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  • Contes symphoniques de Samy Thiébault

    Nous avions parlé il y a quelques semaines du précédent album de Samy Thiébault, Caribbean Stories et de son jazz se nourrissant de couleur créoles et caribéennes. Revoilà notre saxophoniste avec Symphonic Tales, un album tout autant syncrétique et bigarré, et cette fois avec grand orchestre, pour un alliage ambitieux entre jazz, classique mais aussi musiques du monde.

    Ces contes symphoniques avec l’Orchestre Symphonique de Bretagne, sous la direction d'Aurélien Azan Zielinsky, sont autant de morceaux de bravoure, d’une ambition désarçonnante. Le premier titre, The Flame, cueille ainsi a froid l’auditeur grâce à son opulente richesse musicale aux parfums orientaux.

    Pour cet opus, Samy Thiébault s’est entouré, en plus de l’ensemble symphonique breton, d’Adrien Chicot au piano, Sylvain Romano à la contrebasse, Philippe Soirat à la batterie et Mossin Kawa au tablas. "Après m'être réapproprié la lenteur, j'étais mûr pour l'orchestre" commente le saxophoniste de jazz, qui avoue aussi s’être essayé à la composition symphonique lors de ses études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. "Cela correspond à des choses que je voulais entendre chez moi depuis longtemps"ajoute-t-il, dans cet opus finalement plus personnel que ne laisse entendre la réalisation impressionnante de Sébastien Vidal et de Philippe Teissier Du Cros au son.

    Facture classique et facile ? Non : mais romantisme et goût de l'épique, à l'instar d'Élévation dont la puissance lyrique est contrebalancée par un deuxième mouvement jazz que l'on croirait cinématographique.

    Les deux premiers titres de ces Symphonic Tales constituent à eux seuls presque la moitié d’un album composé de huit morceaux. C’est dire la place de The Flame et Élévation, impressionnants dans leur architecture comme dans leur orchestration. Samy Thiébault ignore la frontière entre jazz et classique, entre John Coltrane et Claude Debussy ou entre Ravi Shankar et Maurice Ravel.

    Diva and Shiva, romanesque et enlevé, donne au saxophone toute sa place comme si le jazzman proposait un concerto bigarré, coloré et aventureux. Pour Jahan Jog Joy, on sent tout le parfum orientalisant, laissant aussi toute sa place à l’ improvisation. À l’instar du titre Ajurna, aux percussions d’une belle variété, l’artiste mixe les influences avec une passion communicative.

    L'album se termine sur un Diwali concis, mais non moins coloré en guise de clôture délicate et déroutante.

    Samy Thiébault, Symphonic Tales
    Avec l’Orchestre Symphonique de Bretagne, s
    ous la direction d'Aurélien Azan Zielinsky
    Gaya Music/l’Autre Distribution, 2019

    http://www.samythiebault.com
    https://www.facebook.com/samythiebault

    Voir aussi : "Les histoires caribéennes de Samy Thiébault"

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  • Des tatoos plein la tête

    Je vous avais parlé il y a quelques semaines de Maya Kamaty et de maloya, cette musique créole venue de La Réunion. Dans Tatoo Toota, Marjolaine Karlin vient puiser elle aussi dans cette culture, mais d’abord en français, pour un album coloré. Délicieux, délicat et sensuel cet opus l’est, mais aussi riche de folies poétiques mais aussi de noirceurs : "Tombe tombe la pluie / (Tu t’en vas) / Tombe tombe sur l’incendie / (Tu t’en vas) / Qui consume ma chair / Qui consume mes nerfs . Et je vois se polliniser / Les petits bouts carbonisés / De mon âme perdue devant sa dispersion / Aux quatre vents" (Tatoo).

    Tatoo Toota se pare d’une facture légère, portée par une orchestration à la fois rythmée et colorée. Chez Marjolaine Karlin, la rupture est, par exemple, traitée avec un mélange de légèreté et de mélancolie : Comment rompre parle de séparation, des luttes conjugales, des silences cruels, des batailles autour des enfants, des incompréhensions et des propos inavouables sur un rythme lancinant : "Comment rompre un silence / Dur comme un lac gelé / Sans que cette ouverture / N’inonde le plancher."

    Avec Madame la chanson, la musicienne aborde un sujet classique dans le répertoire français : la chanson, justement, dans une conversation avec cet art "mineur" adoré : "Ma mère / Ma sœur / Ma déraison / Mon cœur / Ou bien juste mademoiselle." Marjolaine Karlin revient donc à ses premiers amours, après une parenthèse assumée pour, sans doute, l’une des meilleures raisons qui soit : "Madame la chanson si je t’ai laissée infidèle / C’est la faute au petit garçon que m’a donné la vie réelle."

    En duo avec Camélia Jordana

    Avec Boat Train, Jaipour et Jewish Cemetery, la co-fondatrice du groupe Wati Watia Zorèy Band (sélection FIP en 2016, après une carrière au sein de Moriarty) propose des titres anglo-saxons sombres et lancinantes. Elle se fait naturaliste avec Boat Train, voyage dépaysant dans des contrées indiennes, voyage qui fait sens pour une artiste bourlingueuse qui a choisi d’inscrire son opus sous le signe du maloya réunionnais. Avec Jewish Cementery, la musicienne puise par contre dans le yiddish pour proposer un titre où se mêlent mélancolie, joie contenue, douceur sensuelle et tristesse que l’on tente de déguiser, un titre auquel vient faire écho In Geto, un a capella court et à la voix sensuelle.

    Marjolaine Karlin se fait fiévreuse et terrorisée dans le récit d’un drame vécu par un enfant en proie à la violence, "au mauvais endroit, au mauvais moment" : "Au feu maman j’ai froid / Mon sang se glace et bouillonne à la fois/ Au fou maman je crois / Que tout s’écroule autour de moi." Ce récit de peur, de mort et de violence vient en contrepoint d’un album lumineux dans son ensemble.

    Avec La vérité, sans doute le meilleur titre de l’album, Marjolaine Karlin, en duo avec Camélia Jordana, propose une chanson tout en finesse et en images sur cette vérité bien cachée, adorée mais souvent tenue précautionneusement à l’écart : "Comme un vieux collier / Comme un vieux parfum / Le nom de famille / D’un aïeul lointain / Je n’ai jamais porté / La vérité / Ce n’est qu’un drap sale / Un mouchoir qui a vécu / Une veste râpée / Un sac qui ne ferme Plus / Tous ces trucs insortables / Que j’aime et que j’adore / Que je garde au grenier / Qui sont mon réconfort / Mais qui devant les gens /Même cachée m’incommode / Comme s’ils étaient honteux / Ou juste passés de mode." Aurions-nous peur de cette vérité, se demandent les deux chanteuses ? "Et si j’ai l’air de la vêtir un matin d’abandon / Ne m’en faites surtout pas compliment / Peut-être qu’elle est belle et peut-être que je mens."

    Tatoo Toota se termine par un voyage au cœur de l’océan indien, sur un rythme et des sonorités mêlant rockabilly, électro et maloya : un vrai voyage intérieur se terminant en musique, en danse, en couleurs et en flux marins.

    Marjolaine Karlin, Tatoo Toota, Les Psychophones Réunis/Modulor, 2019
    Page Facebook de Marjolaine Karlin

    Voir aussi : "Maya Kamaty, la diva du maloya"

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  • Plans à Troie

    cosimo ferri,achille,iliade,panthéon,troie,illiade,homère,mythologie,érotisme,sexeBon, on ne va pas se le cacher : cette bande dessinée mythologique autour d’Achille et de la guerre de Troie n’est à mettre entre toutes les mains. La saga Achille de Cosimo Ferri (éd. Tabou) propose une lecture à la fois palpitante, chaude et anti-classique au possible, tout en respectant l’esprit et l’histoire de la guerre mythique provoquée par l'enlèvement de la belle Hélène. L'auteur italien ne passe pas sous silence les luttes entre eux des dieux du Panthéon, aussi obnubilés par les luttes de pouvoir que par des considérations plus sensuelles.

    Pour ce cycle consacré à Achille, avec deux volumes parus et un troisième en préparation, Cosimo Ferri, au scénario et au dessin, s’est basé sur les sources de l’épopée troyenne, en premier lieu l’Iliade d’Homère.

    Le premier volume de ces ébouriffants albums de BD débute dans l’Olympe, là où se déclenche la grande discorde, provoquée par Éris qui n’a pas été invitée aux noces de Pélée et de la belle Thétis. La dispute et la jalousie va provoquer insidieusement le conflit légendaire de Troyes, en mettant le prince Pâris sur le chemin d’Hélène, la plus belle femme du monde mais aussi la fille du roi de Sparte, Ménélas. C’est le casus belli qui déclenche un conflit de dix ans, avec ces héros légendaires que sont Ulysse, Hector, Ajax et bien entendu Achille, le fils de Thétis.

    Le premier tome de la saga est consacré au déclenchement de la guerre de Troie, avec ces récits légendaires : l’enlèvement de la belle Hélène, l’éducation d’Achille avec le centaure Chiron, le départ vers Troie et les doutes d’Achille qui hésite à s’engager.

    Un style maniériste

    Avec le second volume, nous voilà de plain-pied dans l’Iliade et cette dernière année du conflit contée par Homère : les Grecs ont bafoué Apollon en enlevant – à leur tour – une jeune femme, Briséis. Cette Troyenne a été capturée par le roi Agamemnon et devient la captive d’Achille, non sans que la sculpturale otage n’y trouve quelque plaisir. Une peste (puisqu’il faut bien l’appeler par son nom) ravage les rangs des Achéens. Agamemnon contraint Achille de libérer Briséis, provoquant la colère du héros. Par vengeance, le plus célèbre des héros achéen se retire du conflit qui tourne en la faveur des Troyens. Il faudra la mort au combat de Patrocle pour que le fils de Thétis rejoigne le rang des Grecs.

    Pour conter le récit légendaire, Cosimo Ferri a respecté la trame du cycle troyen comme de la mythologie, tout en adoptant un style maniériste. Son coup de crayon permet de dépoussiérer la légende troyenne, avec des personnages, hommes et femmes lorsque ce ne sont pas des dieux et des déesses, s’abandonnant dans des étreintes savamment orchestrées, dans toutes les positions possibles, et dans les plans les plus épicés possibles. Voilà qui rend L’Iliade d’un seul coup plus sexy. Les corps sculpturaux prennent vie dans des scènes d’une forte tension érotique, à l’instar de celle dans le domaine sous-marin des Néréides ou du plan à trois aux portes d’Ilion entre Achille, Patrocle et Briséis (tome 2).

    La série mythologique de Cosimo Ferri assume son parti-pris érotique, un parti-pris qui a du sens si l’on songe aux intrigues amoureuses que l’on prêtait aux dieux de l’Olympe. L’artiste italien revient finalement aux fondamentaux : une Hélène à la beauté ravageuse, des amitiés viriles et passionnées, des démiurges à la libido hyper développée et des humains irrésistibles et beaux comme dieux.

    Cosimo Ferri, Achille, tome 1, La Belle Hélène, éd. Tabou, 2018, 64 p.
    Cosimo Ferri, Achille, tome 2, Pour l’Amour de Patrocle, éd. Tabou, 2019, 64 p.
    https://www.cosimoferri.com
    https://www.facebook.com/cosimoferriart

    Voir aussi : "Du sex-appeal à réveiller les morts"

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  • Éric Legnini et ses amis

    Eric Legnini a choisi le clin d’œil à la série Six Feet Under pour son nouvel album, Six Strings Under, un album qui n’a pour autant rien d’un calembour. Il prône même à sa manière le sérieux et le travail grâce à un projet artistique passionnant mettant en avant le piano mais aussi la guitare – ces fameux six cordes – dans tous ses états.

    La dernière production du complice de Joe Lovano, des frères Belmondo (Wonderland), de Claude Nougaro (son dernier album, La note bleue) ou encore d’Ibrahim Maalouf propose un opus attachant a la production soignée, chaleureuse et bigarrée se nourrissant avec délectation de multiples influences : cool (Night Birds), pop (Space Oddity), rock (The Jive), latinos (La Mangueira), afrobeat (Boda Boda) ou manouches (la reprise du classique d’Edgar Sampson, Stompin' At The Savoy). Un vrai voyage aux quatre coins du monde.

    Le pianiste belge, lauréat de la Victoire du Jazz 2011 du meilleur album de l’année, déroule en virtuose dans des titres où l'improvisation sait se faire sa place (Boda Boda), et avec à chaque fois une importance capitale laissée aux deux guitaristes qui l’accompagnent ici : Hugo Lippi et Rocky Gresset.

    Éric Legnini a su s’accompagner de musiciens – dont le contrebassiste Thomas Bramerie – aussi investis que lui dans cette belle production. Le jazz respire la voie de vivre, même dans ses morceaux les plus mélancoliques (Breakfast At Dawn). La cool attitude est évidente, par exemple dans ces dialogues concertants pour piano et guitare (Doo We Do), telles des étreintes rieuses.

    Une reprise lente et sombre de Space Oddity

    Le jazz de Six Strings Under est une déambulation musicale, empruntant des sons et des mélodies cinématographiques, nostalgiques et pleines de relief (Eterna Gioventu, Daydreaming).

    L'auditeur s'arrêtera sans doute avec intérêt et curiosité sur la reprise lente et sombre de Space Oddity. Le classique de David Bowie dévoile, plus encore que l'original sans doute, son architecture musicale. Le pianiste belge dit ceci : "C’était le challenge : je voulais une version lente et dépouillée. Mais je voulais aussi coller au plus près de la mélodie et de son interprétation originale."

    Après cette incursion dans la pop, Éric Legnini nous fait redescendre sur terre dans le titre enlevé, rythmé et coloré qu'est La Mangueira, un morceau dédié à la musicienne Marcia Maria, disparue en 2018. Quant à Stompin' At The Savoy c'est un passage par le jazz parisien de Django Reinhardt dont le son a accompagné l’enfance liégeoise du pianiste belge.

    The Drop nous entraîne vers un jazz moins rutilant, caressant nos oreilles et déroulant ses notes avec une belle élégance, tout comme du reste Night Birds, jolie promenade noctambule dans un New York rêvé. Éric Legnini et ses amis terminent cet album avec un Jive à la fraîcheur communicative.

    Au final, Six Strings Under vient vient contredire l’adage comme quoi pianistes et guitaristes ne feraient pas bon ménage. CQFD.

    Éric Legnini, Six Strings Under, Anteprima Productions, 2019
    http://www.ericlegnini.com

    Voir aussi : "Ibrahim Maalouf, déjà un classique"

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  • Adieu, prime jeunesse

    lola nicolle,roman,parisLola Nicolle signe avec Après La Fête (éd. Les Escales) un de ces romans emblématiques de la génération Y et un véritable récit sur le désenchantement, la séparation et les amitiés que l’on tient encore à bout de bras mais que l’on sait sur le déclin. Il n’est du reste pas anodin de préciser que le roman de Lola Nicolle démarre le 13 novembre 2015, date historique, tragique et funèbre.

    Raphaëlle, brillante étudiante en lettres, s’apprête à se jeter dans le grand bain du monde professionnel, plus précisément dans l’édition, et non sans réussite il faut le dire. Ce passage capital dans l’âge adulte marque aussi la fin des fêtes étudiantes, de rêves, d’amitiés mais aussi, pour elle, d’une relation compliquée avec un petit ami qui semble toujours naviguer entre deux eaux ("Sans le savoir, tu gis là, innocent dans mon regard. Comme par le trou d'une serrure, j'observe la vie que nous n'aurons jamais. Les choix qui font bifurquer. Cette case de notre passé dans laquelle je t'avais rangé").

    La narratrice, jeune femme chanceuse et gâtée par la vie, propose un regard aiguisé et acide sur son pays et sur une capitale devenue un monstre à la fois attirant et repoussant : "Impossible pour les jeunes Parisiens de choisir un quartier. Ce sont les quartiers qui les trouvent, en fonction de la somme de toute façon exorbitante qu’ils sont prêts chaque mois à débourser… Bientôt les grandes villes européennes ressembleraient à des halls d’aéroport. Le chant des valises à roulettes résonnant chaque matin, chaque soir, dans les rues bien endormies de la capitale."

    L’éblouissement de la culture dans les milieux populaires

    Délaissant la facture bobo, que le roman laissait craindre, au profit de la nostalgie et d’une touchante mélancolie, Lola Nicolle avance aussi à pas feutrés sur le terrain social lorsqu’elle parle de la famille de celui qui ne sera bientôt plus qu’un ex. D’une plume à la fois précise et imagée, l’auteure évoque l’éblouissement de la culture dans les milieux populaires ("Jamais tu ne t’arrêtais de lire. Tu achetais les livres par cinq, dix, de poche et d’occasion, chez les revendeurs qui bordaient le boulevard. Lorsque nous croisions une librairie, c’était plus fort que toi ; tu entrais, embrassais du regard l’ensemble des rayonnages. Tu aurais aimé avoir tout lu"), de la barrière symbolique entre le Paris fantasmé et les banlieues des deuxième, troisième ou cinquième zones, des rêves de réussites déçus ("À cette époque, on encourageait les plus jeunes à intégrer des écoles de commerce, à se laisser des portes ouvertes : généraliste en rien, spécialiste en vide") ou de son goût générationnel pour la culture urbaine et rap (50 Cents, PNL, NTM, Ménélik ou IAM).

    Lola Nicolle se fait observatrice d’un désamour qui va croissant, sans pour autant abandonner la tendresse qu’elle porte encore à celui qui a accompagné les derniers temps de sa prime jeunesse et qu’elle veut fixer à jamais ("Je faisais des clichés de ton corps fragmenté. En gros plan, ta bouche. Tes merveilleuses lèvres. Les tâches de rousseurs constellant tes épaules. Tes pieds, lorsque tu étais allongé… Ton corps meuble-Ikea").

    Raphaëlle, navigue, à la fois consciente d’être une privilégiée mais aussi terrifiée par un futur peu réjouissant : les avertissements terrifiants du GIEC, les barrières sociales et la "corruption" des modèles anciens. Comment être heureux dans un monde marchandisé ? Comment être femme et féministe au milieu de modèles imposés ? Comment aussi réinventer la fête et comment la faire durer si c’est encore possible ?

    Adieu, chère adolescence et prime jeunesse, semble écrire Lola Nicolle qui n’entend pas non plus enterrer ses toutes jeunes années : "Et aussi, pour toujours, il y aurait le premier baiser, les bateaux chavirés, l’ivresse des beaux jours… même si chacun s’était éloigné."

    Lola Nicolle, Après La Fête, éd. Les Escales, 2019, 155 p.
    https://twitter.com/lolanicolle

    Voir aussi : "Nous nous sommes tant aimés"

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  • Mémoires d’une jeune fille rongée

    johanna zaïre,rebirth,témoignage,autoédition,spDans la pléthore d’autofictions dont la sincérité et la droiture peuvent laisser à désirer, le témoignage de Johanna Zaïre, Rebirth, dénote par sa franchise à toute épreuve, son côté cash et sa facture : le récit d’une trajectoire édifiante de la dépression vers une incroyable reconstruction grâce aux arts. "Un jour, j'ai entamé une descente aux Enfers et je me suis perdue. J’ai cherché à partir et je suis restée. Combattre mes démons, essayer de comprendre, me sentir différente, être différente, me battre pour être enfin moi-même et m'en sortir."

    Cette différence porte un nom : "surefficience mentale". Johanna Zaïre résume cette caractéristique psychologique ainsi : "Je ne suis pas plus intelligente que toi ou quiconque, rien à voir avec le fait d’être surdoué, c’est plus compliqué que ça. Pour résumé, je dirais simplement que contrairement à « la norme », je fonctionne davantage avec mon cerveau droit, hôte de l’imagination, l’intuition, la créativité, les émotions et les pensées foudroyantes… Je ne supporte pas la lumière, ni les goûts extrêmes (acide/amer), ni les fortes odeurs… C’est ce qu’on appelle l’hyperestésie : la sensibilité accrue aux sens."

    Hyperestésique et surefficiente, la jeune femme doit faire face dès son adolescence à une double épreuve : l’accident mortel de son petit copain et le suicide quelques jours plus tard d’un de ses meilleurs amis. Ces deux drames, coup sur coup, marquent le début d’une "descente aux enfers" marquée par la dépression, les conduites à risque et les tentatives de suicide.  "Tombera ou tombera pas ? (…) Comment prévenir une chute ou une descente aux enfers ?" résume l’auteure en toute fin de son livre, qui est autant le témoignage d’une jeune fille rongée intérieurement que le récit d’une lente reconstruction.

    World War Web, sélectionné dans plusieurs festivals internationaux

    Johanna Zaïre se lance à corps perdu dans les arts – la musique, la littérature puis le cinéma – qui vont finir par devenir indispensables à l’équilibre de la jeune femme : publications (Sanatorium, World War Web ou Les Roitsy de Magara Kisi), compositions, concerts ou tournages rythment une vie trépidante, marquée également par des déceptions personnelles, sentimentales et artistiques comme par les impératifs professionnels.

    Véritable récit thérapeutique, Rebirth est un livre confession total dans lequel se succèdent sans fard ses souvenirs non-édulcorés, ses accusations adressées à d’anciens proches, des photos, des reproductions de courriers ou de textes manuscrits et surtout des flash-codes invitant le lecteur à découvrir quelques-uns de ses titres ou des vidéos (dont le clip World War Web, sélectionné dans plusieurs festivals internationaux). Rebirth est complété par des illustrations de Thibault Colon de Franciosi.

    "De la cendre… C’est ce que j’étais il y a treize ans" confie Johanna Zaïre. En véritable artiste qui a choisi la liberté, hors de toute structure, pour bâtir une œuvre sans limite, mêlant musiques, littérature et vidéo. Un témoignage à lire, à vivre et à suivre.

    Johanna Zaïre, Rebirth, de la cendre au Phoenix, autoédité, 379 p., 2019
    https://www.johannazaireofficiel.com

    Voir aussi : "Brigitte Bellac, toujours debout"

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  • Maya Kamaty, la diva du maloya

    Ambitieux, dépaysant et délicat comme une brise un soir d’été, Pandiyé, le dernier album de Maya Kamaty fait partie de ces jolies découvertes musicales.

    Quatre ans après son précédent opus, Santié Papang, coup de cœur de l’Académie Charles Cros en 2014, la chanteuse réunionnaise revisite le maloya qui est un des genres musicaux de son île natale : "Cela aurait été trop facile de refaire Santié Papang, j’ai besoin de me mettre en danger, de prendre des risques" commente l’ancienne choriste du collectif réunionnais Ziskakan dans ce projet musical audacieux et très réussi.

    Le maloya, créé vraisemblablement par des esclaves venus d’Afrique de l’Est et de Madagascar, a été interdit un temps par l’administration française qui voyait mal cette expression d’une forme d’indépendantisme en pleine période de décolonisation. Une époque révolue, à telle enseigne que le maloya a est classé par l'UNESCO au patrimoine culturel immatériel de l'humanité depuis 2009.

    C’est en créole réunionnais (kréol réyoné) que Maya Kamaty chante. Pandiyé est une véritable revisite d’un maloya ultra moderne mais respectueux de l’ADN de cet art, et dans la langue, et dans le rythme (Varkala), et dans les danses (Diampar) et dans les instruments traditionnels tels que le roulèr, la takamba ou le kayamb (Lam an Doz).

    Une véritable revisite d’un maloya ultra moderne

    Cela n’empêche pas l’artiste d’insuffler à cette musique de l’électro (Pandiyé), des sons travaillés sur machines (Lodèr Kabaré) et des rythmiques contemporaines (Kaniki) dans un album à la fois sensuel et planant, à l’instar de Dark River, un titre en anglais et rappelant singulièrement l’audacieuse et islandaise Björk.

    Trakasé et Diya, en créole réunionnais, peuvent s’inscrire pleinement dans la tradition de la chanson : travail sur le texte, instrumentation plus occidentale (le piano de Diya), rythme pop et puissance de l’interprétation (Trakasé).

    Sur la trace de ces prédécesseurs qui avaient enrichi le maloya d’instruments et de styles occidentaux (maloya funk-rock, maloggae, maloyaz ou le maloya "kabosé") Maya Kamaty propose un maloya électro-pop séduisant et offrant d’incroyables instants de grâce, à l’exemple du titre Akoz.

    Pandiyé se révèle comme une vraie jolie découverte musicale par une artiste attachante. Une vraie diva du maloya réunionnais.

    Maya Kamaty, Pandiyé, Vlad Productions / L'autre Distribution, 2019
    En concert le 18 octobre 2019 au Makeda, Marseille (Maloya Banyan en première partie)
    https://www.facebook.com/MayaKamaty

    Voir aussi : "Odyssée musical pour Dowdelin"

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  • Charles Bukowski, affreux de la création

    charles bukowski,poésie,poèmesDe Charles Bbukowski, on retient habituellement les sulfureux Contes de la Folie ordinaire ou Women. Mais son œuvre est aussi celle d’un poète, sans doute le plus percutant, le plus outrancier et le plus déconcertant de la littérature américaine.

    Après la publication remarquée il y a deux ans d’une partie de sa correspondance (Sur l’Écriture), les éditions Au Diable Vauvert proposent, avec Tempête pour les Morts et les Vivants, une sélection de ses poèmes rares et souvent inédits.

    Le titre de cette anthologie (Storm for the Living and the Dead) est celui d’un texte tardif – en 1993, soit tout juste un an avant son décès –, dans lequel l’écrivain fait d’une scène quotidienne chez lui un moment à la fois trivial, tragique et plein de grâce ("Je suis un vieil écrivain. / un facture de téléphone me nargue / la tête à l’envers. / la fête est finie. / san Pedro, / en l’an de grâce / 1993. / assis là").

    Plus de trente ans de créations poétiques sont réunies dans cette précieuse compilation qui est souvent l’autoportrait d’un artiste en proie à ses dérives – l’alcool, la dépression, la solitude ou la dèche – ou à ses passions – les courses de chevaux, les femmes et bien sûr la littérature. "Pourquoi est-ce que tous les poèmes sont personnels ?" écrit en avril 1961.

    Ses mots sont des "flèches", comme il l’écrit dans "Dans celui-là " (1960), avant, quelques années plus tard, de revendiquer sa filiation avec quelques grands noms : Hemingway ("Je pense à Hemingway", 1962) ou Walt Whitman ("Corrections d'ego, principalement d'après Whitman"), jusqu’à écrire un panégyrique grinçant… sur lui-même : "Charles Bukowski est une figure de l’underground / Charles Bukowski pionce jusqu’à midi et se réveille toujours avec une gueule de bois / Charles Bukowski a été encensé par Genet et Henry Miller" ("Un poème pour moi-même", vers 1970).

    Les vers explosent, la langue s’affranchit des conventions et la voix du poète utilise d’innombrables registres

    Les textes de Bukowski, tranchants, provocateurs et rythmées, frappent par leur liberté formelle : les vers explosent, la langue s’affranchit des conventions et la voix du poète utilise d’innombrables registres, parfois étonnants. Certains poèmes s’apparentent à des micro-nouvelles ("Clones", février 1982), des extraits de journal intime ("Ai bossé dans le train" été 1985), des chroniques ("La lesbienne", 1970), voire de la correspondance ("Un lecteur m’écrit", 25 mars 1991).

    Charles Bukowski se fait sarcastique lorsqu’il parle d’une époque et d’un pays qui a fini par le rendre célèbre après des années de misère. L’auteur du Journal d'un vieux Dégueulasse est le poète d’une certaine Amérique cynique, cruelle, violente et impitoyable pour les marginaux et les pauvres ("Mon Amérique, 1936", octobre 1992).

    Finalement, il trouve son salut dans la poésie et la littérature ("2 poèmes immortels", 1970). À côté de textes sombres, l’homme de lettres propose des instants lumineux : la confession d'un père ("Conversation téléphonique avec ma fille de 5 ans à Garden Grove", 1970), une chanson d’amour (mars 1971), un poème sur sa grand-mère ("Verrues", 1973), le tableau d’un couple de hippies attendrissants ("Bob Dylan", 1975), sans oublier ces portraits de femmes ("Les femmes de l’après-midi", 1976).

    Le recueil se termine avec ce qui est certainement son tout dernier texte ("Chanson pour ce chagrin doucement dévastateur") : une sorte de confession en forme de singulière leçon de vie et de sagesse : "Laissons la lumière nous éclairer / souffrons en grande pompe – / le cure-dent aux lèvres, tout sourire. / on peut y arriver. / on est né fort et on mourra / fort… / ça été très / plaisant. / nos os / tels des tiges dressés vers le ciel / crieront victoire / jusqu’à la fin des temps."

    Charles Bukowski, Tempête pour les Morts et les Vivants
    éd. Au Diable Vauvert, 350 p.

    http://charlesbukowski.free.fr

    Voir aussi : "Ivre de vers et d’alcool"

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