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  • Rodin, l'alchimiste des formes

    Connaissons-nous vraiment Rodin ? Certainement oui pour ses œuvres les plus célèbres – Le Baiser, Le Penseur, Les Bourgeois de Calais ou La Porte de l'Enfer –, pour sa relation tumultueuse et passionnée avec Camille Claudel ou pour ses influences majeures sur la sculpture au XXe siècle. À ce sujet, Victoria Charles rappelle dans le très bel ouvrage qu'est Rodin, La sculpture nue (éd. Eyrolles) la portée artistique du sculpteur de Meudon sur les futurs travaux d’Ossip Zadkine, Pablo Picasso, Aristide Maillol ou encore Constantin Brancusi.

    Le génie de Rodin en fait un personnage majeur de l'art français à travers le monde. Sa carrière n'a pourtant pas été un long fleuve tranquille. L'auteure parle même d'un parcours laborieux. Cet itinéraire a commencé très tôt puisque Rodin, né en 1840, faisait preuve dès l'âge de 14 ans d'une solide aptitude au dessin. Sa formation suit les voies de l'académisme : auprès du sculpteur animalier Antoine-Louis Barye puis dans l'atelier d'Albert-Ernest Carrier-Belleuse, après une série de trois concours d'admission à l’École des Beaux-Arts, tous ratés ! Le jeune homme explore déjà les voies de la modernité, notamment lorsqu'il propose au salon de 1865 le masque de L'Homme au nez cassé (1863). Cette œuvre, dont Rodin était très fier, et qui était le fragment d'une statue cassée, est rejetée par le jury.

    Après avoir traversé l'Europe, le sculpteur se heurte aux critiques d'un milieu dubitatif sur son savoir-faire. Une première médaille en 1880, lors d'un salon, marque le point de départ d'une œuvre marquée par la virtuosité, l'expressivité et le réalisme.

    La reconnaissance officielle vient avec la commande publique de La Porte de l'Enfer, inspirée de La Divine Comédie de Dante. Victoria Charles consacre de nombreuses pages à cette œuvre imposante, influencée par la chapelle Sixtine de Michel-Ange, mais qui s’en démarque grâce à sa modernité inédite pour l'époque.

    La Porte de l'Enfer donne naissance à une sculpture autonome et majeure, Le Baiser (1884), qu'Auguste Rodin destinait au départ à l'imposante commande publique. L'autre œuvre issue de cette Porte est Le Penseur, que l'artiste avait nommé au départ Le Poète car elle était sensée représentée Dante en pleine méditation. Comme pour Le Baiser, Rodin en fait une statue indépendante en 1903.

    Victoria Charles consacre logiquement un chapitre à la relation enflammée entre Rodin et une de ses élèves, déjà géniale, Camille Claudel. Nous sommes en 1882. Elle a 18 ans, il en a 42. Il vit depuis 1864 avec Rose Beuret, qui est devenue très tôt son modèle. Avec Camille Claudel, la passion, la complicité et la reconnaissance mutuelle nourrissent deux géants de la sculpture : "Leur intense liaison agit sur l'art de Rodin, exaltant la mordante et coupable sensualité des figurines modelées pour la Porte de l'Enfer. Il donne à l'amour qui le consume les contours de certains de ses ensembles." L'auteure prend également pour exemple L'Éternel Printemps (1884) ou L'Éternelle Idole (1889). La fin de la relation entre ces deux géants de la sculpture en 1892 continue d'influencer Rodin : L'Adieu (1892), La Pensée (vers 1895) ou le très moderne Sommeil (vers 1890-1894).

    Rodin et les femmes : voilà un sujet à part entière que Victoria Charles n'omet pas de traiter. Hormis cette relation orageuse avec Camille Claudel, il y a le couple, atypique pour l’époque, qu'il forme avec Rose Beuret. Ils ne se marieront que l'année de leur mort, en 1917. La passion de Rodin pour les femmes transparaît dans ses œuvres : "À l'Hôtel Biron, Rodin passe presque tout son temps à dessiner. Dans cette retraite monastique, il se plaît à s'isoler devant la nudité de belles jeunes femmes et à consigner en d'innombrables esquisses au crayon les souples attitudes qu'elles prennent devant lui", écrit à l'époque Paul Gsell. Le sculpteur se permet tout ou presque avec ses modèles, nous apprend Victoria Charles dans le chapitre consacré à ses dessins érotiques  : "Pendant les séances de pose, Rodin demandait à ses modèles de se masturber, et quand elles étaient plusieurs, de s'étreindre, de s'entremêler et de se caresser mutuellement..." Le lecteur découvrira des œuvres picturales méconnues, exceptionnelles et d'une très grande audace. Les corps féminins sont saisis sur le vif, comme des "instantanés." La sensualité et le mouvement dominent ces séries de femmes inlassablement déclinées : aquarelles, collages, "femmes-vases" (1900) ou danseuses asiatiques (1907-1911).

    Les dernières années de Rodin coïncident aussi avec la première guerre mondiale. L’artiste est choquée par les désastres de la Grande Guerre. En raison du climat sombre, après sa mort en 1917 l’État s’oppose à des obsèques nationales : "C’est de cette façon que le plus grand génie du siècle, monument français à lui seul, est enterré par ses amis le 24 novembre 1917 dans le jardin de sa propriété de Meudon, auprès de sa femme." Reste la postérité de l’alchimiste des formes qui : grâce à Rodin, la sculpture vient de faire entrer d’une manière fracassante dans la modernité.

    Victoria Charles, Rodin, La sculpture nue, éd. Eyrolles, 2017, 190 pages
    Exposition "Rodin L’exposition du centenaire",
    au Grand Palais – Galeries nationales, 22 mars - 31 juillet 2017
    R
    odin, de Jacques Doillon, avec Vincent Lindon, France, 2017

  • Frontières

    Un petit mot d’abord sur le titre du roman de Ragnar Jónasson, Mörk (éd. De La Martinière). En islandais, mörk désigne la frontière ou la marche frontalière. Il est vrai que l’intrigue de ce polar venu du nord se situe à Siglufjördur, à l’extrême nord de l’Islande. Dans ce village proche du cercle polaire, un meurtre impensable a lieu. Alors que le pays est à la frontière entre l’automne et l’hiver, l’inspecteur Herjólfur intervient aux abords d’une maison abandonnée. Un coup de feu retentit. Le policier est abattu.

    Son collègue Ari Thór (déjà apparu dans son précédent roman Snjór) est chargé de l’enquête dans ce coin reculé et, jusque-là, paisible. Secondé par l’inspecteur Tómas, le crime de l’inspecteur Herjólfur pourrait bien être le révélateur de lourds secrets : celui de cette maison bien entendu, mais aussi ceux du maire Gunnar Gunnarsson, de sa collaboratrice Elín et de quelques notables de la région.

    Entre chien et loup, Mörk déploie à partir d’une intrigue policière a priori classique un ensemble de tableaux tragiques, ponctués par des extraits d’un journal intime qui viendra éclairer les circonstances du drame. À la frontière du polar et du roman intime, le livre de Ragnar Jónasson, multi-récompensé, nous murmure à l’oreille des histoires de vies brisées, de mensonges destructeurs, de cachotteries cruelles et de soifs de rédemptions.

    Mörk prouve aussi que le polar venu du froid a encore beaucoup à nous raconter.

    Ragnar Jónasson, Mörk, éd. De La Martinière, 326 p., 2017

  • Numéro un

    D’abord il y a cette voix, immédiatement envoûtante : puissante, rocailleuse et sensuelle. Julie Crouzillac, la chanteuse du duo Carré-Court, appartient déjà à la sphère des interprètes dont il ne reste plus grand-chose pour accéder au cercle restreint des grandes interprètes, à l’instar des Adele ou des Amy Winehouse. Car c’est bien ces deux artistes qui viennent à l’esprit dès la première écoute du premier EP de Carré-Court, N°1.

    Mais n’allons pas vite en besogne et arrêtons-nous sur ce premier mini-album, réédité ces derniers jours et qui donne l’occasion de découvrir un duo archidoué, créé en 2014, et qui s’est produit l’année suivante au Printemps de Bourges avant d’être remarqué par Les Inrocks.

    Dans un univers musical dominé par l’électro et le rap, celui de Carré-Court penche du côté de la soul, du blues, du jazz et du rock à la Elvis Presley. Grâce à ces influences, le duo d’artistes nous prend par la main pour un voyage entre Londres et New-York, période sixties.

    De prime abord il pourrait être question de nostalgie dans ce premier disque: voix chaude et jazzy, instruments acoustiques, style vintage revendiqué. Mais aucune reprise n’est à relever chez ce duo originaire du Limousin, si on omet toutefois la récente et convaincante adaptation Ace of Spaces... de Motörhead – un morceau absent toutefois absent de ce premier disque.

    Dans N°1, Émilien Gremeaux signe les quatre morceaux de cet EP qu’interprète la "so british" Julie Crouzillac, au look à la Bardot et comme sortie des caveaux enfumés de Chelsea, sous le regard de Nico, Twiggy ou Cliff Richard. Le style est là, assumé, jusqu’au bout des bottes : easy listening mais jamais nostalgique. Ce disque nous amène dans un univers à la fois rare et familier. La voix à la Amy Winehouse accroche l’oreille dès les premières notes du premier titre When Somebody Says. Plus pop, I Don’t Care s’appuie sur la richesse de timbre de la Julie Crouzillac pour un titre âpre et déchirant. Baby You Don’t Mind nous prend par la main, dans un rythme rock savoureux, interprété par une chanteuse à la puissance vocale rare. Mais Julie Crouzillac excelle surtout dans I Said, qui clôt ce premier disque de Carré-Court. Peu d’interprètes seraient capables de maintenir à ce niveau de densité un titre relevé, riche et épicé. Les chœurs, les arabesques mélodiques et les instruments acoustiques servent à merveille une chanteuse engagée dans ce rock 'n' roll passionné, sombre et envoûtant.

    N°1 sonne comme la naissance d'un duo et en particulier d'une chanteuse dont la carrière risque d'éclairer quelques années le monde musical. Ce premier EP est à découvrir et à réécouter : fascinant, électrisant mais aussi trop court.

    Carré-Court, N°1, Hoozlab, 2016
    http://carrecourt.com
    http://hoozlab.com/fr


  • La vie sexuelle de Laura L.

    Récit, roman, ou autofiction ? La catégorie du livre de Laura Lambrusco, Comment j’ai raté ma Vie sexuelle (éd. Act), importe sans doute moins que la facture décomplexée d’un ouvrage à la langue aussi verte qu’un gazon irlandais et aussi pétillant qu'un verre de lambrusco.

    En 14 chapitres, cette auteure qui n’a pas froid aux yeux dévoile tout de ses frasques amoureuses, de ses parties de jambes en l’air et de sa vie sociale régie par les petits boulots, les fins de mois difficiles et les amants et maîtresses de passage.

    A l’instar de Catherine Millet (La Vie sexuelle de Catherine M.), mais avec plus de légèreté et de verve, Laura L. ne cache rien du sexe dont elle a exploré les moindres recoins, dans toutes les positions et avec à peu près n’importe qui. Voilà qui fait d’elle quelqu’un de tout indiqué pour nous parler "sérieusement" du sujet le plus universel, le plus partagé mais aussi le plus caché : "La baise, l’amour, les pratiques bizarres, l’exclusivité sexuelle dans le couple, la bisexualité, l’homosexualité, la beauté, la branlette, l’enculage, le cocufiage, le mariage, les gosses, le boulot, les boîtes à partouze… et encore tout un tas de questions qui font chier, au fond, parce qu’elles dérangent l’ordre social plus que nous-mêmes."

    Et pour déranger, Laura L. en dérangera sans doute quelques-uns. D’abord par son style, un argot que la belle revendique : "L’argot, pour plein de choses, c’est mieux que le langage châtié, qui a parfois tendance à être un langage châtré." Cette langue assumée et travaillée à la Cavanna nous rend immédiatement familier cette bonne copine qui a décidé de ne rien cacher de ses fantasmes comme de ses coups d'un ou plusieurs soirs.

    L’auteure ne se contente pas de dresser un tableau de chasse de ses conquêtes masculines et féminines. Elle esquisse aussi quelques jolis portraits, tour à tout émouvants, singuliers ou pathétiques des hommes et des femmes qu’elle a croisés. Parmi ceux-ci, figure en première place Paulette, le rare personnage tragique de ce roman. Cette modeste caissière de supermarché est l’antithèse de Laura : quinquagénaire cataloguée comme "pas très jolie" mais au cœur d’or, fière et éprise d’idéal amoureux.

    Contrairement à Paulette, Laura s'écarte de ce destin tragique toute tracée. Elle n’est pas du bois dont on fait les femmes soumises, frustrées ou méprisantes pour ses contemporains. Elle aime le sexe, jusqu’à tenter les expériences les plus diverses : adultères en chaîne, lesbianisme, sodomie, escort-girl, boîtes de nuit ou strip-teases pour particuliers. Une vie sexuelle bien réussie en un sens… mais aussi ratée : en empruntant des chemins de traverse, notre Laura choisit en toute connaissance de cause la marginalité. Et même lorsqu’elle décide de suivre une "voie vertueuse", par exemple un modeste travail de secrétariat, "grâce à magnifique curriculum vitae, à peu près entièrement faux, mais qui reprenait point pour point ce qu’ils demandaient dans l’annonce", la belle expérimente une autre facette de la sexualité, glauque et scandaleuse, et qu’elle traite avec humour et férocité. Elle égratigne du même coup ces petits chefs qui pullulent en entreprise.

    Dans Comment j'ai raté ma Vie sexuelle, il est bien question de la "misère et grandeur" de cette vie faite de liberté mais aussi de solitude : Laura tire à boulet rouge sur la plupart des hommes qu’elle côtoie tout en se montrant en général bienveillante pour ses sœurs féminines, dont certaines ont d’ailleurs partagé un moment ou un autre son lit.

    Au final, Laura Lambrusco écrit dans les dernières lignes : "Voilà, vous savez tout et comment j’ai raté ma vie sexuelle. Et le reste aussi, ma vie professionnelle, affective, amoureuse, tout… Vous me trouvez pas humaine ? Très humaine ?" Cette ode à l’indépendance et à la liberté pourrait cependant se conclure par cette autre réflexion de notre bonne copine Laura, alors qu’elle vient d’abandonner son autoentreprise spécialisée dans le porno sur Internet au profit d'une carrière d’auteure : "Vous savez quoi ? Depuis, je suis heureuse et je me la coule douce." Une vie ratée ? Vraiment ?

    Laura Lambrusco, Comment j’ai raté ma Vie sexuelle, éd. Act, 2017, 126 p.
    http://www.editions-act.fr/lambrusco.html

  • Les candidats sur le divan

    C'est Roland Barthes qui peut être invoqué lors de la lecture de ces cinq essais regroupés sous le titre Mythologie des Présidentiables de Francis Métivier (éd. Pygmalion). L'auteur de Mythologies est d'ailleurs référencé dans le texte qui est consacré à Marine Le Pen, dans une citation pour le moins peu flatteuse : "Dans son article sur « Poujade et les intellectuels », Roland Barthes considère Le Pen père comme le représentant principal d’une catégorie de racistes dite raciste selon « le Sang »"

    Dans la pléthore de textes sur une campagne présidentielle démente, le philosophe et écrivain Francis Métivier prend le parti d'analyser la posture et surtout les discours idéologiques des candidats, tant il est vrai, écrivait Roland Barthes, que "le mythe ne cache rien, sa fonction est de déformer, non de faire disparaître."

    Voilà donc cinq essais, à la fois pertinents, intelligents et drôles, consacrés aux cinq principaux candidats, François Fillon, Benoît Hamon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Francis Méthivier met volontairement de côté les programmes et les argumentaires politiques pour s'intéresser aux postures (mais aussi aux impostures) de ces hommes et de ces femmes promis à un destin exceptionnel.

    Il est loin le temps du "Président normal" conceptualisé par François Hollande il y a cinq ans. Pour cette élection étonnante, Francis Métivier dissèque chaque candidat pour en faire des mythes aux yeux de la société. Plutôt que de parler de programmes politiques, de représentations de la France ou de traces laissées dans l'histoire, il est plus juste de parler d'idéologies, de doxa et de discours.

    Francis Métivier passe au tamis ces hommes et ces femmes – dont le/la futur(e) président(e) – pour les portraitiser en personnages divins, semi-dieux, héros mythologiques ou véritables démiurges : François Fillon est "le chevalier blanc – bien noirci – de la morale", Benoît Hamon représente "la résurgence du mythe hippie", Marine Le Pen est "l’anti-Jeanne d’Arc », Emmanuel Macron "le nouveau Moïse" et Jean-Luc Mélenchon "le Zeus révolutionnaire." Rien que ça.

    Aux yeux de l'auteur, Fillon endosse le costume sur mesure (sic) du héros sans tâche devenu en quelques semaines un "Raspoutine des urnes", renversant complètement la grille de lecture de ce candidat malmené par les affaires. "Sa mythologisation l’a fait accéder à un piédestal et il refuse d’en descendre." Au cœur de sa démarche de poursuivre sa campagne contre vents et marées, il y a cette idée machiavélique que la realpolitik et le sens de l'État guident l'homme de pouvoir : "Un esprit sage ne condamnera jamais quelqu’un pour avoir usé d’un moyen hors des règles ordinaires pour régler une monarchie ou fonder une république." Mentir serait une vertu politique et une marque de virilité.

    Bien plus cruelle est l'analyse que Francis Métivier fait de Marine Le Pen, "l'anti-Jeanne d'Arc". Les vertus cardinales prônées par la candidate d'extrême-droite - prudence, tempérance, justice et courage - cadrent assez mal avec le discours et la posture de la présidente du FN. Contre l'apocalypse sur terre et en France, la leader d'extrême-droite entend se dresser violemment contre un complot général : "Les étrangers qui ne réussissent pas et sont des prédateurs, les étrangers qui réussissent et prennent nos places." Un ennemi sans visage viendrait dénaturer "notre" France. Le salut viendrait des Le Pen : faire table rase du passé et refaire notre pays à notre image. "La France Le Pen, c’est Sun City, une senior transition, avec tout le confort auquel le bon Français de souche a droit, protégé par des vigiles et de hauts barbelés. Bref, une prison qui s’ignore." La filiation Jean-Marie Le Pen - Marine Le Pen est tout sauf anecdotique. Elle construit la mythologie familiale de la candidate, et les pièces rapportées (Bruno Gollnish, Gilbert Collard, Florian Philippot, et cetera) n'ont de fonctions que servir "le sang" des membres naturels du FN (Jean-Marie, Marine mais aussi Marion-Maréchal).

    Emmanuel Marcron, figure atypique de cette campagne décidément pas comme les autres, est présenté par Francis Métivier comme ce "dragueur de supermarché," d'abord habile à manager et à vendre : "La fin du discours de la porte de Versailles est éloquente (criez dans votre tête) : « Mais maintenant, votre responsabilité, c’est d’aller partout en France, pour le porter, et pour gagner ! Ce que je veux, c’est que vous, partout, vous alliez le faire gagner, parce que c’est notre projet ! »" Pour le reste, l'auteur pourfend le manque d'idées et de projets politiques à ce candidat surprise : "« Que m’est-il permis d’espérer ? » demandait Kant. Macron répond : du pouvoir et de l’argent." Emmanuel Macron serait un "évangéliste sans dieu", une rock-star et même, plus sévère, "un Hun, le Attila de la politique qui brûle par la parole les terres de la politique, sans être capable d’y faire repousser quoi que ce soit."

    Jean-Luc Mélenchon n'est pas plus ménagé par Francis Métivier. Se situant dans "la mythologie marxiste," le chef du principal parti d'extrême-gauche adopte une posture (ou imposture?) révolutionnaire : la veste mao, le triangle rouge inversé ( triangle maçonnique, triangle du déporté politique et rouge communiste) et le φ (phi) comme symbole de la France Insoumise "fi"). "Mélenchon est le héros caché d’une révolution inéluctable qui n’aura pas lieu. Les promesses vaines d’une vraie dictature du prolétariat, juste et fabuleuse, qui aurait réussi." L'auteur s'arrête longuement sur ce fameux φ et en analyse la portée symbolique particulièrement riche (la validation sur le bulletin de vote, la signification en grec ou le nombre d'or). Mélenchon revêt le costume d'un Zeus vengeur, colérique et tout puissant. "Il y a aussi l’écologie Mélenchon. Il s’est ajouté cette nouvelle fonction divine : faire la pluie et le beau temps." Cette omnipotence (symbolisée par ces fameux hologrammes des meetings) va jusqu'à un certain culte de la personnalité : "« Le média, c’est moi », déclare-t-il. Là encore, tel un dieu du polythéisme, il cumule les fonctions : il est à la fois la parole et le moyen de sa circulation. Une manière à la Trump de mépriser une presse pourtant indispensable."

    Dans cette galerie de candidats croqués férocement, Francis Métivier analyse Benoît Hamon avec une certaine bienveillance. Le candidat socialiste est l'idéaliste de service, l'homme de cœur et le "hippie" aventurier. Ce "baba-cool" en costume trois pièces "pense la politique" et regarde l'avenir avec une obstination qui suscite l'admiration de l'essayiste : "Le programme Hamon relève de la fabulation au sens de Bergson... Bergson écrit, dans Les Deux Sources de la morale et de la religion : « Demandons-nous quel était le besoin. Il faut remarquer que la fiction, quand elle a de l’efficace, est comme une hallucination naissante : elle peut contrecarrer le jugement et le raisonnement, qui sont les facultés proprement intellectuelles. » La raison politique est déprimante. La fabulation revigore." Le revenu universel pour tous et le cannabis légalisé relèvent d'une utopie nouvelle dans cette campagne comme pour un parti socialiste habitué à plus de pragmatisme. Là où Mélanchon est dans les gadgets de l'auto-consommation, Hamon est un poète autant qu'un philosophe idéaliste qui entend "faire planer" et rendre le "futur désirable". "

    Tous les candidats travaillent dans l’urgence et obéissent à la demande d’immédiateté, la dictature du « maintenant ». Les réponses et des mesures maintenant ! Tout le monde cède. Sauf Hamon. Il ne gagnera pas, alors autant qu’il soit cool." Voilà qui est dit.

    Francis Métivier, Mythologie des Présidentiables, éd. Pygmalion,
    5 essais de 30 p. chacun, 2017

  • La vie sauvage

    Un homme et une femme – lui, en costume des années 50 et elle, pieds nus et en robe couleur bleue ciel – marchent enlacés, amoureux et insouciants, en direction d’un champignon nucléaire. Cette photo-montage du premier EP de Wild Times annonce d’emblée un album sombre, sérieux et sans concession. Pari tenu : le groupe parisien Wild Times imposent un pop-rock tranchant, enthousiaste et abouti.

    The Wanderers, le premier titre qui donne son titre à l’album, déploie une détonante construction électro-rock au service d’un message désabusé sur nos temps sauvages. L’efficacité est là, évidente dès les premières notes. L’auditeur est happé par la mélodie irrésistible, par les voix puissantes et par les rivières de guitares comme aux plus belles heures du rock progressif de Yes et consorts.

    Les quatre garçons de Wild Times ont beau revendiquer l’émancipation de toute influence, il n’est pas absurde de trouver dans la voix du chanteur Antoine B. une parenté troublante avec Mike Jagger, notamment dans le deuxième titre, I.L.W.Y. Les quatre artistes chantent "cette envie furieuse de femme" dans un rock rugueux – voire lo-fi – après une introduction électro psychédélique.

    Le EP atterrit en douceur avec Season plus pop mais tout autant efficace. Wild Times jouent la carte de la sobriété dans un morceau planant et mélancolique.

    Le rock progressif anglais a sans doute trouvé de lointains héritiers : ces petits frenchies de Wild Times.

    Wild Times, The Wanderers, Wild Times Record, dans les bacs le 28 avril 2017

     

  • Monstres et compagnie

    A priori, on donnerait le Bon Dieu sans confession à ces deux auteures américaines, Marjorie Liu et Sana Takeda. Elles signent pourtant, l’une pour le scénario et la seconde pour le dessin, Monstress, une bande dessinée aussi cruelle et sanglante que somptueuse.

    Monstress, déjà qualifié aux États-Unis comme un roman graphique majeur et dont le premier tome vient de sortir en France aux éditions Delcourt. Dans la droite lignée de la dark fantasy, Marjorie Liu, qui a troqué sa robe d’avocat pour l’écriture, imagine un monde post-apocalyptique peuplé d’humains aux dons surnaturels, de chats à la fois sages bavards et soldats pugnaces, d’Anciens aux pouvoirs immenses, d’Arcaniques (ou "Sang-mêlés"), des êtres hybrides mi-humains mi-Anciens, sans oublier une confrérie humaine redoutable, l’ordre des Cumaea.

    Maika Demi-Lune, une toute jeune femme amputée d’un bras, se retrouve captive de ces nonnes-sorcières. Belles et redoutables, ces vampires d’un autre temps chassent les humains pour les manger et en extraire une étrange substance, le lilium.

    Maika parvient à s'extirper des griffes de Lady Atena et Lady Sophia, en compagnie de Kippa, un enfant-renard, et du chat maître Ren. Tout ce petit monde fuit les Cumaea. La garde des Inquisitrix, guidées par une mystérieuse Mère Supérieure, partent à la recherche de Maika mais aussi d'un objet sacré dérobé par la jeune fille dans un sanctuaire arcanique. Un autre danger sommeille et menace la jeune femme en fuite : un être à l'intérieur d'elle-même, en lien avec son passé sombre et mystérieux.

    Monstress est une étourdissante aventure baroque violente. Les auteurs de ce premier volume remarqué et remarquable (un tome 2 est sorti récemment aux États-Unis) élaborent un univers de dark fantasy puisant ses influences tous azimuts : mythologies occidentales, mangas, contes et romans classiques ou comics américains. Dans cette histoire de quête initiatique et de lutte entre bien et mal, Kippa et le chat Ren représentent des figures à la fois familières, drôles et touchantes, largement inspirées qui plus est des personnages de mangakas. Ainsi, Ren aurait toute sa place dans le bestiaire des Pokemons.

    Monstress déploie sur plus de 200 pages des univers à la fois sombres et oniriques, familiers et surnaturels, modernes et archaïques : geôles moyenâgeuses de Zamora, steppes dignes de la Mongolie, palais somptueux, laboratoires de savants fous, paysages sylvestres dignes de la Comté de Tolkien ou cités post-industrielles. Sans oublier la traditionnelle carte géographique, en fin de volume, présentant "le monde connu" où évoluent Maika et consorts. Les amateurs de fantasy se retrouveront en terrain connu.

    On doit à Sana Takeda le graphisme somptueux. Les cadrages comme les scènes de combats avec leur violence stylisée à la Game of Thrones, empruntent largement aux mangas. Précisons que l'illustratrice de Monstress est originaire du Japon. Le dessin est précis, riche et d'une grande puissance visuelle, rappelant la culture comics américaine. Monstress recycle dans cette bande dessinée de dark fantasy des archétypes traditionnels : la jeune héroïne aux pouvoirs inattendus, une quête dangereuse, des compagnons de voyage modérateurs sur le modèle de Sancho Panza, des génies du mal, des mystérieux anges-protecteurs et des monstres en veux-tu en voilà.

    L'autre grande originalité de ce premier tome vient du parti-pris scénaristique. Monstress, œuvre de deux femmes, est un un cycle féminin jusque dans ses propos. La société matriarcale décrite est celle d'un monde violent où l'asservissement est la règle. Peu de places sont laissés aux hommes, simples soldats ou pâles seconds couteaux. Reste pour la jeune héroïne à la recherche de sa liberté son étrange pouvoir encore sous-utilisé, ses astuces, son courage mais aussi la solidarité féminine.

    Marjorie Liu et Sana Takeda, Monstress, tome 1, L’Éveil, éd. Delcourt, 208 pages, 2017
    http://marjoriemliu.com
    http://sanatakedaart.tumblr.com

     

  • In The Mood for Art

    In the mood for Art se présente comme une mystérieuse aventure à vivre en petit comité le temps d’une après-midi à Paris dans un lieu de rêve tenu secret jusqu’à la dernière heure. Vitrine artistique vivante, lieu de rencontre entre artistes, auteurs et collectionneurs, elle se propose de flatter vos sens à travers une exposition d’œuvres contemporaines, puis de taquiner la muse en participant à un "ARTelier" ou atelier d’écriture appliqué à l’art.

    Les ateliers d’écriture de Cherry Gallery explorent l’art sous toutes ses formes, qu’il soit contemporain ou historique, figuratif ou abstrait, pictural, sonore ou sculptural. Ces "ARTeliers" proposent une relation privilégiée entre l’œuvre et son spectateur.

    À partir d’une lecture sensible et l’exploration de différents thèmes, ils invitent à poser un regard nouveau, riche de récits inédits sur une peinture, une sculpture, une photographie ou toute autre création. Les participants à l’atelier d’écriture seront invités à explorer une variation contemporaine du Verrou de Fragonard : Le Verrou d’Alex Varenne.

    Pour le premier épisode de cette nouvelle série d’aventures artistiques, Cherry Gallery a le plaisir de mettre en avant les artistes Fanny de la Roncière et Alex Varenne qui présenteront leurs œuvres, ainsi que les écrivains Philippe Lafitte et Anaïd Demir dans le cadre des "ARTeliers".

    Entre initiation à l’écriture et à la narration, lecture créative voire intuitive de l’œuvre d’art, Cherry Gallery en collaboration avec les écrivains Philippe Lafitte et Anaïd Demir, propose une démarche originale où l’art et le récit permettront à chacun d'exprimer en toute liberté son désir d'écriture.

    Dès 13h : Preview autour d’un lunch time, ouvert au public sur invitation
    15h à 18h : Visite privée de l’exposition en présence de l’artiste plasticienne : Fanny de la Roncière
    18h à 20h : Les “ARTeliers” : Quand les arts visuels rencontrent l’écriture
    20h : Cocktail dînatoire en présence de l’artiste Fanny de la Roncière et Alex Varenne, avec le chef Jérôme Marchand.

    In The Mood for Art
    Samedi 25 mars 2017, de 13H à 23H30
     Au Kiss Keys, 37 bis rue du Colisée Paris 8eme
    Inscription obligatoire
    Métro : saint Philippe du Roule
    http://www.cherry-gallery.fr

    © Fanny de la Roncière
    © Alex Varenne