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violon - Page 2

  • Elise Bertrand, ultra moderne romantique

    Les Lettera Amorosa, qui donnent son nom au premier album d’Elise Bertrand, marquent la découverte d’une nouvelle venue dans la musique contemporaine.

    La maison de disques Klarthe Records a eu la bonne idée de sortir les premières œuvres de la jeune compositrice et violoniste, et en premier lieu cet opus 10 que sont le quatuor avec flûte "Lettera amorosa". Elise Bertrand a mis en musique le recueil éponyme de René Char, que l’écrivain présentait ainsi dans son épigraphe : "Amants qui n’êtes qu’à vous-mêmes, aux rues, aux bois et à la poésie ; couple aux prises avec tout le risque, dans l’absence, dans le retour, mais aussi dans le temps brutal ; dans ce poème il n’est question que de vous".

    En dépit de sa facture contemporaine, les quatre mouvements de ces "Lettera" laissent percevoir une tradition classique comme le montre leur titre : "Chant d'insomnie", "Badinerie, Scherzando", "Aria, Adagio", "Rondo Alla Toccata, Vivo". Le romantisme est également présent dans ce "Chant d’insomnie" élégiaque, mais Elise Bertrand sait aussi jouer d’une liberté légère, à l’instar du deuxième mouvement et son étonnante badinerie. Plus sombre et lancinant, le mouvement "Aria, adagio" est une déambulation dans la douleur amoureuse, nappant cette partie d’un certain mystère. Ce mystère, Elise Bertrand vient y mettre fin avec la quatrième partie, "Rondo Alla Toccata, Vivo".

    Hormis ces "Lettera Amorasa" qui donnent son nom à l’album, la compositrice proposent d’autres premières œuvres. Le "Quasi Variazioni, Op. 7", le plus long morceau du disque, est une création à la sombre beauté commençant par un piano mystérieux avant de s’épanouir dans des variations – ou des "quasi variations" pour reprendre le titre du mouvement – qui peuvent se lire comme des appels à la liberté et à l’amour. Il y a un instinct sauvage dans le piano de Dana Ciocarlie qui oscille entre élans sauvages et une délicatesse toute romantique – et même romanesque, dirions-nous.

    Pour la "Sonate pour violon et violoncelle, Op. 8", Elise Bertrand est au violon . Elles est accompagnée par Hermine Horiot au violoncelle. On peut parler d’un ultra-moderne romantisme se jouant du mystère, de l’audace dans l’écriture mais aussi un combat incessant se déroulant en deux temps. Les deux mouvements naviguent entre séduction, répulsion et attirance, à l’instar du 2ème mouvement, plus long, plus aventureux.  

    Un aplomb certain

    L’auditeur sera sans doute surpris de trouver dans Lettera Amorasa une œuvre sacrée, l’opus 2 "Impressions liturgiques", avec Caroline Debonne et Ionel Streba. Elise Bertrand ne cache pas son admiration pour le Requiem de Maurice Duruflé et déploie ces "Impressions liturgiques" avec une simplicité déconcertante et un panel de couleurs, en dépit de la brièveté de l'opus : un "Introït" mystérieux, un "Lux Aeterna", lumineux, un "Supplicatio" très ancré dans la tradition du XXe et un "In Paradisium" presque debussyen.

    Caroline Debonne et  Joë Christophe sont aux manettes des trois mouvements du "Mosaïque, op. 4". La compositrice se montre là encore audacieuse : ça virevolte, ça s’égaye et ça s’enjoue ("I, Prélude et adagio"). Il y a une grâce certaine dans la manière dont Elise Bertrand impose son univers ("II. Expressivo"), y compris dans la concision – on oserait parler d’efficacité. L’auditeur gouttera avec intérêt et curiosité le délicat "Postlude" aux couleurs chaudes et méditerranéennes, comme si le peintre Matisse s'était penché au-dessus des épaules de la jeune compositrice.        

    L’album se termine paradoxalement avec l’opus 1, qui est constitué de 12 Préludes à la facture plus tonale et, dirions-nous, plus classique. Elise Bertrand les interprète elle-même au violon. Elle dédie ces préludes au compositeur Nicolas Bacri, son professeur de composition. Elle dit ceci de son premier opus : "Reflets d’une première période aux diverses facettes, les Préludes évoluent déjà vers une matière sonore où la poétique musicale personnalise mon langage musical."

    Comme pour la plupart de ces œuvres de jeunesse, ces préludes sont brèves (le plus court fait cinquante secondes et le plus long un peu plus de deux minutes). Il y a des accents debussyens (le premier prélude, "Rêveur") voire romantiques (le 2e prélude, "Scherzando") dans ces déambulations musicales. Elise Bertrand sait même se faire mystérieuse, nous ne pas dire envoûtante (3e Prélude, "Misterioso"). L’auditeur retiendra sans doute le romanesque prélude n°5 "Simplice", semblant s’inscrire dans la tradition classique européenne du XIXe siècle. Il y a tout autant du Satie dans l’"Andante" du prélude n°6, avec sa délicatesse rêveuse, contrastant avec le n°7 et ses rythmes de jazz ("Jazz Rhapsody, Vivo").

    "Au loin" et son onirisme (le prélude n°8) semble s’ébrouer de la tonalité classique et harmonique pour aller vers des élans plus contemporains. On pourrait en dire autant du 9e prélude, "Lento Espressivo", auquel vient répondre le 10e, "Furioso", à la belle expressivité. Le prélude n°11 ("Largo") frappe par le choix d’Elise Bertrand d’en faire une lente marche funèbre traversée par des éclats lumineux, avant d’aller vers une lente ascension toute métaphysique. L’album se termine avec le prélude n°12 ("Calme"), plus long et dans lequel la compositrice semble faire une mue définitive vers une écriture plus contemporaine. Un répertoire où la musicienne se meut avec créativité, sensibilité mais aussi un aplomb certain.   

    Elise Bertrand, Lettera Amorosa, Klarthe Records, 2022
    https://elise-bertrand.fr
    https://www.facebook.com/elise.bertrand.musique
    https://www.klarthe.com/index.php/fr/enregistrements/lettera-amorosa-detail

    Voir aussi : 
    "Camille Pépin, sans coup férir"
    "Concertant et déconcertant"
    "Album univers"

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  • Puis-je… vous parler d’Arvo Pärt ?

    Tabula Rosa est une composition par une figure imposante de la musique contemporaine, l’estonien Arvo Pärt avec sa musique mélodique, harmonique et aux influences religieuses (le compositeur revendique sa croyance et ses origines orthodoxes). "La musique d’Arvo Pärt nous conduit des ténèbres à la lumière… cette musique n’est pas seulement relaxante – elle véhicule drame et profondeur", dit d’ailleurs Renaud Capuçon, soliste et chef d'orchestre de cet opus.

    Le "Ludus" est un long cheminement de près de 11 minutes ponctué de sons de cloches, comme un chemin initiatique, avec des litanies et des leitmotivs se répétant, portés par le violon habité de Renaud Capuçon et un Orchestre de Chambre de Lausanne qu’il dirige.

    Les 3 dernières minutes ont cet aspect sombre pour ne pas dire funeste Un e sorte de mater dolorosa, rappelant l’importance de la musique sacrée dans l’œuvre d’Arvo Pärt. Jusqu’à s’éteindre dans une profonde gravité

    D’autres œuvres de Pärt composent l’album de Renaud Capuçon. Il y a Fratres, présenté ici dans une version pour orchestre et violon. Dès l’ouverture, Arvo Pärt se distingue par une exubérance et une fantaisie peu habituelle, avant d’aller vers un halo inquiétant où lumières et ténèbres semblent se jauger. Une dialectique musicale a lieu dans ce morceau passionnant, tout autant qu’il séduit par son harmonie et sa puissance symphonique. L’auditeur pourra voir derrière ce morceau d’un peu plus de 10 minutes un chant humaniste pour tous nos frères et sœurs humains.  

    Summa, un titre plus lumineux et apaisé, est servi par un orchestre majestueux dans un morceau symphonique célébrant la magnificence et la dignité. 

    Idéal pour entrer dans le répertoire contemporain

    Silouan’s song est un bouleversant chant aux silences et pauses éloquents. L’orchestre de chambre entonne un chant pathétique avec une ligne mélodique qui n’est pas sans renvoyer à la Symphonie n°3 de Henryk Górecki.

    Darf ich que l’on pourrait traduire par "Puis-je…" est l’un des morceaux les plus subtils et les plus minimalistes de l’album. Il peut s’écouter comme une délicate attention amoureuse, faite sur la pointe des pieds, mais non sans les sombres échos du violon magnétique de Renaud Capuçon.

    Spiegel im Spiegel, énigmatique par essence ("Expliquer j’explique"), séduit par sa mélancolie et sa facture instrumentale (violon et piano). Ce titre peut s’écouter comme une lente déambulation.  Renaud Capuçon fait taire l’orchestre symphonique pour une parenthèse plus intimiste, avec ces respirations rendant l’œuvre d’autant plus vivante.

    Für Lennart in memoriam conclut ce séduisant album, idéal pour entrer dans le répertoire contemporain, avec un morceau aux élans tout aussi pathétiques que le "Silouan’s song". L’Orchestre de Chambre de Lausanne ponctue les envolées de cordes de retenues et de pauses. Il est vrai que, là encore, pour reprendre une célèbre citation de Sacha Guitry sur Mozart, "Le silence qui suit Arvo Pärt c’est encore du Arvo Pärt". Et Renaud Capuçon, justement, vient rendre un hommage appuyé au compositeur estonien avec cet album qui fera certainement date. 

    Arvo Pärt, Tabula Rasa, Orchestre de Chambre de Lausanne, Renaud Capuçon, Warner Classics, 2021
    https://www.arvopart.ee/en
    https://www.renaudcapucon.com/fr
    https://www.ocl.ch
    https://www.warnerclassics.com/fr/release/part-tabula-rasa-capucon

    Voir aussi : "No Dames, no drames"
    "Histoires de tangos par Lucienne Renaudin Vary"

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  • Ola Kvernberg brouille les pistes

    Ola Kvernberg : ce nom ne vous dit peut-être rien. Et pourtant, le musicien norvégien avait sorti il y a quatre ans Steamdome, un album alliant jazz progressif et électronique devenu l'un des vinyles les plus vendus en Norvège en 2017, en plus d’être unanimement salué par la critique internationale.

    Voilà donc Ola Kvernberg de retour avec son nouvel opus, tout simplement nommé Steamdome II (et sous titré "The Hypogean").

    Une suite ? Pas vraiment. Car ici, la palette jazz du compositeur et violoniste s’enrichit avec des incursions bien au-delà de l’électro. Prenez "Arpy" par exemple. Les pistes sont brouillées pour ce premier morceau de 9 minutes 32 commençant comme un cantique religieux dans des sons d’harmonium avant de s’émanciper vers des univers parallèles, du côté de l’électronique période Kraftwerk.

    Pour son nouvel album, Ola Kvernberg s’est entouré des meilleurs musiciens de la scène jazz et pop de Norvège. Sans délaisser complètement son instrument fétiche, le musicien a remplacé son violon par une boîte à rythmes et un synthétiseur basse. Parmi ses compagnons, le bassiste Nikolai Hængsle (Band of Ogold, Bigbang, Møster) prend la guitare et Daniel Buner Formo (Trondheim Jazzorchester, Kobert) délaisse son orgue Hammond pour enflammer le paysage sonore avec des machines faites maison.

    Des compositions rythmées et à forte densité

    Steamdome c'est aussi le batteur percussionniste Erik Nylander (Monoswezi, Liarbird, Mechanical Fair), le batteur Olaf Olsen (Bigband, Fra Det Onde) et le percussionniste Martin Windstad (Kurt Nilsen, Todd Terje).

    Ola Kvernberg  se surpasse dans des compositions rythmées et à forte densité. Le musicien norvégien cache bien son jeu (le court "Vault") et sait alterner à merveille jazz, pop-rock, électro, contemporain ou musique électronique, à l’instar de "Get Down" formidable maestria de sons de plus de 10 minutes dans un morceau ouvragé aux petits oignons.

    Pour "Carbonado", Ola Kvernberg redevient violoniste – électronique – et fait de son instrument le véritable héros d’un morceau d’électro-pop scintillant. Tout aussi complexe, le jazzy "Hypogean" est entièrement rhabillé par l’électro inventive et rythmée du musicien norvégien.

    Voilà qui fait une transition impeccable avec le morceau suivant, "Devil Worm" à la rythmique rap. Un son très actuel qui, au fur et à mesure, s’aventure sur des terres peu familières, comme enflammées, pour devenir fun, sinon funk.

    L’auditeur devra absolument s’arrêter sur le magnifique "Diamondiferous", époustouflant morceau virtuose au violon, porté par des vagues romantiques et comme d’un autre monde. Celui d’Ola Kvernberg, justement. 

    Ola Kvernberg, Steamdome II - The Hypogean, PIAS / GRAPPA, 2021
    https://www.olakvernberg.com
    https://www.facebook.com/OlaKvernberg
    https://www.instagram.com/olakvernberg
    https://orcd.co/steamdome

    Voir aussi : "Éloge de la folie"
    "Fiona Monbet a plus d’une corde à son archet"

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  • Amitié franco-allemande

    Un album classique a attiré mon attention : les deux sonates pour piano et violon de Richard Strauss et César Franck jouées par Brieuc Vourch au violon et Guillaume Vincent au piano, chez FARAO Classics.

    Il peut paraître étrange de rassembler dans un même album deux compositeurs du XIXe siècle a priori antagonistes : l’un allemand et l’autre français, dans une période marquée par des conflits meurtriers entre ces deux pays. Une objection qui peut facilement être retoquée par le pedigree des deux interprètes : Brieuc Vourch Guillaume Vincent, tous deux nés à Paris mais vivant et travaillant essentiellement de l’autre côté du Rhin, entendent mettre en musique cette amitié franco-allemande à travers ce très joli opus de musique de chambre.

    L’album de Brieuc Vourch et Guillaume Vincent commence par Strauss et une œuvre de jeunesse que le compositeur a écrite lorsqu’il n’avait pas 25 ans."Le seul révolutionnaire de son temps" disait de lui Arnold Schoenberg. Il est vrai qu’en dépit de la facture classique et romantique de la sonate opus 18 écrite à l’époque de son poème symphonique Don Juan, Richaud Strauss déploie toute sa technicité et son audace dans le travail sur les timbres comme sur le rythme.

    Au sombre romantisme du premier mouvement (Allegro ma non troppo) succède l’Andante cantabile "Improvisation" avançant à pas feutrés aux deux instrumentistes au diapason et luttant à armes égales dans cette sonate robuste mais équilibrée. L’œuvre de Strauss se termine par le troisième mouvement Andante et Allegro d’abord sec et sombre avant qu’il ne s’envole grâce au violon de Brieuc Vourch. Les solistes font du dernier mouvement un ultime salut aux volutes somptueuses et à l’architecture musicale exigeante. L’allégresse exprimée se mêle de tons mélancoliques dans ce Finale aux multiples reflets. 

    "J‘ai beaucoup osé, mais la prochaine fois, vous verrez, j‘oserai encore plus"

    La deuxième œuvre de l’album est la sonate pour violon et piano en la majeur de César Franck. Elle a été écrite en 1886 et dédiée au violoniste Eugène Ysaÿe. C’est l’une de ses pièces les plus jouée. Quatre mouvements composent cet opus, sans doute moins audacieux que l’œuvre de jeunesse de Strauss. Il faut dire que Franck a 40 ans de plus que son contemporain allemand. Le texte de présentation de l’album de Brieuc Vourch et Guillaume Vincent rapporte les mots éloquents  du musicien français à l’époque de la réception, disons fraîche, de sa Symphonie en ré mineur écrite à la même époque : "J‘ai beaucoup osé, mais la prochaine fois, vous verrez, j‘oserai encore plus." Franck n’est pas un novateur comme l’a pu l’être Strauss. Son mouvement Allegretto moderato a une facture plus légère, fraîche et éthérée comme un nuage, aux antipodes de la sonate d’airain de Strauss.

    Pour l’Allegro, Franck fait de sa musique un saisissant moment de symbolisme. On croit voir des ondines apparaître grâce au violon hanté de Brieuc Vourch, accompagné par un Guillaume Vincent tout en mesure et en discrétion. C’est l’infinie délicatesse encore qui préside au mouvement Recitativo-Fantasia (ben moderato) avant le dernier mouvement Allegretto poco mosso, une dernière partie presque joueuse et rondement menée par le duo franco-allemand.

    Ce n'est pas la moindre des qualités de Brieuc Vourch et Guillaume Vincent que de nous faire entrer dans ce répertoire du XIXe siècle avec talent, générosité et un grand sens du dévouement. "La sculpture du son est le seul métier du musicien, son travail est artisanat. Le narcissisme n‘y a pas de place. Seuls le dévouement, la patience et la discipline constituent la trame de la création" disent les deux musiciens en "artisans" de la musique, au service des deux compositeurs les plus créatifs de leur temps.  

    Brieuc Vourch et Guillaume Vincent, Richard Strauss / César Franck, FARAO Classics, 2021
    https://www.brieucvourch.com
    https://www.guillaumevincent.net
    https://www.farao-classics.de

    Voir aussi : "Au salon avec Chopin et Haley Myles"

    © Andrej Grilc

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  • Water music

    Mais qu’est ce qui lui a pris, au jazzman Gaël Rouilhac d’avoir composé un morceau intitulé "La valse des parachutistes belges ", dans son premier album d’une pureté magnifique ? Mais qu’on ne se fie pas à ce titre loufoque car cette vraie valse respire la joie de vivre. Fermer les yeux c’est voir virevolter des corps sous les lampions et les jupes parachutes.

    Il souffle dans Waterworks un souffle chaleureux, servi par les deux autres membres de son trio, Caroline Bugala au violon (de formation classique, elle a été l’élève Didier Lockwood et a aussi partagé la scène avec lui) et Roberto Gervasi à l'accordéon, véritable révélation de la scène italienne. 

    Gaël Rouilhac dit ceci au sujet de son premier opus : "Encore beaucoup de projets menés de front encore cette année, mais si il y en a un qui me tient à cœur et m'occupe beaucoup en ce moment, c'est mon premier groupe en tant que leader et compositeur."

    Entre tradition et modernité

    Waterworks, naviguant entre tradition et modernité, propose une série de rencontres entre le jazz et le tango, avec un violon à la la Lockwood ("Cap Cod") et un accordéon à la Piazzola ("Home"), sans oublier la merveilleuse guitare manouche de Gaël Rouilhac ("Un point c’est tout"). Mais sans percussions, ce qui est singulier pour un album de jazz.

    Pour le morceau "Diamant rouge", le trio nous invite à de savoureuses balades que l’on croirait méditerranéennes, après le titre "Cap Cod", mélancolique et bouleversant.

    Tour à tour lyrique, frais ou léger, le groupe de Gaël Rouilhac invite au farniente au cœur d’une nature vivifiante ("La montagne verte").

    Le guitariste signe avec "Time flies" une complainte sur la fuite du temps, avec ces trémolos déchirants, avant cette danse endiablée à la Django Reinhardt nous sauvant d’une fin inexorable.

    "Solo" est une très belle ballade à la guitare  interprétée par Gaël Rouilhac. "Mood", une étude plus qu’une envolée jazz, et qui propose un voyage au long cours dans un Combi brinquebalant sur la côte irlandaise : il suffit juste de fermer les yeux.

    L’opus se termine avec dernier titre à la facture cette fois contemporaine, "Ça c’est l’enfer mon frère".

    Gaël Rouilhac, Waterworks, Laborie Jazz, 2020
    https://www.laboriejazz.fr
    https://www.gaelrouilhac.com

    Voir aussi : "Fiona Monbet a plus d’une corde à son archet"

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  • Le trio Sōra vous souhaite un joyeux anniversaire, M. Beethoven

    Beethoven est célébré cette année, certes assez discrètement : nous fêtons en  effet ses 250 ans, précisément aujourd’hui (même si la biographie officielle hésite entre les dates du 15 ou 16 novembre 1750 pour la naissance du compositeur à Bonn). Cet anniversaire méritait bien une chronique.

    Et ça tombe bien : pour marquer l’événement, le Trio Sōra propose chez Naïve un premier album rassemblant 6 grands trios avec piano (les opus 1, 70 et 97) du maître allemand.

    Le Trio Sōra, ce sont trois musiciennes : Pauline Chenais au piano, Clémence de Forceville au violon et Angèle Legasa au violoncelle, dont l’entente autant que la subtilité et l’audace font merveille. Elles sont régulièrement invitées sur les plus grandes scènes mondiales (le Wigmore Hall de Londres, la Beethoven-Haus de Bonn, le Festival de Verbier, la Philharmonie de Paris, l’Auditorium du Louvre, la Folle Journée de Nantes ou encore le Festival d’Aix-en-Provence) et sont aidées par des instruments exceptionnels : Clémence de Forceville joue un violon Giovanni Battista Guadagnini de 1777 et Angèle Legasa, un violoncelle Giulio Cesare Gigli  de 1767. Ils ont été prêtés par la Fondation Boubo-Music.

    Avec ces Trios n°1, 2, 3, 5, 6 et 7, nous sommes dans des œuvres essentielles et capitales du répertoire de Beethoven, le premier trio, opus 1 (écrit entre 1793 et 1795) ouvrant même le catalogue du compositeur.

    Grand maître du classicisme, le compositeur s’affranchit de certaines libertés en imaginant un premier trio (opus 1 n° 1), long dans la forme et la structure, avec 4 mouvements, vif-lent-vif-vif. Une structure s'éloignant des canons traditionnels et a priori déséquilibrée, mais qui se joue des variations grâce à la subtilité des interprètes et leur indéniable osmose. À l’enthousiasme du mouvement Allegro répond la délicatesse romantique (nous pourrions même dire le romanesque) de l’Adagio cantabile, puis l’énergie communicative du troisième mouvement (Scherzo. Allegro assai). Il faut souligner la virtuosité et les arabesques proprement diaboliques de la dernière partie (Finale. Presto), influencées par les rythmes de danses traditionnelles, dont un mémorable menuet.

    Le 2e Trio, composé dans les mêmes dates (et catalogué opus 1 n° 2) comprend lui aussi quatre mouvements. Commençant sur la pointe des pieds, l’Adagio allegro vivace finit par se déployer avec audace, avant un Largo tout en retenue mais aussi en romantisme échevelé. Dans ce trio, Beethoven propose un 3e mouvement (Scherzo. Allegro assai) singulièrement plus bref (un peu plus de 3 minutes), mais d’une luminosité et d’une vivacité audacieuses.

    Même période de composition pour le 3e Trio, opus 1 no 3 : entre 1793 et 1795. Les musiciennes se lancent dans une interprétation soyeuse, solide, rythmée, nerveuse (Finale. Prestissimo) et aussi solide que l’airain. Ce trio brille de mille feux. Dans le mouvement Andante cantabile con variazione, nous sommes dans un mouvement d’une infinie délicatesse, à la manière d’une danse amoureuse, joueuse et sensuelle. Le 3e mouvement (Menuetto. Quasi allegro), relativement bref (3:22), est remarquable par sa série de variations et d’arabesques d’une incroyable subtilité et qui en fait l’un des joyaux de l’album.

    Un trio de musiciennes au diapason

    C’est sans doute dans le 5e Trio que l’osmose des trois musiciennes éclate le plus. Pour la petite histoire, Beethoven l’a composé sur le tard, après la création de le 5e et de la 6e Symphonie (la fameuse Pastorale). Dédiée à la comtesse Maria von Erdödy qui lui avait offert l’hospitalité, l’œuvre, opus 70 n°1, est appelée Trio des Esprits. Il règne dans ces trois – et non quatre – mouvements une atmosphère à la fois tourmentée, mystérieuse et sombre, à l’instar du premier mouvement Allegro vivace e con brio, d’où sans doute le surnom de l’œuvre. Le mouvement suivant sonne par moment comme une marche funèbre peuplée de fantômes (Largo assai ed espressivo), avant une dernière partie qui marque un retour à la vie. Le Trio Sōra prend en main le rythme presto avec gourmandise et même le sens de la fête.

    Tout comme son prédécesseur, le Trio avec piano n°6 opus 70 n° 2 est dédié à la comtesse Maria von Erdödy, et a bien sûr été écrit à la même période. Lyrique et virtuose dans son premier mouvement Poco Sostenuto Allegro Ma Non Troppo, il devient somptueux dans la partie suivante (Allegro), telle une danse langoureuse et envoûtante, ponctuée de passages mélancoliques, sinon sombres. Le 3e mouvement  Allegretto Ma Non Troppo, magnifique parenthèse enchantée tout autant que mystique, s’offre comme un des plus émouvants passages de l’album, avant le Finale et Allegro rugueux, expansif et d’une folle inventivité.

    Le disque se termine par le Trio avec piano n°7 en si bémol majeur, l’un des plus célèbres trios de Beethoven. Il est surnommé Trio à l'Archiduc en raison de sa dédicace à l'Archiduc Rodolphe d'Autriche, élève, ami du compositeur et accessoirement dernier fils de l’empereur Léopold II d'Autriche. C’est le plus tardif des trios, comme l’indique sa recension dans le catalogue (opus 97). Écrit en 1811, il s’intercale entre la 7e et la 8e symphonie. Il s’agit aussi du dernier morceau que le compositeur interprète en public, en raison d’une surdité de plus en plus sévère. C’est dire si ce dernier trio ne pouvait pas ne pas être présent sur l’enregistrement du Trio Sōra. Les musiciennes font merveille avec cet opus alliant virtuosité et puissance dans un Allegro Moderato singulièrement moderne. Une modernité éclatante dans les parenthèses sombres du 2e mouvement Scherzo allegro. Le 3e mouvement, Andante Cantabile Ma Però Con Moto, s’impose comme un des plus sombres et bouleversants qui soit. Nous sommes dans un passage à l’expressivité géniale, servie par un trio de musiciennes au diapason. Comment ne pouvaient-elles finir sinon par ce et dernier mouvement, Allegro Moderato Presto ? Un dessert léger, diront certains ; on préférera parler d’une conclusion faisant se succéder passages virevoltants, danses amoureuses, conversations badines et fuites au clair de lune, dans un mouvement sucré et rafraîchissant. 

    Joyeux anniversaire donc, M. Beethoven, un 250e anniversaire célébré avec classe par un des trios les plus en vue de la scène classique. 

    Ludwig van Beethoven, Trios, Trio Sōra, Naïve, 2020
    https://www.triosora.com

    © Astrid di Crollalanza

    Voir aussi : "Toutes les mêmes, tous les mêmes"

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  • La musique ne s’arrête jamais avec Renaud Capuçon

    C’est l’un des artistes les plus actifs en cette période de confinement. Et aussi un de ceux qui met le plus à l’honneur le classique.

    Depuis le début de cette drôle de période, le violoniste propose de chez lui une pièce de musique : Bach, Mozart, Haendel et même… Stéphane Grapelli.

    Le classique et la musique ne s’arrêtent jamais, même en présence d’un virus made in China. Rendez-vous donc tous les jours sur le compte Twitter de Renaud Capuçon.

    Renaud Capuçon sur Twitter
    @RCapucon
    https://www.renaudcapucon.com

    Voir aussi : "Confinement live stream de Lise de la Salle"

    renaud capuçon,violon,confiné,confinement,covid-19,coronavirus

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  • Fiona Monbet a plus d’une corde à son archet

    C’est en contrebandière que la violoniste Fiona Monbet entend faire sa place dans le domaine du jazz : par des voies détournées – la valse, le tango, le classique ou la musique celtique – et le moins que l’on puisse dire est que la musicienne a plus d’une corde à son arc pour y réussir.

    Prenez l’entrée de ce formidable album qu’est Contrebande : Valse, à l’introduction faussement surannée, prend rapidement l’auditeur à contre-pied. Fiona Monbet, accompagnée des autres solistes qu’il faut absolument citer – Pierre Cussac à l’accordéon, Antoine Boyer à la guitare et Damien Varaillon à la contrebasse –, insuffle, dans ce premier titre, ce qu’elle connaît sans doute le mieux : du jazz manouche irrésistible. C’est là qu’il fait préciser que la violoniste a fait ses gammes auprès de Didier Lockwood, une filiation évidente dans son deuxième album mais sans doute aussi très douloureuse quelques mois après le décès de ce dernier.

    La bande à Fiona Monbet s’empare de son deuxième opus comme on prendrait d’assaut des forteresses farouchement tenues. Celle du classique, à cet égard, est le plus éloquent. L’adaptation cool et langoureuse du Bess, You Is My Woman Now de George Gershwin marque une forme de renaissance de l’opéra Porgy and Bess. Le violon de Fiona Monbet se déploie avec virtuosité et passion, offrant à Gershwin, le plus jazzy des classiques, l’un des plus beaux hommages qui soit.

    Autre hommage : celui d’Astor Piazzolla. Cette fois, la violoniste s’attaque au tango. Vaste entreprise. Après Astoria 16, une timide entrée en matière dans l’univers de l’Argentin, Fiona Monbet s’attaque à Tango, un titre qui mériterait de figurer dans les meilleures anthologies. La première écoute ferait penser à une revisite du répertoire d’Astor Piazzolla. Seulement, là comme souvent, il faut s’intéresser aux crédits : Tango est en réalité une création originale, écrite par Antoine Boyer. Surtout, retenez autant son nom que celui de Fiona Monbet ! Violoniste diabolique, technicienne hors-pair et artiste écorchée vive, la jazzwoman, mais aussi compositrice de plusieurs extraits, colore de rouge et de noir un titre au rythme de tango d’abord timide puis s’imposant dans un dernier mouvement sensuel et fatal. Forcément fatal.

    Violoniste diabolique, technicienne hors-pair et artiste écorchée vive

    Contrebande sait alterner morceaux de bravoure et titres moins enlevés, voire très intimistes (Luiza, Mélissande ou le sobre et délicat L’Aveu). Fiona Monbet sillonne sans peur sur des mers peu communes au jazz manouche. Luiza, la reprise du standard d’Antonio Carlos Jobim, nous amène du côté du Brésil. Dans Irlandalou, "A" Song et Smoly Market, cette fois c’est vers la culture celte, matinée de country ("A" Song) qu’il faut se tourner, une culture que la musicienne franco-irlandaise connaît bien et qu’elle dépoussière avec un enthousiasme communicatif. C’est une vraie danse que cette "chanson A" lorsque Tango l’était finalement si peu ! Smoly Market, est dopé par des influences flirtant avec les traditions yiddish et balkaniques, le répertoire classique (des oreilles attentives reconnaîtront quelques mesures du 3e mouvement du 2e concerto pour piano de Rachmaninov), mais aussi le contemporain.

    À ce sujet, on félicitera Fiona Monbet et son équipée d’offrir l’expérience d’une grande modernité avec Mélissande, ballade à la fois gothique et lumineuse servie par un quatuor au diapason.

    Maintenant, un dernier conseil puisque nous approchons des fêtes : si vous souhaitez offrir à la personne que vous aimez un album cool, original et classe, vous avez sans doute trouvé ici l’idée de l’année. Mais je ne vous ai rien dit.

    Fiona Monbet, Contrebande, Crescendo / Caroline France, 2018
    En tournée à la Salle Des 4 Saisons, Le Touquet, le 27 décembre 
    Et au Sunside, Paris, les 28, 29 et 30 décembre 2018
    http://backstage-prod.com/fiona-monbet
    https://www.facebook.com/fiona.monbet

    Voir aussi : "Cinquante nuances de spleen"

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