En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Dans la lignée de Pomme et de ces jeunes chanteuses pop-folk, il y a Faustine, auteure de Métamorphoses, un nouvel EP, moins léger qu’il n’y paraît a priori.
La chanteuse nîmoise, qui a fait ses armes auprès de Tété, -M- ou Oxmo Puccino, trace sa route sans s’interdire de thématiques. La balade amoureuse et mélancolique Marmara côtoie un rock engagé et féministe, Je danse sous la pluie, une incantation pour les femmes et contre le mauvais sort jeté par les machistes de tout bord, une introspection sur le temps qui passe et le temps à venir (Ce qui me guette) mais aussi un récit sombre sur une migrante.
La vie promesse conte à la première personne l’histoire d’un exode, sous les ricanements de Charon, le passeur mythologique. Métamorphoses se termine par le capricieux Sur ta bouche, une pop acidulée, légère et piquante comme une Tête brûlée.
Sur la pochette de Divine, une vapeur énigmatique mange la moitié droite du visage de Maud Lüceck. À l’image de ce visuel, une impression de mystère plane sur ce court album de moins de 24 minutes. On devine l’auteure cachée dans un monde incroyable et derrière des compositions dans laquelle affleurent la délicatesse, la mélancolie, l’ombre et la lumière.
L’amour, l’attirance et la vie à deux rythment les neuf titres de Divine, à l’image de celui qui donne le nom à l’opus, sorti trois ans après Toi non plus. Il y est question de la magie d’une rencontre qui vous laisse tétanisé et qui impose une suspension du temps ("Bouger serait un crime"). La mélodie est réduite à sa plus simple expression. L’interprétation place une distance pudique, pour ne pas dire majestueuse : "Divine / Divin hasard / Qui m’a conduit ce soir / À son regard / Divine / Si précieux / Je ne veux je ne peux / laisser partir ses yeux / Ne partez pas."
Tout autant en retenue, Amoureuse traduit l’émoi envoûtant et l’aliénation de l’amour : "Je ne sais pas ce que tu as de plus / Ce qui fait que toi tu / Ce qui fait que toi tu m’as émue." Maud Lübeck propose un morceau, construit autour d’un rythme syncopé et d’allitérations en "t" qui entend questionner la vie à deux.
Dans Peur d’aimer, cette vie à deux devient un refuge contre et malgré la peur ("J’aurais moins peur si j’étais deux") : peur de l’engagement, de la solitude, "du vent violent" et de l’aliénation. L’ambivalence se traduit dans la construction de ce titre à deux revers : couplets sombres faits d’hésitations et de ruptures, puis se déployant dans un refrain lumineux.
Une remarquable économie de moyens
À l’instar de L’autre part, la recherche de l’amour et d’une forme d’idéal ("L’été et le ciel azuré") constituent la première partie de l'opus: "J’aimerais vivre quelque part / Dans des rêves et dans des pensées / Me sentir bien quelque part / Allez." Comme souvent dans Divine, les claviers et les voix sont utilisés avec une remarquable économie de moyens.
Cardiophonie scinde l’album en deux. Cette interlude électro et respiration instrumentale marque l’entrée dans une deuxième partie de l’opus. Là, il sera surtout question de séparations, de départs et d’absences.
Ne me dis pas est la constatation d’une rupture – en dépit d’un "Je t’aime" trompeur. C’est en quelque sorte "un long requiem d’amour en fuite." Dans la bouche de Maud Lübeck, la fin de cet amour n’est pas clamée dans un cri de détresse mais exprimée comme une froide constatation. En retenue, avec délicatesse et avec une forme de majesté.
L’un des meilleurs titres de l'album est sans doute L’Absente. Une grâce indéfinissable se dégage de cette chanson sur une amitié disparue ("À toi qui ne veut pas que nous soyons amis") et sur un appel au retour de l’être aimé. La composition mélodieuse et l’interprétation à fleur de peau rend déchirante cette histoire de rupture : "Si tu voyais mon cœur comme depuis il se traîne."
Dans cette partie de Divine plus sombre, l’auditeur pourra objecter que Cœur est un chant amoureux : "Prends soin de moi ou je meurs." Sauf que dans ce cheminement personnel et sentimental, il est autant question d’une passion amoureuse que d’une forme d’aliénation, que Maud Lübeck exprime grâce à un chœur éthérée et inquiétant : "La beauté du monde / Brune ou blonde / Si je me sens belle ou immonde / C’est toi qui me mène / C’est toi qui sème / Et tout ça parce que je t’aime."
Divine se termine par cet aboutissement qu’est Le Dernier amour : "Je ne veux plus d’hiver / Sans ton regard / Plus de maison / Sans ton bazar / Je ne veux plus de nuit sans tes bras tendres / Je te veux pour ma vie / Sans plus attendre / /Et que tu sois mon dernier amour / Celui qui durera toujours." Avec Maud Lübeck, l’amour n’est pas ce monument insubmersible et incontrôlable, mais un fragile trésor, aussi précieux qu’un bijou de cristal Swarovski.
Ce troisième chapitre est pour Ulrich Forman un nouvel opus qui aspire à être écouté comme un concept album.
Concept album, oui. Mais de quel concept parlons-nous? D'emblée, Ulrich Forman nous entraîne dans un voyage musical quelque 50 années plus tôt, dans une pop acidulée (1234), psychédélique et conceptuelle, justement : celle d’Emerson Lake And Palmer, des Beach Boys (Home) ou du White Album des Beatles. D'ailleurs, pour ce nouveau chapitre, Ulrich Forman s'est entouré de talents avérés : Fab Dupont (The Do / Paul McCartney), Florent Livet (Phoenix / Bloc Party), Pavle Kovacevic (Sebastien Tellier), Graham Hawthorne (Brian Wilson, Paul McCartney) ou encore Antoine ''Chab'' Chabert (Daft Punk / Woodkid).
La pop est enjouée et souriante (If You Want To), accrocheuse et planante (Today), mélancolique (I'm In Love, Pt. 2) et d'une belle emprise folk (All I Want).
Pas de révolution musicale dans cet album régressif mais un joyeux retour vers le hippie, lorsque ce mouvement venait autant se ressourcer du côté de San Francisco que de Katmandou (Hold me).
Et lorsque le producteur et musicien français Ulrich Forman – Polérik Rouvière, de son vrai nom – vient au rock c'est d'une manière ludique et sans prise de tête (You Gotta Stay).
Nick Drake, avec la lumière en plus
Go On – tiens, c’est aussi le titre de l’EP de Tom Leeb, que nous avons chroniqué il y a peu – fait quelques bonds spatio-temporels vers le début des années 80, du coté de Supertramp. On s'arrêtera avec plus d'attention sur It's All Right, singulier titre acoustique à la Nick Drake, avec la lumière en plus.
À noter que la version album du titre Today est accompagnée d'une version acoustique et d'un remix à retrouver en digital. C'est Ulrich Forman en personne qui signe lui-même la réalisation du clip, un road trip poétique, onirique et naïf.
Le titre I'm In Love avait eu les grâces d'une énorme campagne de pub pour Attractive Wolrd. Une opportunité qui lui a donné l'assurance qui lui manquait pour se lancer à plein dans une carrière musicale. C'est aujourd'hui chose faite avec Chapter III - A Perfect Storm.
Il y a tout juste un an, il était question sur Bla Bla Blog du premier album de Laurie Darmon, Février 91. Quelques mois, plus tard, l’artiste a choisi de ne pas se reposer sur cet opus réussi et s’est aventurée sur un terrain autrement plus audacieux et culotté. Elle sort en ce moment son nouvel EP, Dévêtue, créé et distribué dans une totale liberté. Que la chanteuse se mette à nu dans ce cinq titres est un euphémisme : Laurie Darmon y parle d’amour dans ce qu’il y a de plus brut, d’instinctif et, finalement, d’authentique.
Bien entendu, il est aussi question de séparations subies, d’attentes douloureuses et d’attractions difficiles, à l’exemple de Reste ("Ce sera pareil ailleurs / Ne laissons pas passer les heures / On finira par le regretter mon cœur… / Je suis juste coincée là / Complètement bloquée sur toi / Et ça m’épuise / Non mais t’imagine pas / Ça me paralyse / Y’en a plus que pour toi") ou d’Îles grecques, lumineux et sucré ("J’avais envie que tu restes auprès de moi / Là-bas y a trop de filles trop de mecs trop de trucs / Et ce je ne sais quoi").
Dans ce nouvel EP comme chauffé à blanc, l’auditeur retiendra d’abord On Bai. et Rengaine SM, deux morceaux aux titres explicites. Dans son premier album, Monte Encore montrait déjà toute l’audace de Laurie Darmon. Cette fois, la chanteuse fait de l’amour une invitation à la fête qui ne souffre aucun contrôle : "On danse danse danse danse / On se met bien bien bien / On se laisse aller comme ça / Je me laisse aller avec toi toi toi / On bouge on bouffe on boit on bai." Avec sa musique minimaliste dopée d’une énergie communicative, Laurie Darmon propose un titre décomplexé et libérateur.
Un EP comme chauffé à blanc
Tout aussi libérateur et bien plus audacieux encore, Rengaine SM propose sur une ballade naïve qui suit les confidences d’une jeune femme sur ses expériences sado-masos. Il faut avoir l’art de maîtriser le texte comme Laurie Darmon pour pouvoir oser une telle mise en musique : "Je me souviens des interdits sur tes lèvres / Ne ferme pas les yeux j’ai dit ou je te crève / C’était bon c’était bon c’était bon / C’était la vie qui venait nous pénétrer par ici aussi." Dans l’emballement de ses confidences, la musicienne insuffle dans Rengaine SM cette saveur romanesque et touchante qui donne à ce titre une légèreté paradoxale : "J’en veux encore / Pourquoi t’as tout repris / Tu aurais pu au moins laisser ton corps."
Une dernière chanson mérite qu’on lui porte une attention particulier, Stéphane et Stéphanie. Rien à voir avec le titre éponyme d’une certaine Caroline Verdi, obscure chanteuse des années 70 – un petit tour sur Bide & Musique vous en convaincra définitivement. Le "couple de noctambules" qui fait l’objet de cette samba slamée est une réussite totale : sophistication bluffante dans les ruptures de rythmes, texte déchirant d’humanité, portrait esquissé de deux bobos que l’on aimerait croiser, voix nette et sans fioriture qui rappelle la Laurie Darmon slameuse de La Rupture : "Tu m’as laissée toute seule / Et maintenant c’est moi qui reste / Là sur le bord de ta gueule / T’as pas débarrassé les miettes / J’avais pas l’habitude avant / J’étais la fille qui sait déjà / Que chaque soir à l’appartement / Même si c’est tard tu seras là." S’il n’y a qu’un seul titre qui peut justifier l’écoute de cet EP, c’est sans conteste Stéphane et Stéphanie.
Avec On Bai., Laurie Darmon s’est jetée dans le grand bain d’une liberté, certes risquée mais qui augure un beau devenir. Si ce ne sont que les préliminaires d’un deuxième album, on a hâte d’en découvrir plus.
Laurie Darmon sera au Bus Palladium le 31 janvier 2019.
Les auditeurs nés après les années 80 et bercés par la pop des années 90 goûteront le premier EP de Tom Leeb, Are We Too Late, comme une petite madeleine de Proust.
D'accord, il n'y a pas de révolution musical, mais ce premier opus a indéniablement été écrit avec cœur, sinon avec les tripes. Un vrai piège à filles : des mélodies simples mais efficaces, une voix assurée et nasillarde, une orchestration impeccable, des guitares cristallines et, pour couronner le tout, un travail en studio exemplaire.
Assurément, Tom Leeb est une des futures belles grandes voix de la pop en plus d'être un acteur que l’on peut découvrir sur les planches, comme dans le film Edmond d'Alexis Michalik... Un artiste complet, quoi.
Pour bien commencer l'année parlons de Falaises. J'étais impatient de découvrir le dernier opus de ce groupe parisien, créé il y a seulement deux ans. Ils viennent de sortir They Are Here : huit titres pour ce long EP, qui pourrait tout autant être catalogué comme un album, certes un peu court.
Falaises c’est la pop la plus cool qui soit : moderne, électro, mélodique, d’une solide densité rythmique mais qui sait aussi jouer avec avec le contemplatif et l’onirisme. Un vaste horizon musical, passionnant et envoûtant.
Avec Boy, dans deux versions ouvrant et clôturant le disque, on entre dans un univers jarrien électro. Les synthétiseurs marchent à plein régime, proposant de belles envolées servies par la voix aérienne d’Alice Maury.
Pour la pop que propose Inherent Vice, on abandonne cette fois des machines à la Jean-Michel Jarre pour un titre aux accents plus Cranberry. En digne héritière de la regrettée Dolores O'Riordan, la chanteuse de Falaises nous amène vers une new wave dopée aux machines et aux ordinateurs, mais avec ce supplément d'âme grâce à sa voix sucrée et assurée (Daylight Dreamer).
Facile, Falaises? Trop simple. A côté de rock plutôt rugueux comme le titre qui donne son nom à l'EP, les quatre Parisiens osent des morceaux expérimentaux (Twilight Splendor), voire planants (Drinkin Hell). Avec Hush on tient une perle sophistiquée et à la pop enlevée aux réverbérations oniriques, prête à vous faire bondir, voire tomber raide dingue amoureux.
C’est un trip dessiné gothique que propose William Skaar avec Deanna et les Zombies (éd. Tabou). Un trip qui est aussi un conte érotique, baroque et horrifique dont l’héroïne est Deanna Carter. La pulpeuse jeune femme guide, par jeu, deux amies dans un cimetière. Mal lui en prend : en s’exhibant avec un insolent sex-appeal, ce sont des morts qu’elle réveille. Pour lui faire passer l’envie de venir les provoquer, ces zombis sont bien décidés à faire de la visiteuse d’un soir leur future victime. Pour sortir de ce mauvais pas, telle la Shéhérazade des Mille et une Nuits Deanna échange la promesse d’être épargnée quelques heures en échange d’histoires qu’elle entend bien prolonger encore et encore.
Bien entendu, ce sont ces contes qui forment le cœur d’une bande dessinée qui ne se refuse rien. Ce que Deanna raconte n’est ni plus ni moins qu’un voyage infernal, depuis la recherche d’une mystérieuse clé d’argent dans le manoir de son grand-père jusqu’à la découverte du Carnigore. Sur ce chemin semé d’embûches, d’êtres pervers et de fantasmes, Deanna Carter croise la route d’un livre maléfique, le Carnomicon, d’une compagne de voyage tout aussi pulpeuse, Béatrice et d’êtres infernaux prêts à tout. Et surtout, elle pénètre dans un enfer dantesque, "un tableau vivant et démentiel." L’audace, la provocation, le sexe et l’humour noir sont dans chaque case de cette BD américaine proposée en France aux éditions Tabou.
Un tableau vivant et démentiel
Pour Deanna et les Zombis, William Skaar mélange sans vergogne le trash, le fantastique, le gore, des traditions mythologiques, la religion, le chamanisme et bien entendu de l'érotisme à tous les étages. Deanna est l’incarnation d’une sorcière sexy, moderne et chasseresse de morts-vivants, comme avant elle l'Anita Blake de Laurell K. Hamilton. Mais, à vrai dire, c’est vers d’autres sources qu’il faut chercher les influences de William Skaar : le dessinateur Richard Corben, l’auteur de pulps Richard Shaver, les classiques Sade et Dante, le romancier HP Lovecraft et son Cthulhu,Edgar Rice Burroughs, le créateur de John Carter, ou encore l’actrice Barbara Steele, pour ses rôles dans Le Masque du démon ou La Chambre des tortures.
Le lecteur peut compter sur Deanna Carter, sur sa témérité comme sur son sex-appeal, pour venir à bout de morts-vivants, ou du moins les envoûter à sa manière, grâce à ce voyage plein de cris, de dangers et de plaisirs répugnants et honteux. C'est bon, la honte.
Les occasions de saluer le travail des traducteurs n’est pas si fréquent. C’est pourtant par-là que débutera cette chronique sur Marlena de l’Américaine Julie Buntin (éd. La Belle Colère). On doit à Patricia Barbe-Girault la version française de ce premier roman encensé par la critique outre-atlantique. La traductrice a su rendre toute la force d’un texte d’une rare densité, à l’exemple de cet extrait : "C’était bizarre, mais pas plus que les trois cœurs dessinés au marqueur sur le dos de sa main droite, que son mascara bleu ciel ou que sa broche de vieille dame, qui était plus belle, même en miniature, que toutes les baraques de Silver Lake." Disons aussi que Marlena donne à la génération Y – celle de Facebook des smartphones ou de Youtube – un des grands romans sur l’adolescence, roman qui est appelé sans doute à devenir culte dans les prochaines années. Et l’on se prend à rêver de l’adaptation que pourrait en faire une cinéaste comme Sofia Coppola.
Marlena Joiner est cette adolescente de 17 ans dont Catherine, la narratrice, choisir de raconter, vingt ans après les faits, la dernière année de sa vie. Les deux adolescentes se rencontrent dans une petite ville paumée du Michigan. Leur amitié dure à peine un an, mais c’est une année si dense, si marquante et finalement si tragique que Catherine ne s’en est jamais remise. Marlena est une lycéenne belle, charismatique et attirée par les excès de l’alcool et de la drogue. Une fille que Cat semble ne décrire qu’à l’aide de superlatifs : "La quintessence de la joie et de la blondeur, des bikinis et des glaces à l’eau, de l’herbe fraîchement coupée et des fauteuils en skaï qu’on installe durant l’été." Rapidement, les deux filles que beaucoup de choses opposent – hormis peut-être une vie familiale compliquée et des fins de mois difficiles – se lient d’amitié, jusqu’à la mort brutale de celle qui était devenue un modèle et une figure écrasante : "Avant Marlena, je n’étais qu’une fille molle, informe, attendant que quelqu’un débarque et me dise qui être."
"Dis-moi ce que tu ne peux oublier et je te dirai qui tu es"
La mort de Marlean est une vraie déflagration dans l’existence de Cat. Que s’est-il passé ? Comment est décédée l’adolescente indéfinissable, à la fois incontrôlable et capable de s’occuper quasi seule de son petit frère Sal en l’absence d’un père violent ? S’agit-il d’un accident, d’un homicide volontaire ou d’un crime ? Julie Buntin choisit de ne pas répondre complètement à ces questions. Au moment de son récit, Cat s’apprête à revoir le frère de son amie, se donnant une nouvelle chance de tourner la page de cette année de lycée – si encore c’est possible.
L’absence, le deuil et la douleur de l’être manquant est au cœur d’une histoire où les bonnes questions ne sont pas celles que l’on attend. "Dis-moi ce que tu ne peux oublier et je te dirai qui tu es" : ainsi début un roman qui nous parle de la construction d’une jeune fille de quinze ans marquée par une rencontre et par la disparition de celle qui a été essentielle dans sa vie : "Ce que Marlena ne pigeait pas, et que je n’aurais jamais pu lui avouer, c’est que même si on se faisait profondément, gravement, irrémédiablement, dangereusement chier à Silver Lake, j’étais plus heureuse que je ne l’avais jamais été."
Marlena Joiner, "l’amie prodigieuse" pour reprendre le titre d’une trilogie bien connue, traverse les pages du roman tel un ouragan, avec son lot d’excès : d’abus, d’amour, de comportements transgressifs, d’idées folles, d’actes généreux mais aussi de rêves qui resteront inassouvis.
Un chagrin indicible traverse les pages de Marlena, notamment dans les courts chapitres se déroulant à New York. Vingt ans après les faits, Catherine ne parvient pas à se sortir de cette période qu’elle veut revivre : "Bois aux efforts que tu fais pour la ramener", écrit-elle, comme pour justifier l’alcoolisme qui la ronge.
Dans le tourbillon d’une amitié marquante et traumatisante, deux personnages viennent apporter un semblant de lumière et d’équilibre : Jimmy, le frère, qui finira pas connaître une brève idylle avec Marlena et surtout la maman de Cat. Julie Buntin délivre des pages à la fois tendres et incisives sur cette sublime mère courage : "Son odeur de chardonnay et son fer qu’elle oubliait de débrancher, ses blagues pourries sur les brocolis qui font péter, sa manière de retrousser les dents quand elle se mettait en rogne, ses gants de ménage qu’elle laissait sur la banquette arrière, ma mère qui refusait catégoriquement de cesser de m’aimer, qui commettait des erreurs bêtes, buvait trop et me ressemblait comme deux gouttes d’eau quand elle riait, ma mère qui jamais, jamais ne partirait, et à qui je faisais si pleinement confiance qu’un monde sans elle défiait mon imagination."
Au final, devenue adulte, Catherine fait de son histoire le récit d’un deuil impossible comme le portrait d’une jeune femme à bien des égards inoubliable : "Si tu savais, Marlena, j’en ai fait des conneries. Seulement, chaque jour j’ai droit à un essai supplémentaire."
Julie Buntin, Marlena, trad. Patricia Barbe-Girault, éd. La Belle Colère, 2018, 336 p. http://www.juliebuntin.com