettes. Une mise en abîme pas moins troublante que les aventures amoureuses d’Erma Jaguar.

    Alex Varenne, Erma Jaguar, L’intégrale, éd. Drugstore, 2010, 152 p.