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suisse

  • Oui, je suis la sorcière

    La puissance, l'âpreté et l’ambition caractérisent dès les premières notes cet opéra oublié de Camille Erlanger, La Sorcière, drame composé en 1919. Sur un livret d’André Sardou, d’après une pièce de son père Victorien Sardou, La Sorcière avait déjà connu une première vie au théâtre grâce à Sarah Bernhardt qui incarna avec succès le rôle-titre en 1903. La Sorcière version opéra est proposée cet automne par b.records, avec un riche coffret de présentation, notamment un guide d’écoute bien documenté.    

    Disons tout de suite que cet opéra rarissime séduit à la fois par son classicisme, ses lignes mélodiques, son discours humaniste mais aussi sa fureur. Nous sommes ici dans une facture vériste qui a beaucoup séduit le public mélomane du début du XXe siècle. Avoir ressorti cet opéra tombé complètement dans l’oubli est bienvenu, tant la figure de la sorcière a perdu son souffre pour devenir l’incarnation de la femme libre et persécutée. Voilà qui fait de ce théâtre chanté une œuvre particulièrement d’actualité.

    La sorcière Zoraya est au cœur d’un récit où se mêlent le mystère, la superstition, la magie, l’amour, la séduction, la jalousie et finalement la mort, sur fond d’Inquisition dans l’Espagne catholique du début du XVIe siècle. Dans cet opéra représenté en 1912 à l’Opéra-Comique, non sans un franc succès, il faut voir et écouter La Sorcière comme un étrange clin d’œil. Voilà une œuvre qui s’attache à parler de l’amour entre un chrétien et une musulmane, un message d’amour, de tolérance et de paix écrit par un compositeur… juif – et ce, deux années avant le déclenchement de la première guerre mondiale.

    L’histoire prend comme ligne conductrice celle de l’obscurantisme religieux autour d’une figure devenue hyper moderne, celle de la sorcière, incarnée par Zoraya. Elle est connue pour sa grâce, sa beauté fatale mais aussi sa bonté et sa douceur naturelle. La sorcière musulmane est incarnée par l’impressionnante Andreea Soare à la présence magnétique, portant à bout d’un bras un opéra incroyable de puissance. Enrique (Jean-François Borras), chef des archers de Tolède, croise Zoraya. Il en tombe amoureux (ce qui est l’occasion d’une brûlante déclaration dans la scène 2 de l’acte II). C’est le début d’un sombre engrenage qui mène tout ce beau monde vers les turpitudes de la tristement célèbre Inquisition espagnole et vers un  sinistre bûcher. 

    La musique se fait implacable et les voix masculines semblent écraser de leur puissance l’une des principales victimes

    Nous voilà dans un drame amoureux des plus traditionnels : mariage arrangé contre passion amoureuse, rejet de la société, brutalité du pouvoir. Cette fois, à l’instar de Tosca ou de Carmen, une autre héroïne espagnole, c’est une femme indépendante qui se bat pour sa liberté et pour l’homme qu’elle aime (scène 2 de l’acte III), même si c’est le prix est une autre femme – Joana, promise à Enrique. Intrigue amoureuse inextricable.

    L’auditeur se laissera sans aucun doute séduire par les tensions mélodiques dont l’amateur d’opéra durant la Belle Époque était particulièrement sensible. À ce sujet, on trouvera dans le coffret de La Sorcière un texte éclairant sur les évolutions de l’opéra à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, avec l’influence de Wagner. Michele Niccolai parle d’un profond renouvellement en France de ce que l’on peut nommer le "théâtre musical" : leitmotiv, naturalisme lyrique, mélange de tradition ancienne et de modernité. La virtuosité vocale n’est pas recherchée ici mais plutôt la mise en musique des émotions, lorsque par exemple Zoraya tente de convaincre Enrique de fuir avec elle en Afrique, à l’insu de Joana (scène 2 de l’acte II).

    L’auditeur contemporain sera sans doute frappé par les deux derniers tableaux qui renvoient à d’autres scènes, celles du roman italien Le Nom de la Rose, à ceci près que nous sommes devant un tribunal de l’Inquisition espagnole du XVIe siècle. Obscurantisme religieux, justice expéditive et tortures judiciaires font face aux passions humaines, à l’amour, à la folie (la simple d’esprit Afrida) mais aussi à la terreur. La musique se fait implacable et les voix masculines semblent écraser de leur puissance l’une des principales victimes – à savoir la sorcière Zoraya.  "L’amour est plus forte que la crainte", chante-t-elle lorsqu’on l’accuse d’envoûtements et de "rapports impurs avec Don Enrique".

    Rarement une œuvre lyrique aura été aussi brutale (l’opéra date pourtant des premières années du XXe siècle). Il y a du Vérisme italien dans cette pièce au naturalisme puissant. Certaines critiques de l’époque ont comparé à juste titre le Grand Inquisiteur Ximénès avec le cruel Scarpia du Tosca de Puccini : "Ces aveux, la malheureuse ! / Sous la menace de vos tenailles !", chante la malheureuse Zoraya, une autre Tosca, femme forte et victime, acculée, désespérée et sidérée ("Non… c’est vrai… c’est vrai…"). "Nous la brûlerons après vêpres !" s’exclame, implacable, l’Inquisiteur dans un air de triomphe.

    Le second tableau du dernier acte, plus court, est aussi celui qui a sans doute le plus marqué les esprits : un bûcher, un public venu assister à l’exécution d’une sorcière et une Zoraya plus passionnée d’amour qu’elle ne l’a jamais été. La tension est à son paroxysme dans cette dernière partie. Compositeur classique, Camille Erlanger n’en fait pas moins œuvre de modernité dans ces scènes à l’expressionnisme qui a dû marquer les spectateurs du début du XXe siècle. Les chanteurs et chanteuses semblent cernés par la densité de l’orchestre et des chœurs de la Haute École de Musique de Genève, tout comme Zoraya et Enrique sont écrasés par le destin cruel et inéluctable.

    En ressortant La Sorcière d’Erlanger, b.records ressuscite un opéra passionnant et représentatif du courant musical français du début du XXe siècle, sur un sujet qui n’a jamais été aussi actuel. Féministe avant l’heure, osons le dire. Et impitoyable.  

    Camille Erlanger, La Sorcière, livret d’André Sardou d’après la pièce éponyme de Victorien Sardou,
    Orchestre et Chœur de la Haute École de Musique de Genève, dirigée par Guillaume Tourniaire, b•records, coll. Genève, 2024 
    https://www.b-records.fr/la-sorciere
    https://www.andreeasoare.com
    https://www.hesge.ch

    Voir aussi : "L’indicible en musique"

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  • Cœurs braqués

    Un Animal sauvage est le deuxième ouvrage publié par Joël Dicker dans sa maison d’édition, Rosie & Wolf. Comme nous le disions dans la chronique de Bla Bla Blog consacrée à son précédent opus  L'affaire Alaska Sanders, l’auteur suisse s’est lancé il y a deux ans dans une aventure autant artistique qu’éditoriale.

    Pour Un Animal sauvage, c’est un virage pris à 180 degrés. Joël Dicker laisse de côté l’investigation pure au cordeau, les cold cases et son personnage principal Marcus Goldman, au profit d’un roman moins dickerien qu’hitchcockien !

    Le récit s’attache à deux couples installés près de Genève. Ce sont presque deux voisins, devenus amis, mais à la vie diamétralement opposée. D’un côté, il y a les Braun. Elle, Sophie, est une avocate douée installée à son compte. Son mari, Arpad, est un banquier. Avec deux enfants aimants et aimés, une belle famille fortunée à Saint-Tropez et une jolie maison, ils ont de quoi susciter un mélange d’admiration et d’envie chez les Liégean. Karine, modeste vendeuse, a pourtant noué des liens d’amitié sincères avec Sophie. Quant à son mari Greg, policier de son état, il ne rate jamais une occasion d’apporter son aide aux Braun. Mais il est surtout devenu obsédé par sa riche voisine, jusqu’à l’espionner. Son fantasme l’entraîne vers la suspicion lorsqu’il découvre des liens étranges avec un malfaiteur surnommé Fauve, tournant également autour de Sophie. Tous les éléments sont là pour une série de dérapages incontrôlés. 

    Un roman moins dickerien qu’hitchcockien

    Comme souvent chez Dicker, ce nouveau roman réserve quelques fausses pistes – certes, en nombre moins important que dans ses précédents livres. Il faut attendre les cinquante dernières pages pour que le thriller vénéneux passe en quatrième vitesse, à la faveur d’un singulier braquage.

    Ce polar n’a pas la noirceur des précédents opus. Il tourne surtout autour de la femme fatale qu’est Sophie. Disons aussi que les personnages d’Un Animal sauvage ont de sérieuses parts sombres au point souvent d’être irrécupérables – si l’on excepte Karine. C’est autant le passé peu avouable d’Arpad, Sophie et Fauve qui intéressent l’écrivain suisse que la famille en général, ses secrets, ses non-dits et ses frustrations.

    Pour Un Animal sauvage, Joël Dicker a écrit un livre un peu plus court que les précédents polars (400 pages quand même), avec des chapitres brefs faisant des allers-retours entre le présent et le passé des Braun. Le rythme nerveux desserre l’intrigue psychologique. Dans la galerie de portraits, les personnages de Sophie et d’Arpad sont les plus intéressants même s’il leur manque je ne sais quoi d’épaisseurs (surtout pour le mari). On peut aussi regretter des zones d’ombre dans leur parcours tumultueux et des portes restés fermées.

    Tout cela n’empêche pas de passer un bon moment de lecture. Il reste que l’on attend avec impatience un bien meilleur Joël Dicker pour son aventure éditoriale avec Rosie & Wolf.  

    Joël Dicker, Un Animal sauvage, éd. Rosie & Wolf, 2024, 400 p.
    https://www.rosiewolfe.com/catalogue/joel-dicker/un-animal-sauvage
    https://www.joeldicker.com

    Voir aussi : "Un coupable parfait et un crime qui ne l’est pas moins"

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  • Vie cruelle et fugue éternelle

    Énorme coup de cœur pour  Sauvage, le nouveau single de Julie Meletta. L’autrice-compositrice et interprète franco-suisse profite d’un buzz remarquable de l’autre côté du Jura pour poursuivre son projet artistique et musical commencé avec le single Fanfiction, le premier chapitre d'une anthologie musicale que Julie Meletta consacre aux amours impossibles.

    Caustique, cinglante, pertinente et surtout très culottée, Julie Meletta enfonce le clou avec son dernier single, le bien nommé Sauvage.

    Dans ce single incroyable d’audace et d’élégance, l’amour se pare de dangers, de pulsions incontrôlables, d’interdits, de folie et d’amours qui ne sauraient être qu’éphémères… et irrésistibles.

    Dans un titre mêlant chanson française, pop et country Julie Meletta chante sur fond d’histoires de braquage ("Alors prends l’argent facile et enfuis-toi"), de prise d’otage et de fuite ("La ville cruelle me reflète mes entailles / La fugue éternelle"), avec une voix fragile qui parle de trahisons et des mensonges que l'on s'inflige, tout en cherchant désespérément une poignée de liberté.

    Un single à découvrir absolument.

    Julie Meletta, Sauvage, Phonag Records, 2024
    https://juliemeletta.com
    https://www.facebook.com/juliemeletta
    https://www.instagram.com/juliemeletta
    https://bio.to/juliemelettaLT

    Voir aussi : "Un sacre pour Bobbie"
    "1, 2, 3 Leïla !"

    © Mia Gianini

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  • Un coupable parfait et un crime qui ne l’est pas moins

    Dans la bibliographie de Joël Dicker, L'affaire Alaska Sanders reste un ouvrage à part pour deux raisons. La première est qu’il suit directement La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, le premier gros best-seller de l’écrivain suisse – le même narrateur, Marcus Goldman, raconte les mois qui ont suivi le récit de sa première investigation. La deuxième raison est éditoriale. Pour L'affaire Alaska Sanders, sortie en 2022, Joël Dicker a en effet choisi de voler de ses propres ailes en fondant sa propre maison d’édition, Rosie & Wolfe. Une auto-édition, en quelque sorte, mais XXL et avec les moyens que l’on devine.

    Nous sommes en 2010, soit quelques mois après l’affaire Harry Quebert. Marcus Goldman, auréolée du succès de son livre, doit gérer son succès : rapports compliqués avec son éditeur, propositions d’adaptation ciné, sollicitations du public, avec une vie privée et familiale des plus compliquée. Harry Quebert, son mentor et ami, a disparu de la circulation, ce qui n’est pas la moindre des contrariétés de Marcus Goldman. Le sergent Perry Gahalowwod, lui, est bien de retour. Une vraie belle amitié – certes, vache – avec lui comme avec sa famille, est le point de départ d’une nouvelle enquête. Ou plutôt d’une ancienne enquête qui a vu un coupable arrêté puis condamné pour le meurtre d’une jeune Miss, en avril 1999, trouvée morte sur les plages d’un lac du New Hampshire. Or, onze ans plus tard, des doutes surgissent sur les conclusions d’une affaire incroyablement tragique et compliquée. 

    Mise en abîme

    Vous prenez une reine de beauté et future talent du cinéma assassinée et à moitié dévorée par un ours. Vous ajoutez un petit ami beau gosse, gentil mais aussi jaloux et impulsif. Vous n’oubliez pas son meilleur ami, un ancien étudiant parti s’enterrer dans la bourgade de ses parents et dont les relations avec la victime Alaska Sanders ne sont pas si claires que cela. Vous mélangez le tout avec un policier bourru et son ami, écrivain célèbre qui voit dans cette affaire un superbe moyen de mettre à profit ses talents d’investigateur. Vous saupoudrez le tout avec des secrets de famille, des secrets d’adolescents peu avouables, sans oublier une jeune femme disparue, une station-service, un magasin de chasse et pêche, un cabinet d’avocat se démenant comme un beau diable pour faire rouvrir l’enquête et une policière obstinée impliquée dans l’affaire Alaska Sanders à tout point de vue. Vous terminez par des fausses pistes en pagaïe, des morts surprenant les enquêteurs et enquêtrices, des intuitions géniales et un dénouement inattendu.

    Pour ce premier roman publié en indépendant, les critiques ont fait la fine bouche, regrettant des imperfections. Cela dit, il fait être honnête : bien des auteurs de polars rêveraient de pouvoir trousser un roman aussi bien foutu que celui-ci. Le lecteur se laissera forcément happé par cette histoire sordide et cruelle. Crime passionnel, crime mu par la jalousie ou crime parfait ? Impossible de répondre ici.

    Quant à Harry Quebert, il apparaîtra bien entendu dans ce roman. C’est l’occasion pour l’auteur de revenir à ce qui est sans doute le cœur de son œuvre : l’écriture, l’art et la mise en abîme que constituent autant La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert que L’Affaire Alaska Sanders. Gageons que ce ne sera pas le dernier coup de maître de Joël Dicker… pardon, de Marcus Goldman.

    Joël Dicker, L'affaire Alaska Sanders, éd. Rosie & Wolf, 2022, 576 p.
    https://www.rosiewolfe.com/catalogue/joel-dicker/laffaire-alaska-sanders
    https://www.joeldicker.com

    Voir aussi : "Les secrets de Nola Kellergan"

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  • Brahms doublement suisse (et même triplement)

    On connaît plus Brahms pour ses œuvres pour piano, ses Danses hongroises, ses Symphonies ou son Requiem allemand que pour ses Sonates pour violon et piano. Elles n’en restent pas moins essentielles pour qui se passionne pour le compositeur romantique allemand. Rachel Kolly d'Alba au violon et Christian Chamorel au piano, deux brillants et demandés instrumentistes suisses proposent les trois sonates pour violon et piano dans un tout récent enregistrement d’Indésens Calliope

    Dès le premier mouvement "Vivace ma non troppo" de la première sonate op. 78 nous voilà transportés dans un beau voyage à la fois aérien et vivifiant. Peu dissert en matière d’indications de jeu, Brahms aurait sans doute apprécié ce jeu tout en finesse – "à la française", même si ce sont deux musiciens suisses qui s’emparent de l’affaire. Le romantisme, ici, est synonyme de pudeur et de retenue, jusqu’aux dernières notes aux belles envolées.

    Au sujet du 2e mouvement "Adagio", il faut parler de ce qui en fait le cœur : la mort prématurée de Félix Schumann, le fils de ses amis Robert et Clara Schumann, à l’âge de 24 ans. Nous sommes en 1878, date de composition de la sonate. Brahms pense bien évidemment à sa chère Clara lorsqu’il écrit ce mouvement à l’accent funèbre et pathétique. Il lui conseillera par ailleurs de le jouer "très lentement". Clara Schumann vouera une très grande gratitude à Brahms pour cette composition grave et bouleversante.  

    Cette première sonate est habituellement surnommée "Sonate de la pluie". C’est précisément le troisième mouvement "Allegro molto moderato" qui évoque le mieux cette expression. Faussement léger et vraiment vivifiant, Brahms se fait coloriste autant que musicien. Les gouttes d’eau mais aussi les larmes tombent, comme un rappel à la tristesse qui étreint à l’époque le couple Schumann suite au décès de leur fils de 24 ans. Vie et mort semblent ainsi se partager le terrain. Brahms ne l’oublie pas qui demandera à son éditeur de verser ses honoraires pour cette œuvre à ses amis. Et à sa chère Clara, bien entendu. 

    "Aucune œuvre de Johannes ne m'a ravie aussi complètement"

    Sept ans après cet opus, Brahms récidive avec une deuxième sonate pour violon et piano op. 100 qu’il compose cette fois en Suisse, sur les rives du lac de Thoune, près de Berne. Tiens, tiens. Voilà, qui rend la version helvète de Rachel Kolly et Christian Chamorel particulièrement intéressante et éloquente. Le deuil des Schumann semble être loin dans cette œuvre apaisée, pour ne pas dire poétique et lumineuse. Rachel Kolly et Christian Chamorel s’en emparent avec grâce et une certaine volupté, à l’instar du premier mouvement "Allegro amabile".

    Le romantisme est à l’œuvre, alors que le XIXe siècle décline doucement et que la modernité est sur le point de frapper à la porte. Mais la place est encore à la mélodie et à l’harmonie, avec un "Andante tranquillo – Vivace" d’une belle richesse, balançant entre le calme, la douceur amoureuse et la joie de vivre. Joie de vivre encore avec le dernier mouvement "Allegretto grazioso (quasi andante)" tout en prestance et en retenue, se déployant pourtant peu à peu jusqu’à l’expression de la passion amoureuse qui vient surprendre l’auditeur, tant ce mouvement frappe par sa relative brièveté (un peu plus de cinq minutes) et son efficacité. Clara Schumann – toujours elle – a vu dans cette deuxième sonate une œuvre brillante et joyeuse – l’une des meilleures sans doute de Brahms – qui a sans nul doute dû contribuer à apaiser ses tourments : "Aucune œuvre de Johannes ne m'a ravie aussi complètement. J'en ai été heureuse comme je ne l'aurai été depuis bien longtemps", écrit-elle à son ami Johannes Brahms.  

    La troisième sonate op. 108 a la première particularité d’avoir été composée sur une relative longue période, de 1878 à 1887. Brahms l’a lui même jouée lors de sa première à Budapest en 1888. Par rapport aux deux premières sonates, celle-ci comporte quatre mouvements et non pas trois. Nous sommes là dans une œuvre écrite avec un soin particulier par un artiste qui, au crépuscule de sa vie, n’a plus rien à prouver. L’aisance est là, la maîtrise aussi. Brahms se joue des mélodies, des variations, du rythme, donnant au premier mouvement "Allegro" une palette de couleurs pour ne pas dire de sentiments… et de saisons. En parlant de saisons, n’est-ce pas l’automne qui s’annonce dans le deuxième mouvement "Adagio" ? Lent et nostalgique, Brahms y parle sans nul doute de cette vieillesse et du temps qui passe. Notons par ailleurs que le violon est un peu plus mis en avant que dans la précédente partie. Le violon mais aussi, singulièrement, le silence.

    Plus court (moins de trois minutes), le mouvement "Un poco presto e con sentimento" ressemble à une friandise délicate, une sorte de danse que l’on imagine avoir été composée avec plaisir et gourmandise par Brahms. La sonate se termine par un final du plus bel effet. Il est joué "presto agitado" par les deux interprètes suisses. Vif, vigoureux et nerveux, le mouvement clôt la sonate avec majesté.  

    C’est là qu’il faut parler de la dernière sonate pour violon et piano qui clôt cette intégrale. Il s’agit du Scherzo en do mineur WoO 2. Un seul mouvement donc pour cette œuvre qui fait en réalité partie d’une sonate en quatre mouvements composée à trois par Robert Schumann, Albert Dietricht et Johannes Brahms qui s’est occupé du troisième. Cette œuvre commune est surnommée "F.A.E." pour "Frei Aber Einsam" ("libre mais solitaire"). Composée en 1853, elle est précoce dans la carrière de Brahms, et a été écrite en hommage au violoniste Joseph Joachim. C’est la jeunesse, la fougue et l’enthousiasme qui caractérisent ce "Scherzo" souvent joué seul et qualifié à raison de sonate à part entière. L’auditeur ne devra pas passer à côté de cet opus interprété avec virtuosité, tendresse et fraîcheur par Rachel Kolly et Christian Chamorel. L’un des plus beaux hommages au compositeur romantique, sans aucun doute. À l’époque, il n’avait que vingt ans.

    Johannes Brahms, Violin Sonatas, Rachel Kolly (violon) & Christian Chamorel (piano),  
    Indésens Calliope, 2024
    https://indesenscalliope.com/boutique/brahms-sonatas
    http://rachelkolly.com
    https://www.facebook.com/rachelkolly
    https://www.facebook.com/rachelkolly
    https://christianchamorel.ch
    https://www.facebook.com/chrischamorelpiano

    Voir aussi : "Cher maître, doux élève"
    "Pour l’amour de Clara"

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  • Âme franco-suisse

    Sur des rythmes mystérieux et lancinants, Sophie Darly, une de ces très jolies découvertes pop de cet automne, débute son nouvel album, en anglais, Show Down Fast, par un titre à la fois pop et soul, appuyé par un orchestre d’une belle densité. "Living The Dream" est autant une confession qu’une une invitation à vivre de ses rêves : "Here I go, my world has fallen / My world has fallen down / Here I come, out of the boredom / Somewhere out of sight / I will plant everything of seed / Of Love, live and joy".

    La Franco-suisse prend à bras le corps des influences du sud américain – blues, folk et rock – pour bâtir un troisième opus convaincant. L’élégance et le timbre de Sophie Darly font d'ailleurs merveille dans le morceau blues "Miracle".

    La musicienne s’épanouit dans un répertoire de songs au large éventail. Elle opte pour la pop très nineties dans le délicat, poétique et touchant "J&A" aux fort bienvenues ruptures de rythme. Pop encore avec le très réussi et terrible "The Trap" qui parle d’amour et de ces pervers narcissiques, tellement doués pour tendre leurs pièges sentimentaux.

    Sophie Darly séduit par sa manière de revisiter la soul et le blues, avec la fougue de l’Européenne qu’elle est


    Mine de rien, Sophie Darly séduit par sa manière de revisiter la soul et le blues, avec la fougue de l’Européenne qu’elle est. Que l’on pense au vibrant "Love with A Twist", enrichi et colorée par une orchestration jazz – et le saxophone incroyable de Pierre Pédron. L’artiste y parle d’amour et des difficultés de la vie à deux, possible uniquement avec des compromis et, justement, d’une danse à deux – qu’elle soit valse ou twist.

    Sophie Darly est aussi capable de jolies tergiversations, à l’instar de "Monster B",  où son talent de chrooneuses fait merveille dans ce titre faussement léger.      

    Pour "Frozen Love", la chanteuse démarre par un piano-voix moins sombre que mélancolique. L’album se termine avec le délicat et touchant "In The Silence Of The Night". Une bonne manière de clôturer un opus à la fois sincère, vivant et au solide tempérament. Toute l'âme du sud, quoi... Pardon, de la soul.

    Sophie Darly, Show Down Fast, Broz Records label/ L’Autre Distribution, 2023
    Sophie Darly en concert le 19 janvier 2024 au Studio de l’Ermitage à Paris
    Et au Grand Studio du Conservatoire du 14ème, le 26 avril 2024, en hommage aux femmes compositrices
    https://sophiedarlymusic.com
    https://www.facebook.com/sophiedarlymusic
    https://www.instagram.com/sophiedarly

    Voir aussi : "Brune et chauffée à blanc"

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  • Désordres

    Les Cramés de la  Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis leur film de la semaine, Désordres. Il sera visible du 15 au 20 juin 2023. La séance du mardi 20 juin à 20h30 sera suivie d'un débat.

    Désordres a été récompensée à la Berlinale 2022 - Encounters : Meilleur réalisateur au festival Premiers Plans Angers 2023 - Diagonales : Grand Prix et aux Entrevues de Belfort 2022 - Prix d’aide à la distribution Ciné+

    Dans une horlogerie suisse où commencent à poindre les bouleversements induits par les avancées technologiques du XIXe siècle, Joséphine, une jeune ouvrière, fabrique le balancier, véritable cœur des mécanismes. Alors que les dirigeants y réorganisent le travail, le temps et les salaires pour rester compétitifs, elle se retrouve mêlée à un mouvement local d’horlogers anarchistes où elle rencontre l’aventurier russe Pierre Kropotkine.

    Désordres, drame suisse, allemand, français et russe de Cyril Schäublin
    avec Clara Gostynski, Alexei Evstratov, Monika Stalder, 2023, 93 mn
    Coscénatiste : Cédric Anger
    Séances le jeudi à 18H, le dimanche à 18H, le lundi à 14H
    et le mardi à 20H30 avec débat
    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1339

    Voir aussi : "Les âmes sœur"

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  • Électros-poèmes et autres chansons

    C’est du bon rock, mais du rock poétique, que nous propose Sam Frank Blunier dans son dernier opus, Loterie, qui est également le titre d’un des nombreux morceaux engagés de ce dernier opus.

    Bien dans son époque, le chanteur s’appuie sur des textes rigoureux pour nous parler de la grande loterie qu’est notre vie et notre société hyperconnectée ("Web, promesses & vidéo"). Un vaste miroir aux alouettes, dit l’artiste dans une électro pop rock enjouée. Sam Frank Blunier  se fait le chantre de la liberté, la vraie, au-delà des apparences et du virtuel : "Il te faut des printemps prometteurs aux parfums tellement enivrants qui te f’ront voyager plus loin que le désir" ("Klein Twitterin").

    Qu’on ne s’y trompe pas : le chanteur suisse est un poète et un sage, certes très rock. La maîtrise de son album est évidente. Le musicien y met de l’urgence et de l’engagement, non sans se priver de conseils et de notes d’espoir ("T’as dansé", "Mon bel amour").

    Musicalement, Sam Frank Blunier assume ses influences du côté des eighties - le délicat "Maria (au petit jour)" - et non sans des décrochages du côté de l’urbain ("Loterie", avec Lady_o en featuring)  

    Il y a du Bernard Lavilliers dans ces morceaux bruts et au sombre lyrisme

    Le deuxième partie de l’album est consacrée à ces électro-poèmes, tout aussi engagées. Il y a du Bernard Lavilliers dans ces morceaux bruts et au sombre lyrisme ("J’utilise la nuit, le matériau brut des poèmes", "On m’attend quelque part"), mais un Bernard Lavilliers qui se serait nourri de sons d’aujourd’hui.

    "Désir" illustre parfaitement ces "électro-poèmes". L’artiste propose un texte dont la noirceur brille avec l’éclat des textes parnassiens. La musique accompagne avec justesse et sobriété cette déclaration d’amour d’un authentique auteur de fin de siècle ("Je voudrais voir l’aurore sur le galbe de tes seins / Dans une chambre d’hôtel qui ne ressemble à rien / Et que l’on rie du plafond et des motifs anciens / Qui serpentent sur les plinthes et le papier peint").

    "Pochimou" a la facture des beaux textes slamés, sur le thème du voyage (le texte est dédié à Blaise Cendars), où la nuit et l’insomnie ont le beau rôle ("La nuit est rousse / Je peux la tousser / La nuit est douce / Elle vient me caresser"), appuyée par une musique rock planante et minimaliste.

    Tout aussi sobre et porté par un séduisant et sensuel talk-over, le morceau "Elle parlait" laisse là aussi la part belle au texte et à ce poème en forme de road-movie mais aussi de retour vers un souvenir d’adolescent. L’auditeur sera sensible à ce souvenir poignant d’une amour à la fois puissant et éphémère, de ceux que l’on n’oublie jamais.

    "L’Avenue des Amériques", qui vient clore cet opus à la fois musical et littéraire, prouve l’exigence artistique de Sam Frank Blunier. L’artiste musicien propose un album infiniment personnel. L’œuvre d’un homme se tournant vers son passé avec nostalgie, avec regret aussi. Oui, semble-t-il nous dire, la vie est une loterie. Mais que cette loterie est belle !

    Sam Frank Blunier, Loterie, Sabina, 2023
    https://www.samfrank-blunier.com
    https://www.facebook.com/SamFrankBlunier
    https://www.instagram.com/samfrankblunier

    Voir aussi : "Mâle assurance"

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