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  • Charlotte Savary en invitée surprise de Batz

    L’auditeur de Red Gold Rush, le premier album de Batz sera certainement désarçonné par l’entrée en matière de l’opus ("Pier One"), servant d’intro électro à une pop très nineties, "Call Me By Your Name", en hommage au film de 2017, un morceau porté par la voix suave et enfantine de Charlotte Savary.

    La chanteuse du groupe Wax Tailor est, du reste, présente dans quatre autres morceaux de l’album, ce qui n’est pas le moindre de ses points forts. La chanteuse semble être un maillon des plus convaincants entre électro et pop, comme le prouve "Before The Flowers Die", sans doute l’un des meilleurs titres de l’opus.

    "A Two Days Walk" se veut une déambulation noctambule aux accents de mystères. Et que dire de "A Polaroid On The Beach" ? La voix juvénile de  Charlotte Savary est envoûtante et séduisante à souhait dans ce morceau à la fois pop, électro et gothique. Plus rock et nineties, la membre de Wax Tailor se donne avec passion et conviction dans le magnétique "Race Against Time". Ajoutons pour être complet que Charlotte Savary a par ailleurs participé à l’écriture de l’album.  

    L’inventivité du duo de Batz fait évidence

    Plus électro, le "Musical Boxes" frappe par sa densité, son rythme rock et ses trouvailles sonores nous baladant entre comptines pour enfant, boîtes de nuit et boucles sonores tirés d’un discours des plus inquiétants. On pourrait dire sensiblement la même chose avec le non moins sombre "Klaatu Barada Nikto", morceau à la sombre beauté, mais tout aussi irrésistible dans son travail sur le rythme et le son. Les membres de Batz revendiquent leurs influences à chercher du côté de John Carpenter, Depeche Mode, Vangelis ou Giorgio Moroder. On croirait par ailleurs que le Bowie de la Trilogie berlinoise s’est penché au-dessus du berceau du groupe créé par Franck Marchal et Sébastien Moreau.

    Avec "Neve", nous restons dans ce courant largement hérité de l’électro archaïque, mais néanmoins pleine d’audace et de joie, des années 70.  En cette période où le rap écrase tout, saluons "Information Paradox", un titre très rock et d’une belle sophistication. L’inventivité du duo de Batz fait évidence, tout autant que leur culture musicale et leur désir de s’approprier le meilleur de la culture pop. Citons ici l’énigmatique et entêtant "47°15’50,8> 2° 27’13,1>W (The Map)" ou encore l’électro-pop endiablée et "jarrienne" de "Sodium Chloride".

    "Pier Two" est le pendant final du "Pier One". Nous voilà dans de l’électronique pur jus dont les vagues planantes à la Vangelis sont un vrai bonheur. Parfait pour terminer ce Red Gold Rush d’une fort belle tenue. 

    Batz, Red Gold Rush, SuperCali, 2023
    https://www.facebook.com/Batzmusic
    https://www.instagram.com/wearebatz
    https://supercali.ffm.to/smokyquartz.opr

    Voir aussi : "Brune et chauffée à blanc"

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  • Astérix et compagnie

    Je vous avais parlé il y a peu des éditions Cote-a-cas consacrées aux figurines et produits dérivés. Après une publication consacrée à Tintin et aux personnages d’Hergé, L’auteur et éditeur Cas. Mallet se penche cette fois sur l’œuvre d’Uderzo, et en premier lieu Astérix (Encyclopédie des Figurines de Collection, éd. Cote-a-cas).

    Les passionnées du petit Gaulois seront aux anges à la découverte de ce panorama très complet des figurines et produits dérivés liés à l’univers d’Uderzo. Quelques pages sont, du reste, consacrés à des personnages plus rares du dessinateur, à l’instar l’indien Oumpah-pah ou Tanguy et Laverdure.

    L’ouvrage est découpé en chapitres consacrés aux éditeurs et distributeurs, que ce soit Attakus, Fariboles, Lebon Delienne ou Pixi. Références, sculpteurs, matières, années de création, provenance, tailles et bien sûr prix (estimations et prix d’origine) sont mentionnés avec précision. Tout collectionneur sera bien inspiré de se procurer l’ouvrage avant de se lancer dans l’achat de l’une ou l’autre de ces pièces.

    Pas la peine de s’appeler Tifus (le riche marchand d’esclaves dans l’album Les Lauriers de César) pour se monter une petite collection de produits dérivés. Un Astérix ou un Obélix en résine de chez Plastoy vous coûtera dans les 40 euros, et pas plus de 30 euros pour un Idéfix du même spécialiste.

    Tout collectionneur sera bien inspiré de se procurer l’ouvrage

    Attakus propose des figurines un peu plus chères, toujours en résine, mais un peu plus grandes. Un César en toge revient à 80 ou 90 euros. La qualité de fabrication explique le prix plus élevé des irrésistibles Gaulois : 180 euros pour un Abraracourcix et même 190 euros pour un "Obélix & Idéfix". Les prix montent sensiblement du côté de chez Fariboles, avec des personnages ne se négociant pas à moins de 200 euros pour un Agecanonix. Mais il est vrai que la passion n’a pas de prix.

    Les prix atteignent parfois des sommets, avec un  "Obélix assis" de Leblon Delienne (680 euros). Un "Astérix grand format" (95 centimètres) peut revenir à 600 euros, soit quand même moitié moins que la statuette d’origine datant de 2001. Et que dire de cet "Obélix grand format" de 2009 estimé à 3 200 euros ?

    Les matières ont leur importance dans la rareté de ces figurines particulièrement réussies dans leur ensemble. Ainsi, Pixi propose des objets en métallique, évidemment globalement plus chères que des figurines analogues en résine. On peut quand même, apprend-on, se faire plaisir avec un petit "Soupalognon" de 9 centimètres estimé à 50 euros ou un "Obélix amoureux" à 60 euros.

    Parmi les pièces les plus impressionnantes, l’ouvrage présente une échoppe du village gaulois de 2006, estimé à 4 000 euros, en raison de sa faible production (60 exemplaires). Plus rare et plus onéreux encore, ce buste de César en résine de Stéphane Saint Emett (4 800 euros) ou encore le char d’Astérix et Obélix, tiré de l’album Astérix chez les Helvètes, figurine de 30 centimètres en résine estimée à 10 000 euros.  

    Véritable ouvrage de référence consacré à ces objets à la fois précieux, populaires et régressifs, cette Encyclopédie des Figurines de Collection mérite à coup sûr de devenir une référence pour tous les amoureux de BD et d’Astérix que nous sommes.   

    Cas. Mallet, Encyclopédie des Figurines de Collection, Uderzo & co,
    Cote-a-cas éditions, 2023, 114 p. 

    https://cac-editions.com/fr

    Voir aussi : "Tintin et compagnie en figurines"

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  • V comme Victor, H comme Hugo

    Victor Hugo : voilà sans doute la figure majeure de la littérature française. Un artiste d’exception. Mieux, un génie dont l’ombre continue de vivre et habiter notre pays, à telle enseigne qu’il faudrait mieux parler de "langue de Victor Hugo" plutôt que de langue de Molière.

    Les éditions Plon sortaient cette rentrée un Dictionnaire amoureux consacré à Victor Hugo. Sébastien Spitzer s’est mis au travail, travail que l’on peut saluer, tant l’œuvre de l’écrivain s’avère d’une richesse incroyable, avec des ouvrages imposants : près de 2 000 pages pour Les Misérables ou 800 pages pour Notre Dame de Paris et L’Homme qui rit.

    Chacun de ces romans ont bien sûr leur entrée dans ce dictionnaire. L’Homme qui rit a aussi droit à un traitement particulier : ouvrage mains connu mais d’une rare modernité et d’une grande noirceur, il est décrit comme "le sommet hugolien" par Sébastien Spitzer. L’auteur du dictionnaire le cite largement dans plusieurs articles : "Gwynplaine", "Érotisme", "Féminisme" ou… "Joker". Sébastien Spitzer rappelle d’ailleurs que le méchant emblématique de Batman a été inspiré par le fameux  Gwynplaine, justement.

    Hugo apparaît dans toute son humanité, sa profondeur, mais aussi sa part de lumières et d’obscurité. Que l’on pense à Léopoldine, sa fille de 19 ans retrouvée noyée avec son jeune mari. Le lecteur découvrira avec effroi comment Victor Hugo a appris sa mort. Que l’on pense aussi aux rapports qu’entretenait Victor Hugo avec les femmes : ses maîtresses, ses doubles vies, mais aussi sa compassion pour les grandes oubliées de l’histoire. L’entrée sur les "Pétroleuses" revient sur les femmes fusillées pendant la Commune et sur son admiration pour ces révolutionnaires. 

    Victor Hugo a habité dans l’avenue qui porte son nom

    Les dessins d’Alain Bouldouyre viennent illustrer ce Dictionnaire amoureux passionnant qui réjouira autant les "hugoliens" que les passionnés de littérature. On peut lire cet ouvrage en picorant telle ou telle entrée, comme on peut le dévorer de la première à la dernière page. De A comme "Abeille" – le cadeau et hommage fait à l’écrivain au retour de son long exil, en 1870 – à Z comme le mystérieux "Zoïle" – référence à un ancien penseur sophiste grec, mentionné dans Les Châtiments – en passant par E comme "Esméralda" ou N comme "Napoléon" – les deux, le "Grand" et le "Petit".

    Si plusieurs entrées ne comportent qu’une seule citation de Victor Hugo ("Amour", "Canon", "Famille", "Obus" ou "Quolibets"), il faut saluer les talents de conteur et d’exégèse de l’auteur de ce Dictionnaire amoureux. Ainsi, à côté de chroniques sur ces pièces de théâtre mythiques que furent Hernani ou Ruy Blas (il existe un article "Folie des Grandeurs [La]", qui s'est inspiré de Ruy Blas), c’est bien les romans hugoliens qui ont la part du lion, au point que plusieurs personnages légendaires ont droit à leur entrée, que ce soit Cosette, Gwynplaine, Frollo, Jean Valjean, Javert, Thénardier (on découvrira d’ailleurs les origines de ce nom), Esméralda ou l'attachant et bouleversant curé Myriel.    

    Le Hugo politique n’est pas oublié : les Révolutions du XIXe siècle, Napoléon III, l’exil, le retour en grâce et le Sénat qu’il a occupé, marquant l’hémicycle par ses discours mémorables. Pour amoureux qu’il soit de Napoléon, Sébastien Spitzer ne se prive pas de revenir sur son "Discours sur l’Afrique" au sujet duquel il lui a été fait tant de reproches. Mais il est vrai qu’à l’époque, la France ne voyait pas sa puissance sans celle de ses colonies.  

    Ce dictionnaire, forcément incomplet et naturellement subjectif, donne envie de se plonger et se replonger dans les œuvres de celui qui a tant marqué la littérature mondiale. Un homme dont les funérailles (dans un corbillard des pauvres) puis le transfert de sa dépouille quelques jours plus tard – ce qui reste inédit – vers le Panthéon, ont été salué par plusieurs millions de personnes. Autre fait incroyable : l’auteur rappelle dans l’entrée "Avenue" que, de 1881 à sa mort en 1885, Victor Hugo a habité dans l’avenue qui porte son nom. Qui peut en dire autant ?  

    Sébastien Spitzer, Dictionnaire amoureux de Victor Hugo, éd. Plon, 2023
    https://www.lisez.com
    https://www.maisonsvictorhugo.paris.fr

    Voir aussi : "À l’ombre de Pontaniou"

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  • Âme franco-suisse

    Sur des rythmes mystérieux et lancinants, Sophie Darly, une de ces très jolies découvertes pop de cet automne, débute son nouvel album, en anglais, Show Down Fast, par un titre à la fois pop et soul, appuyé par un orchestre d’une belle densité. "Living The Dream" est autant une confession qu’une une invitation à vivre de ses rêves : "Here I go, my world has fallen / My world has fallen down / Here I come, out of the boredom / Somewhere out of sight / I will plant everything of seed / Of Love, live and joy".

    La Franco-suisse prend à bras le corps des influences du sud américain – blues, folk et rock – pour bâtir un troisième opus convaincant. L’élégance et le timbre de Sophie Darly font d'ailleurs merveille dans le morceau blues "Miracle".

    La musicienne s’épanouit dans un répertoire de songs au large éventail. Elle opte pour la pop très nineties dans le délicat, poétique et touchant "J&A" aux fort bienvenues ruptures de rythme. Pop encore avec le très réussi et terrible "The Trap" qui parle d’amour et de ces pervers narcissiques, tellement doués pour tendre leurs pièges sentimentaux.

    Sophie Darly séduit par sa manière de revisiter la soul et le blues, avec la fougue de l’Européenne qu’elle est


    Mine de rien, Sophie Darly séduit par sa manière de revisiter la soul et le blues, avec la fougue de l’Européenne qu’elle est. Que l’on pense au vibrant "Love with A Twist", enrichi et colorée par une orchestration jazz – et le saxophone incroyable de Pierre Pédron. L’artiste y parle d’amour et des difficultés de la vie à deux, possible uniquement avec des compromis et, justement, d’une danse à deux – qu’elle soit valse ou twist.

    Sophie Darly est aussi capable de jolies tergiversations, à l’instar de "Monster B",  où son talent de chrooneuses fait merveille dans ce titre faussement léger.      

    Pour "Frozen Love", la chanteuse démarre par un piano-voix moins sombre que mélancolique. L’album se termine avec le délicat et touchant "In The Silence Of The Night". Une bonne manière de clôturer un opus à la fois sincère, vivant et au solide tempérament. Toute l'âme du sud, quoi... Pardon, de la soul.

    Sophie Darly, Show Down Fast, Broz Records label/ L’Autre Distribution, 2023
    Sophie Darly en concert le 19 janvier 2024 au Studio de l’Ermitage à Paris
    Et au Grand Studio du Conservatoire du 14ème, le 26 avril 2024, en hommage aux femmes compositrices
    https://sophiedarlymusic.com
    https://www.facebook.com/sophiedarlymusic
    https://www.instagram.com/sophiedarly

    Voir aussi : "Brune et chauffée à blanc"

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  • Brune et chauffée à blanc

    À la première écoute de Vendetta, le nouvel EP de Brune, son troisième, la première réaction est de dire : quel bonheur de retrouver du rock revigoré et féminin, mené avec une telle maîtrise !

    Brune, c’est du solide, du brut à la PJ Harvey, de la braise et du sentiment chauffé à blanc, à l’instar de cette vibrante déclaration d’amour qu’est "C’est tous les jours" ("Reste là / Ton corps est chaud comme la braise / Reste le même / Je veux te mordre tant je t'aime") ou encore l’appel désespéré à l’amour et à "l’émotion dans les hanches" de cet autre morceau, "Des vagues et des lunes" ("Viens faire trembler les murs / Vas-y fais monter le mercure / Quand tout me lasse et me torture"). De vrais beaux et puissants messages, et pourtant, en amour, "pourquoi tout est si complexe ?" s’interroge l’artiste tout haut.

    L’émotion dans les hanches

    Des sons électros viennent viennent autant revivifier le rock de Brune que les paroles engagées et bien de notre époque dans laquelle l’artiste lyonnaise chante les états d’âme d’une fille passablement énervée par les mecs – et bien décidée à prendre sa revanche. C’est "Vendetta", un cri de colère sans concession, avec ce je ne sais quoi du timbre des Brigitte : "Et j’irai claquer tout ton fric / Dans des boites et champagnes à gogo / Et j’irai m’planquer à 10 000 bornes / T’auras qu’à pleurer dans les cuisses de ta conne".

    La sincérité est sans doute ce qui caractérise le plus Brune. "Devenir une autre", comme elle le chante dans le dernier morceau ? Très peu pour celle qui va à l’essentiel : aimer, vivre, rassurer et trouver la douceur dans les bras de son enfant ("À l’abri"). Ainsi pourrait être la délicate, doux et émouvante conclusion de cet EP, à la fois brillant, revivifiant et fort bien conçu. Du bel ouvrage. 

    Brune, Vendetta, Choubizz / Inouïe Distribution, 2023
    https://www.facebook.com/brunemusic
    https://www.instagram.com/brunezic
    https://www.youtube.com/@BruneMiss

    Voir aussi : "L’amour, comme un jeu vidéo"

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  • Carlin d’écrivain

    D’emblée, une question se pose à la lecture de Tous des Spécimens, l’un des romans que propose Plon cet automne : qui est Italique, le mystérieux auteur de ce récit canin - et artistique ?

    Puisque nous n’en serons (pour l’instant ?) pas plus, contentons-nous de dire qu’Italique est le nom d’un carlin adopté par un écrivain parisien, tout aussi anonyme. Une vie de chien pas franchement désagréable, entre promenades dans les beaux quartiers, vie mondaine avec petits fours et caresses à gogo, plateaux télé et longues journées passées avec un maître scotché devant son ordinateur.

    Mais qu’elle est l’activité étrange de ce maître aimé, se demande le paisible chien en début d'ouvrage ? Quelques semaines après avoir été adopté, la révélation apparaît chez le jeune chiot, cependant dubitatif : "Mon maître est donc romancier. Pourtant, toujours fourré à droite à gauche, il  n’écrit jamais. Il n’a pas écrit depuis mon arrivé. Je l’entends toutefois souvent dire qu’il a un texte à finir, un livre à rendre, mais il préfère passer ses après-midi en ma compagnie."

    Drôle de vie de cabot, et surtout drôle de vie d’écrivain. Lorsque son maître commence à écrire, Italique est le témoin du début d’une savoureuse aventure artistique mais aussi une année littéraire. L’écriture du roman de son maître, les sollicitations des médias et des bloggeurs, les discussions avec l’éditeur, la correctrice et l’imprimeur, les soirées VIP, les salons littéraire et les échanges riches avec les lecteurs ("[Mon maître] répond aux questions indiscrètes, conseille, s’épanche, reçoit des histories par dizaines car le temps d’une soirée, il n’est plus un romancier, il est un ami, un infirmier, un psy"). 

    Fausse chronique et récit imaginaire d’un chien pas cabot pour deux sous

    Inventer des histoires, l’animal en est certes capable, mais il ne peut que constater que l’activité de son maître, tout à son roman et "assigné à domicile" prend le pas sur les gamelles, les caresses et les promenades. Les activités de son maître ne sont pas sans conséquence sur le carlin lui-même et son intelligence, pas peu fier d’écrire : "Vous me direz, parce que je vous vois venir : « Pour un chien, celui-là parle bien. Il parle comme un homme, il s’exprime bien, façon grand conteur ». Et ce n’est pas ma faute. C’est grâce à mon maître qui écrit et que j’écoute avec dévotion comme un disciple".

    Le brave cabot regarde avec un mélange d’effarement, d’ironie et de fascination l’étrange activité de son maître qui ne se sépare jamais de son chien. Drôle de spécimen ! Un animal qui assiste aux discussions entre lui et sa libraire comme aux échanges avec ses lecteurs. Aimant ("J’aime mon maître. J’aime mon maître beaucoup, intensément, à la folie…"), Italique sait aussi être lucide, contredisant son physique peu avantageux – ses bourrelets et ses yeux globuleux. Il se montre même sévère lorsque son maître le délaisse pour son travail ou ses rendez-vous, lorsqu’il se montre capricieux avec l’écriture.

    Fausse chronique et récit imaginaire d’un chien pas cabot pour deux sous, Tous des Spécimens est aussi une déclaration d’amour pour un métier aussi exigeant que mal payé (on pense à l’épisode de la pièce de deux euros), qu’Italique exprime ainsi : "[Mon maître] fait vivre ses personnages, réinvestit le monde qu’il a construit, monté de toutes pièces, le temps de l’écriture".

    Et si, plus qu’un écrivain, ce maître chéri n’était finalement pas un sage ?      

    Italique, Tous des Spécimens, éd. Plon, 2023, 256 p.
    https://www.lisez.com/livre-grand-format/tous-des-specimens

    Voir aussi : "La fatale et bouleversante Belle Kaplan"

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  • Bas les masques

    Disons-le d’emblée : le journal intime, genre littéraire qui a connu ses lettres de noblesse par le passé (que l’on pense à ceux des Frères Goncourt, de Paul Léautaud, d’Anaïs Nin ou encore de Franz Kafka) a été remisé aux oubliettes, balayé par les blogs et autres publications sur les réseaux sociaux. Autant dire que l’on ne peut que saluer l’audace de Delphine Bell qui, avec Inattendu (éd Le Lys Bleu), propose un journal s’étalant de mars à octobre 2020.  

    Le lecteur l’aura deviné tout de suite : cette période correspond à la période de la crise sanitaire du Covid et au confinement, une période atypique et qui a marqué les esprits : "Le chant des oiseaux est strident, très clair et il règne une nouvelle qualité de silence, presque effrayant. Non, l’humanité est encore là…" Le confinement et la parenthèse de toute vie sociale et professionnelle est-elle une chance ? Pas si simple. "Je me lève de plus en plus tard, nous nous couchons de plus en plus tard. Les horaires nous appartiennent, ce qui donne un sentiment factice de liberté. Peut-être que faire semblant empêche de sombrer."

    Une profondeur humaine et tragique

    Delphine Bell raconte au quotidien ces mois passés, enfermée avec ses proches, ressassant ses souvenirs, méditant sur sa vie, sa famille, ses amis, son destin, et sur le "catastrophisme éclairé" que lui offre notre période actuelle – et en particulier cette "inattendue" année 2020.

    La pandémie, avec son lot de masques, de télétravail, de peur de l’autre et d’enfermement imposé ("Le temps s’est désorganisé", "Nous manquons tous de repères") permet à moins à Delphine Bell de se concentrer sur l’écriture ("Mes cahiers m’attendent", "Je nage, je surnage, j’écris des pages…"), à commencer par son compagnon, sa famille ("Avec Mat, nous inventons des fêtes…") et ses parents. Son père, en maison de retraite, est au centre des préoccupations de l’auteure, mais il y aussi sa mère, disparue quelques années plus tôt. La douleur est tangible dans ces pages. Le deuil et le manque rythme les jours, les semaines et les mois de la diariste, donnant à cette période de confinement et de déconfinement une profondeur humaine et tragique.

    Singulier journal intime, dans laquelle Delphine Bell ose un chapitre, inattendu, justement : une chronique imaginant le 1er août 2030…

    Et si, face à cette "fausse liberté" qu’a été le confinement, la survie ne venait pas de l’écriture ? Elle est une "vraie arme, elle élargit les possibles, fixe le marbre de [ses] souvenirs, car qui sommes-nous à part des bribes de mémoire ?"

    Delphine Bell, Inattendu, éd Le Lys Bleu, 2023, 288 p. 
    https://www.lysbleueditions.com/produit/inattendu
    http://intelligently-fashionable.blogspot.com

    Voir aussi : "Rien n’est écrit d’avance"

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  • En image, en musique et en public

    Du live et de la musique française pour ce nouvel enregistrement paru chez b.records. L’album Images… rassemble un ensemble de pièces des XXe et XXIe siècles proposées par le pianiste Lorenzo Soulès. Elles ont été captées à Orléans le 15 février 2023.

    Il s’agit d’un opus essentiellement chronologique proposant des œuvres françaises de ce siècle – à l’exception de Piano Figues du Britannique George Benjamin. L’album débute avec le cycle Images – bien sûr ! – de Claude Debussy. Nous sommes entre 1905 et 1907. Le courant classique dicte toujours sa loi, avec un compositeur aux œuvres délicates et soyeuses que Lorenzo Soulès capte avec un touché d’une élégance rare. Que l’on pense à l’impressionniste "Reflets dans l’eau" ou au mélancolique "Hommage à Rameau". Pour "Mouvements", Debussy se fait naturaliste dans ce bref morceau plein de vie, auquel vient répondre le réaliste "Cloches à travers les feuilles". Plus sombre, dans "Et la lune descend sur le temple qui fut", le compositeur se fait poète – et même peintre sonore ("Poissons d’or").

    Allons plus loin dans le XXe siècle avec Lorenzo Soulès et arrêtons-nous sur ce compositeur majeur que fut Olivier Messiaen. Le pianiste propose des interprétations de deux extraits du fameux Catalogue d’oiseaux. L’auditeur qui serait passé à côté de cette œuvre découvrira ces lectures incroyables du "Traqueur rieur" et de "L’alouette calandrelle". Et si Olivier Messiaen était le compositeur le plus humaniste et le plus écologiste de l’histoire de la musique ? Il fait de ces chants d’oiseaux, qu’il a écoutés avec l’oreille absolue qui était la sienne, des morceaux d’un modernisme incroyable, en nous disant : "Écoutez mes amis que sont les oiseaux. Les aviez-vous déjà entendus ainsi ? Ne nous parlent-ils pas à nous, contemporains ?"

    Pour ces deux chants d’oiseaux, Messiaen atteint l’essence de la musique contemporaine en l’ancrant dans la réalité et l’univers, celui de la nature. Capter et orchestrer des chants d’oiseaux est à la fois si rare et si génial ! Le compositeur de Saint François d’Assise va au bout de sa démarche à la fois engagée (nous ne sommes pourtant qu’en 1956), moderne et d’une folle ambition - ses chants sont longs respectivement de, respectivement, presque huit minutes et plus de cinq minutes, ce qui rend la performance du pianiste d’autant plus remarquable. 

    Peintre sonore

    Le programme de Lorenzo Soulès se poursuit avec une œuvre de Tristan Murail datant de 1993. La Mandragore, long morceau près de dix minutes, s’étire et s’enroule mystérieusement, dans des volutes sonores incroyables. Le compositeur français fait de ce morceau pour piano une œuvre à la fois minérale et solaire, telles ces plantes méditerranéennes réputées pour leurs étranges pouvoirs appréciés des sorcières. Aussi étrange que cette œuvre que l’auditeur découvrira sans doute avec intérêt, et qui le renverra sans doute à l’influence de Messiaen, écouté plus tôt.

    Images… propose avec le Deuxième Livre d’Études de Philippe Manoury la composition contemporaine la plus récente, car elle date de 2021 et a été écrite pour le Concours d’Orléans. Deux morceaux sont proposés dans l’album. Il y a, pour commencer, "Dérèglements", une composition sombre écrite avec précision, avec ces effets sonores se jouant des échos, des répétitions mais aussi des silences, sans doute bien plus inquiétants encore. C’est une vraie bourrasque qui saisit l’auditeur et que Lorenzo Soulès parvient à rendre avec toute sa puissance. Le second titre de Philippe Manoury est le vivant et contemporain "Réseaux". La puissance d’évocation de nos réseaux sociaux et informatiques est frappante. Ce titre prouve que les compositeurs contemporains continuent à se régénérer et à prouver qu’ils restent très actuels.

    Dans ce programme de musique française, un intrus apparaît en fin d’enregistrement : le Britannique George Benjamin. Pourquoi a-t-il sa place ? Lorenzo Soulès s’explique : "Benjamin a quelque chose de très français. Dans ses œuvres pour orchestre, notamment, il contrôle parfaitement les timbres des différents groupes, à la manière de Ravel ou de Debussy". Les dix Piano Figures de 2004 de George Benjamin, dans leur brièveté (entre trente secondes et deux minutes), ont la concision, la précision et la texture de "coloristes" tels que Debussy et Ravel, justement. On s’en conviendra à l’écoute de "Spell", de "Knotts" ou de "In the Mirror". Pareillement, ne pourrait-on pas voir dans "Song" une réminiscence d’Erik Satie ? La puissance et la virtuosité de Lorenzo Soulès font merveille dans des morceaux aussi complexes que "Hammers", sans parler de la sensibilité qu’il met dans "Alone" ou "Mosaic". Impossible non plus de ne pas parler des lignes modiques de "Around the Corner" ou du mystérieux "Whirling" qui vient conclure de fort belle manière cet enregistrement public proposé par Lorenzo Soulès.

    La tournée "Images" de Lorenzo Soulès s’arrêtera à Montargis, le 22 novembre 2023, avec un masterclass et un concert du pianiste, accompagné de Chisato Taniguchi.

    Images…, Lorenzo Soulès, piano, b-records, 2023
    https://www.b-records.fr
    https://www.lorenzo-soules.com
    https://www.facebook.com/lorenzo.soules

    Voir aussi : "Franck par Lazar"

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