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  • Ce que souhaite Tarsius

    Rock, pop, chanson ou world : quelle étiquette mettre sur le premier album des 6 garçons de Tarsius ? Avancer, leur opus, s’avère à la fois à la fois rigoureux, rythmé, engagé et volontiers mutin, mêlant chansons à la Bashung et pop-rock nerveux assumé jusqu’au bout des baguettes (Take the first train), avec je ne sais quoi d’influences latinos ou africaines (Avancer contre le vent, Use It Move It Do It).

    Nous voilà sur la route, comme le suggère la pochette de l’album, justement intitulé Avancer. Et il est vrai que l’on visite des terres bien plus hétéroclites que ne le laisseraient penser un album a priori très rock (Dancing In The Graveyard), mâtiné par moment de rockabilly tribal (Le Vaudou Love) ou de pop-folk à la Midnight oil (Fuel The Rocket).

    Tarsius ne renie pas avoir biberonné aux sons yankees (Take The First Train), sans pour autant renier la chanson française – celle de Brel ou de Bashung (Je ne veux rien d’autre que toi). Dans leur titre Le Rouge au front, nous voilà dans une pop résolument française, aux influences 80’s. Le titre qui nous conte avec un romantisme confondant une histoire d’amour secrète et romanesque : "J’ai voulu voir la vie en rose/ Et tu m’as mis le rouge au front." On reste dans les eighties de Chagrin D’Amour avec Achète du sexe, qui nous plonge dans le Pigalle des années érotiques ("Achète ce que tu souhaites").

    Tarsius a pris le temps de laisser infuser des influences venues du rock anglais, du blues mais aussi de la world music (Fais comme les bonobos, Afrobayous), pour imaginer des chansons reflétant l’air du temps : "Arrête de penser que le temps est assassin… Arrête de courir après le vent." Afrobayous, le titre finalement le plus américain de l’album, est un chant à la gloire des esclaves noirs – sur un air de blues, bien entendu.

    Plus électro pop que disco à vrai dire, Disco 2059 est un vrai cri hargneux et amer, comme si nos enfants et petits-enfants allaient faire claquer leurs talons sur des pistes de danse, dans un monde post-apocalyptique (réseaux sociaux suceurs de cerveaux, armées dans des états de non-droit, montagnes de piles, "à la lanterne les nantis, riches, pauvres, à la bougie"). Voilà, pour le dire autrement, un titre enragé et engagé : "En l’an 2059, / Plus de musiques", pandémies, abstinence, colères, masques à gaz." Mickey 3D l’aurait dit autrement : "On ne va pas mourir de rire."

    Tarsius, Avancer, Fo Feo Productions / Caroline International, 2019
    http://www.tarsiusmusic.com
    https://www.facebook.com/tarsiusmusic

    Voir aussi : "La vie sauvage"

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  • Des bulle en maths

    Voilà sans doute la bande dessinée la plus étonnante qui soit, et qui risque d’intégrer les rayons de pas mal de CDI et de bibliothèques spécialisées. Disons aussi que que Les Mathématiques en BD de Grady Klein et Yoram Baumain, livre adaptée en français par Christophe Bontemps (éd. Eyrolles), fait partie de ces ouvrages de vulgarisation ayant choisi de ne pas transiger avec la rigueur scientifique.

    Comment traiter des mathématiques en bulles ? Est-il possible de parler d’analyse, de dérivées, d’intégral et de calculs différentiels avec précision, humour et fantaisie ? Un pari impossible ? On pouvait faire confiance à Grady Klein pour relever le défi, lui qui a récemment publié, avec Danny Oppenheimer, Psychologix (Les Arènes, 2018).

    C’est d’analyse dont il est question ici : calcul différentiel, calcul intégral, dérivés ou limites sont les personnages principaux d’une bande dessinée qui choisit de mettre en images et en histoires des concepts redoutables, pour ne pas dire abscons.

    Certes, pour le commun des mortels, une seule lecture ne sera sans doute pas suffisante pour appréhender les subtilités de l’ouvrage de vulgarisationn : un ouvrage qui maîtrise à merveille la vulgarisation scientifique et avance pas à pas dans un domaine particulièrement retords. À ce sujet, on ne saurait malgré tout que conseiller de commencer la lecture des Mathématiques en BD par la fin, à savoir le glossaire.

    Du voyage de Zénon vers l’oracle de Delphes jusqu’aux radars automobiles

    Que recouvrent les dérivés et les intégrales ? En quoi sont-elles utiles, par exemple dans le calcul des aires et des vitesses ? Les auteurs utilisent l’image de l’escalade pour entrer doucement dans le sujet ("Le théorème fondamental de l’analyse est une sorte de tyrolienne pour éviter les difficultés") : une image qui fera sans doute hurler les cadors en maths, mais, pour ceux qui collectionnaient des bulles au lycée, l’expression a le mérite d’être autant poétique que parlante.

    Grady Klein et Yoram Baumain font intervenir dans leur BD de vulgarisation à la fois des mathématiciens et scientifiques illustres (Newton, Leibniz, Ramanujan) et en même temps des personnages anonymes perdus au milieu de formules, d’équations, de courbes mais aussi d’expressions fonctionnant comme des articulations permettant de ne pas se perdre totalement ("Dérivation et intégration sont des opérations réciproques – tout comme la multiplication et la division").

    Les auteurs ont parsemé leur BD de saynètes qui n’ont rien de gratuites puisqu’à chaque fois elles permettent de faire avancer non pas l’intrigue mais la compréhension du sujet : on passe du voyage de Zénon vers l’oracle de Delphes jusqu’aux radars automobiles pour parler des limites, et arriver finalement au cœur des maths : c’est-à-dire à des formules imparables qui ont fait cauchemarder des générations d’étudiants.

    Tout cela est mené tambour battant : les courbes se lient et se délient joyeusement, les formules sont amenés avec fantaisie, les auteurs ne dédaignent pas des comparaisons simples mais parlantes et les personnages discutent, s’interrogent, doutent, voire se perdent, comme pour mieux se mettre à la place d’un lecteur peu familier avec l’analyse mathématiques.

    Nous ne dirons pas qu’au bout de 200 pages les dérivés ou les intégrales ne soient plus un mystère. Il est même possible que l’on se soit perdu au sommet des extrema du chapitre 8. Pour autant, il paraît impossible de ne pas terminer cet ouvrage particulièrement osé et intelligent que les professeurs de maths au lycée ou en université feraient bien de conseiller à leurs étudiants. Le message est passé.

    Grady Klein et Yoram Baumain, Les Mathématiques en BD, L’analyse
    trad. et adaptation Christophe Bontemps, éd. Eyrolles, 2019, 207 p.

    www.gradyklein.com
    www.standupeconomist.com

    Voir aussi : "La bosse des maths"

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  • Vole, Céline, vole

    Des les premières notes de Still Running on devine que Céline Bonacina va nous proposer dans son cinquième album Fly Fly des paysages musicaux inédits et un jazz largement métissé, à l’instar du leitmotiv du premier titre, une mélodie enjouée portée par un chœur aux teintes latinos. Un vrai concerto pour saxo et voix aux multiples variations y compris orientales (Tack Sa Mycket) ou zen (Caméos Carvings).

    Car les voix sont très présentes dans cet opus où le jazz se fait voyageur (Care Her Gone) : "On y retrouve l’évocation de paysages et de souvenirs, de lieux où nous avons séjourné, de moments forts de nos vies respectives" explique la musicienne. Le saxophone soprano et baryton de l'une des meilleures jazzwoman de sa génération s'avance avec une présence moins tapageuse que joueuse.

    Aux côtés de Céline Bonacina, plus lyrique que jamais (Ivre Sagesse), on retrouve Chris Jennings à la basse (et co-compositeur de l’album), Jean-Luc Di Fraya à la batterie et au chant, et Pierre Durand à la guitare électrique.

    Une des meilleures jazzwoman de sa génération

    On est dans un va-et-vient incessant entre saxo esseulé, et parfois plaintif (Du Haut de là), sinon mélancolique (An Angel's Whisper). La jazzwoman peut révéler des titres métaphysiques (An Angel's Caress, Vide Fertile) ou proposer des titres plus enlevés, voire carrément rock, et tout autant travaillés (High Vibration, Friends & Neighbours Too).

    Céline Bonacina se fait chercheuse, sur la piste d'un jazz ouvert à tous les horizons, à l'instar du titre Borderline, sombre dense et naturaliste, porté par le leitmotiv de Still Running.

    Avec ces envolées qui n'ont peur de rien (Fly Fly To The Sky), l'album de Celine Bonacina n'a jamais aussi bien porté son nom.

    Céline Bonacina, Fly Fly, Cristal Records, 2019
    En concert le 17 janvier 2020 au Théâtre de Sartrouville (78)
    https://www.celine-bonacina.com
    https://www.facebook.com/C%C3%A9line-Bonacina-Official

    Voir aussi : "Une création de Céline Bonacina à La Défense Jazz Festival"

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  • Approcher Marie Noël

    "Qui peut prétendre connaître Marie Noël ?" Ainsi commence ces Portraits intimes de Marie Noël choisis et commentés par Chrystelle Claude de Boissieu, docteure en littérature comparée et chercheuse en lettres modernes.

    Marie Noël : la plus inclassable, la plus insaisissable, la plus discrète et la plus indépendante des poétesses du XXe siècle, fait l’objet ici d’un ouvrage constitué de 60 photos, comme autant de scènes fixant une auteure tour à tout raisonnable, déraisonnable, timide, intrépide, forte, faible, écrivaine, lectrice, indépendante ou dépendante. Ces qualificatifs forment autant de chapitres pour fixer une femme que l’on connaît si mal : "Les photographies choisies s’organisent en une galerie de portraits… des facettes antithétiques de son tempérament. De ce fait,elles regroupent autour d’un trait de caractère et de son contraire, tels qu’ils sont énoncés dans « Connais-moi »."

    Assez justement, Chrystelle Claude de Boissieu la compare avec une autre grande auteure incomprise à son époque, Emily Dickinson: "[Ces] sœurs jumelles n’ont guère apprécié le passage brutal de l’ombre à la lumière."

    Le lecteur trouvera dans ce livre proposée par les éditions Desclée de Brouwer une autre manière d’approcher la petite Marie Rouget, fille d’un professeur de philosophie rude. Contrairement à une biographie traditionnelle, Chrystelle Claude de Boissieu trace un portrait vivant et sensible de Marie Noël, à la manière d’une peintre impressionniste. L’auteure bourguignonne se dévoile par petites touches : interrompant une minute sa lecture ; déchiffrant une partition à son piano ; se promenant dans un jardin ; posant, petite fille, en robe de dentelles ; croisant à Auxerre le Général de Gaulle ; surprise au milieu d’un tournage ; ou bien au cœur d’une cour de récréation en compagnie d’enfants, de pied avec son chien.

    Inconsolable après le deuil d’un petit frère et une rupture amoureuse

    Femme de lettres effacée, Marie Noël se révèle surtout une femme autant qu'inconsolable après le deuil d’un petit frère et une rupture amoureuse : deux événements qui la laisseront blessée à jamais. Durant la période de Noël 1904, c’est d’abord un jeune homme, qu’elle aimait, qui choisit de s’éloigner d’elle. De cette "trahison", qui la marquera à jamais, Marie écrit : "Il a marché sur moi, suivant sa route" (Chanson). Quelques jours plus tard, elle découvre dans son lit le corps inerte de son petit frère Eugène ("Marie Noël paraît projetée dans un roman de Charles Dickens"). Le choc est immense pour cette jeune femme pieuse : "Ô Dieu ! La Mort ouvrant la porte / Me l’a volé ! / Mon agneau blanc, le loup l’emporte !" (Hurlement).

    Ce double événement privé va marquer profondément la carrière artistique de Marie Noël, dont on souligne souvent la nature pieuse ("Plus près de Marie Mère", "Pied à pied pour la chrétienté", "Pas à pas vers la sainteté"), mais sans doute moins le caractère hypersensible d’une femme de son époque (le chapitre de sa rencontre surprenante avec le Général de Gaulle peut être lu comme le récit d’une auteure déjà incomprise), indépendante, insatiable et sans doute aussi "rassurante" ("[P]ouvais-je refuser de partager avec ceux qui suivent l’expérience de ma misère ?").

    Au terme de la lecture de ces Portraits intimes de Marie Noël, Le lecteur sera sans doute décontenancée par les propos d’une auteure inclassable, à la fois passionnée, très croyante et d’une sensibilité rare : "J’ai été toute passion, tout élan, toute flamme, toute folie, pourtant je n’ai jamais commis d’action folle ou singulière… Ma seule action déréglée, je m’en suis rendue coupable quand j’aimais Jésus."

    Marie Noël paraît finalement plus appartenir au XIXe siècle qu’à ce XXe siècle brutal et, à bien des égards, nihiliste. Mieux, l’auteure des Chansons semble échapper à tous les qualificatifs : "Ces oscillations se succèdent aux caprices du temps et des humeurs." Chrystelle Claude de Boissieu choisit de conclure ainsi cet ouvrage : "Connaissons-nous Marie Noël ? Le pouvons-nous ? / Nous l’avons approchée. / Nous l’avons observée. / Nous l’avons imaginée. / Nous l’avons devinée./ Nous l’avons écoutée. / Nous l’avons vue, lue, entendue. / Au fur et à mesure. / Qu’avons-nous retenu ?"

    Chrystelle Claude de Boissieu, Portraits intimes de Marie Noël
    éd. Desclée de Brouwer, 2019, 321 p.

    https://www.editionsddb.fr/auteur/fiche/55284-chrystelle-claude-de-boissieu
    http://www.marienoelsiteofficiel.fr
    http://www.marie-noel.asso.fr
    https://fr.linkedin.com/in/chrystelle-claude-de-boissieu-389359126

    Voir aussi : "Marie Noël, jour après jour"

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  • Kaori, toutes voiles dehors

    Bon, nous sommes d’accord : l’album de Kaori, À Ciel ouvert, est d’abord teinté de couleurs estivales et tropicales, assez loin des grisailles sous nos hémisphères. Le soleil, le ciel lumineux, le farniente, les cocktails sur la plage et la flemme. Mais pourquoi justement ne pas profiter de la grisaille ambiante pour déguster cet opus nonchalant, s’ouvrant d’ailleurs sur À Ciel ouvert, un titre qui donne son nom à l’album ?

    On peut avoir une réelle appétence pour le groupe Kaori et son goût de l’aventure et de la liberté, voguant toutes voiles dehors. Pour reprendre Kaori dans Je largue les amarres, musicalement, le duo "s’en tient à l’essentiel" dans cet un univers musical chamarré : la chanson française est mêlée de couleurs jazzy (Impressions, Café noir), calédoniennes (Cap’tain yo, Les hommes vivent debout), reggae (À Ciel ouvert), pop-rock (Je largue les amarres), blues (Laisse-moi entrer) ou folk (L’île des oubliés).

    Arrivé à ce stade de la chronique, intéressons-nous à Kaori, du nom de cet arbre emblématique calédonien. Le duo, formé d’Alexis Diawari et Thierry Folcher, originaire de Nouvelle Calédonie, propose une production soignée et d’une belle fraîcheur, dans la continuité de leur premier album, Aux Îles Fortunés. Pas mal pour des sexagénaires, ayant fait le choix de l’acoustique pour un album entièrement en français.

    Kaori suit à sa manière les traces d’Antoine dans son appel aux voyages libérateurs comme son appel à l’humanisme et à la fraternité universelle (Les hommes vivent debout). Pourquoi ne pas rappeler justement que la chanson française a la chance d’avoir des artistes qui, à l’instar de Kaori, puisent leur inspiration dans les terres lointaines du Pacifique (Fleur de vanille) ? Et ça, ça fait du bien.

    Kaori, À Ciel ouvert, Socadisc, 2019
    https://www.kaori-officiel.com
    https://www.facebook.com/Kaoriofficiel

    Voir aussi : "Maya Kamaty, la diva du maloya"

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  • Le S3NS du jazz d’Ibrahim Maalouf

    Après une incursion séduisante d’Ibrahim Maalouf dans la musique classique, avec la Levantine Symphony, boudée par certains ayatollahs du jazz mais réellement séduisante, voici Ibrahim Maalouf de retour avec S3NS. Un onzième album résolument jazz cette fois, qui prouve une fois de plus que le trompettiste franco-libanais est déjà en train de marquer l’histoire de ce genre.

    L’album s’ouvre sur Rosa Blanca qui, après une entrée délicate et mélancolique, se déploie avec générosité et luxuriante, grâce au featuring d’Harold López-Nussa. Un titre auquel vient répondre, plus loin dans l’opus, le tout aussi coloré et fantasque N.E.G.U., avec cette fois Alfredo Rodriguez.

    "Luxuriance" : le mot est trouvé pour qualifier un opus à la fois classique dans sa facture (orchestre de cuivre, rythmes enlevés, couleurs de jazz band, rythmes latinos) et d’une réelle maîtrise – mais on n’en attendait pas moins d’Ibrahim Maalouf. Luxuriance mais aussi audace car, de la même manière que Maalouf était entré dans le classique, en y apportant ses influences jazz et orientales, le trompettiste ne dédaigne pas plus la fusion, à l’exemple du canaille Na Na Na où viennent se rejoindre free jazz, manouche, pop et électro dans un joyeux fatras qui vient narguer les bien-pensants d’un jazz sous naphtaline.

    Un joyeux fatras qui vient narguer les bien-pensants d’un jazz sous naphtaline

    Le trompettiste fait feu de tout bois, ne s’interdisant pas de se nourrir de pop-rock, à l’exemple de l’attendrissant et mutin Happy Face, ou de proposer des architectures musicales faisant se concentrer l’électronique et le cuivre, dans S3NS, le titre qui a donné le nom à l’album. Pour Harlem, en featuring avec Irving Acao, nous voici, bien sûr, au cœur de New York, dans un morceau au funk assumé. La trompette d’Ibrahim Maalouf cavale toute bride apparue dans les quartiers bigarrés et colorés de la Big Apple. Harlem ce n’est pas juste un titre jazz virevoltant : c’est aussi une vraie scène cinématographique, au point qu’on l’imagine bien faire les honneurs d’une bande originale de film.

    Le musicien franco libanais s’offre le luxe de s’allier avec Roberto Fonseca pour Gebrayel, un titre latino à souhait, à la joyeuse exubérance mais non sans des respirations mélancoliques et bouleversantes. Bouleversantes comme le sont les sonorités et la facture de All I Can’t Say, dans lequel la trompette vivante d’Ibrahim Maalouf se déploie, langoureuse, lyrique et romanesque, avec des accents orientaux. Il semble que pour S3NS, Ibrahim Maalouf propose un album bien plus intériorisé qu’il n’y paraisse. Le titre qui termine l’opus, Radio Magallanes, nous parle de solitude et de repli à l’écart des autres, à l’instar de cette terre chilienne proche de l’Antarctique. Après la chaleur méditerranéenne, voilà pour terminer le froid du pôle sud, pour un opus qui nous a fait cavaler aux quatre coins du monde. Un vrai album qui fait S3NS, quoi.

    Ibrahim Maalouf, S3NS, Mister Ibe, 2019
    En concert, le 23 novembre au Zénith de Dijon
    Le 24 novembre au Zénith de Nancy
    Le 30 novembre à l’Opéra Garnier de Monte-Carlo
    Le 1er décembre au Dôme de Marseille
    Le 8 Décembre au Zénith Sud, deMontpellier
    https://www.ibrahimmaalouf.com
    https://www.facebook.com/ibrahim.maalouf

    Voie aussi : "Ibrahim Maalouf, déjà un classique"

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  • Chaud, fort et bon

    Et si Haylen était la future grande voix de la soul ? Cette question très sérieuse mérite d’être posée après l’écoute de son premier EP, Out Of Line, sorti il y a un an et que je ne découvre qu’aujourd’hui. Mais mieux vaut tard que jamais, pas vrai ?

    Les cinq titres de son opus, d’une belle homogénéité et faisant se rencontrer pop, rock, jazz et soul, marquent sans doute la naissance d’une vraie crooneuse.

    Le sens du spectacle, la chanteuse et guitariste parisienne l’a, sans aucun doute : meneuse de revue au Crazy Horse, Haylen a également arpenté la scène de l’American Tours, nous apprend le magazine Rolling Stones dans son numéro de septembre 2019, sans compter un passage par The Voice en 2016.

    Mais revenons à ce premier EP, qui est à sa manière un hymne à la beauté et à l’amour. La voix veloutée de la chanteuse délivre une pop rock langoureuse et chaleureuse (Don’t Give Up). Dans ce mini album, en anglais pour l'essentiel, Haylen propose ausi un titre en français, Encore Une Nuit, délicat et mélancolique chant d’amour : "Encore une nuit / Qui ne t'invente pas / Encore une nuit / Seule Dans ce grand lit froid / Les larmes ont séchées sur mon visage / Depuis ce dernier baiser trop sage / Cette histoire dissimulé / Vaut le coup de doux moment comme captivé / Enivré dans la chaleur de tes bras / Ceux qui me seraient fort ce matin là."

    Le funk langoureux de Little Star est porté par une voix qui vient s’épanouir dans des volutes. Plus érotique encore, Out Of Line, qui donne le nom à l’EP d’Haylen, se déplie avec des accents de danse nuptiale, sur des sons débarrassés de tout artifice, comme si la musique se mettait à nu elle aussi : "All alone one more time / On my own with a broken heart / Tears sweaping the boulevard / Lord hear me I'm praying the stars / Everytime I walk out of line / Out of line."

    Si le slow pouvait revenir hanter les pistes de danse et rapprocher enfin les corps, c’est sans doute sur cet album d’Haylen que l’on jetterait son dévolu, et en particulier sur le dernier titre, Good Things. Chaud, fort et bon ! : "You can call me a dreamer / But no one can stop me tonight / in this world so strange / We all have to play the same game / And I can't imagine what it would be / A place without darkness and misery."

    Violon, guitare, saxo et voix puissante : rien de trop pour faire de la chanteuse anglaise une passionnante crooneuse à suivre avec passion.

    Haylen, Out Of Line, BackBeat Records, 2018
    https://haylenofficiel.bandcamp.com/releases
    https://www.facebook.com/haylenofficiel

    Voir aussi : "Comme un air de Motown"

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  • Dernières nouvelles de l’enfer

    Hellina-Scythe-Visuel-1000pxl-rvb.jpgL’enfer est pavé de mauvaises intentions, et dans le cycle de BD Hellina & Scythe, on peut compter sur la reine Scythe, l’adjuratrice Hellinao ou la princesse consort Maelstrom pour mettre au pas des armées de démones et les envoyer ad patres. Le livre regroupe les quatre premiers épisodes de Hellina Scythe parus entre janvier et mai 2017. La saga d’érotico-fantasy propose un univers sombre à souhait peuplé de succubes sexy et athlétiques : de vraies super héroïnes en sorte, peuplant un enfer "grandiose, froid, magnifique, horrible et solitaire." Ce dont il est question dans ce très beau volume, proposé par les éditions Tabou, est ni plus ni moins qu’une nouvelle mythologie mettant en scène Cerbère, Hadès ou Perséphone, mais aussi des personnages inventés de toute pièce : Aurélie la Gardienne de la Rivière des Chagrins, Hellina, la maîtresse des enfers ou la non moins sculpturale reine Scythe.

    Dans Hellina & Scythe, la première nouvelle graphique du volume, avec Pat Shand au scénario et Gabriel Andrade au dessin, nos deux guerrières, au service de Lucifer, goûtent cinq siècles d’accalmie sur terre, occasion parfaite pour batifoler dans "la première crypte venue." Mais leur longue nuit d’étreintes est troublée par le raid d’une armé conduite par Forneus, la reine du Quadrant de l’Armoise du dernier cercle – excusez du peu : la reine folle, "connue pour sa collection d’oiseaux morts et sa tenue faite de ses propres cheveux", est venue leur faire la nique. Elle vient renverser l’enfer – Lucifer pour le dire autrement. Une nouvelle guerre commence contre une adverse retorse, guerre qui menace de plonger la terre dans une redoutable apocalypse. Hellina et Scythe organisent la résistance en mettant en place une armée de démons avant de descendre en enfer afin d’affronter la reine folle.

    Dans l’histoire suivante, Nekrotika et Maelstrom (au scénario, Doug Meiers, William A . Christensen et Mark Seifert, et au dessin Juan Jose Ryp), il est question d’un combat singulier entre deux démones pour devenir princesse consort et se disputer les faveurs de la reine. Ce duel entre les deux prétendantes va vite prendre une tournure d’une tout autre ampleur.

    Les amours saphiques sont aussi des transcriptions au féminin des amitiés viriles antiques

    Dans le moins convaincant Sythe & Maelstrom (William A . Christensen et Mark Seifert au scénario et Rick Lyons au dessin), il est question précisément de la rencontre entre la reine Sythe et celle qui sera sa future princesse consort Maelstrom. Cette dernière est passée entre les mains d’un autre ennemi de Lucifer, l’archidiable Béset.

    Pour le très réussi Les Origines de Hellina, en trois parties, Doug Meyers et Loren Hernandez content le destin éloquent de l’humaine Sandra Lords, une éternelle femme victime de toutes les exactions pactisant avec le mal pour devenir la maîtresse des enfers, avant de rejoindre plus tard les rangs de Scythe.

    Voilà le programme réjouissant de ce volume mettant en scène des diablesses s’entre-déchirant pour le contrôle des enfers dans des guerres sans merci. Des guerres où les humains sont réduits au rang de pantins fragiles et finalement guère mieux que ces démones qui les protègent à leur manière : "C’est Lucifer qui a ordonné que l’humanité soit doté du libre-arbitre pour la protéger des créatures voulant contrôler les esprits."

    Combats à mort, tueries, tortures, viols, éviscérations ou sang coulant à gros bouillons sont mâtinés d’une solide dose d’humour noir et bien entendu d’érotisme. Le cycle Hellina & Scythe est autant un plaisant divertissement sensuel et sanglant – à ne pas prendre bien évidemment au premier degré – qu’un réel projet artistique. Nos héroïnes imposent leurs forces et leurs désirs dans des mondes terrestres ou infernaux essentiellement masculins – si l’on excepte la première histoire mettant en scène la reine folle. Disons aussi que les viols ne sont pas moins importants que les émasculations, et les personnages masculins ont fort à faire pour imposer leur règne. Les amours saphiques de Scythe et Hellina sont représentées bien sûr comme des fantasmes pur jus – à l’instar de la centaine de couvertures reproduites – mais ce sont aussi des transcriptions au féminin des amitiés viriles antiques courantes dans la mythologie grecque, à l’instar d’Achille et Patrocle.

    Ce très bel album, qui n’est pas à mettre entre toutes les mains, se termine par plus de 50 pages et 112 couvertures d’albums de ce cycle : un mélange d’horreur, de mythologie, de dark fantasy et d’érotisme. Vous voilà prévenus.

    Pat Shand, Gabriel Andrade et Juan Jose Ryp, Hellina & Scythe
    éd. Tabou, 2019, 224 p.
    http://www.tabou-editions.com
    https://patshand.tumblr.com

    Voir aussi : "Plans à Troie"

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