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  • Lavie, mode d'emploi

    Oren Lavie, le grand public l’a découvert cette année grâce au duo qu’il forme avec Vanessa Paradis pour la chanson Did you really say no?, le premier titre de Bedroom Crimes. Cette perle musicale initie un album folk d’une belle cohérence, à la fois mélancolique et léger, porté par une vraie voix de crooner.

    Oren Lavie a déjà plusieurs vies derrière lui : homme de lettres et philosophe israélien, écrivain jeunesse (The Bear Who Wasn’t There), dramaturge (Sticks and Wheels en 1997), animateur pour la télévision (chez Jimmy Kimmel), youtubeur (Her Morning Elegance a été vu par plusieurs dizaines de millions d’internautes et est présent dans Bedrrom Crimes avec une nouvelle version), compositeur de musiques de films (pour Le Monde de Narnia) et, bien entendu, auteur et chanteur. Bedroom Crimes est une nouvelle facette d’un artiste aux multiples facettes, fascinant et attachant. Tel un opéra pop, ce concept album se divise en deux actes, aux titres se répondant mutuellement et se faisant écho. Ces titres sont autant de scènes, ponctuées par des d’intermèdes, les trois "sonates sentimentales" (Sonata Sentimental #1, #2 et #3).

    Dans le titre phare Did you really say no?, Oren Lavie permet à Vanessa Paradis de s’illustrer comme rarement, avec une grâce solaire : "Were you happy as a child? / Saw you dancing in the breeze? / Baby baby on the floor / What did you come here for? / Did you really say no?"

    À ce duo, vient répondre directement, plus loin dans l’album, le très réussi The Passion Song, à l’instrumentation soignée à la Tindersticks et à la voix caressante : "Did you really say No? / Well, I thought you meant yes / There were shadows in your hair / There were flowers on your dress / And the flowers grew wild / And the shadows grew thin / You were happy as a child / Dancing in the wind."

    L’artiste israélien mise sur des mélodies soignées, le timbre chaleureux de sa voix tout en nuances et quelques instruments – piano (Sonata Sentimental #1 - You’ve changed), guitares (Note to Self), cordes (Did you really say no?), ou cet ensemble jazzy réduit pour la reprise de Her Morning Elegance.

    Dans Look At Her Go, Oren Lavie ose toutefois, avec réussite, l’électro pour un titre enivrant, sombre et mystérieux : "Look at her go she was oh so sweet / Bringing apples and flowers and things / to eat / Oh such beautiful flowers / Sweets to devour / She’s pretty and soft / He’s perfumed and showered.

    Autopsy Report est un autre titre phare du disque, à l’engagement plus sombre, plus gothique, plus sophistiqué aussi. Oren Lavie prouve dans cette chanson tout le soin qu’il met à ses textes : "Second victim on her back / Yellow hair dyed Auburn Black / Cause of death: a slow decay / Time of death: was every day / Spray a drop of your perfume / Watch the flowers, now in bloom / There’s a stranger in your room? / Baby baby made no sound / Saw your body hit the ground / Oh no… Oh No..."

    Bedroom Crimes, qui est aussi le sous-titre de la deuxième Sonata Sentimental, s’avère l’album d’un écorché vif pour qui l’amour n’est pas la bluette innocente mais une arme mortelle (Autopsy Report) qui fait de nous des assassins ("Tell now, my sweet / Am I bleeding on the sheets? / Guilty of a crime / Committed in my sleep? / Crimes we commit / Moving underneath the sheets," Sonata Sentimental #2: Bedroom Crimes). La séparation, l’incompréhension et la douleur : en crooner mélancolique, Oren Lavie fait l’autopsie du sentiment amoureux, dans ce qu’il a de plus lumineux ou de plus sombre :"The dark uncovers us / And under the covers / Lying Second hand lovers / Tonight" (Second hand lovers). Voilà ce qui constitue le mode d’emploi et d’écoute d’un album passionnant.

    Oren Lavie, Bedroom Crimes, Sony Music A+LSO, 2017
    https://www.orenlavie.com

  • La fête... de quoi ?

    Prêts à vous faire péter les tympans, en ce 21 juin ? Bob Sinclar et la les experts de la Journée Nationale de l’Audition (JNA) ne mangent pas (ou plus) de ce pain là. Le célèbre DJ s’est allié avec des experts de l’audition pour promouvoir une fête de la musique acoustiquement éthique. Il y avait la malbouffe, il y aura désormais sans doute la "mal-musique."

    Éviter les risques d’acouphènes après une exposition sonore prolongée lors d’un concert ou une soirée en discothèque : c’est le message que le collectif d’experts de la JNA va diffuser pendant la Fête de la Musique mais aussi les festivals de l’été 2017.

    Pour cette campagne, les responsables de la JNA se sont offerts une collaboration hors-norme : celui de Bob Sinclar, DJ international, star de l’électro, roi de la nuit et qui a fait des décibels sa notoriété.

    L’artiste français a accepté de mettre son image au service de la prévention auditive. Pour cette Journée de l’Audition, une bande dessinée a été créée, avec Bob Sinclar dans le rôle principal. "Pour moi, cette BD, c’est pouvoir dire aux gens : faites attention à vos oreilles, protégez-vous le plus possible, ne restez pas près des enceintes, si vous voulez participer un maximum, et être devant, mettez des bouchons d’oreille pour vous protéger. Les bouchons ne vous coupent pas de la musique mais vous font participer, sans risques !"dit le DJ.

    La Journée Nationale de l’Audition a fait de cette bande dessinée le support principal pour parler de la nécessité de protéger ses oreilles, y compris chez un roi de la fête comme Bob Sinclar : "Moi, je fais toujours attention à mes oreilles, avec du matériel professionnel, je ne suis pas sur la piste de danse, je n’ai que du matériel professionnel que j’adapte à mes besoins. Je n’ai pas cette puissance sonore qu’il peut y avoir sur le dance floor ou pendant un concert."

    Cette BD de 12 pages sera diffusée à plus de 200 000 exemplaires dans de nombreuses villes de France et salles de spectacles, comme l’Alhambra, le festival Fernande à Sète, Sud Concerts ou les Pluralies, et avec le soutien des restaurants de fast-food Subway et de chaîne de distribution Cultura.

    Professionnels de santé, audioprothésistes, sophrologues et acteurs de la prévention seront quelques-uns des acteurs de cette JNA, avec bien entendu Bobn Sinclar en maître de cérémonie.

    http://www.journee-audition.org

  • Mimpe-moi

    Parmi les centaines de réseaux sociaux existant, un a retenu notre attention. Il s’agit de Mimpe, téléchargeable aujourd’hui sur l’Apple Store, et bientôt sur Android.

    La première de ses particularités est qu’il est l’œuvre d’un très jeune entrepreneur, comme la nouvelle économie en produit depuis la naissance de l’informatique. Le créateur de Mimpe, Maxime Payage, a vingt ans et déjà une expérience de six ans dans le développement. On lui dit une dizaine de jeux vidéos. Son dernier en date, Floyd the Leprechaun, est sorti il y a deux ans, alors que le jeune entrepreneur était étudiant en Maths Sup.

    Maxime Payage voit cependant déjà plus loin, comme il le dit lui-même : "C'est lors de la "pause estivale" entre les 2 années de prépa que j'ai décidé de faire une pause dans le développement de jeux (pour des raisons justifiées) afin de me concentrer sur un projet que j'avais en tête depuis longtemps, faire un nouveau type de réseau social."

    Un nouveau réseau social ? Pour quoi faire ? Le créateur de Mimpe a imaginé son application en ciblant d’abord ses utilisateurs potentiels. Mimpe ne concurrence pas les Facebook, Instagram et autres twitter : il vise à devenir un réseau social spécialisé dans l’art, la culture et les loisirs. Et c’est pour cela que Bla Bla Blog s’y intéresse. "Ce qui différencie vraiment Mimpe des autres est son contenu. Il y a aussi la présence de Mimpenger au sein de Mimpe, un service de messagerie instantanée qui permet d'échanger direct avec le Mimpeur du post qui vous intéresse", dit encore Maxime Payage.

    Lancé en décembre dernier, après un an et demi de travail, Mimpe fonctionne comme une plate-forme de partage, intuitive, interactive et à vocation culturelle. Le "mimpeur" ne sera pas dépaysé avec ces fonctionnalités classiques sur les réseaux sociaux : publications de textes, photos et vidéos, partages, recherches grâce au système de hashtags, commentaires et messagerie.

    Mimpe pourrait bien devenir un outil à la foi spécialisé et très utile. Il ne reste plus à Maxime Payage qu’à jouer des coudes pour faire sa place dans un milieu trusté par des groupes déjà bien installés. Mais après tout, Mark Zuckerberg n’a-t-il pas créé Facebook dans une chambre d’étudiant ?

    Mimpe, sur l’Apple Store

  • Dix ans d’âge métal

    Il n’y a pas destruction sans construction et inversement, nous dit Romain Lienhardt au sujet de sa série intitulée Dix ans d’âge métal.

    Le concept de ces créations plastiques ? Un travail d’appropriations, de déstructurations et de reconstructions à partir d’objets de notre enfance. Les jouets et les souvenirs sont détournés, démontés, remontés, déboîtés, recollés et transformés en fétiches faussement sacrés, ready-made caustiques ou créations surréalistes : un ours en peluche comme sorti d’une poubelle in extremis, des jouets cabossés symbolisant la souffrance de l’enfance, un aquarium où s’agite un requin sur le point de dévorer un Playmobil que l’on vient de lester, un crucifix Big Jim transformé en relique syncrétique ou encore une figurine de Goldorak démembrée. L’enfance de Romain Lienhardt se cristallise en effet autour de figures iconiques détournées, tel ce Dark Vador sanglé sur un banc clouté (Dark Adore).

    Romain Lienhardt transforme les objets les plus innocents en créations provocatrices. Les souvenirs de notre enfance deviennent les symboles de jeunes années plus rudes et violentes qu’on ne l’imagine. Ce sont aussi ces armes faites en Lego, cette maison de poupée devenant un lieu de perdition, ce bilboquet inoffensif transformé en instrument de torture ou encore ces poupées comme martyrisées.

    L’artiste parle encore de l’enfance avec ces poupées désarticulées dans la série Scarecrows, afin "qu'il ne reste du songe / Qu’une marque de sang / Et un épouvantail". Les poupées de l’artiste plasticien deviennent totems et figures taboues : l’assemblage d’une pédale d’embrayage et de boîtes de conserves devient figure anthropomorphique, une petite bonne femme portant coiffe, tenue de ville et sac à main ou bien la pathétique relique représentant un Templier au combat.

    Dans Child Game, Romain Lienhardt utilise la peinture comme moyen d’expression basique, naïf et transgressif. Le pinceau s’affranchit des règles académiques comme le ferait un enfant. La peinture se fait coloriage, grimage et barbouillage. La traditionnelle palette sert à transformer une photographie anodine en création brute ou à créer ex-nihilo des tableaux à la Cy Twombly.

    La photographie est capitale dans le travail de Romain Lienhardt. Grâce à ce médium, l’artiste fait se rencontrer le travail documentaire (Amusement Park) et la création pure, parfois très sombre. Clinical model (Espace Artcore, Paris 2006) nous transporte dans un lieu secret que le tueur en série Dexter n’aurait pas renié : les sujets sont cette fois des mannequins démembrés et réduits à l’état de victimes anonymes.

    La série Figurative frappe par son apparente hétérogénéité. L’artiste y a rassemblé des clichés comme autant de pièces à conviction sur notre époque. S’y côtoient des clichés faussement documentaires (l’enseigne d’une pharmacie semblant "pleurer"), des compositions surréalistes (une chaise an cœur scintillant ou un panneau de signalisation aux signes kabbalistiques), des accumulations à la Arman (des armes) ou des ready-mades inspirées de Marcel Duchamp (pissotières laissées à l’abandon). Cette série a son pendant, Transfigurative, plus engagée et plus noire aussi : portraits ou personnages composés, déstructurés, tatoués, anamorphosés, mis en scène ou "code barrés." Romain Lienhardt se fait plus engagé et particulièrement grinçant avec une revisite de la Joconde en camisole de force et voilée.

    La religion, extrêmement présente chez l’artiste (à l’exemple de Graveyard), est au centre de Night Vision, un triptyque de 2014. Romain Lienhardt s’est intéressé à une crèche située dans un petit village allemand près de Monschau. Le résultat ce sont des scènes moins religieuses que fantastiques : "La nuit, berceau des rêves et des projections imaginaires, permet à ce bestiaire d’exister dans des représentations fantasmagoriques inspirées des œuvres de Giuseppe Arcimboldo ou de Jérôme Bosch" commente-t-il.

    À ces visions sombres, répond le blanc clinique, impersonnel et tout aussi inquiétant de la série Blank. Décors, mobiliers, statues, compositions et installations géométriques sont travaillés avec un soin tout particulier. L’artiste joue avec l’épure, les lumières diaphanes ou les brumes épaisses lorsqu’il compose des paysages oniriques tout droit sortis d’un film de Tim Burton. On cherche en vain un être humain dans ces clichés ; on n’y trouve que chaises vides, lits défaits, nature déserte et studios impersonnels. Et surtout ce blanc, omniprésent. Le titre de cette série peut d’ailleurs rappeler la fameuse page "blank" d’un navigateur Internet n’amenant vers rien.

    C’est le blanc d’une chambre d’hôpital où a gît un moribond que l’on vient d’évacuer vers une morgue. C’est le blanc du studio de photo qui attend la star "condamnée" à être la "cible" d’appareils braqués sur elle tels les fusils d’un peloton d’exécution. Le blanc est celui de ces paysages peuplés de figues fantomatiques ou de décors inquiétants et cliniques : des scènes de plein air aux lumières saturées et comme peuplées d’ectoplasmes ou bien le décorum d’un chef d’état. C’est le blanc surréaliste, mystérieux ne cherchant aussi qu’à être rempli. C’est le blanc du possible, du tout est possible ou du rien n’est possible.

    Le travail de Romain Lienhardt sera exposé à la rentrée prochaine dans le cadre des journées In The Mood For Art, dont Bla Bla Blog sera partenaire.

    http://www.romainlienhardt.com
    © Romain Lienhardt

  • Foutu caractère indomptable

    Sombre et attachant est l’univers de Camicela qui a fait du violoncelle, son instrument fétiche, le compagnon de chansons intimistes, dures et fragiles à la fois. Elle nous slame, dans le premier titre de son EP Parfois Si Sombre, être "en perte de repères / Pour ne pas perdre pied." Et d’ajouter : “J’ai mes sens qui partent en vrille / Mon corps qui me renie / La folie est l’essence même de mon être / Ma lâché elle aussi / Je sais plus qui je suis" (Parfois Si Sombre).

    "Foutu caractère indomptable" que cette musicienne qui sait utiliser le plus classique des instruments – le violoncelle – dans des chansons hyper actuelles, personnelles et gothiques.

    Une artiste d’aujourd’hui, Camicela l’est assurément. L’influence de Camille est présente dans le titre Tu sais. La voix juvénile accompagne le violoncelle, tel un fil conducteur faisant vibrer cette chanson faussement enlevée. La musicienne nous parle de rupture, de l’abandon et de la recherche de soi : "Depuis que la vie m’a fait faux-bond / J’ai perdu la raison / Après ces longues discussions / Avec mon esprit défiant / Mon cœur mon âme mes démons / C’est la vie qui m’a fait faux-bond."

    Dans Tempete, titre électro-pop, l’artiste laisse son instrument fétiche au second plan, au profit de claviers cristallins très 80’s, donnant à cette histoire d’amour déçue l’allure d’un chant funèbre. : "Je resterais figé / Chaque jour que la vie fait / Le long de ce rivage / Où tu es parti faire ce voyage / Je te suivrais à l’horizon / Je crierais ton nom."

    Les premières notes de Venins sonnent comme un slam interprété lors d’un concert de musique de chambre, avant que Camicela ne s’aventure sur un air de habanera : "Tu as soif de ce venin malsain / Tu en as besoin / Il te comble sans fin / Je te le dis / Et sans moindre dédain / Prends garde à toi." Camicela, nouvelle Carmen nourrie au classique comme à la musique urbaine, serait-elle cette femme fatale à l’instar de l’héroïne de Bizet ?

    Sans doute. L’artiste serait donc définitivement cette grande et sombre romantique. C’est du moins ce qu’elle montre dans le dernier titre de son EP, Poivre Et Sel, un morceau sombre et bouleversant à la mélodie entêtante : "Poivre et seul / Sans ami sans amant / Sans désir d’avenir / Pas sans toi / Poivre et sel / sans envie dans le temps / Avec seulement / L’espoir que tu reviennes vers moi." Impossible de ne pas flancher à l’écoute de cette "histoire sans lendemain" qui parle d’un idéal qui ne reviendra plus : "Des heures à voir ce reflet / Reflet de mon visage incertain / Des jours des mois des années / Reflet de notre histoire sans lendemain." Camicela chante ces chagrins éternels et nous parle du choix de "passer à côté d’histoires poivrées et d’histoires salées", "quitte à venir vieille et folle / Échevelée et sans dent."

    Rien que pour ce titre, le dernier EP mérite la découverte de cette foutue fille au violoncelle, indomptable et déchirante.

    Camicela, Parfois Si Sombre, Label #14 Records, 2017
    Page Facebook de Calmicela
    http://diese14.com

    © Camicela
    Photo © Marie Furlan 

  • Ma chair et tendre

    Vous êtes avertis que le dernier ouvrage de Stella Tanagra s’aventure dans un domaine très chaud et prend à bras le corps un sujet universel : le sexe.

    Dans son recueil Sexe primé (éd. Tabou), celle que je nommerais "la petite princesse de l’érotisme" allie l’audace à une écriture ample et travaillée. Là est sans doute la spécificité de Stella Tanagra, qui n’entend pas laisser un pouce de terrain à la vulgarité facile, à l’intrigue neuneu ou à l’écriture basse de plafond : "Nos ergonomies s’éprennent comme deux ventouses dont les succions nous lient ardemment si bien que l’enchevêtrement de nos êtres est semblable à une sangsue géante. Nos apparats à l’accoutumée flasques se transforment en membres qui se contractent et s’allongent" (Ces Messieurs me disent).

    Pour brouiller les pistes, l’auteure débute et termine Sexe primé avec deux textes poétiques et amoureux (Tout se promettre sans le dire et Les Jours qui suivent), des sortes de contre-feux pour un recueil âpre, envoûtant et souvent déstabilisant. La passion (La dérive amoureuse), le coup de foudre (Ma Chair et tendre), la rencontre fortuite (Scène de crime), le quotidien triste, cruel et trivial (Un gentil garçon), le désir qui n’a ni âge ni raison (Puppy Love), ou encore les expériences extrêmes (Peau percée) parlent du désir, du corps, des fantasmes mais aussi des perditions. Le sexe, au cœur de ces nouvelles, est habillé de préliminaires littéraires grâce à une langue baroque et poétique.

    Dans La dérive amoureuse, une étreinte est racontée par un narrateur, installé avec sa femme Océane au bord d’une piscine. L’érotisme du moment se confond avec celui des souvenirs et des dialogues, jusqu’à cette scène tragique, décrite avec un lyrisme tout baudelairien : "Son visage livide aux lèvres violacées m’indiquait un message fatidique, celui de la laisser rejoindre la noirceur de la fosse océane."

    La mort et la souffrance affleurent d’ailleurs régulièrement dans le recueil. Scène de crime, qui commence par une scène de drague classique, glisse vers un jeu pervers : "Ton engin est une arme de crime excessivement jouissive." Stella Tanagra prend le lecteur à rebrousse-poil dans le texte Sans sortir. Cette étonnante et glaçante nouvelle est construite autour des cinq sens ("Vision", "Mélodie", "Parfum", "Sensation", "Saveur"). La jeune narratrice décrit une série de fantasmes rassurants dans un univers post-apocalyptique où le sexe est devenu l’arme du malheur, de l’abomination et de la solitude.

    Il est encore question de fantasmes dans Écran total. Un geek se fait le parangon du sexe triste à l’époque des écrans d’ordinateur, smartphones et autres tablettes : "Trop amoureux des femmes pour être capable de me contenter d’une seule, toujours à chercher plus que ce que j’ai déjà, je te tiens donc responsable, toi et ton petit cul à tomber par terre, de ma mélancolie de ce soir." La masturbation ne représente qu’un pis-aller dérisoire : "Ma vie sexuelle est une fatal error 404. Je me masturbe encore… Je suis un puceau qui a déjà tout vu mais qui n’a jamais rien fait."

    Il est vrai que "le fantasme est toujours plus ambitieux que le réel." Prenez l’exemple de la nouvelle Ma chair et tendre. Non sans référence à Alina Reyes (Le Boucher), l’auteure prend le partie d’érotiser des pièces de nourriture étalées dans un étal de boucherie. Une paupiette renvoie au bondage et une cliente devient l’objet de tous les fantasmes : "Toutes ses ficelles qui tracent les contours de son corps prononcent ses plantureuses rondeurs. Celles-ci se dévoilent à mesure que les filaments poursuivent les courbes de sa corpulence féminine… Saucissonnée dans ces fibres tendues de part en part de ses tissus organiques, je me gave de cette esthétique qui alimente ma déraison." Le péché de gourmandise devient dans la bouche de Stella Tanagra un moment de luxure délicieusement illicite : "La gloutonnerie est mon vice."

    Stella Tanagra reluit son érotisme d’une noirceur quasi omniprésente, en poussant loin l’audace. Aux descriptions bucoliques de Ces messieurs me disent répondent ces scènes sadiennes dans Les profondeurs ("J’étais dans l’antre des fantasmes") et plus encore dans Peau percée. Cette histoire à deux voix nous plonge dans une orgie racontée tour à tour par Tshuni (la "reine des bites") puis par son compagnon Luigi. Dans une langue ample et travaillée, la narratrice décrit un un gang bang fantasmagorique au cours de laquelle la jeune femme fait figure de déesse érotique autant que de défouloir collectif : "Mon corps s’écoule de tous ses avilissements, une liquéfaction libératrice sans doute et que reste-t-il ? Une peau neuve. Je me suis régénérée en emmagasinant les énergies de tous ceux qui ont fait de moi, la suite d’eux et de moi." L’auteure allie onirisme et crudité pour susciter chez le lecteur la même stupéfaction que le second narrateur : "Je croyais que les filles aimaient les contes de fées et les princes charmants. J’étais déboussolé, mes repères mis à mal."

    La violence se fait cruauté dans ce qui est la nouvelle la plus engagée, Un gentil garçon. L’auteure ouvre la chambre à coucher d’un couple ordinaire, avec un homme a priori au-dessus de tout soupçon mais qui se révèle un épouvantable pervers narcissique : "Il n’hésite pas à asséner des gifles soutenues sur les joues de Camille afin de libérer ses pulsions… Incapable de refréner ses élans passionnels, il aime la voir se mourir pour mieux la faire jouir."

    Sexe primé permet à Stella Tanagra de s’aventurer sur des chemins inattendus et aussi passionnants les uns que les autres. La petite princesse de l’érotisme fait trembler, l’air de rien, un genre littéraire parfois prisonnier d’archétypes. Ces 12 nouvelles délivrent au lecteur autant de coups de griffes revigorants, à l’instar celles qui ponctuent les étreintes des amants.

    Stella Tanagra, Sexe primé, éd. Tabou, 2017, 144 p.
    http://stellatanagra.com
    Pour adultes avertis

    © Stella Tanagra

  • Nice, les pieds dans l'eau et la tête dans les livres

    Le Festival du Livre de Nice est le rendez-vous littéraire incontournable du printemps. Du 2 au 4 juin, plus de 200 écrivains (romanciers, essayistes, poètes, polémistes, historiens, célébrités) se retrouveront sur le festival sous la présidence de Paule Constant, de l’académie Goncourt et de Dany Laferrière, de l’Académie française. Rencontres et dédicaces, animations, débats, lectures, spectacles, échanges passionnés, discussions et découvertes… Trois jours, sous la direction artistique de Franz-Olivier Giesbert, qui vont passer comme un souffle pour les amoureux des livres.

    Nice, dans la Baie des Anges, est une vigie sur la Méditerranée. Un point de départ et d’arrivée, une ville qui embrasse l’immensité de ce fabuleux creuset d’hommes et de cultures. Sur son pourtour se sont levées toutes les civilisations qui nous ont façonnés. Mettre le Festival du Livre de Nice, cette année, sous la bannière bleue de la Méditerranée c’est s’ouvrir à l’histoire et aux histoires, au monde et aux mondes, à toute la littérature et à toutes les littératures. De très nombreux écrivains mettent le cap avec vous pour une belle croisière à travers les pages.

    Pour présider ce festival exceptionnel, deux académiciens. Elle siège au Goncourt, lui sous la Coupole. Paule Constant, grande voyageuse, qui avait obtenu le prix en 1998 pour Confidence pour confidence (Gallimard), magnifique histoire de femmes, a été élue au jury du Goncourt en 2013 au couvert de Robert Sabatier. La même année que Dany Laferrière à l’Académie française, auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont L’énigme du retour (Grasset), grand texte sur la réalité et les souvenirs.

    De toutes les rives, les écrivains de la Méditerranée convergent vers Nice pour parler de leur Mare Nostrum. René Frégni, Marseillais de naissance et de cœur, Helena Noguerra qui dessine entre la Côte d’Azur et l’Italie le décor d’une belle fugue amoureuse ou Christophe Ono-dit-Biot qui parle de l’enfance, des vieilles mythologies et d’Homère. Vous croiserez à Nice le grand poète syrien Adonis et la poétesse et romancière d’origine libanaise Vénus Khoury-Ghata, partagerez avec Sébastien Lapaque sa Théorie d’Alger (Actes Sud), avec Adrien Goetz les souvenirs de la Villa Kérylos (Grasset) et suivrez dans l’étonnante épopée des femmes de la famille de Saber Mansouri, l’historien, né en Tunisie et parti vivre à Paris. Franz Olivier Giesbert raconte les croisades. Une foule d’autres auteurs vous invitent au voyage. Bon vent.

    Les auteurs et les livres dont on parle sont également tous à Nice cette année : Didier Decoin et son Bureau des jardins et des étangs (Stock), Valérie Tong Cuong avec Par amour (JC Lattès), Didier van Cauwelaert qui signe l’attendu Retour de Jules (Albin Michel) ou Claire Gallois qui publie Et si tu n’existais pas (Stock). Engager la conversation aussi avec Douglas Kennedy, le plus français des écrivains américains (Toutes ces grandes questions sans réponse, Belfond), bavarder avec Grégoire Delacourt (Danser au bord de l’abîme, JC Lattès) ou Eric Neuhoff (Costa Brava, Albin Michel). Sans oublier Janine Boissard (La lanterne des morts, Fayard) ou Serge Joncour (Repose-toi sur moi, Flammarion). Vous aurez aussi des scientifiques, comme Boris Cyrulnik, Pascal Picq ou Axel Kahn, des célébrités (Sophie Davant, Andréa Ferréol, Gérard Jugnot), des politiques (Christian Estrosi, Jean-Louis Debré, Pierre Lellouche), une vingtaine de journalistes (Audrey Pulvar, Éric Naulleau, Jean-Michel Aphatie). Et pourquoi, histoire de commencer, ne pas vous lancer dans le panorama littéraire du Dictionnaire amoureux des Écrivains et de la littérature (Plon) que vient de publier Pierre Assouline. La première entrée, à la lettre A, est "Académie française". À tout seigneur tout honneur pour Dany Laferrière, coprésident avec Paule Constant du festival et… immortel.

    www.lefestivaldulivredenice.com
    www.nice.fr

  • Persona grata

    Edgär c’est Simon & Garfunkel dopés à l’électro. Le duo français s’invite en persona grata dans un univers pop-folk revisité. Venus d’Amiens, Antoine Brun et Ronan Mézière, à la composition, se livrent dans une osmose de voix quasi parfaite et nous offrent un premier EP Persona, qui est à découvrir en ce moment.

    Dans le premier titre Two Trees, les musiciens nous offrent une ballade planante, au point que rarement l’expression "techno psychédélique" n’a aussi bien porté son nom. L’auditeur saluera la précision de ce premier morceau minéral, tout comme sa légèreté musicale. Les voix ne font qu’une, s’entremêlent et s’envolent dans des arabesques zen.

    On retrouve la même facture cristalline dans The Painter. La rythmique y est cependant plus soutenue. Les deux nordistes imposent un titre éthérée et aérien, avec chœurs, cordes et bien entendu ces deux voix venues d’ailleurs.

    Teacup est le retour à de la pop-folk plus traditionnel. Les ordinateurs sont partiellement remisés au profit d’une guitare sèche et des voix plaquées plus sobrement.

    Edgär c’est l’électro à visage humain : un duo venu d’ailleurs et une sorte de chaînon manquant entre Simon & Garfunkel et la scène électro française.

    Edgär, Persona, Elegant Fall Support, 2017
    En concert le 1er juin au Petit Bain, Paris, avec Vanished Souls et Pamela Hute