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Ne vous fiez pas à la facture pop d’Immersion, le premier EP de J. Frey. La voix, la puissance et la sensibilité du chanteur peut facilement le caractériser comme un bluesman à suivre absolument. Immersion est un mini-album mixant des sons urbains et une rythmique navigant entre pop-rock, urbain, reggae et blues, donc ("Tender Love"). Voilà qui dénote une belle audace et une forte personnalité de la part d’un artiste généreux.
Le musicien français va sur des terres mystérieuses, avec un mélange d’aplomb et de fraîcheur. Sans renier ses influences, il utilise l’électro à bon escient, à l’instar de "Sunrise", avec ces vagues lumineuses, apaisantes et mystiques. Oui, J. Frey sait être mystique dans cette manière de concevoir l’amour, omniprésent dans son séduisant opus.
Immersion se révèle tour à tour pop-folk ("She’s Gone", avec ses percussions reproduisant les battements de cœur), eighties ("We Don’t Have The Time") ou carrément rock à l’instar de "Get Up", un titre brut presque animal en forme d’appel au combat à la Bob Marley.
"Immersion", le titre éponyme, vient clore cet EP joliment produit. Ce premier opus se veut une promesse, tant le travail de J. Frey s’impose à chaque mesure. Rendez-vous est donc pris pour l’avenir.
Un Éléphant dans une Chaussette de Roberto Garcia Saez (éd. Atramenta) est la première partie d’un roman aux multiples enjeux et se déroulant dans plusieurs parties du monde. Le second volume déjà paru se nomme Dee Dee Paradize.
Tout part d’un scandale autour du protagoniste principal, Patrick Roméro, un aventurier de l’humanitaire, à la fois globe-trotteur, homme d’affaire et véritable ponte international naviguant comme un poisson dans l’eau dans les hautes sphères du pouvoir.
Après un début de carrière dans plusieurs ONG, Patrick Roméro obtient un poste de directeur de programme médical de l’ONU en République Démocratique du Congo, pays exsangue et frappé par une guerre aux millions de morts. Nous sommes en 2000. Le fonctionnaire doit se charger de financer et faire venir pour une population désœuvrée des tonnes de traitements contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
La mission du fantasque humanitaire est aussi délicate qu’ambitieuse : c’est comme faire entrer un éléphant dans une chaussette, comme il le fait remarquer à son amie Carlota. Dans un souci d’efficacité (plusieurs millions de dollars sont quand même en jeu), le fringant directeur décide de prendre quelques libertés avec les "process" adoptés par l’ONU.
Roberto Garcia Saez nous fait entrer dans les arcanes de l’humanitaire mondial et ce n’est pas joli, joli
Paul Harrisson, Un policier anglais chargé de lutter contre la corruption, vient à s’intéresser à ce programme du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) au Congo : le scandale éclate et menace de tout balayer sur son passage. Patrick Roméro est bien entendu le premier protagoniste dans la ligne de mire de l'enquêteur.
Avec ce roman mené tambour battant, Roberto Garcia Saez nous fait entrer dans les arcanes de l’humanitaire mondial et ce n’est pas joli, joli : omniprésence de l'argent, coups bas, fonctionnaires cyniques et ambitieux, politiciens et diplomates carriéristes. L’auteur sait de quoi il parle : il a alterné des postes de fonctionnaire à l’ONU et d'expert indépendant en Afrique, en Asie, à New York et à Genève avant de diriger aujourd'hui une société de conseils stratégiques. Voilà qui donne à ce livre un parfum de réalisme et de vérité. L'auteur excelle aussi dans le portrait de ses personnages, à commencer par celui, haut en couleur, de Patrick Roméro.
La suite de ce roman est à découvrir dans le second volume, Dee Dee Paradize, sorti également cette année. Je vous en parlerai bientôt.
On entre dans le premier EP du duo Bastien & Taly avec le sourire, tant la joie de vivre, de danser et d’aimer éclate à chaque note. "Mibalé" s’écoute comme un vrai futur tube de world chaleureux et lancinant, porté par la voix de Taly, originaire de la République Démocratique du Congo et qui chante ici en lingala.
La musique représente un moyen pour Bastien et Taly de faire passer un message d’acceptation de l’autre. Leur projet musical est aussi l’occasion de constituer un espace d’expression pour intervenir sur la question de la diversité culturelle. Pour, Taly qui chante depuis son plus jeune âge, son art est autant un exutoire qu’un moyen d’expression, comme elle le dit elle-même.
Avec "Elikia" nous sommes toujours dans une appropriation des sons africains, ce qui ne veut pas dire que leur EP éponyme reste sur les rivages de l’Afrique. Car Fabien et Tally savent se baigner dans le courant pop international avec plaisir comme le prouvent "Thanks", une pop funk intense et aux qualités dansantes indéniables. "Forever", en anglais lui aussi est une chanson qui appelle au lâcher prise, à l’appréciation du moment présent et au retour à soi.
Bastien & Tali proposent avec leur EP métissé et envoûtant le meilleur des remèdes à la morosité qui viendrait vous clouer sur place. À écouter sans modération.
C’est à un voyage dépaysant que je vous convie, par un musicien hors-norme. Il s’appelle Abaji, est né au Liban d’une famille arménienne et vit en France depuis plus de 40 ans. Sa musique bouscule les frontières entre Orient et Occident, comme le prouve son dernier album, Blue Shaman.
"J'ai enregistré le disque Blue Shaman à Glasgow avec Donald Shaw et Michael McGoldrick. Une rencontre shamanique entre mon âme méditerranéenne et leur tradition celte !" explique le musicien virtuose. Blue Shaman est son 8e album. Pour cet opus, Abaji, à l’œuvre originale sans égal, s’est en effet adjoint les concours de l’accordéoniste écossais Donald Shaw et du flûtiste et joueur de cornemuse Michael McGodrick.
L’auditeur devine que cette musique vient de loin et est volontairement teintée de mysticisme, à l’instar de "Ararat" et surtout de "Blue Shaman" qui donne son nom à l’album.
Les couleurs de l’Orient et de son cher Liban sont bien entendu présentes, à l’exemple de "Valley Of Sand" ou de "Nâtir" qui ouvre l’opus. Ce véritable cri du cœur mêle sons orientaux et mélancoliques et chanson française : "Un lit de soie trop grand pour moi / En moi une peine au fond m’entraîne… / J’attends que tu viennes effacer ma peine".
Rencontre shamanique
"Nuit turquoise", tout aussi méditatif, peut se lire comme un voyage aux confins de l’Europe oriental, sur les rives de la mer de Marmara, avec une flûte solaire et un accordéon chaleureux.
Avec "Northbound Caravan", nous sommes en plein désert, chez des bédouins, avec ce violon gémissant. On voit presque les chameaux déambuler, la démarche lente et lourde. "Hot Desert To Cold Sea" est encore un voyage au milieu des dunes, avec cependant des accents celtes et bretons singuliers qui vous feraient presque transporter en quelques instants du Sahel aux côtes finistériennes.
En effet, le musicien nourri à différentes cultures ne s’interdit pas de piocher un peu partout ses influences, lorsqu’il s’aventure par exemple sur les terres balkaniques ("Balkanik Tango") ou celtes ("Share To Share"), avec une voix inimitable allant chercher une douleur enfouie aux tréfonds, avec toujours ces accents orientaux. Là, il faut aussi absolument parler de "Celtic Blue" : a-t-on déjà entendu une telle fusion entre sons celtiques et orientaux, avec une flûte comme sortie des brumes et la voix éraillée d’Abaji ?
Il convient encore de s’arrêter sur "Dance For Me", un titre à la pop-folk anglaise mâtinée de français : "Lignes noires sur la feuille / Des courbes au bout des doigts / Et en clin d’œil / Ces lignes bougent pour moi." Il y a aussi "Hilm n°2" derrière laquelle se dessine l’influence de Bob Dylan dans une folk arabe, avec cet indispensable harmonica. Abaji n’oublie pas le métissage jusque dans le choix des langues – l’arabe, le français et l’anglais – pour ce portrait délicat et consolateur d’une femme. On peut saluer un autre clin d’œil au chanteur folk américain nobelisé avec le titre "Bowing In The Wind" : loin d’être une revisite du chef d’œuvre de Bob Dylan, ce morceau d’Abaji est une pérégrination dans un désert, courbés (c’est le sens du mot "bowing"), sous un soleil ardent et au milieu d’un vent brûlant.
Inépuisable source d’inspiration, l’Orient est bien entendu omniprésent dans ce magnétique album, à l’instar d’"Ustad" ou du facétieux "For A Cloud", véritable concerto pour voix et flûte.
Mais Abaji sait également se faire doux et tendre lorsqu’il trace le très beau portrait de cette femme dans le titre "Sehher" : "D’la magie noire / D’la couleur de tes yeux / J’ai beau chercher des beaux / Y’en a pas un de plus beau."
En un autre temps, si un vocable pouvait s’appliquer à l’EP Dreamers de Purple Ashes, ce serait celui de "trip hop" : même voix éthérée à la Portishead, mêmes sons synthétiques, même travail sur la rythmique. Mais là où le groupe emblématique de la chanteuse britannique Beth Gibbons avait su construire une œuvre mystérieuse et fragile, le duo formé par la Française Clémence de la Taille et son acolyte Syan, avance avec volonté, aplomb et maîtrise ("Get My Way") dans leur nouvel EP.
Si on reste dans le jeu des comparaisons, il y a de l’Eurythmics dans cette manière de proposer un court album étincelant qu’on s’approprie avec plaisir, à l’exemple du titre pop "Dreamers in Sleepless Night". "Et si les rêveurs ne dormaient plus ?", se demande en substance la musicienne. Le clip détourne les films Métropolis, Faust et Nosferatu pour nous entraîner dans un rêve, ou plutôt un cauchemar.
L’auditeur appréciera la sophistication de la composition et les constructions sonores de Purple Ashes, dans une pop-rock sachant puiser dans l’électro ("Nothins Is Better") pour servir des morceaux d’une belle complexité. On sera tout autant sensible au message engagé de Clémence de la Taille dans l’épidermique "Seasons Change" qui va droit aux tripes. Du bel ouvrage.
C’est en toute liberté, en nomades pour reprendre le titre de leur album (Nomad, Laborie Jazz/Socadisc), que Simon Denizart et Elli Miller Maboungou arpentent les terres du jazz dans leur court opus de huit titres.
Nomad est le fruit de trois ans de collaboration entre le français Simon Denizart et le pianiste et percussionniste canadien Elli Miller Maboungou qui met en vedette principalement la calebasse (percussion d’Afrique de l’Ouest) dans cet album fin et subtil.
Les deux musiciens font du piano le vrai héros de cette déambulation à la fois riche, élégante et lyrique, mêlant jazz ("Lost In Chegaga"), world music ("Nomad", "Zoha"), minimalisme contemporain ("Last Night In Houston") et même pop ("Manon"). C'est un univers métissé que proposent Simon Denizart et Elli Miller Maboungou, à l’exemple de "Zoha". Pour ce titre, les musiciens ont insufflé des mélodies et des rythmes venus d’Orient, donnant à ce morceau une immédiate connivence, pour ne pas dire familiarité.
Dépaysant et nostalgique
Tout aussi dépaysant et nostalgique, "Oldfield 2.0" est une respiration apaisante aux accents orientaux, avant une seconde partie plus world que jazz.
Le duo parvient à sortir le jazz de ses derniers retranchements, non sans malice si l’on pense à "Square Viger, un morceau plus nerveux et enrichi d’improvisations enlevées. Pour "Last Night In Houston", les musiciens se font expérimentateurs en lorgnant vers le courant répétitif américain.
Bien différent, "Manon", plus posé, plus pop et plus nostalgique, c’est du jazz comme on l’aime, attachant et contemplatif, avant qu’il ne se déploie avec générosité.
"Lost In Chegaga" revient, lui, aux fondamentaux avec rythme et chaleur mais non sans des percussions d’une singulière richesse.
L’album se termine avec l’étonnant "Outro" : 37 secondes seulement d’une ponctuation enchantée par deux amis décidément osés et aventuriers.
Derrière le joli nom de Laughing Seabird se cache la Française Céline Mauge, à l’œuvre dans son très beau deuxième album, The Transformation Place, avec ses 12 titres arrangés par Emmanuel Heyner.
La chanteuse se fond à merveille dans un répertoire lorgnant tant du côté de l’Irlande ("My Shell"), de l’Angleterre ("Scarborough Fair"), des États-Unis ("In Spite Of") que de ce côté-ci de La Manche et de l’Atlantique ("Le somptueux règne des absents", "Karmen KéroZen", "Les filles sages et les autres").
Avec une fausse légèreté, Laughing Seabird aborde des sujets sérieux et parfois même rarement traités, comme la grossophobie dans le titre "I Feel Hat" qui ouvre l’opus : "I feet fat today / I ate too much yesterday evening". Pour le morceau "Vivre (No Way Back)", c’est la dépression qui est au cœur de cet appel à se ressaisir et avancer : "Chaque jour, travaille à te grandir / Réveille-toi, la terre est bien ronde / Chaque jour, œuvre à ton avenir / Et tu trouveras la voie".
Balançant sans cesse entre folk, brit pop et chanson française, la musicienne d'origine bretonne revendique ses inspirations musicales anglo-saxonnes et irlandaises, à l’instar de la reprise du chant traditionnel "Scarborough Fair". On se ballade avec plaisir dans The Transformation Place, tant Laughing Seabird sait allier mélodies travaillées, rythmes entraînants et textes sensibles ("Direction oubliée (Let Go)").
"The Transformation Place", le titre éponyme de l’album, s’avère l’un des plus réussi : lancinant, coloré et gourmand, il frappe justement par ses transformations incessantes, ses ruptures et ses contrastes, tout comme par le travail sur la voix de Laughing Seabird, toujours sur le fil dans cet appel à ne jamais abandonner ses rêves d’enfant et à ne pas se fier aux premières impressions ("You have just opened the doors of your perception"). Tout cela est chanté, joué et interprété non sans clins d’œil assumé pour la musique psychédélique des années 70 (on pense par exemple au fameux "Bicycle Race" de Queen).
Lancinant, coloré et gourmand
L’étonnant et passionnant album de Laughing Seabird a beau être très cohérent, il n’hésite pas à prendre des chemins détournés, lorsqu’elle choisit de nous emmener du côté de l’Irlande, dans un voyage dépaysant et amoureux ("Just won’t fall in the trap / Take the road without a map / Sure to find not look for / Any key to a door… / I become the laughing seabird / And you’re my shell", "My Shell").
Dans sa facture pop-rock assez classique, "Le somptueux règne des absents" dévoile un peu plus des failles de la douée et prolifique Laughing Seabird, comédienne, doubleuse et, ici, musicienne et chanteuse. Derrière ce titre énigmatique, se cache un morceau poignant sur une disparition qui ne passe pas : "J’ai beau me dire / Qu’il faut tenir / L’hiver s’installe et le froid empire… / J’ai beau vouloir et vaillamment croire / Mes combats sont vains quand vient le soir" ("Le somptueux règne des absents"). "L’appel du monde" semble répondre à ce cri de douleur : partir, découvrir le monde, chante-t-elle, comme en écho à ce qu’elle disait dans " The Transformation Place".
La superbe reprise de Sailor Song" de Rickie Lee Jones ("I could fly away / But i take the sea / For stranger days than these") ainsi que le rock régressif "Karmen KéroZen" ont été inclus dans la bande original du film Ça tourne à Saint Pierre et Miquelon, réalisé par Christian Monnier et dans lequel joue, comme par hasard, Céline Mauge. La musicienne propose là aussi de nouvelles invitations au voyage, en pleine mer. Idéal pour laisser derrière soi ses tourments : "KarmenZéro, j’ai brisé mes chaînes / Rompu les barreaux de ma cage / Je suis pour toujours en voyage. "
Laughing Seabird choisit le talk-over pour la dernière chanson faussement insouciante, "Les filles sages et les autres" : avec humour, effronterie et non sans un vibrant message féministe, Céline Mauge égratigne les contes pour enfants qui s'avèrent souvent être de vraies prisons mentales : "Les filles sages vont au paradis / Les autres, où elles veulent / Moi je poréfère suivre mon envie / Car la liberté n’a pas de prix." À bonne entendeuse…
Piednoir vient de sortir son premier EP, Souvenirs de la houle. La houle en question est celle de sa Normandie natale. Et il est vrai qu’il souffle sur cet album un vent frais et la sensation que le musicien dessine des paysages qui lui sont familiers.
Pour autant, Souvenirs de la houle est bien un pérégrination intérieure qui est un appel à la vie, aux rencontres et à l’amour, y compris s’il peut décevoir ("Dis-moi que tout va bien / Mens moi juste une dernière fois" ,"Dis-moi" ). "La tête haute", son premier titre, entend délivrer une série de messages bienvenus : avancer, assumer, affronter et, surtout, garder "la tête haute".
Les chansons de Piednoir sont plus complexes qu’il n’y parait. Les instruments acoustiques ("À nous deux") sont enrichis de sons électros mais aussi de rythmes urbains ("22H23").
Comment ne pas conclure cette chronique par les mots de Piednoir lui-même ? Et d’abord, au sujet de son nom, justement : "Piednoir, c'est mon nom. Et parce que j'ai dû le porter, à présent je veux qu'il me porte. Je veux qu'il agisse comme un prisme pour dévoiler la poésie et le positif qu'il y a dans chaque sentiment qui me trouble, me perd, qui me rend vivant."