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  • Lorsque ma vie (re)commencera

    En français, il n’existe pas de traduction stricto sensu à "sisterhood." Pour qualifier les liens entre sœurs, notre langue utilise le terme de "fraternité" ("brotherhood"). Ce mot est valable pour les deux sexes. Certains diront aussi que, symboliquement, il rend aussi nulle et non avenue toute idée de liens affectifs entre sœurs – que ce soit les celles de sang ou celles de cœur. Ces liens forment la trame de The Sisterhood Folios: Live out Loud (littéralement : Folios fraternels : Vivre à haute Voix), dirigé par Carol Starr Taylor, préfacé par Heidi Allen, et qui sort en ce moment aux États-Unis (aucune sortie en France n'est prévue pour l'instant).

    Dans ce recueil, 19 femmes chroniquent des tranches de vie, ces "little pieces", comme le dit Marla David (Peace By Piece: Forging A Path Forward Through Writing). Témoignages, tableaux familiaux, introspections, rencontres ou récits personnels se côtoient dans un livre d’une belle homogénéité en ce qu’il traite de nos luttes quotidiennes, de nos traumatismes et des moyens de les dépasser.

    Le lecteur ne trouvera pas d’événements sensationnels. The Sisterhood Folios donne à voir des faits souvent tragiques mais – hélas – courants : la maladie d’un enfant (Natasha Koss, From Rock Bottom I Found My Truth), l’abandon et la séparation (Peace by Piece), le non-amour d’une mère (Carol Starr Taylor, Mamma Mia), les violences domestiques (Andrea Judit, Unchained – or I Was Married to a Narcissist and Survived), l’enfance étouffée (Teresa Ursini, Know Thyself), les abus sexuels (Now, I Sing Again de Gwenda Lambert), la peur (Amy Stockwell, 6 Steps For Living Your Truth), le deuil (Gillian Joy Whyatt, Daddy: I was always his Angel and now he’s mine), les dépendances (Adriane Breese Lloyd, The Wind Beneath my Wings; Surviving the loss of my identical twin), la dépression (Jennifer Febel, Unbroken) ou les corps qui souffrent (Petra Reiss Wilson, Destiny’s Child).

    Sisterhood Folios : un recueil déprimant qui vous donnerait des envies de corde ? Pas du tout ! Car ce qui intéresse les auteures c’est la manière de relever les défis de la vie, y compris dans les situations les plus désespérées. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si bon nombre de ces femmes exercent dans le développement personnel et la recherche psychologique et comportementale : coachs (Marla David), enseignants spécialisés (Michelle Biggers), thérapeutes (Andrea Judit Goldberger), chercheuses (Petra Reiss Wilson), conférencières (Jennifer Febel) ou consultantes (Claudine Claudine Pereira). Le "pedigree" de ces femmes explique pourquoi il est tant question dans ce recueil de séances de psy, de yoga, de méditation, d’écoutes de soi, d’inconscient, de rêves lucides ou de guides spirituels (Claudine Pereira, Life Lessons Learned From the School of Hard Knocks! What Would I tell My Younger Self).

    Dans The Main Message: You Can Change Your Life, Michelle Main aborde un parcours de vie marquée par l’angoisse existentielle, dont l’auteur dit s’être affranchie grâce aux thérapies des plus classiques aux moins conventionnelles (massothérapie, naturopathie ou thérapie équine). Unbroken est le parcours d’une jeune femme "cassée" par la vie, jusqu’à la reconquête de sa propre personne. Cette renaissance peut se faire par l’écriture, à l’exemple de Marla David (Peace by Piece: Forging a Path Forward Through Writing), une chronique en forme d’appel à la vie : "Life is a quest. Life is a thrill. Life is a romance. Life is a lark. Life is!" ("La vie est une quête. La vie est un frisson. La vie est une romance. La vie est une alouette !").

    Il est beaucoup question de liberté dans ce recueil, avec par exemple ce franc et déconcertant aveu de Lauren Dickson : "I don’t want to find my ‘other half’" ("Je ne veux pas rencontrer mon autre moitié", dans On the Wrong Side of Love). Il est encore question de liberté chez Samantha King lorsqu’elle parle de ce Graal qu’est la conciliation vie privée / vie professionnelle (Work/Life Balance: The Holy Grail of Womanhood). Cette illusion conduit des millions de femmes dans des impasses personnelles et dans une série d’aliénations : "As women, we are pulled in a million different directions based on whatever is screaming the loudest — sometimes that’s our career/business; sometimes it’s our marriage; sometimes it’s other areas of our personal life" ("En tant que femmes, nous sommes tiraillées entre un million de directions différentes. Ce sera à qui ce crie le plus fort : parfois c'est notre carrière / notre entreprise. Parfois c'est notre mariage. Parfois, ce sont d'autres domaines de notre vie personnelle")" Samantha King écrit comment elle a pu surmonter ce dilemme : "The ‘a place for everything and everything in its place’ philosophy was thrown out the window. My empire (I call it a fempire) is more than just my career, and I’m not the only woman in this boat" ("La philosophie ‘une place pour tout et tout à sa place’ a été jetée par la fenêtre. Mon empire (je l'appelle un fempire) est plus important que ma carrière, et je ne suis pas la seule femme dans cette galère.")

    Sortir de sa zone de confort est une invitation proposée par plusieurs chroniqueuses pour pouvoir se retrouver soi-même, s’accomplir (“Soyez vous-même, tout le monde est déjà pris” disait Oscar Wilde), se laisser guider par ses passions, et aussi – pourquoi pas – emprunter les "voyages vers l’amour" (Lauren Dickson, On the Wrong Side of Love). Et dans ce champ de bataille que peut être une vie, il y a les autres, les proches, un conjoint (Teresa Ursini, Know Thyself) et les amis.

    Ces amis – que ce soit les amis pour la vie ou les amis d’une saison, comme le rappelle Heida Allen dans sa préface – sont au centre de cette délicieuse nouvelle de Lucia Colangelo, My Vintage Collection. Dans cette chronique sur l’amitié (le "sisterhood" du titre), l’auteure fait de la recherche de bouteilles de vin l’occasion de parler de ses amies. Chaque flacon – des vins européens, grecs ou italiens, mais singulièrement aucun français – est identifié à une de ces femmes que la narratrice a invitée chez elle, un soir : "These women were truly like fine wine, they all have a journey that created their individuality, their complexity" ("Ces femmes étaient vraiment comme du bon vin, elles ont tous un voyage qui a créé leur individualité, leur complexité").

    Le lecteur français pourra trouver dans ses voix américaines matière à s’interroger sur des leçons de vie universelles qui nous parlent de "la vie à haute voix" (Life out loud) : se battre, ne pas vivre dans le passé, relever les défis (Gillian Joy Whyatt, Daddy: I was always his Angel and now he’s mine), accepter ses défauts et se convaincre que ce sont les petites victoires qui permettent de gagner des guerres : "I learned that the small victories win the war", (My Beautiful Pathetic Life). Le lecteur français pourra être fasciné par cette esprit très américaine de croire en un destin divin : "For every one who leaves, God has someone even greater in store for me, and I keep my hope in that" ("Pour tous ceux qui partent, Dieu me réserve quelqu'un d’encore meilleur pour moi, et je garde cet espoir"), écrit Lauren Dickson, tout en encourageant la liberté individuelle de s’en sortir, de se comprendre soi-même et d’entreprendre. Ce qu’Amy Stockwell résume ainsi : "God gives his toughest battles to those who are strong enough to handle them.” ("Dieu donne ses batailles les plus difficiles à ceux qui sont assez forts pour les gagner").

    Ces 19 chroniques "sororelles" sont autant de leçons universelles pour enfin commencer à vivre. Commencer ou recommencer.

    Carol Starr Taylor, The Sisterhood Chronicles: Live out Loud,
    Creative Publishing Group, 2017
    "When my life will begin again"

  • Comme des taureaux sauvages

    Gorillaz, le groupe créé par Damon Albarn et Jamie Hewlett, a créé le 10 juin dernier un festival sur mesure, le Demonz Day Festival.

    Situé en plein cœur de Dreamland, le parc d'attraction de Margate en Angleterre, ce festival d’un soir, unique et ambitieux, rassemblera, outre Gorillaz, des guests stars qui en feraient pâlir d’envie plus d’un : Vince Staples, De La Soul, Denny Brown, Little Simz, Fufanu, Kalis Uchis, Popcaan, Kilo Kish ou Claptone.

    Le Demonz Day Festival a marqué le retour mené tambour battant de Gorillaz, après la sortie mondiale de leur dernier album, Humanz.

    Red Bull TV a mis en place un dispositif pour retransmettre le festival en livestream, incluant la très attendue prestation de Gorillaz aux alentours de 20 heures. Ces retransmissions sont disponibles en replay pour voir ou revoir ce festival d’un soir.

    Gorillaz sera de retour en livestream lors du Montreux Jazz Festival, du 30 Juin au 15 Juillet 2017.

    https://demondayzfestival.com
    https://www.redbull.tv/demondayz

  • Alsacian fake story

    C’est d’une falsification dont il est question dans le roman de François Hoff, Floréal Krattz, écrivain inachevé (éd. Le Verger). Vraie fausse chronique, l’auteur nous raconte la création d’une imposture littéraire, décidée et pensée par quelques notables et intellectuels alsaciens. À l’instar du trio imaginé par Umberto Eco dans Le Pendule de Foucault, le narrateur se lance avec des congénères falsificateurs dans un canular pensé jusque dans ses moindres détails. L’objectif très sérieux  est d’offrir à l’Alsace une figure emblématique : "Nous allons discuter pour élire une personnalité-phare de la culture, de l’art ou de la pensée alsacienne. Ce sera un choix, forcément arbitraire, et qui ne portera pas nécessairement sur quelqu’un de très connu déjà."

    L’histoire de ce Floréal Krattz commence par la découverte d’un journal anonyme lors de travaux de rénovations d’un lycée de Strasbourg. Son auteur est un obscur professeur ou un pion qui a côtoyé la bonne société du XIXe siècle. Un mystérieux organisme de lobbying, soutenu en sous-main par les autorités régionales et organisé en société secrète, demande à des conjurés triés sur le volet de faire de ce journal le point de départ d’une fake story. Floréal Krattz sera sensé être une "figure positive, dans laquelle les Alsaciens puissent se reconnaître, et dans laquelle on puisse reconnaître les Alsaciens," pour "la construction cohérente et positive de l’Alsace." En bref, une sorte de marque déposée destinée "à améliorer l’image touristique de la région."

    Au terme d’un brainstorming, l’obscur écrivain, dont on a découvert le journal dans la quasi-indifférence, se voit affublé d’un état civil : Floréal Krattz. Cette créature aura vocation à devenir pour l’Alsace ce qu’était James Joyce pour Dublin, Shakespeare pour l’Angleterre ou Frantz Kafka pour Prague.

    La référence à l’auteur du Procès n’est pas innocente. Outre que Floréal Krattz porte les mêmes initiales que Frantz Kafka, il est aussi l’auteur d’un journal capital dans lequel l’obscur Strasbourgeois déplore son incapacité à produire et à publier des œuvres grandioses qui seront découvertes dans ce journal. "L’écriture du moi devient l’activité majeure de sa vie, et elle est, non pas l’accompagnement de son œuvre, mais l’œuvre elle-même." Le travail de faussaire pensé par les conjurés devient mieux qu’une machinerie destinée à duper : une création à part entière donnant vie à Floréal Krattz.

    Les auteurs tracent son parcours de vie, jusqu’à sa mort dans le chaos des bombardements de 1870. Les conjurés littérateurs produisent surtout des textes hétéroclites, l’essentiel de son œuvre littéraire qui serait tombée dans l’oubli : un roman historique (Fabricius ou les Partisans d’Altitona), un roman-feuilleton à la Eugène Sue (Les Mystères de Strasbourg, un ouvrage qui a en réalité été écrit en 2013 par… François Hoff), des références à un drame (Eticon), des poèmes, des cantiques ou des chansons écrits en français, en alsacien ou en allemand, des nouvelles fantastiques, mais également des enquêtes policières, un genre dont est spécialiste François Hoff.

    L’auteur fait de cette fake story alsacienne un roman plus vrai que nature sur un écrivain imaginaire du XIXe. Les références littéraires ne manquent pas : Alexandre Dumas, Eugène Sue, Fustel de Coulanges, Balzac mais aussi, plus proche de nous, Georges Perec, Umberto Eco ou Frantz Kafka.

    Ni génie, ni figure politique, ni intellectuel engagé, Floréal Krattz dépasse le stade du canular littéraire : le succès de ce monstre littéraire échappe à ses créateurs et finit par devenir une idole effrayante. Étrange destin pour cet écrivain alsacien raté promu au rang d’icône régionale, ce qu’un comploteur résume ainsi avec férocité : "Il est médiocre, touche-à-tout, indécis, éclectique, contradictoire. Vous vouliez en faire un Alsacien typique ? Vous l’avez."

    François Hoff, Floréal Krattz, écrivain inachevé (1828-1970), éd. Le Verger, 2017, 247 p.
    http://www.verger-editeur.fr

  • Un art peut en cacher un autre

    Le catalogue édité pour le programme de l’opéra Nantes-Angers pour la saison 2017-2018 réserve une divine surprise.

    Bien entendu, les passionnés d’art lyrique découvriront les futurs rendez-vous de l’illustre maison ligérienne pour la saison prochaine : une Damnation de Faust de Berlioz, un Fidelio de Beethoven, une nouvelle production du Couronnement de Popée de Monteverdi ou un Rinaldo d’Haendel conduit par Bernard Cuiller.

    Le bloggeur entend cependant s’arrêter sur ce qui fait le vrai plus de ce catalogue : ses illustrations. Bien entendu, le choix promotionnel de faire appel à un artiste photographe pour les catalogues lyriques n’est pas nouveau et d’autres établissements lyriques ont suivi cette mode. L’Opéra de Paris propose ainsi d’épais et classieux programmes, souvent enrichis de clichés au minimalisme qui peut d’ailleurs laisser perplexe.

    Pour la saison 207-2018, l’opéra de Nantes a choisi Nicolas Dhervillers, un photographe internationalement reconnu pour son sens du lyrisme et de la mise en scène.

    Pour le programme musicale de l’établissement nantais, la série Detachment, dont est tirée la majorité des photos, nous transporte dans des paysages grandioses et aux mises en scène picturales (par exemple l’illustration pour Mam’zelle Nitouche de Hervé). Les personnages y semblent soit contemplatifs, soit perdus (la couverture du catalogue). L’illustration pour Fidelio rappellera sans doute les paysages de neige de l’impressionniste norvégien Frits Thaulow, mis à l’honneur lors du dernier Normandie Impressionniste.

    Une photographie de la série Road Movie illustre La Damnation de Faust, cette fois dans une scène que l’on croirait sortie d’un film noir américain. Quant au cliché choisi pour illustrer le Rinaldo d’Haendel, il n’est pas sans rappeler la patte du réalisateur français Fabrice Gobert (Les Revenants, Simon Wemer a disparu).

    Ajoutons aussi, non sans une pointe de regret, qu’un Pelléas et Mélisandre aurait été un dernier et superbe clin d’œil à l’adresse de Nicolas Dhervillers, lui dont les clichés oniriques font le pont entre le symbolisme (une photo tirée de la série Hommages pour le spectacle Atys en Folie) et la modernité (My Sentimental Archives pour Les P’tites Michu).

    L’Opéra de Nantes a créé un catalogue pour faire découvrir sa programmation musicale, et c’est sur un photographe que nous nous enthousiasmons. Comme quoi, un art peut en cacher un autre.

    http://www.angers-nantes-opera.com
    http://www.nicolasdhervillers.com
    Nicolas Dhervillers à Kansas City, Missouri, USA, du 1er septembre au 28 octobre 2017,
    à la Fondation Louis Moret, Martigny, Suisse, du 9 septembre au 15 octobre 2017,
    à la galerie Hiltauwsky, Berlin, du 23 novembre 2017 au 15 janvier 2018

    © Nicolas Dhervillers

  • Rock in Vercors

    Après le succès des deux premières éditions qui ont accueilli jusqu'à 11 500 spectateurs, le Vercors Music Festival revient avec une programmation musicale et riche de promesse pour cette toute jeune manifestation.

    Le festival, installé entre les montagnes du Vercors, propose une programmation panachée, entre têtes d’affiches, groupes émergents, jeunes talents et vedettes internationales : Catherine Ringer, Morcheeba, Tryo, Camille, Matmatah, Radio Elvis, Chinese Man, La Femme,Fakear, François & The Atlas Mountains ou encore Gauvain Sers, la sensation du moment.

    Au programme du Vercors Music Festival, cinq jours de festivités avec des concerts en accès libre l'après-midi, une scène payante sous chapiteaux le soir et des activités tout au long de l’événement.

    Vercors Music Festival du 7 au 11 juillet
    30 concerts · 3 scènes, 15 € à 30 €
    Maison des Sports - 38880 Autrans
    http://www.vercorsmusicfestival.com

  • Manger cool pour courir vite

    Le titre de cette chronique est une traduction approximative du best-seller surprise américain, Run Fast. Eat Slow (éd. Amphora), vendu aux Etats-Unis à plus de 80 000 exemplaires en six mois. Sorti en France il y a quelques semaines, il devrait faire le bonheur de nombreux sportifs sur notre sol, qu’ils soient amateurs ou professionnels.

    Run Fast. Eat Slow (sous titré : Des recettes savoureuses pour les athlètes) a été écrit à quatre mains par la marathonienne olympique Shalane Flanagan et la chef cuisinier Elyse Kopecky.

    Les deux auteures ont allié leur talent et leur expérience pour concevoir et concocter une centaine de recettes à la fois bonnes, délicates et nutritives pour que la nutrition sportive ne se limite plus aux barres énergisantes ou aux sempiternelles plats de pâtes : "Pourquoi ne pas se faire plaisir avec des mets sympathiques sans trop se soucier des calories, des glucides ou des lipides ? (…) D’autant que nous constatons que les régimes conduisent au déséquilibre alimentaire, à des envies de sucre ou de grignotages et, en définitive, à une surcharge pondérale", écrivent les auteures dans la préface. CQFD.

    Dans Run Fast. Eat Slow, ce sont plus de 100 recettes qui sont proposées par l’ancienne médaillée olympique et l’ancienne directrice de marketing devenue cuisinière professionnelle pour le Natural Gourmet Institute for Health and Culinary Arts.

    Il y en a pour tous les goûts dans ces plats présentés par Shalane Flanagan et Elyse Kopecky : sans gluten, végétariens, végétaliens, bios et conçus si possible par des produits locaux – une précision qui prouve qu’acheter dans des circuits courts est aussi une préoccupation aux États-Unis.

    Le lecteur ne sera pas déboussolé par un ouvrage à la fois intelligent, cool et qui est tout sauf un manuel de coaching pour athlète averti. Les deux auteures précisent d’ailleurs que les recettes proposés ne mentionnent ni mesures de calories, ni décomptes de glucides, protéines et lipides. Shalane Flanagan et Elyse Kopecky se content de faire un focus sur les apports en vitamines, antioxydants ou omégas 3 contenus dans tel ou tel aliment.

    Pour le reste, pas de bavardages inutiles mais des recettes qui donnent envie de se mettre aux fourneaux, que l’on soit athlète ou non : les boulettes de bison marinée, le pesto de roquette aux noix de cajou, le crostini au chèvre, figues et thym, la salade aux nouilles soba et sauce aux cacahuètes du coureur, le poisson en papillotes au citron et aux olives ou les muffins de super-héros.

    Avec ça, peu de risque que l’après-repas se transforme en un long tunnel digestif. Il se pourrait même que vous vous sentiez l’âme d’un sportif et que vous décidiez de prendre en main votre santé et votre corps.

    Shalane Flanagan et Elyse Kopecky, Run Fast. Eat Slow, éd. Amphora, 2017, 242 p.

  • Jon and Roy, musicalement durable

    C’est à Vancouver que le trio (sic) canadien Jon and Roy a enregistré son septième album The Road Ahead Is Golden, sorti en France le 9 juin en digital et le 23 juin en disque.

    Jon Middleton et Roy Vizer, accompagnés de leur troisième comparse Louis Sadava, proposent une folk musicalement durable, dans les onze titres authentiques de The Road Ahead Is Golden. Jon and Roy nous baladent dans un paysage artistique qui sent bon les voyages, la recherche de la paix intérieure et les grands espaces : "I’m heading for the other side / Where the light is always right / Where we don’t have all these heavy plights / And the loving overrides" (The Better Life).

    Jon and Roy parlent de liberté, d’honnêteté et de cette difficulté à être soi-même, nous obligeant à être dans une course vaine et sans fin : "You're dragging on like wintertime / Rolling through the rubble on your mind / Back in your knowing place / With a weapon you don't want to waste but hey / Now you're on the ground and running" (Runner).

    Pas de chichis pour un groupe qui ne s’embarrasse pas d’artifices ou de technologies : instruments acoustiques, voix posée, mélodies travaillées avec soin. Il est connu qu’il n’y a rien de plus difficile que la simplicité. Mission remplie donc pour le groupe canadien. Jon Middleton affirme ceci : "Nous avons travaillé vraiment dur pour cet album, bien que tout soit arrivé très vite."

    Les successeurs de Nick Drake imposent un pop-folk durable et qui a vocation à durer. Du moins, Jon and Roy s’y emploieront dès cet été, grâce à une tournée en Europe. Ils seront d’ailleurs en concert au Festival Rock Les Bains le 13 août prochain. Pour reprendre le titre de leur dernier album, la route est dorée pour les Canadiens de Jon and Roy.

    Jon and Roy au Festival Rock Les Bains, Plombières-les-Bains (88), le 13 août 2017
    http://jonandroy.ca

  • Les Seper Hero sont increvables

    Seper Hero commence comme un drame. Marine Barnérias, étudiante en école de commerce de 21 ans, apprend en 2015 qu’elle est atteinte d’une sclérose en plaques (ou SEP). La stupeur, l’effroi et l’incompréhension anéantissent dans un premier temps cette jeune femme cash, dynamique et entière. Tout un monde s’effondre à l’annonce de cette maladie dégénérative : "Ce n’est pas comme un requin qui vous engloutirait d’un coup, mais on vous croque petit à petit tout en vous laissant avec la conscience de ce qui est en train de se passer."

    Les premiers temps se passent dans les salles d’attente des hôpitaux, dans les urgences ou dans les cabinets des médecins. Marine n’est pas tendre envers certains professionnels, comme le prouve cet échange avec un neurologue dénoué d’empathie et qui lui dit ceci : "Je ne m’attache pas aux patients, sinon je ne pourrais pas exercer ce métier." No comment.

    Le cataclysme de la SEP bouleverse l’étudiante qui décide cependant, dans une audace inconsciente, de se lancer dans un projet solitaire et ambitieux : effectuer un voyage d’environ un an et demi en Nouvelle-Zélande, en Birmanie et en Mongolie. Derrière ce défi humain, il y a d’abord le besoin, dit l’auteure, de remettre debout trois piliers qui ont été mis à mal par sa maladie : le corps, l’esprit et l’âme.

    Mue par cette "seper envie de partir", Marine rejoint l’autre bout du monde avant de commencer un périple hors du commun en avion, en bateau, en car, à pied ou en auto-stop. La jeune femme entend faire de cette aventure un voyage initiatique : "Être face à mon stress ! C’était bien le but de mon départ ! Le stress est la première chose que je souhaite essayer de mettre de côté."

    L’étudiante française, citadine, insouciante mais aussi tête en l’air, fait de sa maladie un camarade de route qu’elle personnifie et nomme Rosie : "Je commence par parler à ma sclérose. Je lui parle tout le temps, comme à un compagnon de voyage. Et elle l’est. Je lui demande beaucoup de choses pour notre colocation. À sa place, j’aurais rendu les clefs depuis longtemps ! On se connaît à peine et elle a déjà une liste de critères à remplir. Je me force à ne pas penser ni réfléchir, mais uniquement à marcher et écouter."

    La rencontre avec les autres, ces inconnus parlant une autre langue, ces Européens parfois simples touristes ou ces expatriés français devient finalement l’autre but de Marine. Munie de sa pancarte "DONT WORRY, I AM COOL !" et surtout d’un sens du contact étonnant, l’increvable "seper hero" fait tomber les différence de langues, de cultures et de comportements pour partir à la rencontre de ces inconnu(e)s : un pianiste à Queenstown, le Maori Ray, Helionor, une jeune avocate française atteinte elle aussi de SEP, le guide birman Ko Saw, l’expatrié vosgien Côme, l’éleveur mongol Ikbath, ou le couple tsaatan Mooji et Dolgor. Voilà ce que l’auteure dit au sujet des Birmans qu’elle croise : "Durant ce passage au lac Inle, j’ai rencontré une multitude de personnes. J’ai l’impression que ça devient une drogue de découvrir les autres et leur histoire. La rencontre m’apaise et me stimule."

    Le voyage au long cours de Marine est bien entendu semé d’embûches. La SEPer globe-trotteuse rappelle que faire du stop en 2017 reste toujours aussi risqué. La solitude, le manque de la famille et des amis, le stress, la peur et l’angoisse font partie du quotidien de la jeune voyageuse. La citadine occidentale découvre aussi la puissance de la nature : "C’est une impression assez étrange de communion et de proximité avec la nature qui nous laisse exister pour qui nous sommes, car la nature nous a fait comme ça !" Marine se trouve propulsé dans des pays d’un autre temps. En Mongolie, chez les Tsaatan ("les rois de la nature domestiqués"), c’est comme en cow-boy d’un Eastern préservé qu’elle côtoie les chevaux des steppes mongoles : "Les chevaux sont magnifiques, un gabarit beaucoup plus petit par rapport aux chevaux européens. Mais ils sont mille fois plus robustes. Ici la manucure équestre n’existe pas, ni la crème hydratante ou le démêlant. C’est remplacé par l’eau des rivières, la boue pour se protéger des moustiques et le vent pour se brosser le crin."

    Finalement, les découvertes les plus fondamentales sont aussi les plus simples : le partage, les sourires, l’hospitalité, l’entraide, l’amitié, le rire, la fraternité mais aussi la méditation lorsque Marine choisit de s’isoler dix jours dans un monastère bouddhiste. "Oui, l’Homme existe, je l’ai rencontré. Le bon, le bienveillant, le généreux, le vrai, il existe ! Et il est Birman !" affirme avec force la petite Française.

    Ce qui devait être un voyage pour oublier une maladie terrible et entreprendre un challenge personnel se révèle être un modèle d’abnégation, d’ouverture et de reconstruction. La femme et l’homme occidental y trouvent matière à réflexion : "Quel est cet esprit vagabond si instable, si faible, si agité, sans paix, sans tranquillité ? Il ressemble à un singe qui bondirait de branche en branche. D’un sujet à l’autre. Comme un taureau en liberté."

    Voyage physique et voyage intérieur : telles sont les deux facettes de cette aventure à l’autre bout du monde. Marine Barnérias sort transfiguré, à la faveur de cette passagère à la fois discrète et sournoise qu’est Rosie : "Je me rends compte que j’ai de plus en plus envie de construire ma vie." La SEP, terrible et impitoyable, est comme domptée contre toute attente par une petite bonne femme increvable : "J’étais dans le déni de ma maladie et que je savais qu’un traitement n’aurait pas fonctionné."

    Marine Barnérias adresse de saisissantes suppliques à ses lecteurs : "En fait, nous sommes tous malades. Il est LÀ le message que j’aimerais faire passer. La plus grosse maladie pour moi est de ne pas s’écouter… La solution n’est pas forcément le voyage, loin de là, mais le voyage à l’intérieur de soi." Un double voyage "interdit" que la Sepeuse a accomplie : elle ne savait pas que c’était impossible, alors elle l’a fait.

    Marine Barnérias, Seper Hero (Le voyage interdit qui a donné du sens à ma vie),
    éd. Flammarion, 2017, 472 p.
    Seper Hero : chaîne Youtube

    Page Facebook de Marine Barnérias
    Extraits de Seper Hero