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  • Jour de colère et douceur angélique

    Bla Bla Blog aime Marie Jaëll que nous avions découvert il y a plus d'un an grâce à la formidable pianiste Célia Oneto Bensaïd et sa mise en lumière (sic) de Ce qu’on entend dans l’enfer, le purgatoire, le paradis, des pièces pour piano inspirées par la lecture de la Divine comédie de Dante.

    La pianiste luxembourgo-suisse Viviane Goergen reprend à son compte cette œuvre rare venue d’une des compositrices laissée justement au purgatoire musical après sa morte en 1925, avant d’être redécouverte ces dernières années, à la faveur d’une vague féministe bienvenue. Viviane Goergen précise qu’elle s’est penchée sur les créations de compositrices, souvent françaises, dès 1999. Une précurseuse, donc, même s’il a fallu attendre les années 2019-2020 – la crise sanitaire aidant à son travail de recherche – pour que la pianiste se penche sur le travail de Marie Jaëll. Nous avons là une plongée passionnante dans une œuvre singulière qui prouve que Marie Jaëll a sa place parmi les artistes ayant leur place dans l’histoire de la musique.

    Viviane Goergen traduit bien cette gravité inquiétante dans l’expressionniste "Poursuite" de L’enfer. L’interprétation est précise et renvoie à la période romantique que chérissait celle qui avait les oreilles de Liszt et qui a été une interprétation reconnue des œuvres de Robert Schumann ou de Beethoven. Pour autant, comme le précise l’interprète, c’est plutôt du côté du Moyen Âge qu’il faut chercher les influences de la compositrice. Pour cette "Poursuite" dans les enfers, "Marie Jaëll emploie les autre premières notes du Dies Irae, la journée de la colère… Il s’agit d’un hymne du moyen âge, écrit vers 1250", est-il écrit dans le livret de l’album.

    Tout aussi inquiétant et expressif, "Raillerie" a ce souffle moderne qui nous ferait presque entendre les rires du diable dans ce qui traduit "l’errance désespérée de Dante", avant cet "Appel" lugubre que la plus "jaëllienne" des pianistes fait résonner avec un malin plaisir. Qui dit enfer dit flammes. La partie qui leur est consacrée semble briller de mille feux, à telle enseigne que l’on croirait qu’il s’agit plus de feux paisibles d’une nuit fraîche d’été que des tourments de l’enfer. Dans cette œuvre datant de 1894, il semble aussi que ce sont les derniers éclairs du romantisme que fait surgir Marie Jaëll. 

    Dire que la modernité a sa place serait un pléonasme

    Deux morceaux incroyables viennent conclure ce délicieux Enfer, à savoir "Blasphèmes" et "Sabbat". Il s’agit de deux pièces diaboliques à la très grande modernité. Il faut toute la technicité de Viviane Goergen pour arriver à en retranscrire l’esprit diabolique, la noirceur mais aussi une forme de grâce à la fois joueuse, moqueuse et séduisante. Ne verrait-on pas une de ces Vampirella tournant autour de damnés perdus et condamnés à un enfer éternel ?

    Interrogeons-nous ensuite sur Ce qu’on entend dans le purgatoire. Marie Jaëll et Viviane Goergen nous le disent en musique et au piano. Il y a ces délicats "Pressentiments". On croirait entendre des murmures. Marie Jaëll n’emploie que les deux premières notes du Dies Irae dont il a été question plus haut. Les notes s’effacent presque, laissant place au silence interrogateur. On sent l’influence de Bach dans cette superbe composition. Tout aussi en retenue, les "Désirs impuissants" se jouent des ruptures de rythmes. Dire que la modernité a sa place serait un pléonasme. Dans "Alanguissement", c’est le romantisme qui semble sortir du bois. Sommes-nous ici au purgatoire ou juste sur terre, dans une campagne verdoyante où, allongés sur l’herbe, nous attendrions l’être aimé ? Séduisant purgatoire, à dire vrai, et que Viviane Goergen magnifie avec tendresse. Elle se fait par contre plus sombre et inquiétante dans "Maintenant et jadis". Les menaces grondent, tout comme les questionnements sur le pesage des âmes. Bien et mal semblent se disputer dans cette partie à la facture là aussi romantique, jusqu’aux dernières notes sombres. Béatrice apparaît mais Dante doit retourner au purgatoire, purgatoire qui se termine par une "Obsession" traduite avec une belle expressivité et demandant à Viviane Goergen une virtuosité évidente. Cette partie a été construite comme une sonate en trois mouvements – vif-lent-vif –, la section lente ayant l’allure d’un retour de la paix intérieure, avant que l’"Obsession" ne revienne définitivement.

    C’est le Paradis qui vient clore ce programme. Après l’Enfer et le Purgatoire, vient un "Apaisement" bienvenu, Béatrice venant guider Dante tout en haut, dans un lieu idyllique. Pour autant, l’auditeur, sera en droit d’y entendre une longue plainte autant qu’un appel à l’espérance. Les "Voix célestes" des anges qui suivent frappent par leur singulière douceur, traduisent la paix divine. L’harmonie et la douceur dominent dans ce morceau où l’on sent l’influence de Fauré. Plus qu’ailleurs sans doute, Marie Jaëll s’impose comme une figure marquante du classicisme français de la fin du XIXe et du du début du XXe siècle. Dans « "Hymne", la compositrice se révèle comme une mélodiste hors-pair, au service d’un morceau aérien atteignant des sommets de légèreté – rien d’étonnant pour Ce qu’on entend dans le paradis. La pièce "Quiétude" s’enchaîne naturellement, tout aussi gracieuse et légère. Viviane Goergen fait vibrer chaque note avec la même délicatesse. Rien de trop dans ce morceau qui ressemble à une berceuse. "Souvenance", onirique et méditatif se déploie avec une belle harmonie. On a peine à croire que peu de temps auparavant l’auditeur était entouré des flammes de l’enfer. Ici, le paradis n’est que douceur mélancolique et contemplations, dans une facture romantique. C’est d’ailleurs par une "Contemplation" que se termine Ce qu’on entend dans l’enfer, le purgatoire, le paradis.

    L’harmonie vient conclure la rencontre entre Dante et Béatrice et finalement la montée vers le paradis. Ces Pièces pour piano constituent un voyage vers l'au-delà imaginé, composé et interprété avec une singulière grâce.      

    Marie Jaëll, Pièces pour piano, Viviane Goergen (piano), Hänssler Classics, 2024
    https://haensslerprofil.de
    http://www.viviane-goergen.de

    Voir aussi : "Résurrection"

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  • Schumann et la petite bande des Fouchenneret 

    Pierre et Théo Fouchenneret et leur bande continuent chez b.records leur exploration de la musique de chambre de Robert Schumann. Place cette fois à un double album consacré à ses Trios et au Quartet pour piano et cordes. Ces œuvres ont été enregistrées en public à l’Auditorium de la Cité de la Musique et de la Danse de Soissons les 10 et 11 décembre 2023.

    De toutes les pièces de musique de chambre, le trio est très certainement l'un des genres les plus passionnants et les plus appréciés en raison de la composition ramassée qui oblige le compositeur à aller à l'essentiel. Le premier Trio op . 63 en ré mineur ne déroge pas à la règle avec deux premiers mouvements alliant équilibre et une énergie toute juvénile. Pour mener à bien des trios aussi techniques et engagées il faut un ensemble en parfaite osmose. C'est le cas pour le groupe formé par Pierre Fouchenneret au violon, Victor Julien-Laferrière au violoncelle et Théo Fouchenneret au piano. Le romantisme est à l'œuvre dans le troisième mouvement lent de ce premier Trio. Schumann s'y livre corps et âme dans des lignes mélodiques serpentant harmonieusement. Il faut se laisser perdre dans cette pièce à la mélancolie à la fois douloureuse et amoureuse. Le dernier mouvement sonne comme une consolation, mieux un retour à l'espoir et à la jeunesse, mais non sans des passages plus graves. Force reste aux puissances de la vie semble nous murmurer à l’oreille le compositeur allemand.  

    Le deuxième Trio op. 80 commence avec un certain enthousiasme, tout classique,  mais c'est bien le romantisme qui est à l'œuvre. Composé durant la même période que le premier – autour de 1847, bien que le compositeur a mis 3 ans a l'écrire – il était le préféré de Clara Schumann qui le jouait régulièrement. La passion éclate à chaque note et même un certain enthousiasme si l'on se laisse porter par le premier mouvement plein d'éclats mais aussi de pièges. Des défis que relèvent les frères Fouchenneret et Victor Julien-Laferrière. L'auditeur sera sans doute frappé par le contraste entre cette partie pleine d'insouciance et le deuxième mouvement lent et lascif. L'interprétation sait y mettre des couleurs et une jolie densité. Il semblerait que nous soyons dans un de ces boudoirs du XIXe siècle, témoins indiscrets d'une conversation badine entre Robert et Clara Schumann.

    La partie suivante s'apparente à une danse à l'infinie délicatesse. Le trio s'empare de ce mouvement avec ce qu'il faut de mesure. Plus classique que romantique, c'est une invitation a la promenade bucolique que propose Robert Schumann, mais non sans ces suspensions et ces hésitations qui apportent ce je ne sais quoi de mélancolie. Le premier disque du coffret se termine avec un dernier mouvement plus enlevé et relativement court (5 minutes 32). De quoi terminer ce deuxième Trio de Robert Schumann dans une belle allégresse. 

    Romantique à 200%

    1851 fut une année chargée pour le compositeur allemand qui avait fort à faire avec l'écriture de ses deux premières sonates pour violon, son travail sur sa Symphonie en ré mineur, sans compter des ouvertures d'opéra, des leader et des œuvres chorales. Pour ces raisons, le troisième Trio op. 110 n'a sans doute pas été sa composition prioritaire. Moins connu, il est aussi le moins joué en concert. On doit remercier les Fouchenneret de le proposer et de le faire découvrir ou redécouvrir. Le sens de la mélodie et la technicité d'écriture sont évidentes dans le premier mouvement. Un vrai univers à lui tout seul, avec ses arabesques, ses plages voluptueuses et ses décrochages.

    Succède immédiatement un mouvement lent qui commence de manière funèbre. L'interprétation captive par sa dimension pathétique. Là encore, l'osmose est là, entre les trois musiciens. Il semble que nous soyons là,  dans une veine toute romantique, dans une lutte de sentiments et dans un dialogue de cœurs. Après un troisième mouvement tempéré, sinon hésitant, mais non sans rythmes, suit la toute dernière partie de ce Trio dont l'auditeur goûtera les couleurs chatoyantes et les inventions mélodiques admirablement rendues par l'ensemble français. Nous sommes là dans un salon bourgeois de Düsseldorf, où à été composée cette œuvre, certes pas la plus connue du compositeur allemand mais pas la moins attachante.

    Lise Berthaud vient rejoindre les trois interprètes pour jouer avec eux le Quatuor pour piano, violon, violoncelle et alto. Il a été composé en 1842 et comporte lui aussi quatre mouvements. Félix Mendelssohn, à qui est dédié ce quatuor, sera le premier à le jouer. L'opus 47 témoigne lui aussi du souffle romantique et poétique de Robert Schumann. Derrière chaque note, il semble qu'apparaît la figure de son épouse Clara. 

    Écrit comme une sonate, le premier mouvement a ces longues respirations, ces incessants dialogues et ses envolées irrésistibles. Plus court (3 minutes 31), la partie suivante est un scherzo à la vivacité confondante, pour ne pas dire moderne. L'ensemble des Fouchenneret se sort admirablement de ses embûches musicales. Suit un troisième mouvement romantique à 200%. Il s'agit sans doute de l'une des meilleures parties de ce double album. L'auditeur aimera à se perdre dans ce somptueux voyage mené par un quatuor sachant allier virtuosité, respirations, sens du rythme et expressivité.

    Le double album se termine par le dernier mouvement du Quatuor op. 47. Un mouvement allègre presque léger qui se termine par de belles envolées lyriques. Il semble être guidé par la vie, l'amour, la jeunesse, la badinerie mais aussi la danse. Le romantisme fait roi.

    Robert Schumann, Trios et Quatuor piano et cordes, b•records, 2024
    https://www.b-records.fr/schumann-trios-et-quatuor-piano-et-cordes
    https://www.theofouchenneret.com
    https://pierrefouchenneret.com
    https://www.victorjulien-laferriere.com

    Voir aussi : "Romantique et métaphysique Schumann"

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  • Étrange piano

    Attention, choc sonore pour ce Live in Lecce joué (on a même envie d’écrire "performé") par l’Iranien Peyman Yazdanian. Auditeur qui entre dans cet univers musical, apprête-toi à te laisser surprendre par ces improvisations – ou plutôt cette improvisation en cinq parties – par un compositeur qui a notamment œuvré pour les bandes originales de films d’Abbas Kiarostami, Asghar Farhadi ou Mohammad Rasoulof !

    Ce Live in Lecce a été enregistré en 2021 dans les Pouilles en Italie, dans le cadre du Festival Conversazione. Cet événement se tient depuis 2013. Les rencontres s’y déroulent en plein air dans les espaces du Convitto Palmieri, anciens couvents des Augustins et des Théatins, de la librairie Liberrima et du parc archéologique des Rudiae. Il a pour but de sensibiliser son public à des sujets de société actuels importants tels que l’éducation, la science, les droits de l’Homme, l’environnement, l’économie, etc. Un événement humaniste et universel, ce qui fait du bien en cette période troublée. 

    Le concert de Peyman a été réalisé en hommage à Patrick Zaki, un chercheur égyptien arrêté puis condamné à trois ans de prison pour avoir dénoncé les violations de droits des Coptes, des habitants chrétiens d’Égypte. Voilà pour le contexte de cet album passionnant.

    Du jamais vu ou, du moins, du jamais entendu

    Peyman Yazdanian laisse courir ses doigts pour proposer un projet musical à mi-chemin entre musique contemporaine, jazz, pop mais aussi folklore iranien dans certains passages ("Part 1"). Véritable orfèvre du piano, l’artiste invente des sonorités, au point que le clavier devient par moment un véritable instrument à percussion. Peymlan Yazdanian parle à ce sujet de "piano manipulé". Du jamais vu ou, du moins, du jamais entendu.

    La deuxième partie de ces improvisations nous entraîne dans des paysages lumineux, colorés et sensuels. Les mélodies ne sont pas absentes non plus, ce qui donne à ce passage une formidable densité et texture sonore.

    La troisième partie se singularise par le travail sur le rythme et les sonorités. Autant le mouvement précédent renvoie à des influences occidentales, autant celui-ci nous plonge dans des régions plus lointaines, orientales, voire extrême-orientales. Le piano se fait, plus que jamais, instrument à percussions. Par moment, il semble que l’on se trouve en présence du gamelan indonésien.

    Nous parlions plus haut de musique contemporaine. Peyman Yazdanian semble s’être frotté au minimalisme et au courant répétitif américain pour improviser cette fascinante et mélancolique déambulation.  

    La cinquième partie suit s’enchaîne directement et vient conclure avec une belle audace cet opus où l’improvisation est reine et surtout inspirée. Voilà qui fait de ce Live in Peece un modèle de musique sans frontières, un message d’universalité, grâce à une impressionnante technique. Du grand art pour ce live italien et iranien.

    Peyman Yazdanian, Live In Lecce, Melmax Music, 2024
    https://www.facebook.com/peymanyazdanian/?locale=fr_FR
    https://pyazdanian.bandcamp.com/album/live-in-lecce-2
    https://ffm.to/lecce

    Voir aussi : "Et si par hasard Jehan"

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  • Alexandra Lescure à la découverte de Jacques Duphly

    Une fois n’est pas coutume pour ses chroniques de musique classique, c’est à un compositeur méconnu, sinon inconnu, que Bla Bla Blog s’intéresse.

    On sait finalement peu de choses sur Jacques Duphly, né à Rouen en 1715 et mort à Paris le 15 juillet 1789, complètement oublié au moment de son décès. Célébré en son temps comme un véritable aristocrate du clavecin, avec une "perfection du doigté" comme le soulignait Jean-Jacques Rousseau, Jacques Duphly a laissé une œuvre finalement assez modeste, à savoir quatre recueils pour clavecin entre 1744 et 1768. Parmi ses influences, il faut citer Couperin, Rameau, Scarlatti, Forqueray, mais aussi Bach ou Frescobaldi. .

    La pianiste Alexandra Lescure a choisi de mettre en lumière ce compositeur des Lumières à travers un choix de pièces issus de ses recueils, au départ conçues pour le clavecin. "L'écriture riche et variée répond magnifiquement aux multiples possibilités du piano moderne permettant de passer du jeu scandé et véhément au perlé volatile", écrit la pianiste dans le livret de présentation de l’album.

    Saluons à la fois l’audace, le courage et le talent de l’interprète qui a choisi de s’attaquer à un compositeur tombé aux oubliettes. Prise de risque maximale donc pour la pianiste tellement peu impressionnée par cette gageure qu’elle met du cœur au service d’un répertoire classique et vite attachant. Attachant parce qu’on découvre des morceaux qui sont pour beaucoup des danses (courantes, rondeaux, allemandes) et parce que l’influence des aînés et parfois contemporains de Jacques Duphly est évidente. 

    Prise de risque maximale donc pour la pianiste

    L’élégance et la légèreté ("La De Belombre") le disputent à la virtuosité et à la technicité ("Courante"). L’influence de Bach est évidente (l’irrésistible "La Vanlo", "La larare"  ou l’"Allemande", qui vient clore le recueil). On est tout autant touché par la mélancolie qui se dégage de "La Félix" tout comme du "Rondeau en ré mineur".

    L’auditeur sera certainement frappé à l’écoute de "La De Drummond" par la touche mozartienne d’un morceau au joli raffinement. Dans "Les Colombes", l’un des joyaux de l’opus, c’est la figure de Rameau qui vient en tête dans cette pièce naturaliste faisant autant penser à un morceau ornithologique qu’à une déclaration d’amour. Dans le "Rondeau En Do", c’est indubitablement le chef d’œuvre de Couperin "Les Barricades" qui vient en tête, mais dans une réminiscence à la fois tendre et nostalgique. Parlons aussi de "Forqueray", dédié et influencé – bien entendu – par Antoine Forqueray, l’inventeur de la viole de gambe. La retenue, le rythme lent et une certaine forme de noblesse toute versaillaise est parfaitement rendue par le piano d’Alexandra Lescure.  

    Jacques Duphly, dont les compositions n’ont sans doute pas révolutionné l’histoire de la musique, mérite d’être découvert pour son impeccable travail sur les mélodies et le rythme (la "Lanza"). L’écoute de l’album donne l’impression d’être dans un de ces salons parisiens des Lumières.

    Nous le disions, Jacques Duphly faisait figure de véritable aristocrate de la musique. Pour preuve, la pièce "La Victoire" qu’il dédie à la deuxième fille de Louis XV, Henriette de France. La vivacité et la virtuosité en font un morceau incroyable de modernité pour l’époque.

    Dans cette découverte de l’œuvre de Jacques Duphly, Alexandra Lescure propose une série d’interprétations colorées, feutrées, parfois en retenues, mais non sans ces élans hardis ("La Tribolet") et ce qu’il faut de virtuosité, à l’instar de la dense et passionnante pièce "La Pothoüin".

    Oublié mais redécouvert grâce à Alexandra Lescure, Jacques Duphly apparaît comme un de ces artistes remarquables et représentatif d’une époque portée par les Lumières, avant la déflagration qu’a été la Révolution Française. Le compositeur n’en a été témoin que des premiers éclairs puisqu’il a rendu son dernier souffle le lendemain de la Prise de la Bastille.

    Jacques Duphly, Alexandra Lescure (piano), Indésens Calliope Records, 2024 
    https://indesenscalliope.com
    http://alexandralescure.com
    https://www.facebook.com/Alexandralescure13
    Alexandra Lescure en concert : 
    15 juin, Ma Vigne en Musique, Narbonne
    11 juillet, Festival d'Auriol
    25 juillet, Festival de Poitiers
    15 août, Les Rencontres Musicales de Figeac
    18 septembre, Gréoux les Bains
    13 octobre, L'impro de Gap
    26 octobre, Festival des Tourelles, Belfort

    Voir aussi : "Des papillons à l’estomac"

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  • Piano duo

    Choc musical chez Deutsche Grammophon avec l'incroyable enregistrement Rachmaninoff For Two. Le compositeur est bien connu. Il s'agit de Sergeï Rachmaninoff célèbre pour ses concertos pour piano, en particulier le célébrissime deuxième et son "Adagio". Les interprètes, Sergeï Babayan et surtout Daniil Trifonov, finissent de rendre l’album Rachmaninoff For Two absolument immanquable.

    Les deux pianistes – le premier arménien et le second russe – proposent, pour commencer, une transcriptions par Daniil Trifonov d’"Adagio" de la Symphonie n°2 du compositeur russe. Une entrée en matière passionnante avant le cœur du programme, à savoir les Suites n°1 et 2 pour deux pianos et ses Danses symphoniques op. 45.

    En un double album mémorable c'est toute l'essence de Rachmaninoff qui est proposée. La virtuosité du génie russe expatrié aux États-Unis après la Révolution Russe explose dans cet enregistrement à ne pas manquer. Il faut pourtant souligner que, dernier romantique russe, Sergueï Rachmaninoff a été un élève et un admirateur de Tchaïkovski, au point de lui dédier sa première Suite op. 5, tout comme la seconde op. 17 mais que le maître n’a jamais pu entendre.  

    Sergeï Babayan et Daniil Trifonov s’emparent de la Suite op. 17 avec fougue et enthousiasme (I. Introduction) mais aussi avec cet élan de vie où la mélancolie n'est jamais loin (II. Valse). L'auditeur sera sans doute captivé par le 3e mouvement de cette Suite. Il faut se laisser entraîner au long cours par cette délicate "romance" avant une troisième et dernière partie virtuose faisant d'une tarentelle une infernale et magnétique danse.

    En un double album mémorable c'est toute l'essence de Rachmaninoff qui est proposée

    L’auditeur se laissera baigné par les averses sonores de l'allegretto ("Barcarolle") de la première Suite ou les vagues pianistique d'un romantisme de l'"adagio sostenuto" ("La nuit… l’amour"). Mais à force de faire rimer Rachmaninoff avec virtuosité on oublie ces moments où la délicatesse et la retenue du génie lui permettent de proposer les pages les plus bouleversantes sans doute de la première moitié du XXe siècle (le largo funèbre nommé "Les larmes"). Dernier grand compositeur classique, Rachmaninoff entre pourtant dans la modernité à travers le dernier mouvement entêtant de la première Suite (l’allegro maestoso se place sous le signe de "Pâques").

    Toujours aussi impliqués et parfaits dans ce projet musical de haute volée, Sergey Babayan et Daniil Trifonov jouent une version dense, colorée et rythmée des Danses Symphoniques dédiées en 1940 au chef Eugene Ormandy. On est dans une synthèse du classicisme et de la modernité. Oeuvre d'un immigré russe loin de son pays, la nostalgie n’est jamais absente, pas plus que son admiration pour les traditions de son pays (2e mouvement "Andante con moto" avec son tempo enivrant et dingue d'une valse). Dans cet opus, la virtuosité n'empêche jamais les respirations d'y faire leur place, avec qui plus est deux interprètes vivant de concert ce beau moment musical. L'ambitieuse écriture de Rachmaninoff explose dans le 3e et long dernier mouvement de ces Danses Symphoniques (plus de 11 minutes). Les interprètes russes ne transigent pas sur leur implication artistique autant que leur technique. Quatre mains – seulement, aurions-nous envie d'écrire – suffisent à élever cette architecture sonore complexe, puissante, déroutante et d'une grande profondeur. 

    Cet album a été l'un Diapason d'Or ce mois de juin.

    Rachmaninoff for Two, Sergueï Babayan et Daniil Trifonov (piano), Deutsche Grammophon, 2024
    https://store.deutschegrammophon.com
    https://daniiltrifonov.com
    https://sergeibabayan.com

    Voir aussi : "Alexandra Lescure à la découverte de Jacques Duphly"

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  • Des papillons dans l’estomac

    Les papillons. Voilà quel est le thème et le titre du dernier album de la pianiste franco-arménienne Varduhi Yeritsyan.

    Commençons tout de suite par dire qu’il y a bien plus que ces lépidoptères dans la première œuvre proposée dans cet opus, puisque Varduhi Yeritsyan s’attaque à Carnaval, l’un des joyaux pour piano de Robert Schumann. Scènes naturelles, rêveries poétiques et séquences bucoliques se succèdent dans une de ces créations assez incroyables de la musique classique. .

    Œuvre romantique et même bucolique, cette série de pièces pour piano intéresse les musicologues en raison de sa composition et de ses deux séries de notes – la-mi bémol-do-si donnant dans la notation allemande ASCH et la bémol-do-si pour AsCH – revenant invariablement. Ces séries font référence à la cité d'Asch (devenue Aš, en République tchèque), ville natale de Ernestine von Fricke qui était la fiancée de Robert Schumann à la date de composition en 1834. Ces lettres renvoient également au nom du compositeur. Voilà pour la partie musicologique de ce Carnaval.

    Un Carnaval qui prend des allures de délicieuse promenade, grâce au toucher de Varduhi Yeritsyan. L’insouciance autant que la légèreté sont de mise dans ces pièces qui se nomment "Pierrot", "Arlequin", "Coquette", "Promenade", "Pantalon et Colombine" ou encore… "Papillon".

    Nous y voilà. Moins léger qu’il n’y paraît, moins banal, ce Carnaval virevolte et étincelle, par la grâce d’une composition ambitieuse et brillante où la virtuosité n’écrase jamais l’œuvre. Dans le livre de présentation, Varduhi Yeritsyan parle moins de cette première fiancée que d’une jeune élève que Robert Schumann enseigne, une certaine Clara Wieck. Elle deviendra sa femme quelques années plus tard. "C’est bien elle la muse du compositeur de neuf ans son aîné, celle à qui il pense quand il écrit, celle à qui il envoie ses partitions sitôt publiées" est-il écrit dans le livret Le romantisme est bien là, et jusqu’à ces deux autres suites derrière lesquelles on peut sans aucun doute lire des messages : "Reconnaissance", "Aveu".

    Ça papillonne, ça virevolte, ça s’épanouit

    Avant de parler d’une autre œuvre de Robert Schumann présente dans ce bel album, parlons d’autres papillons qui virevoltent dans l’album. Il y a ces courtes pièces pour piano de Jules Massenet à la modernité évidente mais qui sert surtout un certain naturalisme. Aux Papillons noirs, vient se joindre ces Papillons blancs, tout en impressionnisme et en légèreté. Citons aussi cette autre courte pièce, sobrement intitulée Papillon (évidemment !). Le compositeur norvégien Edvard Grieg a composé un joli divertissement à la facture classique. Il y a de la légèreté et de la grâce dans ce séduisant opus 43.

    Mais faisons un retour vers Robert Schumann avec ses Variations ABEGG op. 1 et la bien nommée Papillons, op. 2, une œuvre de jeunesse donc, composée entre 1829 et 1830. Ce que l’on a appelé les Variations sur le nom "Abegg" renvoie, à l’instar de son Carnaval, au travail de composition et de musicologie faisant correspondre des notes à des lettres. Cette fois, ce sont les lettres ABEGG qui forment la trame de ces variations à la facture romantique. Pas de papillons donc, ici, mais une évidente légèreté et simplicité qui renvoie à cet lépidoptère aimé de nos campagnes. De nombreux spécialistes voient dans le nom de ces variations une référence à une amie de Robert Schumann, Pauline von Abegg. Varduhi Yeritsyan se promène dans ces six variations avec un plaisir non dissimulé. La technique et la virtuosité ne prennent pas le pas sur la noblesse de cette composition qui annonçait déjà le futur grand maître qu’allait être Schumann.

    La suite Papillons op. 2 de Robert Schumann fait partie, avec Carnaval et Variations QABEGG des toutes premières œuvres du musicien allemand. Si l’on s’intéresse à l’histoire de cette pièce, on sera surpris de voir qu’il ne s’agit pas a proprement parlé d’une pièce bucolique, mais plutôt d’une mise en musique autour d’un bal mondain. Ça papillonne, ça virevolte, ça s’épanouit dans cette œuvre où la jeunesse, l’insouciance (pensons aux Variations n°11 et 12) et la grâce sont omniprésentes. Varduhi Yeritsyan et Robert Schumann nous entraînent avec eux dans cette soirée mondaine et cette comédie humaine où la séduction et l’amour ne sont jamais très loin. Du romantisme, encore et toujours. 

    Varduhi Yeritsyan, Papillons, Indesens Calliope Records, 2024
    https://indesenscalliope.com
    https://www.facebook.com/VarduhiYeritsyanPianiste

    Voir aussi : "Basson, toi mon ami"

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  • De l’air

    La musique contemporaine prend une grande bouffée d’air frais avec Christian Christian Schittenhelm et son Concerto pour piano n°4 bien nommé "Air". Voir la pianiste ukrainienne  Svetlana Andreeva interpréter cette œuvre avec le  Royal Scottish National Orchestra tombe sous le sens, tant ce concerto puise son inspiration dans le répertoire russe. L’auditeur pensera sûrement à Rachmaninov à l’écoute des premières mesures du mouvement n°1.

    Fougue, richesse des sons, puissance, hypersensibilité se succèdent dans ce passionnant concerto actuel et que le compositeur a dédié à la ballerine Sophie Alexandre. Le deuxième mouvement, plus prokofievien, se veut une lente et bouleversante méditation menée par le piano de Svetlana Andreeva, avec un orchestre à la direction toute en finesse du chef allemand Sergey Neller. 

    L’une des surprises de ce concerto pour piano vient sûrement du troisième et dernier mouvement, aussi cinématographique que classique

    L’une des surprises de ce concerto pour piano vient sûrement du troisième et dernier mouvement, aussi cinématographique que classique. Une vraie bande originale de film pour un passage à la facture assurément néo-classique, mais sans que la modernité ait été abandonnée. Svetlana Andreeva s’y ballade avec une aisance et un plaisir évidents. La musique, toute contemporaine qu’elle soit, n’intimide pas. Il y a ses élans romantiques où la virtuosité, bien présente pour cette œuvre exigeante, n’est jamais écrasante.  

    La seconde création de Christian Schittenhelm présente ici est la danse symphonique Dawn. Onirique et debussyenne, elle se déploie par vagues impressionnistes, avec un Royal Scottish National Orchestra à la belle colorature.

    Après cette création, rien d’étonnant de voir apparaître sur cet album incroyable Debussy. Le classique Prélude à l’après-midi d’un faune. Sergey Neller conduit son orchestre avec un soin particulier : couleurs sonores, densité, mystère, rythme envoûtant. Avec la présence de Debussy, Christian Schittenhelm montre de qui il sait tenir.

    Une vraie belle découverte.    

    Christian Schittenhelm, Air, Piano concerto n°4 & Dawn
    & Debussy Prélude à l’après-midi d’un faune,
    Svetlana Andreeva (piano), Royal Scottish National Orchestra, dirigé par Sergey Neller,
    Evidence Classics, Sfumato Records, 2024

    https://christianschittenhelm.fr
    https://sfumatorecords.com/records
    https://www.facebook.com/evidenceclassics
    https://svetlana-andreeva.com/fr

    Voir aussi : "Basson, toi mon ami"

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  • Et si par hasard Jéhan

    Partons à la découverte de Jéhan. On sent que le chanteur, avec son dernier album On ne sait jamais, s’est nourri de ses brillants aînés, que ce soit Cabrel, Thiéphaine ou Allain Leprest.

    Compositeur, poète et chanteur, Jehan est également un conteur. Que l’on pense au premier titre "Raconte-moi", émouvant voyage musical de Tunis à Hanoï en passant par Corfou ou Venise. Pensons aussi à cet autre extrait, "Les chevaux de Montebello".

    Au piano-voix, Jéhan chante l’amour caché et l’intimité, avec pudeur. Une simplicité que l’on retrouve dans le délicat "Tout est dit". Les mots peuvent être superflus dit en substance l’artiste dans cette jolie déclaration ("Avec elle, la vie est une danse").

    Jéhan est le chantre des gens ("Le revenant") et des choses simples ("Attendre demain"). Sa chanson folk à la Cabrel touche immédiatement grâce à ses mélodies savamment travaillées et à sa voix chaleureuse.

    Simplicité

    Folk encore avec les dépaysant portraits "Jenny Parker", celle qui "danse seule" et "L’homme passe". Comment nommer l’amour et le désir ? Jéhan ne ment pas et parle de fragilité dans ces moments suspendus ("Madame Butterfly") et de la difficulté de vivre à deux et de se comprendre ("Entre nous"). Reste cependant l’évidence des liens : "Celle que je veux c’est seulement toi" dans ce dernier titre.   

    Jéhan propose un autoportrait pleine de philosophie dans "Je suis de ceux". Homme libre regardant droit devant lui, amoureux de la vie et qui "n’a pas peur de la nuit" et "qui ne regarde pas derrière". La vie est un long chemin semé d’embûche constat-t-il ensuite, lorsqu’il chante une séparation brutale et inattendue ("Soudain la nuit").

    L’opus se termine avec "Savoir en rester là". Jéhan insiste se pose en sage. Nous posons-nous trop de questions ? Ne sommes-nous pas trop en mouvement ? Sommes-nous trop exigeants ? Et où est l’essentiel ? Un véritable sage, vous disais-je, mais sur des sons folk-rock.

    Jéhan, On ne sait jamais, La Jument du Jeudi, 2024
    https://www.jehanofficiel.com
    https://www.facebook.com/Jehannco
    https://www.instagram.com/jeannolejehan

    Voir aussi : "Au naturel"

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