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  • Complètement baba de bulles

    On entre dans l’anthologie de Thomas Mourier consacrée à la bande dessinée (Anthologie du 9ème art, éd. Bubble) avec un mélange d’excitation et de curiosité.

    Pensez : 150 auteur.e.s et œuvres (50 Européennes, 50 américaines et 50 japonaises) présentés de manière synthétique, avec des planches, des couvertures – du moins lorsque les ayant-droits l’ont autorisé – et un lexique en fin d’ouvrage. Pour faire très vite, quatre pays trustent la quasi totalité des œuvres et sagas présentées : la France, la Belgique, les États-Unis et le Japon.

    Pour les 3 grosses parties – BD européenne, comics américains et mangas nippons – l’auteur adopte grosso modo le même découpage non chronologique : les classiques, les grands maîtres, "les pépites méconnues" et enfin les auteurs à suivre. Dans la section consacrée aux comics, une place prépondérante est donnée aux figures de super-héros.

    Disons-le tout de suite : la BD semble un terrain connu et archi rabattu et on se dit dès les premières pages que nous sommes en terres connues : Tintin, Astérix, Gaston Lagaffe, Lucky Lucke et leurs auteurs Hergé, Franquin ou Morris. Que du grand classique et un art de synthétiser des sagas exceptionnelles en deux pages dont une consacrée aux planches ou aux couvertures.

    Mais la surprise vient à partir de la 30e page, lorsque Thomas Mourier prend des chemins moins banalisés, mais passionnants. Grâce à un gros travail de documentation, l’anthologie se fait moins encyclopédique que défricheuse de livres et d’auteurs français ou étrangers, depuis la naissance de la BD (Little Nemo, Krazy Kat ou Tintin) jusqu’à des publications récentes (Pucelle de Florence Dupré la Tour, sortie cette année).

    Véritable "compagnon de route" pour tout lecteur passionné de bande dessinées ou désireux de parfaire sa culture générale, Thomas Mourier fait plus que synthétiser les personnages et sagas présentées : il propose des œuvres incontournables, en suggérant, par exemple, pour les aventures du journaliste à la houppette, de lire ces deux ouvrages majeurs que sont Le Lotus bleu et Tintin au Tibet.

    À côté d’Astérix, la saga française la plus vendue, Spirou, Lucky Lucke ("Morris sera l’un des auteurs les plus innovants dans un contexte encore très standardisé"), le chroniqueur consacre des chapitres à l’absurde Achille Talon ("une œuvre qui ne ressemble à aucune autre"), Thorgal ou Corto Maltese ("le dessinateur joue sur ce subtil mélange d’invention et de documentation dans un cadre très réaliste"). Avec toujours les conseils de l'auteur pour entrer dans telle ou telle oeuvre. 

    La BD européenne frappe par son éclectisme

    La BD européenne frappe par son éclectisme, avec des livres s’ouvrant à des genres bien différents : l’humour bien entendu (Spirou, Gaston Lagaffe ou  Les Dingodossiers), mais aussi la fantasy (Thorgal), l’aventure (Hugo Pratt), le western (Blueberry), la SF (L’Incal d’Alejandro Jodorowsky et Moebius ou Barbarella), le conte (Les Cités Obscures de François Schuiten et Benoît Peeters ou Peter Pan de Régis Loisel), le polar (XIII ou l’étonnant Blacksad de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido), sans oublier le manga "à la française" (Lastman créé par Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville). Plus qu’une encyclopédie historique, l’anthologie de  Thomas Mourier puise aussi du côté des nouvelles pépites de la BD, à l’exemple de L'Ascension du Haut Mal de David B. (1996) : "On ne peut que vous conseiller la plupart de ses albums, qui ne ressemblent à aucun autre en bande dessinée, mais qui fraternisent avec les livres de Marcel Schwob, J.L. Borges et Antoine Galland".

    La section américaine, consacrée aux comics, propose une large place aux super-héros : Superman, Batman, Captain America ("Le premier héros de l’écurie Marvel"), The Flash, Wonder Woman, Les Quatre Fantastiques, Spider-Man ("aussi paumé que n’importe quel ado"), Hulk ou Thor. L’histoire des comics est bien entendu marquée par la lutte des géants du divertissement DC Comics et Marvel. L’auteur se veut un guide lisible pour faire découvrir les super-héros américains, et leurs auteurs, véritables stakhanovistes du genre : Stan Lee, Jack Kirby, Steve Ditko, Don Heck ou Bill Everett.

    Hormis les figures plus contemporaines de superhéros que sont Daredevil, Captain Marvel, Thanos ("Ce méchant cosmique est l’un des plus crédibles et réussis de l’univers Marvel") ou Watchmen ("C’est l’œuvre qui a le plus marqué l’univers et l’industrie des super-héros"), ressortent quelques personnages emblématiques : Sandman ("la série la plus littéraire de la bande dessinée"), Alias ("En seulement 28 épisodes Brian Michael Bendis et Michael Gaydos ont créé une super-héroïne tellement badass qu’elle se retrouve au premier rang des héroïnes les plus iconiques du moment") ou Walking Dead.

    Un chapitre est fort heureusement consacré aux romans graphiques indépendants, à commencer par la saga balzacienne sur 40 ans de Love and Rockets de Jaime, Gilbert et Mario Hernandez (une "série-monde" où "tous les genres sont convoqués par les auteurs, du soap à la science-fiction, du polar à l’horreur en passant par la comédie à l’eau de rose…"). A noter aussi, plus surprenant dans une telle section, La Jeunesse de Picsou de Don Rosa. Il faut également citer le brillantissime Tamara Drew de Posy Simmonds ou encore Mon Ami Dahmer de Derf Backderf, "l’album le plus dérangeant de ce guide, l’autobiographie romancée d’un ami d’enfance du « cannibale de Milwaukee », le tueur en série qui a terrorisé l’Amérique".

    Le comic-strip n’est pas oublié, avec le légendaire cycle Little Nemo de Winsor McCay, Peanuts de Charles M. Schulz ou encore, moins connu mais considéré comme "assurément l’un des auteurs les plus inventifs et drôles du moment", Tom Gauld et sa compilation Vous êtes tous jaloux de mon jetpack".

    Seinens et joseis

    La dernière section consacrée aux mangas japonais réussit la difficile mission de synthétiser un art à la fois pluriel et abondant (Sabu & Ichi de Shōtarō Ishinomori : "Shōtarō Ishinomori figure dans le Guinness Book avec ses 128 000 pages de manga"). Il y a bien sûr les emblématiques super-héros nippons, les Super Sentai (Dragon Ball, One Piece d’Eiichirō Oda, "la série de tous les records" avec ses 90 tomes). Seulement, à la différence du comics américain, les mangakas renouvellent sans cesse leurs sagas au long cours (30 volumes par exemple pour Yona : Princesse de l'Aube de Mizuho Kusanagi). 

    L’anthologie distingue seinens ("le manga pour jeune homme") et joseis ("le manga pour jeune femme"), des genres bien catégorisés qui cachent des influences et des thématiques très larges. Les auteurs puisent largement du côté de la mythologie (NonNonBâ de Shigeru Mizuki, "Figure incontournable du fantastique, de l’horreur et de la mythologie nippone"), de la critique sociale (GTO de Tōru Fujisawa), du polar (City Hunter de Tsukasa Hōjō),  de l’espionnage (Golgo 13), de la fantasy (L’attaque des Titans de Hajime Isayama), ou du conte (The Ancient Magus Bride de Koré Yamazaki, "une version moderne de La Belle et la Bête, selon les termes de l’autrice"). 

    Outre des récits intimistes, des réflexions sur le féminisme et sur le genre (Bonne Nuit Punpun d’Inio Asano), voire de l’érotisme (Le Monstre au Teint de Rose de Suehiro Maruo, "un petit voyage fascinant dans ces imaginaires macabres, portés par la beauté intemporelle des images."), le manga parvient à aller sur des chemins encore plus étonnants : l’uchronie (Le Pavillon des Hommes de Fumi Yoshinaga), la fiction historique et documentaires (le bouleversant Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa) ou la dark fantasy (Berserk de Kentaro Miura, "le titre le plus noir & le plus violent de ce guide. Depuis presque 30 ans, Berserk traumatise et fascine des générations de lecteurs").

    Des auteurs ressortent du lot, à commencer par  Osamu Tezuka, le "dieu du manga", dont, selon l'auteur, "il faut TOUT lire, lui qui a installé le manga moderne et en a exploré tous les genres." Le lecteur français sera plus sensible à Riyoko Ikeda et à La Rose de Versailles, connu dans nos contrées pour son adaptation Lady Oscar. Il faut aussi citer Sailor Moon de Naoko Takeuchi, un grand classique, même s’il a un peu vieilli, Nana d’Ai Yazawa, l’une des séries les plus vendues de l’histoire, ou à Jirō Taniguchi (Quartier Lointain), le plus européen des mangakas.

    Une preuve supplémentaire que le manga n’est pas ce divertissement populaire aux personnages et aux situations stéréotypées ? Il n’y a qu’à citer Une Vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi, "un des fondateurs du manga d’auteur et un instigateur du « gekiga », une forme nouvelle de fiction ancrée dans le quotidien" ou encore L’Homme sans Talent de Yoshiharu Tsuge, le maître du  "watakushi manga" ("le manga du moi"). Évoquons aussi le classique L’École emportée de Kazuo Umezu, "matrice du manga d’horreur moderne et du récit survivaliste".

    Comme pour la BD européenne, Thomas Mourier propose des auteurs et des œuvres à suivre, et parmi ceux-ci Blue de Kiriko Nananan (Une frontière floue entre fiction et non-fiction"), le splendide Bride Stories de Kaoru Mori ("À travers les yeux d’Amir, on découvre la vie des peuples nomades des grandes steppes, encore coupés du monde à l’heure de la révolution industrielle") ou encore Chiisakobe de Minetarō Mochizuki : "Désormais plus proche de la ligne claire européenne que du manga de ses débuts, le trait de Mochizuki vibre sous cette apparente froideur. Très stylisé et aérien, le dessin s’attache à montrer les émotions par des moyens détournés."

    Fans de BD et curieux désireux de parfaire votre culture générale, cette anthologie mérite largement de figurer parmi vos futurs cadeaux de Noël, si jamais vous êtes encore en panne d’idées.   

    Thomas Mourier, Anthologie du 9ème art, Bubble éditions, 2020 
    https://www.appbubble.com
    https://www.facebook.com/AppBubbleBD
    https://www.facebook.com/thomasm.bd

    Voir aussi : "Aimez-vous Tamara Drewe ?"
    "Gen d'Hiroshima, gens d'Hiroshima"

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  • Consolation

    De sa voix à la Enzo Enzo, Carole Masseport propose, avec son dernier single On se remet de tout, la plus belle des consolations. Le clip a été réalisé par Michaël Terraz.

    La musicienne chante les petites et les grandes blessures de la vie : "On dit qu’on se remet de tout / Jusqu’à ce que l’on ne s’en remet plus / On dit qu’il faut se mettre  à genoux pour aimer tout ce qu’on a perdu".

    Passer à côté de tout, échouer, essayer de comprendre, n’attendre rien de personne, pardonner au risque de ne pas se respecter : de ces faux-pas et échecs, Carole Masseport en fait des incidents de parcours que chacun peut dépasser, avec optimisme : "On dit que la vie n’est qu’un jeu / Que nul part ce sera mieux / Qu’on verra quand on sera vieux / A quoi bon être malheureux."

    On se remet de tout est le premier extrait de son nouvel album qui sort en mars, et sur lequel on croise JP Nataf, Albin de la Simone ou Jean-Jacques Nyssen.

    Carole Masseport, On se remet de tout, 2020
    https://www.carolemasseport.fr
    https://www.facebook.com/carolemasseportmusic

    Voir aussi : "Je ne suis pas un héros"

    Photo : Carole Masseport

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  • Un tour du jazz à la voile

    A Love Secret, que Mazeto Square ressort en DVD, peut se se regarder comme le film testament du jazzman Siegfried Kessler. Lorsqu’en 2002 Christine Baudillon a choisi de le suivre et de le filmer sur son bateau, elle ne s’attendait certainement pas à ce que le musicien décède 5 ans plus tard en mer, au large de La Grande-Motte.

    Grâce à des moyens réduits – la réalisatrice a filmé « Siggy » grâce à une petite caméra DV – on entre dans l’univers d’un artiste hors-norme, finalement autant marin que musicien. De son accent inimitable, avec un bagout et un humour confondants, Siegfried Kessler se confie sur son art, sur le jazz, sur son mode de vie, sur sa santé inébranlable malgré le tabac et sur sa consommation immodérée d’alcool, mais aussi sur la passion pour la mer et son Maïca.

    "La musique est un  langage", dit-il lors d’un de ses échanges, et cette musique ne se limite pas au jazz dont il a été une figure importante. Le film commence d’ailleurs par la Chacone de Bach, avant que ne résonnent tour à tour un morceau contemporain, des rythmes africains et, bien entendu, des titres jazz de lui-même ("Phenobarbital", "A Love Secret") ou de ses confrères, Ned Washington, Victor Young ou Thelonious Monk. Respecté par ses pairs, le pianiste né à Sarrebruck parle aussi de ses pianistes fétiches :  Thelonious Monk, Cedar Walton ou Walter Bishop.

    "La musique, il faut que ça voyage"

    C’est Archie Shepp qui est le plus longuement évoqué, précisément à la fin du film, avec des souvenirs et l’extrait d’un concert en duo au JAM de Montpellier ("Le matin des noirs"). Le marin Siegfried Kessler devient pianiste, au style alternant âpreté, délicatesse et poésie.

    "La musique, il faut que ça voyage", dit encore le jazzman, de son phrasé qui n’est pas sans rappeler celui de Karl Lagerfeld. Tout en évoquant Beethoven, Poulenc, Wilhelm Kempff ou le groupe Art Blakey and The Jazz Messengers, c’est bien d’une métaphore sur la mer dont il est question.

    Car, grand voyageur autant que musicien, Siegfried « Siggy » Kessler confie qu’il se sent d’abord comme un "loup de mer" faisant "parfois" de "bons concerts". La réalisatrice l’a suivi pendant un an, de La Grande-Motte au Frioul, en passant par l’Île de Planier.

    Le titre du documentaire de Christine Baudillon parle d’un secret amoureux. Il ne s’agit pas de jazz ni de musique mais de bateau et de voyages, précisément du port d’attache de Kessler dans le Frioul. "Je suis très heureux d’être en contact avec mon amour secret" confie-t-il à la réalisatrice. Et l’on voit l’homme à la proue de son Maïca, jouant au clavier, onirique et mystérieux, devant une crique rocheuse et désertique qui est son seule public. Le titre de ce morceau ? "A Love Secret", bien entendu.

    Siegfried Kessler, A Love Secret, documentaire de Christine Baudillon,
    Mazeto Square, DVD, 2004, 2020, 56 mn

    https://www.mazeto-square.com/product-page/siegried-kessler-a-love-secret-dvd
    https://www.facebook.com/MazetoSquare

    Voir aussi : "Éric Legnini et ses amis"

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  • Le trio Sōra vous souhaite un joyeux anniversaire, M. Beethoven

    Beethoven est célébré cette année, certes assez discrètement : nous fêtons en  effet ses 250 ans, précisément aujourd’hui (même si la biographie officielle hésite entre les dates du 15 ou 16 novembre 1750 pour la naissance du compositeur à Bonn). Cet anniversaire méritait bien une chronique.

    Et ça tombe bien : pour marquer l’événement, le Trio Sōra propose chez Naïve un premier album rassemblant 6 grands trios avec piano (les opus 1, 70 et 97) du maître allemand.

    Le Trio Sōra, ce sont trois musiciennes : Pauline Chenais au piano, Clémence de Forceville au violon et Angèle Legasa au violoncelle, dont l’entente autant que la subtilité et l’audace font merveille. Elles sont régulièrement invitées sur les plus grandes scènes mondiales (le Wigmore Hall de Londres, la Beethoven-Haus de Bonn, le Festival de Verbier, la Philharmonie de Paris, l’Auditorium du Louvre, la Folle Journée de Nantes ou encore le Festival d’Aix-en-Provence) et sont aidées par des instruments exceptionnels : Clémence de Forceville joue un violon Giovanni Battista Guadagnini de 1777 et Angèle Legasa, un violoncelle Giulio Cesare Gigli  de 1767. Ils ont été prêtés par la Fondation Boubo-Music.

    Avec ces Trios n°1, 2, 3, 5, 6 et 7, nous sommes dans des œuvres essentielles et capitales du répertoire de Beethoven, le premier trio, opus 1 (écrit entre 1793 et 1795) ouvrant même le catalogue du compositeur.

    Grand maître du classicisme, le compositeur s’affranchit de certaines libertés en imaginant un premier trio (opus 1 n° 1), long dans la forme et la structure, avec 4 mouvements, vif-lent-vif-vif. Une structure s'éloignant des canons traditionnels et a priori déséquilibrée, mais qui se joue des variations grâce à la subtilité des interprètes et leur indéniable osmose. À l’enthousiasme du mouvement Allegro répond la délicatesse romantique (nous pourrions même dire le romanesque) de l’Adagio cantabile, puis l’énergie communicative du troisième mouvement (Scherzo. Allegro assai). Il faut souligner la virtuosité et les arabesques proprement diaboliques de la dernière partie (Finale. Presto), influencées par les rythmes de danses traditionnelles, dont un mémorable menuet.

    Le 2e Trio, composé dans les mêmes dates (et catalogué opus 1 n° 2) comprend lui aussi quatre mouvements. Commençant sur la pointe des pieds, l’Adagio allegro vivace finit par se déployer avec audace, avant un Largo tout en retenue mais aussi en romantisme échevelé. Dans ce trio, Beethoven propose un 3e mouvement (Scherzo. Allegro assai) singulièrement plus bref (un peu plus de 3 minutes), mais d’une luminosité et d’une vivacité audacieuses.

    Même période de composition pour le 3e Trio, opus 1 no 3 : entre 1793 et 1795. Les musiciennes se lancent dans une interprétation soyeuse, solide, rythmée, nerveuse (Finale. Prestissimo) et aussi solide que l’airain. Ce trio brille de mille feux. Dans le mouvement Andante cantabile con variazione, nous sommes dans un mouvement d’une infinie délicatesse, à la manière d’une danse amoureuse, joueuse et sensuelle. Le 3e mouvement (Menuetto. Quasi allegro), relativement bref (3:22), est remarquable par sa série de variations et d’arabesques d’une incroyable subtilité et qui en fait l’un des joyaux de l’album.

    Un trio de musiciennes au diapason

    C’est sans doute dans le 5e Trio que l’osmose des trois musiciennes éclate le plus. Pour la petite histoire, Beethoven l’a composé sur le tard, après la création de le 5e et de la 6e Symphonie (la fameuse Pastorale). Dédiée à la comtesse Maria von Erdödy qui lui avait offert l’hospitalité, l’œuvre, opus 70 n°1, est appelée Trio des Esprits. Il règne dans ces trois – et non quatre – mouvements une atmosphère à la fois tourmentée, mystérieuse et sombre, à l’instar du premier mouvement Allegro vivace e con brio, d’où sans doute le surnom de l’œuvre. Le mouvement suivant sonne par moment comme une marche funèbre peuplée de fantômes (Largo assai ed espressivo), avant une dernière partie qui marque un retour à la vie. Le Trio Sōra prend en main le rythme presto avec gourmandise et même le sens de la fête.

    Tout comme son prédécesseur, le Trio avec piano n°6 opus 70 n° 2 est dédié à la comtesse Maria von Erdödy, et a bien sûr été écrit à la même période. Lyrique et virtuose dans son premier mouvement Poco Sostenuto Allegro Ma Non Troppo, il devient somptueux dans la partie suivante (Allegro), telle une danse langoureuse et envoûtante, ponctuée de passages mélancoliques, sinon sombres. Le 3e mouvement  Allegretto Ma Non Troppo, magnifique parenthèse enchantée tout autant que mystique, s’offre comme un des plus émouvants passages de l’album, avant le Finale et Allegro rugueux, expansif et d’une folle inventivité.

    Le disque se termine par le Trio avec piano n°7 en si bémol majeur, l’un des plus célèbres trios de Beethoven. Il est surnommé Trio à l'Archiduc en raison de sa dédicace à l'Archiduc Rodolphe d'Autriche, élève, ami du compositeur et accessoirement dernier fils de l’empereur Léopold II d'Autriche. C’est le plus tardif des trios, comme l’indique sa recension dans le catalogue (opus 97). Écrit en 1811, il s’intercale entre la 7e et la 8e symphonie. Il s’agit aussi du dernier morceau que le compositeur interprète en public, en raison d’une surdité de plus en plus sévère. C’est dire si ce dernier trio ne pouvait pas ne pas être présent sur l’enregistrement du Trio Sōra. Les musiciennes font merveille avec cet opus alliant virtuosité et puissance dans un Allegro Moderato singulièrement moderne. Une modernité éclatante dans les parenthèses sombres du 2e mouvement Scherzo allegro. Le 3e mouvement, Andante Cantabile Ma Però Con Moto, s’impose comme un des plus sombres et bouleversants qui soit. Nous sommes dans un passage à l’expressivité géniale, servie par un trio de musiciennes au diapason. Comment ne pouvaient-elles finir sinon par ce et dernier mouvement, Allegro Moderato Presto ? Un dessert léger, diront certains ; on préférera parler d’une conclusion faisant se succéder passages virevoltants, danses amoureuses, conversations badines et fuites au clair de lune, dans un mouvement sucré et rafraîchissant. 

    Joyeux anniversaire donc, M. Beethoven, un 250e anniversaire célébré avec classe par un des trios les plus en vue de la scène classique. 

    Ludwig van Beethoven, Trios, Trio Sōra, Naïve, 2020
    https://www.triosora.com

    © Astrid di Crollalanza

    Voir aussi : "Toutes les mêmes, tous les mêmes"

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  • Debbie, Thomas et nous

    Nous avions parlé de Thomas Cousin à l’occasion de la sortie de son formidable single "À perdre le sommeil". Voilà enfin son premier album solo, Debbie et moi, après avoir travaillé depuis plus de 20 ans  au sein de différentes formations (Aron’C, Tax Brothers & the old Racoon ou Shy).

    "J’ai passé 25 années de ma vie à « faire chanter » les autres, à m’habiller de leur pensée pour essayer de tailler sur mesure des mélodies et des mots qui les mettent en valeur, qui leur correspondent. Il y a 8 ans, un peu avant la naissance de ma fille, j’ai commencé à ressentir le désir et le besoin d’écrire des textes plus intimes. Des textes que je ne pouvais pas mettre dans la bouche de quelqu’un d’autre. J’ai commencé à accumuler trois puis quatre chansons, cette démarche a ouvert une brèche et je me suis retrouvé à écrire sur mon enfance, mes amours, mes névroses…" explique l’artiste.

    De fait, on retrouve l’appétence du chanteur pour des textes travaillés, poétiques, mélancoliques et invitant l'auditeur à se perdre dans l’aventure et la nature, à l’instar de "Voir la mer", qui ouvre l’opus : "A bout de souffle au bout des vents se perdre dans les océans c’est comme nager dans le désert / On pourrait marcher sur des braises ou bien se jeter des falaises et si on allait voir la mer."

    Il y a du Gaëtan Roussel dans cette manière de parer sa chanson française de teintes pop rock, avec riffs de guitares garantis ("Dans ma tête", "Jour de braise"), voire d’électro ("Chanson de pluie", "Pas comme tout le monde").  

    Thomas Cousin fait de son premier album un vrai voyage au long cours et une invitation à jeter les voiles, mais ces escapades sont aussi des promesses de rencontres et d’histoires d’amour : trains de nuit, hôtels discrets pour des rendez-vous amoureux, "dans un dernier sursaut de romantisme usé" ("Chanson de pluie").

    Un vrai voyage au long cours

    Le terme de "romantisme" n'est pas galvaudé pour un album poétique, plein de spleen, de promesses, mais aussi de constats sur l’inexorable fuite du temps (les chansons bréliennes "Toi tu crois", "La passerelle", "Que se fanent les roses").

    Tout en assumant ses influences du côté de ses brillants aînés – Brel, nous l’avons dit, mais aussi Ferré ou Roussel –, Thomas Cousin fait des incursions du côté de l’urbain, à l’instar de "J’crame tout", en featuring avec Aron Cohen. Un titre rap aux influences méditerranéennes. Encore un morceau qui invite à pousser les murs et à "changer d’air", parce que, "pendant ce temps là, le monde avance sans toi."

    Dans un album produit avec soin, Thomas Cousin se distingue comme un compositeur capable de faire vibrer grâce à des titres denses ("Parle-moi de nous") et écrits avec grâce ("À nos fenêtres nos solitudes devaient se chanter le prélude avant que l’on ne se fasse la belle / On est partis sous d’autres ciels à la recherche d’autres merveilles à vivre nos vies parallèles", "La passerelle"), sinon déchirement ("Je laisserai bien le temps, tu sais faire les choses / Sans que fanent les roses.").

    L’auditeur s’arrêtera avec émotion sur l’un des plus beaux titres de l’album, "La chaise vide", écrite pour le père du chanteur. L’opus se conclue sur un autre titre personnel, "La plantade" : Thomas Cousin y parle d’un des lieux de son enfance : "Au rendez-vous de ma mémoire, moi j’y vais souvent faire un tour / Dans ton jardin et dans l’espoir de pouvoir y cueillir des toujours."

    Thomas Cousin, Debbie et Moi, Champ Libre, 2020
    https://www.facebook.com/ThomasCousinpage

    Voir aussi : "Voyages intimes de Thomas Cousin"

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  • Chut, les enfants ! Papa et maman sont occupés...

    Flore Cherry, on la connaît bien sur Bla Bla Blog, tout autant que Guenièvre Suryous. Le duo féminin poursuit sa série des Guides de Survie sexuelle  (éd. Tabou), avec un nouvel opus consacré aux parents.

    Les auteurs – Flore Cherry au texte et  Guenièvre Suryous au dessin – gardent l’esprit des précédents volumes qui étaient consacrés à l’étudiant.e, à la buisiness girl ou à la vacancière : un livre pratique, ramassé (moins de 130 pages), alliant chapitres courts thématiques, témoignages, pages fun de culture générale ("Culture Q"), les "listes des top 5" et fiches pratiques. Aborder la question de la parentalité manquait au projet des deux auteures : c’est chose faite avec ce Guide de Survie sexuelle des Parents.

    Un vrai vade-mecum faussement léger et qui n’hésite pas à aborder des sujets graves : "retrouver son corps après l’accouchement", l’impact de l’allaitement sur la libido et bien entendu le problème de charge mentale chez les femmes et mères.

    Mais qu’est-ce qu’un parent au juste, se demandent les auteures ? "C’est avant tout quelqu’un qui se sent en charge et responsable d’un autre être humain." La réponse a le mérite d'être simple et claire.

    Réussir son quickie

    Comment conserver une vie sexuelle saine et épanouissante après l’arrivée d’un enfant ? Voilà un sujet capital que beaucoup de parents connaissent et qui est au cœur du livre. En préface, Eve de Candaulie écrit ceci : "Dans nos sociétés, il y a parfois une forme d’injonction au bonheur quand on devient parent, alors qu’il est difficile de s’occuper d’un tout-petit, d’essayer de communiquer calmement par le geste, la parole, de vivre les moments de colère et de frustration d’un enfant." Le bonheur passe aussi par le plaisir, ajoute-t-elle. Et même de l’auto-érotisation, qui peut être une clé pour se retrouver physiquement, comme le dit plus loin Flore Cherry.

    Après quelques portraits types de parents, les auteures s’attaquent au sujet proprement dit, avec leurs traditionnelles "fiches de premiers secours" : "Comment être à la fois parents et amants ?", "Comment gérer une infidélité dans le couple ?", "Comment parler de sexe à ses enfants ?", "Comment réussir son quickie ? » D’ailleurs, à ce sujet, savez-vous ce qu’est un quickie ?

    Trucs, astuces et conseils (par exemple sur les sex-toys) sont complétées par la rubrique "Marécage des questions relous". Si jamais on vous dit "Et tu laisses ta femme allaiter dans l’espace public", "Et vous l’appelez comment le petit ?"ou "Et vous continuez les soirées BDSM ?", vous saurez quoi répondre à coup sûr.

    Et pour finir de faire de ce guide un livre sympa et sexy comme tout, il y a les dessins de Guenièvre Suryous. Flore Cherry écrit ceci : "C’est quoi le sexe ? On ne va pas vous faire un dessin ! (En fait, si. On en a même fait plusieurs)." 

    Flore Cherry et Guenièvre Suryous, Guide de Survie sexuelle des Parents, éd. Tabou, 2020, 128 p.
    http://www.tabou-editions.com

    http://guenievre-illustration.com
    http://popyourcherry.fr

    Voir aussi : "La vie (sexuelle) des jeunes"

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  • Le retour des Ninja

    NinjA Cyborg, c’est Martin Antiphon et Marc Botte, de retour avec The Sunny Road, un EP au titre aux mille promesses. Pour illustrer leur EP, le duo français a choisi un visuel de Georges Gold Design renvoyant aux affiches de cinéma fantastique des années 70 et 80. Les morceaux du groupe sont majoritairement réalisés en analogique, et mixés dans la Studer 903 de Music Unit, donnant à cet opus un cachet vintage.

    Avec "Supramount pictures" et "Psycho Panic", nous sommes dans une entrée en matière, toute en vagues synthétiques à la manière d’une BO de série B,.

    De même, "The Sunny Road", qui donne son nom à l'EP, se veut un hommage appuyé aux Robocop, Supercopter et autres monuments cultes de la pop culture. Films de SF et nanars sont assumés grâce à, un son électro eighties régressif. Pour ce titre, le duo a imaginé un vidéo-clip réalisé en stop motion par Jef Dubrana et Olivier Hernandez de Freaks Motion Studio. "The Sunny Road" raconte les aventure de Gordon, un Cyber Ninja suivant les ordres pour aller défier les méchants de la ville de Sun City. Le film a été réalisé image par image, en pâte à modeler.

    Un hommage aux Robocop, Supercopter et autres monuments cultes de la pop culture

    Avec "A Walk With Jane", NinjA Cyborg montre qu’il est capable de morceaux planants, à la manière de capsules spatiales catapultées à des milliards d’années-lumière et ponctués de respirations extra-terrestres. Tout aussi intersidéral, "Lighting" adresse un clin d’œil appuyé à Jean-Michel Jarre.

    Avec "Sky Diving", en featuring avec Wild Fox, les NinjA Cyborg sont sur le terrain d’une pop plus classique, mais qui ne tourne pas le dos pour autant à la facture eighties, avec une voix juvénile à la Kylie Minogue,, lorsque la toute jeune Australienne se faisait connaître dans ses premiers tubes.

    On ne peut pas dire que les NinjA Cyborg s’arrêtent à un seul style : "Masters Of Fury" propose un rock échevelé dans lequel les guitares électriques s’enveloppent dans des nappes synthétiques. Ça cavalcade dans un instrumental qui ne se pose pas de questions.

    Le EP se termine par un atterrissage en douceur, avec "Gentle Corps", une courte étude sombre à la Mike Oldfield. Et aussi, de nouveau, un hommage à ces chères années 80.

    NinjA Cyborg, The Sunny Road, EP, 2020
    http://www.ninjacyborg.fr
    https://www.facebook.com/NinjACyborgMusic

    Voir aussi : "Vortexvortex, du côté de chez Harley Quinn"

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  • La seule règle qui vaille est qu'il n'y a pas de règle

    Le public français découvrira avec la plus grande curiosité Marie-Gold, ancienne membre du collectif canadien Bad Nylon. Cette musicienne nous vient du Québec et propose un rap venu de ce coin de l'autre côté de l’Atlantique.

    Parce que nos cousins canadiens tiennent à leur langue tout autant que nous, il est passionnant de voir comment Marie-Gold parvient à libérer son flow dans son premier album solo opportunément intitulé Règle d'Or, évidemment en rapport avec son nom. Mais il s'agit aussi d'une référence à une citation de George Bernard Shaw: "La seule règle d’or est qu’il n’y a pas de règle d’or". Vous avez quatre heures pour disserter...

    Dans cet opus, conçu en collaboration avec des beatmakers montréalais, français et belges, la chanteuse se livre à corps perdu : "Marie-Gold dans la jungle des animaux / S’accroche à son style comme une anémone / Si tu veux blesser je connais les mots", comme elle le scande dans "JACK". Libre dans sa tête, libre dans son corps, la rappeuse délivre "La seule règle" qui vaille : un album aux rythmes hip hop ("Goélands"), volontiers minimaliste et lorgnant aussi largement du côté de la chanson française ("La seule règle").

    Écrit à la première personne, Marie-Gold pousse son travail d’écriture jusqu’à proposer des textes à la langue charpentée et largement mâtinée d’anglais : "Car je passe mes journées à faire des maths / En m'demandant qu'est-ce que je calice à pas faire plus de rap / But I guess que c'est calculé, l'encre still finit par couler / J'ai fais un portrait du futur, je l'ai juste mal cloué" ("Pousse ta luck").

    A l’instar de "Crache sur vos tombes", la Québécoise délivre un album rugueux qui plonge dans son quotidien, son passé, ses espoirs, ses rêves mais aussi les déceptions d’une artiste : "J'ai pas manqué de flair, en renonçant à vos sons / So vous m'oublierez, j'espère pis j'irai cracher sur vos tombes". Sans oublier ce foutu argent ("Aucun bling"). Écouter Règle d’or c’est entrer dans la tête d’une fille d’aujourd’hui, avec ses galères, ses interrogations et ses ras-le-bols : "J’peux pas sortir d’mon lit / J’ai l’système démoli / Perico et Molly / La drogue nous fait faire des folies / J’peux pas quitter l’logis" ("Goélands").

    Libre dans sa tête, libre dans son corps

    "Mémoire" est l’un des meilleurs morceaux, à la composition particulièrement soignée et mêlant rap et chanson, avec un message féministe, à l’instar de sa consœur Samuele : "Les gentilles filles ont aussi le droit d'être en colère / Mais t'oublies de te contenir, il faut le reconnaître / Les gens exagèrent, pardonne-leur… / Rappelle-toi ceux qui t'aiment, t'aiment, t'aiment / Oublie ceux qui te down, down, down / Malgré tout ce que tu donnes, everything's never enough / Au moins tu dormiras bien dans ta tombe."

    Marie-Gold assène ses titres avec une rare puissance, ponctuant ça et là son album de titres insouciants, voire aux trouées lumineuses. C’est le cas du duo avec Stone, riche de promesses en weed et en nuits blanches : "J'veux faire tourner la terre / J'veux faire tourner les têtes / Quitte à m'en jeter à terre / Smoke weed ‘til I die - excès, tu adhères / On en reparle plus, on revient à nos affaires" ("s.w.t.i.d."). C’est aussi le cas du titre "Doser", plus électro que rap, au texte dense, surréaliste et poétique : "Je préfère être l’amour qu’être celle qu’on adore / Je vous salue Marie, j’peux-tu croire en Chloé ? / Dans ce pays d’Oz aux idoles krizokal et aux âmes encodées / Où l’espérance se dose / En frappant tous les murs dans la boîte de Pandore? / Démesure ! / Même l’histoire ne m’a pas dosée ! / Au futur, il me souffla ! La vérité".

    La vérité, l’amour, le combat quotidien pour être soi, la liberté. La vie selon Marie-Gold, quoi.

    Marie-Gold, Règle d'Or, Les Faux-Monnayeurs, 2020
    https://www.facebook.com/marie.goldgoldmusique
    https://marie-gold.bandcamp.com/album/r-gle-dor

    Voir aussi : "Les filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent"

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