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  • Fatale et bouleversante Belle Kaplan

    On peut aisément se tromper dans les premières pages du roman de Gilles Paris lorsque l’on découvre la magnétique, magnifique et insaisissable actrice Belle Kaplan. S’agit-il d’un biopic romancé d’Audrey Hepburn, comme le laisse suggérer la couverture du livre Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan (éd. Plon) ou encore le récit d’une comédienne actuelle tombée dans les oubliettes de l’histoire du cinéma ? Rien de tout cela, car le roman se passe bien de nos jours. Il est question de portables, de réseaux sociaux, d’influenceurs et surtout de la machine médiatique si caractéristique de notre époque. Pour autant, la figure de l’actrice de Diamants sur canapé n’est pas absente du roman, comme le dit la narratrice elle-même : "J’imitais Audrey Hepburn dans Vacances romaines. Je ne peux pas m’empêcher ce mimétisme. J’ai vu des centaines de films, qui ont toutes inspiré mes attitudes, mes poses, ma façon de jouer."

    Belle Kaplan fait figure de météore. Découverte dans le film d’époque – et imaginaire – États Généraux, elle enflamme le public et les critiques  avec le long-métrage suivant, et tout aussi fictif, Incendiée. Gilles Paris construit une de ces stars de cinéma à la fois adulée, admirée, jalousée jusqu’à l’insulte, et finalement malheureuse.

    Et si "l’énigmatique" mademoiselle Caplan ne désirait pas plus que tout retrouver la paix et un lointain amour qu’elle n’a plus jamais connue par la suite ? La solution pourrait bien être dans son passé à Québec, un passé que peu de personnes connaissent en réalité. Gilles Paris ne nous le raconte.    

    "Je n’ai rien d’une diva, mais ma présence intimide réellement"

    Construire de A à Z un personnage fictif – certes, non sans références et modèles – est sans doute le travail le plus passionnant de tout romancier et romancière. Ajoutez à cela un milieu fascinant. Pour Belle Kaplan, Gilles Paris semble dédaigner le milieu du cinéma, des plateaux télé, des soirées prestigieuses et des scandales médiatisés pour préférer entrer dans l’âme d’une femme qui a eu de multiples vies.

    Orpheline, celle qui se fait appeler tour à tour Grâce, Paradis, Talia puis Belle, a été recueillie, ainsi que son ami et âme sœur Ben, par un couple violent, les Matuchet, avant que ceux-ci ne décèdent. La suite, c’est une vie de chapardages, la rencontre avec Pierre, son grand amour, puis son entrée dans une autre vie, celle des call-girl. Sa souteneuse, Madeleine, en fait sa préférée et l’envoie aux quatre coins du monde auprès de richissimes clients. Elle y découvre un autre visage de la violence, du cynisme et des humiliations faites aux femmes. Viendra ensuite le cinéma et le succès mondial.

    "Je n’ai rien d’une diva, mais ma présence intimide réellement", avoue un moment Belle Kaplan, à la recherche finalement d’une forme de simplicité, de celle qu’elle a connue avec Pierre. N’a-t-elle pas fait d’un modeste machiniste, à l’ordinaire prénom de Régis, un de ses amants ? "J’aime surtout contrôler ma vie", écrit-elle encore. Pas évident lorsque les journalistes, les fans et les influenceurs scrutent les moindres de vos faits et gestes.

    C’est donc vers le passé que se tourne la star, admiratrice d’Audrey Hepburn, Rita Hayworth ou Tippi Hedren, et qui a "l’âge de Sharon Stone" au moment où elle écrit. Elle a vu partir Pierre, puis son "frère d’armes" Ben, disparu lui aussi du jour au lendemain. Le roman se veut également une enquête policière pour retrouver leurs traces.

    Gilles Paris suit le chemin intérieure de cette artiste jusqu’aux derniers chapitres qui annoncent ce que sera son but : la liberté d’une femme meurtrie.

    Gilles Paris, Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan, éd. Plon, 2023, 224 p.
    https://www.lisez.com/livre-grand-format/les-7-vies-de-mlle-belle-kaplan
    https://www.gillesparis.net

    Voir aussi : "La vie XXL"

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  • Concerto pour le monde d’après

    Les deux premières surprises à la découverte du Concerto pour violon du compositeur américain Todd Mason viennent de la durée de l’œuvre – un peu plus de 23 minutes – mais aussi de sa structure – un seul mouvement, allegro. Cette composition de 2022 est proposée par Ulysses Arts dans un enregistrement tout juste sorti, avec Tosca Opdam au violon et avec le Budapest Scoring Orchestra dirigé par Péter Illényi.

    Todd Mason n’ambitionne ni plus ni moins que de proposer une œuvre pour notre temps, résolument contemporaine (elle a été composée en plein Covid), mais d’une si grande solidité qu’elle affrontera sans coupé férir le monde d’après.    

    Le concerto s’ouvre avec un gong, instrument des plus immémoriaux, comme le rappel que le compositeur entend s’accrocher au passé et à à de brillants anciens. Les noms d’Alban Berg et de Béla Bartók viennent inévitablement en tête. Le violon de Tosca Opdam entre en jeu très rapidement. La violoniste néerlandaise apporte son souffle lyrique, sa nervosité comme sa dimension pathétique dans cette œuvre aux multiples facettes et aux nombreuses ruptures de rythmes. Il semble que, vers le milieu du concerto, la violoniste et l’orchestre s’affrontent, avant que Tosca Opdam ne se lance dans une partie solo, offrant à cette allegro un singulier chant romanesque et mélancolique.    

    Une large palette de couleurs, de rythmes et d’émotions

    L’auditeur sera sans doute marqué par les influences de Todd Mason dans cette œuvre relativement courte. Nous parlions de Berg et Bartók. Il y a aussi le choix pour le compositeur américain de ne pas oublier la mélodie, le classicisme, le romantisme mais aussi la musique populaire, à travers par exemple des fragments de fanfare au début du concerto. Force reste toutefois au modernisme et au contemporain, ce qui donne à cette œuvre une large palette de couleurs, de rythmes et d’émotions, jusqu’aux dernières notes. Avec une Tosca Opdam encore une fois irrésistible.

    L’autre œuvre de cet enregistrement d’UA est cette Chamber Suite en trois mouvements, écrite en 2020. L’auditeur découvrira une composition plus familière à ses oreilles, plus tonale, avec des cordes incroyablement denses et riches. Todd Mason évoque pour le premier mouvement "Allegro deciso" une étonnante influence : celle de mélodies folkloriques arméniennes, preuve que, ici comme dans son concerto pour violon, le compositeur américain refuse de complètement tourner le dos au passé.

    Pour le deuxième mouvement "Expressivo", place à l’émotion mais aussi au tragique, à telle enseigne que l’on pourra y trouver la marque d’Henryk Górecki et de sa troisième Symphonie n°3 "des chants plaintifs". Quant au troisième et dernier mouvement, "Spirito", enlevé pour ne pas dire nerveux, il évoque une dance traditionnelle européenne, dans une facture classique, et qui aurait tout à fait sa place dans une BO de film ou de série.  

    Au final, avec ces deux œuvres, l’auditeur aura eu la chance de découvrir ou redécouvrir deux artistes passionnants : le compositeur Todd Mason et la violoniste Tosca Opdam. Gageons aussi que l’étonnant Concerto pour violon restera dans les mémoires. 

    Todd Mason, Concerto pour violon & Chamber Suite,
    Tosca Opdam, violon, Budapest Scoring Orchestra dirigé par Péter Illényi, Ulysses Arts, 2023

    https://www.ulyssesarts.com
    https://toddmasoncomposer.com
    https://toscaopdam.com/home
    https://www.instagram.com/toscaopdam/?hl=fr

    Voir aussi : "Courtoise et romantique Maguelone"

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  • Exégèse tintinesque

    Le Temple du Soleil d’Hergé, la suite des Sept Boules de Cristal, fait l’objet d’un essai exégétique de Pierre Fresnault-Deruelle que les tintinophiles devraient découvrir avec le plus grand intérêt (Hergé et les Incas ou la malédiction déjouée, paru aux éditions 1000 Sabords).

    Disons pour commencer qu’il faut, sinon avoir cet album de 1948 sous la main, du moins l’avoir (bien) lu pour apprécier la science de Pierre Fresnault-Deruelle, décortiquant cette aventure incroyable du jeune journaliste belge.

    Rappelons que nous sommes au lendemain de la seconde guerre mondiale, au sujet de laquelle il a été beaucoup reproché à Hergé son lourd silence. Le dessinateur avait d’ailleurs choisi pour cette nouvelle aventure d’entraîner Tintin, Milou et Haddock dans une pérégrination déconnectée de l’actualité guerrière des années 40, en mêlant mystique, archéologie, dépaysement, investigation (car le Professeur Tournesol a été enlevé dans l’album précédent) et réflexion sur le choc des civilisations, à travers un inattendu et immortel génie du mal, Rascar Capac.

    Pierre Fresnault-Deruelle entend montrer toute la science de la composition et du rythme d’Hergé

    L’essai Hergé et les Incas propose une étude case par case et planche par planche, décrivant en détail les choix scénaristiques et visuels du génie belge, depuis un commissariat de police péruvien jusqu’à l’hôpital où sont soignés les sept savants atteints d’un mal mystérieux – la malédiction de Rascar Capac.

    Allant au-delà de la simple description, Pierre Fresnault-Deruelle entend montrer toute la science de la composition et du rythme d’Hergé. Une simple case montrant Tintin s’agripper à une chaîne donne l’occasion à l’auteur de s’arrêter sur la mise en scène pleine de sens, mais aussi de parler des références d’Hergé, en l’occurrence, pour cet exemple, l’illustrateur Jules Férat pour une édition ancienne de L’Île mystérieuse de Jules Verne.

    L’essai tintinesque est d’ailleurs riche de sources pouvant expliquer le travail d’Hergé : gravures du XIXe siècle, affiches publicitaires de l’entre-deux-guerres, coupures de presse du début du XXe siècle, peintures (l’étonnant portrait de l’empereur inca Tupac Yupanqui ou celle, plus célèbre, de William Blake, Caïn fuyant la colère de Dieu) ou d’autres bandes dessinées, à commencer par le Zig et Puce d’Alain Saint-Ogan.

    Pour illustrer cette exégèse, pas de reprises de planches ou de vignettes en raison des droits d'auteur de l'œuvre d'Hergé, mais des visuels antérieurs à l'œuvre d'Hergé ou au contraire contemporaines, ce qui donne paradoxalement à cet ouvrage un charme particulier.

    Pierre Fresnault-Deruelle, Hergé et les Incas ou la malédiction déjouée,
    éd. 1000 Sabords, 2023, 170 p.

    https://www.editions-1000-sabords.fr
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Fresnault-Deruelle

    Voir aussi : "Dictionnaire amoureux de Tournesol"

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  • Courtoise et romantique Maguelone

    Voilà une œuvre peu connue de Brahms, La Belle Maguelone, que propose en album b-records, dans une version publique au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. L’enregistrement date des 5 et 6 mars 2023.

    La Maguelone Romazen op.33 du compositeur allemand a été composée sur des poèmes de Ludwig Tieck. L’ensemble de lieder se base sur un récit anonyme du XVe siècle que le récit en français dit par Roger Germser éclaire : "Voici en la manière qui s’ensuit, l’ystoire (sic) de la belle Maguelone, fille du roi de Naples et du vaillant Chevalier Pierre, fils du Comte de Provence".

    Le baryton Stéphane Degout et la mezzo-soprano Marielou Jacquard – sans oublier le piano d’Alain Planès – se lancent à corps perdu dans cette série de lieder dans lequel le romantisme revisite une certaine image fantasmée du Moyen-Âge.

    Il faut saluer la puissance vocale de Stéphane Degout dans le court lied "Traun! Bogen ynd Pfeil sind gut für den Feind". L’esprit courtois sied à merveille cette œuvre romantique de Brahms. On s’en persuade dans le poème "Sind es Schmerzen, sind es Freuden" dans lequel Pierre de Provence chante un amour naissant et dévastateur : "Est-ce la douleur, est-ce la joie ? / Qui traverse mon cœur ? / Tous les désirs anciens disparaissent / Mille nouvelles fleurs éclosent".

    La passion partagée par Maguelone est tout aussi cruelle pour elle, qui doit entendre l’impossibilité d’une idylle pour un étranger. Marielou Jacquard chante ainsi ce coup de foudre dans l’un des plus brillants lied de l’album : "Amour vint d’un lointain pays" ("Liebe kam ais ferren Landen").  

    Il ne manque ni la confidente – en l’occurrence la nourrice de la belle Maguelone – ni l’esprit courtois ni la place de la vertu et du mariage. Pour autant, nous sommes bien au XIXe siècle, comme le prouve la déclamation enflammée et romantique de la fille du roi de Naples ("Et dois-je le croire ? / Ne va-t-on pas me ravir / Ce délicieux délire ?", "So willst du des Armen dich gnädig erbamen"). Les propos de Pierre sont à l’avenant dans le lied suivant : "Comment puis-je supporter / La joie et la volupté ? / Sans perdre mon âme / Sous les battements de mon cœur ?", "Wie soll ich die Freude, die Wonne denn tragen?").

    Pour autant, nous sommes bien au XIXe siècle

    Comme toute histoire d’amour digne de ce nom, il y a la rencontre avec les deux futurs amants et la déclaration, sans oublier le don d’une bague confiée par la mère de Pierre. C’est ce dernier qui chante ce rendez-vous ("War es dir, dem diese Lippen bebten"). Cependant, il fallait bien un obstacle à cet idylle – et future union : c’est la perspective d’un futur mariage arrangé de Maguelone avec un autre noble, Ferrier de Valois, qui contraint les amoureux à prendre la poudre d'escampette. "Je m’enfuirai avec elle", chante Pierre, puisque seule la fuite avec elle leur permettra de vivre heureux. Suit un délicat chant qui dit l’émotion de Pierre en voyant sa belle endormie sur l’herbe ("Repose-toi, doux amour"). Là encore, Brahms est dans le plus pur romantisme : l’émotion à son paroxysme, la nature au diapason et toujours l’environnement gothique dans ce magnifique lied tout en retenue.

    Romantisme encore avec l’élément marin, les vagues et la tempête, présents à la faveur d’un incident au départ banal – un oiseau s’intéressant à l’étoffe rouge de Maguelone. Brahms utilise dans le lied "Verzweiflung" son talent de coloriste musical pour rendre les vagues écumantes autant que le tourment de Pierre embarqué loin de sa belle.

    Marielou Jacquard/Maguelone réapparaît dans le chant suivant, tout en retenue dans son désespoir de se retrouver seule, loin de Pierre. On gouttera ce lied qui parle d’amour disparu, de tourments intérieurs mais aussi de mort ("Wie schnell verschwindet so Licht als Glanz"). La séparation est aussi cruelle pour Pierre, recueilli loin de Naples et de la Provence, en Égypte. Sans nul doute y a-t-il là ce goût de l’orientalisme, cher à l’esprit du XIXe siècle.  

    Le temps des retrouvailles est proche cependant pour les deux amoureux, mais ce ne sera pas sans un nouveau voyage en mer, mis en musique avec gourmandise et légèreté par le compositeur allemand, avec une Marielou Jacquard tout aussi enjouée et irrésistible ("Bien aimé, où te mène / Ton pied hésitant ? Le rossignol parle / De nostalgie et de baiser"). Stéphane Degout est au diapason dans le tourmenté, joyeux mais aussi plein d’incertitudes "Wie froh und Frisch mein Sinn sich heb".

    L’auditeur sera sans doute surpris que, contrairement à beaucoup d’oeuvres romantiques, c’est un happy end qui conclut cette histoire de passion idéale, courtoise et contrariée. Stéphane Degout chante ainsi, avec un plaisir non dissimulée, ce qui pourrait être la morale de l’histoire de la Belle Maguelone et de Pierre : "L’amour fidèle dure toujours / Il survit à de nombreuses heures / Il ne s’alarme d’aucun doute, / Son courage reste toujours sain".  

    Johannes Brahms, La Belle Maguelone,
    Stéphane Degout (baryton), Marielou Jacquard (mezzo-soprano),
    Alain Planès (piano), Roger Germser (récit), b-records, 2023

    https://www.b-records.fr

    Voir aussi : "Les paroles, la musique et le vieil homme"

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  • Génie vidi vici

    Que n’a-t-on écrit sur Léonard de Vinci ! Peu d’artistes ont été à ce point évoqués avec passion. Et peu de tableaux ont été aussi étudiés que La Joconde, sans pour autant que le tableau le plus célèbre du monde ait dévoilé tous ses secrets. Autant dire que le roman de Michel Douard, On m'a piqué la Joconde (éd. Eyrolles) n’entend pas élucider les secrets de Mona Lisa. Dans la postface de son roman historique, l’auteur revendique son travail de romancier, devant faire des zones d’ombres des espaces de fiction.

    On m'a piqué la Joconde retrace les dernières années de la vie du génie italien. Lorsque le roman commence, le peintre se morfond à Rome, sous-utilisé par son mécène, le pape et l’Église. Or, arrive 1515, la célèbre Bataille de Marignan qui voit François Ier triompher. Le jeune roi français en profite pour rencontre Léonard de Vinci et lui proposer de le suivre en Touraine pour y travailler en toute liberté et être logé "comme un prince". L’occasion est trop belle pour l’artiste qui accepte la proposition. Il amène avec lui ses disciples Mezlzi et Salaï ("son démon"), son serviteur Battista, ainsi qu’un tableau inachevé, La Joconde.

    Un objet pop

    Un nouveau roman historique sur la Renaissance, François Ier et Léonard de Vinci ? Rien de nouveau sous le soleil ? Et pourtant, si. Car le livre de Michel Douard entend revisiter un genre parfois poussiéreux pour en faire un objet pop. Comment ? D’abord par la facture éditoriale – couverture potache, tranche verte flashy – mais surtout par le style virevoltant de l’auteur.

    Michel Douard ne s’ennuie pas et n’ennuie pas non plus une seconde le lecteur, avec une histoire se déroulant entre les années 1515 et 1519 – non sans un flash-back vers les premières années du génie italien. L’humour est omniprésent dans ce formidable roman, en particulier dans les dialogues hyper modernes et parsemés de citations de chansons que beaucoup reconnaîtront ("Où sont les femmes ?", "Là-bas"…).

    On m'a piqué la Joconde frappe également par ses passages sur la relation mi amicale mi filiale entre le vieux maestro italien et le jeune roi âgé d’une vingtaine d’années. Entre les deux, il y a aussi et surtout cette Mona Lisa, étrange tableau dont la disparition au milieu du roman propose une explication partielle de l’existence de plusieurs versions de La Joconde. Après la lecture de ce formidable roman, il ne reste plus qu’à se précipiter vers un de ces nombreux essais sur Léonard de Vinci et sur La Joconde.     

    Michel Douard, On m'a piqué la Joconde, Histoire ébouriffante de Léonard de Vinci,
    éd. Eyrolles, 2023, 240 p.

    https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/on-m-a-pique-la-joconde-9782416009068
    https://micheldouard.com

    Voir aussi : "À l’ombre de Ponta

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  • Franck par Lazar

    César Franck : voilà un compositeur discret, pour ne pas dire oublié, et dont la popularité semble beaucoup se limiter au "Panis angelicus". Dommage. On doit remercier le pianiste français Ingmar Lazar pour ce choix d’œuvres pour piano, à commence par la délicate première sonate commençant par un "Larghuetto-Allegro moderato" tout en finesse.

    Avec César Franck, on est au cœur de cette musique française de la deuxième moitié du XIXe siècle. Alors que la musique allemande et romantique domine et que le modernisme s'annonce, la France reste dans une facture classique, avec parfois une fausse candeur ("Adagio, andante moderato"), mais sans jamais vendre au diable son élégance, ni ses influences romantiques (le troisième mouvement de la Sonate n°1, "Rondo, allegro vicace").

    L’auditeur trouvera ce puissant, subtil et ambitieux "Grand Caprice" (1843), aux arabesques sonores incroyables et demandant à l’interprète – ici, Ingmar Lazar – une virtuosité implacable.

    Puissant, subtil et ambitieux 

    L’album proposé par Hänssler et Ingmar Lazar propose un premier "Prélude, aria et fugue" en trois parties, avec toujours cette facture romantique au classicisme très "musique française". On se croirait dans les salons bourgeois du début de la IIIe République, car l’œuvre a été écrite entre 1886 et 1887. César Franck se déploie avec tact et brillance les trois mouvements.

    L’auditeur s’arrêtera sans doute avec plaisir sur le lent, tourmenté et aux accents nostalgiques et douloureux "Aria" ("lento"), avant un "Final" enlevé, pour ne pas dire agité ("allegro molto ed agitato").    

    L’album d’Ingmar Lazar se termine par un dernier "Prélude, choral et fugue". Écrite en 1884, l’œuvre se place d’emblée, à travers son titre, sur les pas de Jean-Sébastien Bach, avec un "Prélude" moderato au romantisme bouillonnant. Le "Choral, "poco più lento" se déploie avec une grâce indéniable, servi par un pianiste magnétique.

    Avec le dernier mouvement, "Fugue", nous voilà chez Bach. Mais un Bach catapulté en pleine deuxième mouvement du XIXe siècle, avec cette touche française propre à César Franck.    

    Et si l’on concluait en disant que l’album propose là l’une des plus séduisantes découvertes du compositeur français ? 

    César Franck, Piano Works, Ingmar Lazar, Hänssler, 2023
    https://www.facebook.com/ingmarlazarpiano
    https://www.ingmar-lazar.com
    https://haensslerprofil.de/shop/soloinstr-ohne-orchester/cesar-franck-piano-works

    Voir aussi : "Histoires de roux et de rousses"

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  • Francis Ford Coppola, le Parrain du Nouvel Hollywood

    Jetez un coup d’œil sur la page Wikipedia de Francis Ford Coppola : vous serez sans doute surpris par sa filmographie, finalement pas si riche que cela – si on oublie les années 80. Et pourtant, quel personnage, quel précurseur et quel génie ! Avec deux Palmes d’Or à Cannes (Conversation secrète, Apocalypse Now) et plusieurs Oscars (Le Parrain I et II – pour une fois, la suite d’un film à succès dépasse en qualité le premier opus). Les années 70 sont fastes sur le réalisateur américain qui a vu trois de ses films, Le Parrain, Le Parrain 2e partie et Apocalypse Now, accéder au panthéon du cinéma mondial.

    Le roman graphique d’Amazing Ameziane, Don Coppola (éd. du Rocher) retrace la carrière du cinéaste, depuis ses premières années où il a été alité plusieurs mois à cause de la polio, jusqu’à son futur dernier grand projet, Megalopolis, dont nous n’avons pas fini d’entendre parler.

    Francis Ford Coppola, singulièrement discret depuis deux décennies, montre à quel point son cinéma a fait de lui le maître et l’inspirateur du Nouvel Hollywood, avec un comparse et disciple nommé George Lucas. 

    Famille

    Don Coppola s’attache principalement aux deux œuvres phares du cinéaste américain : le cycle du Parrain (sans oublier le troisième opus, moins aimé car trop comparé aux deux géniaux premiers volets). La famille Corleone – et, partant, la propre famille de Coppola – est au cœur du roman graphique. Amazing Ameziane raconte en texte et en image les origines d’un chef d’œuvre, au départ best-seller de Mario Puzzo : comment Coppola s’est emparé de cette adaptation, comment s’est passé le travail avec l’auteur et avec les acteurs, dont les stars Marlon Brando et les jeunes Al Pacino  et Robert de Niro et comment il a su conquérir le public et les critiques. Il a beaucoup été raconté comment la mafia américaine s’est incrustée dans la réalisation du film, se plaisant même à voir certains de ses membres y jouer.

    Francis Ford Coppola apparaît régulièrement dans ces pages pour commenter ses choix, expliquer son travail et réfléchir sur ses influences, insistant sur la place de sa propre famille.    

    L’autre film phare, le troisième chef d’œuvre (si l’on oublie Conversation secrète) en cinq ans du réalisateur américain est Apocalypse Now. La démesure du film (à l’époque où le numérique n’existait pas), la tension sur le plateau, les incidents et accidents de tournage : tout cela a fini de faire entrer ce grand film de guerre dans l’histoire du cinéma. Avec de nouveau un Marlon Brando exceptionnel.

    La BD d’Amazing Ameziane est un brillant exercice de style et un chant d’amour qui convaincra autant les amateurs de bande dessinée que les amoureux du cinéma.

    Amazing Ameziane, Don Coppola, éd. du Rocher, 2023, 228 p. 
    https://www.editionsdurocher.fr/product/126823/don-coppola
    http://amazing-ameziane.blogspot.com

    Voir aussi : "Les films que vous ne verrez jamais"

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  • À l’ombre de Pontaniou

    Nous sommes d’accord. Le roman épistolaire a connu son heure de gloire, mais n’est plus vraiment au beau fixe aujourd’hui. C’est pourtant ce genre choisi par Élisabeth Le Saux dans son dernier opus, Courir sur ton ombre (éd. Michalon).

    Nous sommes à la fin des années 70. Anna Guibert, folle amoureuse d’Antoine, musicien de jazz, tue par passion la maîtresse de ce dernier. Condamnée, elle est emprisonnée dans la sinistre prison de Pontaniou. Là, elle écrit à Antoine, lui parle de leur histoire d’amour, de son manque, du vide de sa vie, de son désespoir, de la prison, mais aussi de création, d’art et de musique.

    Bientôt, la raison l’abandonne. Antoine lui répond, avant que la correspondance prenne un tour nouveau, à travers une troisième personne surgissant dans la vie du jazzman. 

    Partitions

    Courir sur ton ombre se compose de quatre parties – quatre "nocturnes", en référence aux terribles cellules mais aussi aux célèbres œuvres musicales. Les "partitions" I et II ont pour protagoniste principale Anna, correspondant avec un homme qu’elle a toujours aimé et pour qui elle a commis l’irréparable.

    Entre les deux, le lien ne s’est jamais tout à fait rompu, si bien que l’échange épistolaire apparaît comme une suite d’éclats lumineux. Élisabeth Le Saux parvient à dessiner le caractère d’Anna et ses démons ("Je suis la Madone en extase dans les bras du sauveur"), avec comme interlocuteur un homme toujours amoureux et aussi paumé qu’elle.

    À partir de la "Partition III", une autre correspondance s’ouvre, cette fois entre Anna et Antoine. C'est une autre relation, avec toujours la Bretagne et le jazz en filigrane.

    Le livre se termine sur un "Finale" non sous forme de lettre mais de nouvelle. Avec la musique omniprésnete car, comme l’écrivait Anna, "je cours désormais sur ton ombre, Antoine, et la musique est là, toujours là, plus vaste que la vie".

    Élisabeth Le Saux, Courir sur ton ombre ou Nocturne à Pontaniou, éd. Michalon, 2023, 124 p.
    https://www.michalon.fr
    https://www.facebook.com/elisabeth.lesaux.5

    Voir aussi : "Guerres et paix"

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