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  • Nos existences abîmées

    C’est par la Fantasy qu’a commencé la carrière de Mélissa Perrot-Marquez, plus précisément le premier tome d’Aëlys, L’éveil d’une indocile (éd. Le Lys Bleu), sorti il y a deux ans. On pouvait s’attendre donc à un autre opus, sinon de cette facture, du moins versant dans le fantastique. Or, même si le fantastique est bien présent dans La demeure des oubliés, il l’est d’une manière singulière.

    L’auteure situe son récit 20 ans en arrière, en 2003. Une époque qui nous paraît lointaine. L’Internet n’était pas encore généralisé, les plateformes télé n’existaient pas et les portables n’étaient pas encore ses smartphones multi-usages. Par contre, la misère sociale était déjà réelle et c’est justement le sujet du roman s’apparentant à du fantastique social.  

    Mathilde et Benoît forment un jeune couple amoureux mais aussi paumé. Sans travail, vivotant comme ils le peuvent grâce à un petit trafic de drogue, ils trouvent leur salut grâce à une maison que leur prête en plein hiver les services sociaux d’une petite ville du sud. C’est une demeure délabrée sur plusieurs étages qui leur suffit, au moins provisoirement. Jusqu’au jour où d’étranges bruits se font entendre. Aucun doute : la demeure est hantée. 

    Maison abîmée et habitée

    Sur un peu plus de 180 pages, c’est une lente descente aux enfers que propose Mélissa Perrot-Marquez. La maison abîmée et habitée est bien entendu une allégorie de l’existence de ces deux marginaux totalement paumés. L’auteure a su parfaitement rendre l’ambiance poisseuse, d’autant plus que, rapidement, c’est dans le huis-clos de la demeure que se terre Mathilde, la véritable personnage principale du livre.

    Les chapitres s'égrainent au fil des journées, des semaines et des mois interminables – mais qui devront bien s’achever un jour où l’autre car les locataires devront rendre les clés au printemps. Soit trois mois dans une ambiance terrifiante. Entre débrouillardise, recherche de quelques euros pour affronter la dèche, gestion de leur petit business de dope, l’existence de ces "oubliés" devient vite un cauchemar. Les manifestations surnaturelles viennent se rappeler à leurs bons souvenirs. On en saura guère plus sur ces esprits, sinon que deux hommes sont morts dans la maison quelques temps plus tôt.

    Là n’est pas l’essentiel, dit en substance Mélissa Perrot-Marquez qui porte avant tout son attention sur deux pauvres hères, parfois agaçants mais souvent attachants, aussi perdus et oubliés que les fantômes dont ils partagent les murs.    

    Mélissa Perrot-Marquez, La demeure des oubliés, autoédition, 2024, 181 p.
    https://www.amazon.fr/Demeure-oubli%C3%A9s-M%C3%A9lissa-Perrot-Marquez/dp/B0D6851VB9/ref=sr_1₁
    https://www.facebook.com/melissaperrotmarquez
    https://mperrotmarquez.wordpress.com
    https://www.instagram.com/melissapm_autrice

    Voir aussi : "Une disparue encombrante"

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  • Timbre Astérix

    Le 14 octobre 2024, La Poste a émis un collector de quatre timbres à l’occasion du 65e anniversaire de la création d’Astérix par le scénariste René Goscinny et le dessinateur Albert Uderzo.

    Rusé et facétieux, Astérix déploie d’album en album des trésors d’énergie face aux Romains installés non loin de ce petit village d’Armorique qui résiste encore et toujours à l’envahisseur (ils sont fous, ces Romains !).

    Depuis 1959, des millions de lecteurs se sont plongés dans les aventures d’Astérix et Obélix (sans oublier le chien Idéfix). Les très nombreux clins d’œil à l’histoire nous projettent en 50 avant J.-C. pour mieux nous faire comprendre le monde contemporain et ses petits travers… mais toujours avec esprit et bienveillance.

    Héros d’une œuvre majeure créée par les géniaux René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix est intemporel, et la Potion magique (dont le druide Panoramix a le secret) opère encore et toujours.

    En vente depuis le 14 octobre. 

    Timbre Astérix – Édition anniversaire 65 ans
    Format du collector : 148 x 210 mm Format des timbres : 37 x 45 mm
    Présentation : collector de 4 timbres
    Tirage : 25 000 exemplaires
    Valeur faciale de chaque timbre : 1,29 € Lettre Verte
    Prix de vente : 6,50 €
    https://www.laposte.fr/boutique
    https://www.lecarredencre.fr 

    Voir aussi : "Miniature hommage à Agnès Varda"

    ASTÉRIX ® OBÉLIX ® IDÉFIX ® / © 2024 Les Éditions Albert René / Goscinny-Uderzo

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  • Un pied dans la porte pour le manipulé

    La manipulation. Voilà un sujet particulièrement rebattu, partout, que ce soit dans les conversations privées, sur les réseaux sociaux. Pour tout dire, dans cette époque obsédée par le complotisme et la liberté en danger, la manipulation devient un sujet à la fois épineux et source de fantasme. Voilà qui rend d’autant plus pertinent l’essai des chercheurs en psychologie sociale, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois (décédé en 2020), Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens (éd. PUG).

    Il s’agit en réalité de la réédition de leur best-seller, déjà vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Cette nouvelle édition est augmentée de près de 50 pages et 16 nouvelles techniques de manipulation. Le lecteur y trouvera matière à réfléchir sur la manière dont ses gestes quotidiens peuvent se trouver influencer par une ou plusieurs tierce personne, et cela sans qu’il s’en rende compte.

    Pas besoin d’être expert en psychologie ou en sciences sociales pour dévorer ce passionnant livre, si l’on excepte un chapitre plus technique, justement nommé "Un peu de théorie". Par ailleurs, l’essai est enrichi de citations d’études, d’enquêtes et d’ouvrages sérieux. Pour le reste, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois optent pour la vulgarisation qui explique en grande partie l’énorme succès de leur essai. Il y a aussi l’ensemble de mises en situation en la personne de Madame O vivant dans le pays imaginaire de Dolmatie – mais qui pourrait être aussi bien la France, le Canada, l’Italie ou les États-Unis. Que cette femme – anonymisée – existe ou non est moins important que les faits quotidiens et anodins qu’elle vit : une après-midi de farniente, des courses au supermarché, une journée de shopping dans sa ville, des appels téléphoniques de commerciaux ou de militants associatifs ou encore une soirée seule chez elle en l’absence de son mari, soirée au cours de laquelle elle ne fait l’objet d’aucune interaction ni manipulation extérieure – en apparence seulement.

    À partir de ces saynètes, les auteurs nous parlent de pratiques et de méthodes qui permettent à un interlocuteur ou interlocutrice de faire faire à quelqu’un une chose sans contrainte ou force, et même en lui laissant une illusion de liberté. "Pas besoin, en effet, d’être séduisant ou d’occuper une place de pouvoir pour obtenir d’autrui ce qu’on attend de lui ; pas besoin non plus d’être un petit génie de la persuasion. Il suffit de connaître ces techniques".

    Donner "aux manipulés potentiels quelques clés pour mieux se défendre"

    Les auteurs ne cessent, à grands coups d’humour, de dédramatiser ces manipulations et de les rendre visibles et explicables. "La manipulation reste (…) l’ultime recours dont disposent ceux qui sont dépourvus de pouvoir ou de moyen de pression", disent-ils. Quels sont au juste ces moyens ? Les exemples de Madame O. permettent à Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois d’examiner les comportements de leur "cobaye", insistant à plusieurs reprises le concept de "soumission librement consentie". Les auteurs montrent que "le lien entre motivation et comportement, et a fortiori entre attitude et comportement, n’est pas direct". Ils en viennent à parler de la "notion d’effet de gel".

    Des exemples en entreprise, essentiellement dans le management, introduit d’autres concepts, à l’instar de "la dépense gâchée". Les faits historiques et politiques, comme l’escalade de la guerre du Vietnam, parlent également de ces "escalades d’engagement" qui peuvent nous conduire à des impasses, parfois en toute bonne foi.

    Les auteurs étudient plusieurs méthodes de manipulation, souvent utilisées dans les contextes commerciaux : l’amorçage, le leurre, les techniques du "pied-dans-la-porte", celle de la "porte-au-nez", le "pied‑dans‑la‑bouche", le "pied‑dans‑la‑mémoire", notamment. Sans compter ces 16 autres méthodes : le "donner‑un‑peu‑pour‑recevoir‑beaucoup", "l’acquiescement répété", "l’indisponibilité présumée", le "nous‑avons‑un‑point‑commun", le mimétisme, le "j’ai‑besoin‑de‑personnes‑comme‑vous", l’activation normative, le "juste‑une‑personne‑de‑plus", le "vous‑allez‑probablement‑refuser", le "pied‑dans‑la‑main", le "dites‑moi‑si‑ma‑demande‑vous‑paraît‑déplacée", le "je‑ne‑vous‑demanderai‑rien‑d’autre", le "piquer‑la‑curiosité", le "décadrer‑recadrer", le "pourriez‑vous‑me‑rendre‑un‑service ?" et le "j’espère‑que‑je‑ne‑vous‑dérange‑pas".

    L’essai rengorge d’exemples, d’études, de mises en situation, de faits réels mais aussi d’analyses. L’objectif est que chaque lecteur et lectrice devienne un citoyen et une citoyenne capable de réfléchir sur sa vie en société. Le maître mot n’est pas de donner des armes de manipulation  à des personnes mal intentionnées – que les auteurs condamnent, mais plutôt de donner "aux manipulés potentiels quelques clés pour mieux se défendre".

    Bref, voilà un ouvrage passionnant et d’utilité publique. 

    Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens,
    éd. PUG, 2024, 368 p.

    https://www.pug.fr

    Voir aussi : "Enquêtes pour de faux"

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  • Sombres papillons

    La prestigieuse maison Gallimard lance cet automne sa nouvelle collection Papillon Noir et, comme il fallait s’y attendre, le vénérable éditeur n’a pas fait dans la demi-mesure avec un projet ambitieux. À la tête de cette collection, il y a Benjamin Lacombe qui entend bien remettre au goût du jour la tradition du beau livre illustré, celle qui avait court avec des artistes comme Gustave Doré ou Odilon Redon.

    Parce que le monde de l’édition subit de plein fouet la crise économique et numérique, Gallimard a fait le pari de la qualité, de la créativité et de l’illustration. Là, on applaudit des deux mains.

    Les deux premiers ouvrages de la collection Papillon Noir sont un ouvrage classique, Le Portrait de Dorian Gray par Oscar Wilde, illustré par Benjamin Lacombe lui-même (postface de Merlin Holland) et une création actuelle, Les Sorcières de Venise de Sébastien Perez, illustré par Marco Mazzoni.  

    Pour le chef d’œuvre d’Oscar Wilde, le choix a été fait par Benjamin Lacombe d’une version non-censurée, l’ouvrage ayant entraîné de nombreux et lourds déboires à Oscar Wilde en raison de l’évocation de l’homosexualité, à la fois "dite" et "voilée". Pour illustrer le roman, et en particulier le bel éphèbe blond et androgyne Dorian Gray, Benjamin Lacombe s’est inspiré de Lord Alfred Douglas, l’amant d’Oscar Wilde qui a entraîné un retentissant procès et la condamnation à la prison de l’auteur anglais.

    Des portraits du fascinant personnage, souvent entouré de fleurs, ponctuent l’ouvrage. Le lecteur pourra tout aussi bien s’arrêter sur le portrait de Lady Henry, semblant tout droit sorti d’un film de Tim Burton. Signalons aussi la double page (pp. 72-73), avec une onirique Lady Henry flottant au milieu d’un océan sous l’orage.

    Nous parlions de ces papillons noirs, choisis pour l’identité de la nouvelle collection. Ils apparaissent à plusieurs reprises sous le pinceau de Benjamin Lacombe, sur une scène de théâtre, dans des portraits au fusain ou dans un cabinet de curiosité. 

    Le talent de Marco Mazzoni explose dans ces somptueuses planches

    Parlons justement de ces fameux lépidoptères. Pour Les Sorcières de Venise, l’autre nouveauté proposée par Gallimard, ces animaux sont au cœur du récit proposé par Sébastien Perez. Ce roman inédit, illustré par Marco Mazzoni, est à la croisée de plusieurs genres. Conte fantastique, roman historique et science-fiction post-apocalyptique (nous sommes en Italie, en 2045), Les Sorcières de Venise a aussi une résonance très moderne puisque le récit commence par une pandémie.

    Une mystérieuse maladie, surnommée "le virus du papillon", a touché la terre et provoqué un véritable cataclysme. Les deux tiers de la population mondiale ont disparu. Heureusement, un sérum a été trouvé, ce qui a pour conséquence d'établir une ségrégation sociale entre, d’un côté les personnes non-infectés et de l’autre les malades soignés. Cela suscite également beaucoup de fantasmes et d'idées reçues. Simone, qui a vécu de très près sa mère médecin mobilisée, se lance dans un jeu fou et dangereux avec ses jeunes amis : rencontrer des "papilloneurs". Le but ? Essayer un nouveau trip en se faisant mordre pour ressentir les "sensations extraordinaires du virus. Mais c’est sans compter les "viventisti", des chasseurs de "zombie". Bientôt, Simone, accompagné de Manuele, un nouvel ami qui a été infecté, fuie vers Venise, à la rencontre de sorcières. Le virus y aurait été créé là-bas.   

    Marco Mazzoni s’est chargé des illustrations du texte de Sébastien Perez. Le dessinateur italien a fait le choix de l’onirisme dans ce conte moderne s’étalant sur plusieurs centaines d’années. Saynètes contemporaines (rues dévastées, intérieurs angoissants, véhicules au pastel, compositions surréalistes) côtoient des tableaux somptueux, entre rêves et cauchemars, à l’instar de ces visages couverts de papillons ou le portrait de la sœur de Manuele, véritable piéta médiévale. À ce sujet, l’illustrateur devient un véritable copiste lorsqu’il reproduit un (faux) manuscrit de 1463. Le talent de Marco Mazzoni explose dans ces somptueuses planches. Un magnifique ouvrage.    

    Ajoutons que ces derniers jours, la collection Papillon Noir s’est enrichie d’un troisième ouvrage, un classique de la littérature française, Carmen de Prosper Mérimée, illustré par Benjamin Lacombe.

    Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, ill. Benjamin Lacombe,
    éd. Gallimard, coll. Papillon noir, 2024, 248 p. 

    Sébastien Perez, Les Sorcières de Venise, ill. Marco Mazzoni,
    éd. Gallimard, coll. Papillon noir, 2024, 120 p. 

    https://www.gallimard.fr/collections/papillon-noir-gallimard

    Voir aussi : "À Karim Berrouka, la fantasy reconnaissante"

    @lacombebenjamin Aujourd’hui était un jour important pour moi. C’est le jour où j’ai présenté à mes chers libraires un rêve, un projet : une collection de littérature, de livres illustrés, de livres objects et de romans graphiques ou tout cela à la fois. La collection Papillon Noir déploiera ses ailes à l’automne chez les si belles @editions_gallimard avec trois premiers livres dont un par les extraordinaires Sebastien Perez (@plumederossignol) et Marco Mazzoni (@marcomazzoniart)… mais je vous en reparle plus bientôt… #benjaminlacombe #sebastienperez #marcomazzoni #collectionpapillonnoir #papillonnoir #editionsgallimard #gallimard #lessorcieresdevenise #doriangray #leportraitdedoriangray #oscarwilde #prospermerimee #carmen ♬ What Was I Made For? [From The Motion Picture "Barbie"] - Billie Eilish

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  • Loussine In The Sly With Diamonds Of Blues

    Loussine arrive avec son premier album, In The Sky With… Son univers ? Le blues en anglais mais aussi des titres dans la langue de Molière. Rien d’étonnant pour un artiste qui a d’abord écumé les scènes de théâtre, sans pour autant ne jamais délaisser son amour pour la musique. Pour preuve, la musique de Signé Furax, c’est lui. "En même temps que mon métier de comédien au théâtre et au cinéma, qui m'a fait vivre, j'ai toujours fait de la musique" a déclaré l'artiste qui ne se prive pas non plus de chanter son amour pour la musique – et l’amour tout court : "Y’a comme une idée qui me fait rêver / Retrouver cette fille-là pour un duo comme ça" (Au micro d’la dame).

    Chanson, blues et rock viennent se succéder dans cet opus de 12 titres à l’acoustique impeccable. Loussine séduit assurément avec son blues mêlant mélancolie, douceur de vivre, sensibilité à fleur de peau et humour. À la déclaration joliment maladroite en franglais de Chanson en English, vient répondre le blues douloureux La douleur fait moins mal que la fin. Et lorsque l’histoire d’amour finit mal, cela donne le morceau plus rock, Tu disais.

    Loussine est un cœur tendre se cachant derrière sa guitare. Il dévoile deux jolies déclarations, l’une à Frida et l’autre Thelma, ses deux petites-filles dont les portraits illustrent le livre de l’album. Une autre enfant a les honneurs du musicien, Lola, une "petite gosse… qui dansait pour manger parfois". Loussine chante avec émotion cette petite gavroche, une fille de la rue désœuvrée, "trop sauvage pour vivre sous un toit". On se dit que ce titre blues-rock parvient à dresser un portrait touchant qui parle autant de pauvreté que d’espoir et de liberté.   

    Loussine est un cœur tendre se cachant derrière sa guitare

    On le sait, le blues est le genre des personnes opprimées, de celles et ceux qui souffrent, à l’image des esclaves noirs américains, déracinés d’Afrique pour mourir et souffrir loin de chez eux. Loussine en parle justement dans la ballade blues Les gens d’ailleurs : "Dieu qu’ils ont vu de souffrance et de malheur, les gens d’ailleurs / Mais leurs chansons restent si belles, blues éternel".

    Il s’agit du seul titre vraiment engagé de l’album car c’est bien de cœur et d’amour dont parle Gérard Loussine. Il chante le désir et l’attraction irrésistible d’une fille nommée Suzon (J’voulais pas) mais aussi le temps inéluctable qui fane les corps et nous condamne à la solitude (la déchirante ballade Le temps qui passe). Dans Ça roulait pas, le chanteur se met en scène dans un road movie sans but. "J’sais pas c’que j’fous là", chante-t-il, désœuvré et perdu ("J’suis largué j’ai pas le choix"). Finalement, un être nous manque-t-il ? ("Besoin d’elle voilà").

    Chanson pour…, qui vient clôturer l’album, éclaire le titre de l’opus, In The Sky With… (qui est aussi un clin d’œil au chef d’œuvre des Beatles, Lucy In The Sky With Diamonds). Gérard Loussine se dévoile plus encore en pleurant sa douleur suite au décès d’un ami. Le blues-rock colle à merveille à cette oraison parlant de disparition, de souvenirs, de vide, de larmes mais aussi de peur.  

    Loussine, In The Sky With…, 2024
    https://www.facebook.com/Gerard.Loussine
    https://linktr.ee/loussine

    Voir aussi : "Autour de Nougaro"

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  • Hanni Liang et les voix (féminines) du piano

    Oui, la musique contemporaine sait aller droit au cœur autant qu’à l’esprit. La preuve avec ce somptueux album de la pianiste Hanni Liang, le deuxième de l'instrumentiste, Voices for solo piano. Ce sont des voix de la création moderne et contemporaine que la musicienne propose de découvrir dans un programme dédié à des compositrices des XXe et XXIe siècle, toutes engagées pour leur combat en faveur de l'égalité hommes-femmes, ce qui lui permet de "désinvisibiliser" ces artistes. "Avec tous les défis auxquels nous sommes confrontés dans le monde en ce moment, c'est la nécessité intérieure en moi d'élever ma voix. Ma voix, non seulement en tant que femme pour les femmes mais aussi en tant que citoyenne pour une société libre. C'est ce que symbolise cet album : briser le silence et élever la voix", affirme la pianiste. 

    Commençons par Ethel Smyth (1858-1944), compositrice, cheffe d’orchestre mais aussi suffragette. Féministe engagée, homosexuelle à une époque où la chose était impensable, elle resta amie et sans doute aussi amoureuse de Virginia Woolf jusqu’au suicide de cette dernière. Hanni Liang propose sa Sonate n°2 pour piano encore marquée par le romantisme (elle a été écrite en 1877). On y trouve l’influence de Brahms, de qui elle était proche en plus d’être admirée et soutenue par le maestro allemand. Hanni Liang s’empare de cette œuvre avec une belle aisance, donnant à chaque note sa place et sa dimension. On sent le goût de l’harmonie et de la mélodie d’Ethel Smyth dans ses Thèmes et Variations en ré bémol majeur, déroulés avec élégance (Variation VII Presto). On a beau découvrir la compositrice britannique, il semble néanmoins que ces morceaux nous sont déjà familiers, pour ne pas dire attachants. On pense à la Variation IV (Allegro: à la Phylis), joueuse et enfantine ou à la plus mélancolique et longue Variation V (Andante con moto). Hanni Liang y souligne les tourments d’une femme admirée mais mal en raison des mœurs de son pays.

    Sacrément culottée

    Sautons de quelques décennies et intéressons-nous à une autre compositrice anglaise, Sally Beamish. Toujours en activité, cette musicienne, violoniste et multi-récompensée pour ses travaux, est mise à l’honneur par la pianiste allemande grâce à la pièce Night Dances. Nous voilà dans une œuvre riche de silences, de notes suspendue, lui donnant un fort caractère d’introspection. Les hésitations rendent ce morceau particulièrement humain et proche de nous, mais non sans ce sentiment d’anxiété et d’inquiétude. Le rythme finit par s’emballer dans une danse infernale proche de la folie. Hanni Liang fait preuve là d’une technicité à souligner mais aussi d’une solidité à toute épreuve pour ces "danses de la nuit".

    De la même génération, Errollyn Wallen propose une courte pièce, I Woundn’t Normally Say. La compositrice née au Belize, très demandée et très jouée, a puisé dans le jazz ce qu’il faut de rythme pour une pièce à la fois joyeuse et personnelle.

    Après les Variations d’Ethel Smyth, place à celles de Chan Yi, née en Chine et vivant aujourd’hui aux États-Unis (Variations on "Awariguli"). Le Thème, les neuf Variations et le Coda, de trente secondes à un plus d’un minute, ne tournent pas le dos au classicisme. Chen le revendique au contraire et s’en empare, au service d’un combat moderne : celui des Ouïghours persécutés et de leur culture en train de disparaître. Le Thème est d’ailleurs tiré d’une musique folklorique de cette ethnie. Hanna Liang, née en Allemagne mais dont les racines chinoises restent importantes pour elle, interprète cet opus avec une vibrante intensité et de chaudes couleurs.

    Eleanora Alberga vient clôturer ce programme avec Cwicseolfor. Un bien étrange titre pour une pièce qui ne l’est pas moins. La compositrice jamaïcaine l’a composée en 2021. Les transformations sont le fil conducteur de cet opus aux multiples variations, ne s’interdisant ni des passages rythmées et torturées ni de longues pauses de silence.

    Sacrément culottée, Hanni Liang propose là un passionnant voyage musical à la découverte de compositrices aussi différentes qu’engagées. La pianiste y apporte son lustre et son enthousiasme. Vite, à découvrir !  

    Hanni Liang ,Voices for solo piano, Delphian Recards, 2024
    https://www.delphianrecords.com
    https://hanni-liang.com
    https://www.instagram.com/hanniliang/?hl=fr

    Voir aussi : "Bak et la Belle Époque"

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  • Beethoven, Intégrale, Première

    Après une série de chroniques tour à tour sur un opéra contemporain âpre, tragique et terrible (Les Bienveillantes d'Hèctor Parra), puis sur du théâtre lyrique XXe siècle tombé dans l’oubli (La Sorcière de Camille Erlanger) et des pièces contemporaines italiennes des XXe et XXIe siècle (le formidable programme de Claudia Chan, Toccare), place cette fois à du classique de chez classique, en l’occurrence Ludwig van Beethoven et trois de ses Symphonies, la 1ère, la 2e et la 4e. Elles nous sont proposées par l’Orchestre Consuelo dirigé par Victor Julien-Laferrière à la baguette.

    Avec ce premier coffret, c’est une intégrale des Symphonies du génie allemand qui se construit, certes pas avec ses œuvres les plus célèbres. Mais n’est-ce pas un moyen de les redécouvrir – voire de les découvrir ? B.records, qui a fait du live sa spécialité, nous propose une captation impeccable à l’Abbatiale Saint-Robert lors du Festival de la Chaise-Dieu les 22 et 213 août 2023.

    En deux CD, nous voilà au cœur de ces monuments musicaux que Beethoven a commencé à composer finalement assez tardivement. À 30 ans, date de l’écriture de la première symphonie, il a déjà derrière lui quelques chefs d’œuvres de musique de chambre, dont ses trois premiers concertos pour piano. C’est un musicien aguerri qui voit en 1800 sa Symphonie n°1 op. 21, écrite un an plus tôt, être jouée en grande pompe à Vienne. La fougue mozartienne (sans compter le mouvement Menuetto, si caractéristique du XVIIIe siècle), l’influence de son maître Haydn, la virtuosité, la densité et les riches couleurs frappent aux oreille. À l’époque de l’écriture de la Symphonie n°1, le compositeur a les yeux tournés vers la France de Napoléon, personnage qui le fascinera longtemps avant qu’il ne lui tourne définitivement le dos.  

    Fougue mozartienne

    La Symphonie n°2 est composée un an plus tard. Le musicien est atteint des premiers symptômes de sa surdité, ce qui ne l’empêche pas d’écrire, et même d’écrire vite. Après la découverte mémorable de la première symphonie, celle-ci surprend moins. Enlevée, rythmée et tonique, elle reste paradoxalement peu jouée – sinon dans le cadre d’intégrales.

    On imagine les auditeurs de l’époque secoués malgré tout par le dynamisme de cette construction musicale menée par un Orchestre Consuelo franchement emballant. La direction de Victor Julien-Laferrière ne s’embarrasse pas de temps morts ou d’une revisite qui aurait été vaine. Cette 2e Symphonie est à écouter pour le deuxième mouvement Larghetto. Ample et mélodieuse, cette partie est le gros point fort d’une symphonie souvent poliment écoutée et encore fortement influencée par Mozart et Haydn, même si Beethoven commence déjà à s’en détacher. Il n’y a cependant pas encore ce souffle héroïque (le bref mouvement Allegretto) et romantique (Allegro Molto) que l’on trouvera dans la symphonie suivante, la 3e, "Héroïque", justement.

    Sombre majesté

    Le 2e CD est consacré à une seule symphonie, la 4e en si bémol majeur op. 60. C’est sur des notes funèbres que commence cet opus, plus long mais aussi plus mystérieux. Il y a une sombre majesté planant sur cette symphonie débutant singulièrement par un Adagio, un mouvement lent, certes, mais complété par un Allegro vivace, enjoué.

    Composée entre la Symphonie Héroïque – la 3e – et l’incroyable 5e (les fameux et populaires "pom pom pom pom" d’introduction), celle-ci semble se chercher. Marchant là encore sur les traces de ses brillants aînés – Mozart et Haydn – Beethoven l’écrit en 1806 sur une commande du comte Franz von Oppersdorff. Le compositeur propose là une œuvre de qualité, certes, mais n’ayant pas pour ambition de renverser la table. L’auditeur sera charmé par l’écriture subtile et mélodieuse, avec un deuxième mouvement Adagio paisible et plein de noblesse.

    Victor Julien-Laferrière conduit l’Orchestre Consuelo avec ardeur et sans se poser de questions sur cette Quatrième mal-aimée (car) coincée entre les deux monuments que sont la Troisième et la Cinquième. Saluons la technicité et la maîtrise du chef dans l’appréhension d’un troisième mouvement aux indications aussi précises que Allegro molto e vivace – Un poco meno allegro – Tempo primo ! Et si la "révolution Beethoven" était déjà en marche dans ces "symphonies paires", déroulant une cadence infernale et construites comme des machineries à la fois redoutables et profondément humaines ? Le dernier mouvement Allegro ma non troppo séduit par sa tonicité et sa puissance dramatique pour ne pas dire romantique.

    Voilà un premier volume passionnant, augurant une Intégrale alléchante.

    Beethoven : Intégrale des Symphonies, vol.1 – Symphonies N° 1, 2 & 4,
    Orchestre Consuelo, direction Victor Julien-Laferrière, b•records, coll Festival de la Chaise-Dieu, 2024
    https://www.b-records.fr/beethoven-symphonies-vol1
    https://www.orchestreconsuelo.com
    https://www.victorjulien-laferriere.com

    Voir aussi : "L’indicible en musique"
    "Oui, je suis la sorcière"
    "Touchés !"

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  • Therapie

    Derrière Raphaël Zaoui se cache l’un des deux fondateurs du groupe mythique des années 2010, Therapie Taxi, dissous en octobre 2021 au grand désespoir de ses fans. On ne trouvera cependant pas dans Le Dernier sur la piste (éd. HarperCollins) l’histoire du groupe pop le plus singulier et le plus remuant de ces 20 dernières années. Même s'il l'évoque, Zaoui ne cite cependant pas le nom de son acolyte Adé (Adélaïde Chabannes de Balsac), l’incroyable chanteuse des tubes Coma idyllique, PVP ou Été 90

    Ce dont il est finalement dans le roman de Raphaël Zaoui, en réalité le récit d’un artiste au talent dingue, c’est l’histoire d’un homme tentant de construire sa vie au milieu des affres et des affreux de la création. Tout commence à Paris lorsque le modeste musicien vit de galère en galère jusqu'à sa rencontre avec celle qui deviendra Adé, les deux propulsant leur nouveau groupe à des hauteurs rarement vues.  

    Zaoui allonge ses mots sur plus de 200 pages afin de se laisser aller à ce qui ressemble à une thérapie, entre désir d'accomplir son destin d'artiste, ivresse du succès, interrogations sur sa vie privée et le décès brutal de sa mère. 

    Des pages aussi crues, vibrantes et sincères que les titres de Therapie Taxi

    Raphaël Zaoui n’a pas choisi la facilité ni le compromis pour son premier livre. Rien d’étonnant pour un musicien à l’origine des titres les plus pop et les plus acides de ces dernières années. L’artiste aurait-il trouvé la potion magique, entre composition musicales raffinées et textes cash ? Sans doute, écrit-il, mais là n’est pas l’essentiel.

    Disons-le, les fans de Therapie Taxi se précipiteront sur les confessions du cofondateur du groupe. Mais ils trouveront surtout confidences sur son parcours, les galères des débuts puis le succès incroyable. La suite ? Des concerts, des abus – drogue, sexe et une odeur de perdition – et l’amour surgissant comme par magie.

    Le Dernier sur la piste se lit d’une traite, à la rencontre d’un musicien qui ne cache (presque) rien, du deuil de sa mère à l’amour pour son fils, en passant par une séparation aussi cruelle que bienvenue. Tout cela donne des pages aussi crues, vibrantes et sincères que les titres de Therapie Taxi. Les fans du groupe se précipiteront sur ce livre cash et passionnant.

    Raphaël Zaoui, Le Dernier sur la piste, éd. HarperCollins, 2024, 208 p.
    https://www.harpercollins.fr/products/le-dernier-sur-la-piste
    https://www.instagram.com/raphaelzaoui

    Voir aussi : "Nous nous sommes tant séparés"
    "Adé alors ?"

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