Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Livres et littérature

  • Le cinéma sur le divan

    Films de famille (éd. Borromées), l’essai de Philippe Collinet, un "psychanalyste cinéphile", se veut "une tentative de nouer le cinéma et la psychanalyse dans le cadre familial". Dans cet essai mixant science psychanalytique et art cinématographique, quelques questions essentielles se posent : "Qu’est-ce qu’une famille ?", "Le père a-t-il encore un nom ?", Qu’est-ce qu’une sexualité libérée ? Quels liens peuvent exister entre les pères, les mères, les fils et les filles ? Et les orphelins et orphelines ? Quant aux femmes, où en sont-elles suite aux différentes vagues de révolutions féministes ? Voilà de vastes et passionnants sujets décryptés grâce au cinéma, de Charlie Chaplin à Nanni Moretti, en passant par Claude Sautet, François Ozon ou Brigitte Bardot.

    Une brève histoire du cinéma donc, avec le rappel des inventions techniques, sans oublier l’évocation capitale des films publicitaires ou des films d’amateur rendus possibles grâce à la popularisation des caméras, via la vidéo : "L’intention première est de filmer pour garder en mémoire le souvenir des événements, des lieux, des membres de la famille." Et c’est là que le psychanalyste parle : "L’histoire familiale ne se filme pas, ne se découpe pas, ne se monte et ne se projette pas sans une autocensure inconsciente et cachée. Le refoulement est naturel et réflexe." Autre genre évoqué, celui du film d’auteur : "Le cinéaste et ses inventions (...) peuvent faire avancer et approfondir les concepts de la psychanalyse et peut-être modifier parfois l’écoute des patients sur le divan dans la cure."  Film d’art et d’essai et documentaire peuvent s’alimenter à cet égard mutuellement, comme le montrent les premières œuvres d’Arnaud Desplechin La vie des morts et La Sentinelle : "La poésie et l’opéra, écoutés en silence, ménagent des entractes intenses de partage familial. On reste en famille, une famille mise en actes sur une autre scène, la vraie".

    L'auteur fait le focus sur plusieurs films, objets de chapitre à part. La première œuvre commentée est The Fabelmans de Spielberg, "le cinéaste de la jeunesse", formidable portrait familial autour du cinéma. Quel autre film pouvait commencer aussi bien cet essai ? "Sam (...) prend conscience que le cinéma a des effets inattendus dans sa famille et au lycée où les réactions des amis ou rivaux sont à l’opposé de ce qu’il attendait".

    À mi chemin entre essai psychanalyse et exégèse autour du cinéma, on trouvera dans l’ouvrage de Philippe Collinet des pages documentées sur la structure familiale, sa définition, le système du patriarcat et sur les "complexes familiaux" qui fait l’objet d’un chapitre, tout comme les autres parentalités (homoparentalité, adoptions, GPA ou coparentalités). Le complexe d’œdipe n’est pas non plus oublié. 

    À mi chemin entre essai psychanalyse et exégèse autour du cinéma

    La culture cinématographique de Philippe Collinet impressionne dans cet essai dédié à la psychanalyse. James Dean, Xavier Dolan – très présent dans l’ouvrage – ou François Truffait côtoient Pasolini, Maurice Pialat ou Julia Ducourneau ("l’enfant terrible du cinéma au féminin", présente avec ses deux films majeurs, Grave et Titane).

    Le chapitre intitulé "Le complexe de la sexualisation" s’intéresse aux questionnements de féministes radicales au sujet des questions de genre et de sexe ("Il faut détruire politiquement, philosophiquement et symboliquement les catégories d’homme et de femme" écrivait M. Witting). L’auteur insiste sur son refus de souscrire à de tels extrémismes qui ne reflètent qu’une minorité de femmes : "La psychanalyse rencontre peu de femmes aussi radicalisées, sur le divan", rappelle-t-il avec raison. Pour appuyer ses propos, là encore Philippe Collinet évoque plusieurs films : Petite fille de Sebastien Lifshitz (2020), Laurence anyways de Xavier Dolan (2012) et Masculin, Féminin de Jean-Luc Godard (1966).

    Les cinéphiles trouveront matière à découvrir des films moins connus, que ce soit Mon roi de Maïwenn (2015), le film néo-zélandais L’Âme des guerriers de Lee Tamahori (1994) ou Maria’s lovers d’Andreï Kontchalovski (1984).

    Philippe Collinet propose une section consacrée aux enfants, le cinéma s’étant très tôt intéressé à eux. Que l’on pense au Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939) ou Cendrillon (1950). Les parents (avec le chapitre "Les parents terribles") ne sont pas en reste , avec quelques grands films : L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune de Jacques Demy (1973), Trois hommes et un couffin de Coline Serreau (1985) ou Le Fils du désert de John Ford (1948).

    Le rôle des femmes et des mères n’est pas absent. Jean Eustache ouvre la marche avec son chef d’œuvre, certes daté, La Maman et la putain (1973), Tout sur ma mère de Pedro Almodovar (1999) ou Sonate d’automne d’Ingmar Bergman (1978).

    On peut remercier Philippe Collinet de ne pas avoir oublié Citizen Kane d’Orson Welles qui est sans doute à classer parmi les trois plus grands films de l’histoire du cinéma, sinon le plus grand.

    Non sans malice, l’auteur consacre un chapitre à "la grande famille du cinéma", une allusion lancée parfois avec emphase (Jane Moreau) mais aussi moquée pour son entre-soi. Finalement quel autre art que le cinéma pouvait aussi bien parler de la famille ?

    Philippe Collinet, Films de famille, Complexes familiaux, 2024, éd. Borromées, 260 p. 
    https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/films-de-famille

    Voir aussi : "Un pied dans la porte pour le manipulé"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Premier nettoyage à sec

    Parlons de cette Femme de ménage qui a fait le bonheur de millions de lecteurs depuis 2023 et développée depuis dans deux autres volumes (Les secrets de la femme de ménage, La femme de ménage voit tout et La femme de ménage se marie). L’Américaine Freida McFadden est entrée avec fracas dans le monde du thriller, au point que chaque nouveau livre est attendu par une armada de lectrices et lecteurs conquis à l'avance. On peut le comprendre à la lecture du premier opus de sa saga, La femme de ménage.

    Cette fameuse femme de ménage c’est Millie, tout juste sortie de prison après dix années d’incarcération, sous probation et n’ayant pour toit que celui de sa vieille voiture où elle dort. Elle a un besoin vital de travailler sous peine de se retrouver à l'ombre. Or, elle déniche un petit job inespéré dans une luxueuse demeure new-yorkaise.

    Chez les Winchester, il y a l’employeuse, Nina, qui l’a recrutée. La maîtresse de maison, qui fut autrefois une très jolie femme, se montre rapidement autoritaire et soupe au lait. Elle couve sa fille unique, Cecila, une insupportable gamine. Seul Andrew, le mari poli et attentionné trouve grâce aux yeux de Millie. L’ex-taularde doit se faire à ce nouvel emploi, sous l'autorité de Nina, tour à tour charmante, autoritaire et lui cachant des informations capitales sur sa maison, par exemple sur les allergies de sa fille. La femme de ménage commence à avoir de sérieux doutes sur les Winchester lorsqu’elle croise Enzo, le jardinier italien l'invitant à se méfier et lorsqu’elle s’aperçoit que la chambre de bonne qu’elle occupe au grenier ne peut se fermer à clé que de l’extérieur. 

    Roman malin et palpitant

    Bien malin qui pourrait deviner la résolution d’une intrigue qui sait jouer avec les nerfs des lecteurs. Freida McFadden a construit son roman en deux grandes parties qui ont tout leur sens. L’auteure américaine réserve pour la fin le passé judiciaire de Millie, à la fois victime, coupable… et bourreau.

    C’est l’Amérique conservatrice, riche et arrogante qui est la première visée dans ce roman malin et palpitant. Moins personnalités fouillées qu’archétypes, les personnages évoluent au milieu de scènes sociales grinçantes, sinon grotesques – les amies de Nina, mères de familles comme elle trouvant leur plaisir dans les ragots, Andrew en homme d’affaire sûr de lui, sans oublier Cecilia, la fillette capricieuse qui va devenir une véritable plaie pour la femme de ménage.

    Tout ce beau monde va finir par clasher de la plus belle des manière. Enfin, "belle", façon de parler.

    Freida McFadden, La Femme De Ménage, éd. City éditions, éd. J'ai Lu, 2023, 416 p.
    https://www.jailu.com/la-femme-de-menage/9782290391174
    https://www.freidamcfadden.com

    Voir aussi : "La vengeance aux deux visages"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Bounty et le goût du paradis

    Dans la bibliographie de Jules Verne, Les Révoltés de la Bounty fait partie des œuvres rares. Il est vrai que cette histoire, tirée d’un fait divers datant de 1787, est une nouvelle de moins de 20 pages. Elle mérite pourtant d’être redécouverte, autant parce que la mutinerie de la Bounty est devenue légendaire – on lui doit d’ailleurs un film à grand succès en 1984, avec Mel Gibson et Anthony Hopkins dans les rôles titres – que parce que ce récit appartient à la légende de l’écrivain français.

    Aventure, île sauvage, héroïsme : voilà qui ne pouvait qu’intriguer Jules Verne. Il propose ici de coller au plus près de l’histoire, en se concentrant surtout sur le capitaine Bligh, victime de la mutinerie du Capitaine Fletcher, avant de suivre la vie des mutins et naufragés, dans une nouvelle au style moderne, presque journalistique. 

    Deux nouvelles écrites des deux côtés de la Manche

    Rien à voir avec Une Île de Lord Byron, écrit en 1832, soit près de cinq ans avant l’auteur du Tour du monde en 80 jours. Nous sommes en plein romantisme et l’idée de liberté et du "bon sauvage" prend tout son sens. Lord Byron propose une nouvelle en forme de chants poétiques. Le récit autour de Fletcher et Bligh fait bientôt place à un couple héroïque, la Tahitienne Neuha et le marin anglais naufragé Torquil.

    La langue est précieuse, parfois maniéré, mais le récit devient, à partir du Chant III un authentique récit d’aventure et d’action, avec par dessus le marché une histoire d’amour.

    Voilà deux nouvelles écrites des deux côtés de la Manche se complétant complètement dans cette édition de Librio et donnant envie de voir ou revoir le film de Roger Donaldson.    

    Jules Verne, Les Révoltés de la Bounty, suivi d'Une île de Lord Byron,
    éd. Flammarion, coll. Librio, 2013, 80 p.

    https://editions.flammarion.com/les-revoltes-de-la-bounty/9782290058480

    Voir aussi : "Pauvre homme"
    "Un classique des classiques"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • La vengeance aux deux visages

    En 2016, Karine Giebel sortait De force, publié chez Belfond et aujourd’hui disponible chez Pocket.

    Ce thriller psychologique se déploie lentement. L’auteure a construit patiemment son intrigue comme une araignée tisse sa toile. La violence est là mais elle est latente, faite de menaces et d’angoisses, jusqu’aux cinquante dernières pages qui viennent tout exploser.

    Un soir, à Nice, Maud Reynier se fait agresser par un homme. La jeune femme est sauvée in extremis par un promeneur, Luc Garnier. Maud est la fille unique et choyée d’Armand Reynier, un chirurgien riche et respectée de la Côte d’Azur. En s’en prenant à la jeune femme, il apparaît bien vite qu’en réalité c’est le chirurgien au-dessus de tout soupçon qui est la cible véritable. Un courrier anonyme menace d’ailleurs Armand Reynier qui reprend contact avec Luc, el sauveur de sa fille chérie. Cela tombe bien, l'opportun bienfaiteur est garde du corps, en plus d'être séduisant. Il est recruté par le médecin pour protéger Maud. Bientôt, le jeune homme s’installe dans la demeure luxueuse des Reynier.

    Outre le père et la fille, vivent Charlotte, la seconde épouse d’ Armand Reynier, Amanda, la gouvernante et un jardinier. Le garde du corps découvre que de lourds secrets pèsent sur cette famille mais aussi une lourde menace. Pour ne rien arranger, le bodyguard ne laisse aucune des femmes de la maison indifférentes. 

    Secrets

    Un chirurgien riche et imbu de lui-même. Sa fille, une jeune femme paumée et accro. La deuxième femme du médecin prise au piège d’un mariage. Une gouvernante séduisante. Sans oublier un garde du corps ténébreux, sémillant et aux blessures certaines. Voilà les éléments de départ de ce pavé passionnant. Vous ajoutez à cela un sinistre maître chanteur et des disparu⸱e⸱s bien encombrantes.

    Karine Giebel se concentre sur les dialogues, nombreux et rendant vivants ce thriller. Les descriptions des lieux comme des personnages sont réduits à leur plus simple expression. Les lecteurs et lectrices – et elles sont nombreuses – regretteront sans doute les personnages bruts de décoffrage et parfois caricaturaux – le médecin bourgeois hautain, la pauvre fille riche et droguée, la bimbo séductrice et le beau gosse protecteur qui ne peut pas laisser insensible les trois femmes de la propriété niçoise.

    Le polar se termine en plein Vercors, dans un lieu sauvage où tous les secrets sont dévoilés, pour ne pas dire crachés. Un très bon polar. 

    Karine Giebel, De force, éd. Belfond, 2016, 528 p., éd. Pocket, 2017, 576 p.
    https://www.lisez.com/livre-grand-format/de-force/9782714459633
    https://www.karinegiebel.fr
    https://www.facebook.com/Karine.Giebel
    https://www.instagram.com/karinegiebel

    Voir aussi : "Sors de ma vie avant que je tue"
    "Karine Giebel, son œuvre"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • La Philosophie dans le boudoir

    sade,sexe,roman,pornographieLa Philosophie dans le boudoir se présente comme une suite de sept tableaux théâtraux mettant en scène l'éducation libertine d'une jeune fille, Eugénie. Madame de Saint-Ange, son frère le chevalier et monsieur Dolmancé se font les instructeurs  immoraux de l'adolescente dans une graduation sadienne de la perversion, jusqu'au supplice de Madame de Mistival, la propre mère d'Eugénie.

    Cette œuvre pornographique de Sade inclut également une réflexion philosophique sur la démocratie, la nature et le crime, à travers le texte Français, encore un effort, inséré à la fin du cinquième dialogue - de manière assez artificielle. Un texte dérangeant et scabreux à ne pas mettre entre toutes les mains.    

    Marquis de Sade, La Philosophie dans le boudoir, éd. Gallimard Folio, 272 p.
    https://confrerie2010.canalblog.com/archives/2013/04/01/26797163.html
    https://www.folio-lesite.fr/catalogue/la-philosophie-dans-le-boudoir/9782073013330

    Voir aussi : "3 minutes pour comprendre les 50 plus grandes théories philosophiques"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Dumas, le fils

    Soyons précis. Des trois Dumas, c’est le deuxième qui est le plus connu. Alexandre Dumas, dit Père, est devenu pour toujours l’auteur des Trois Mousquetaires, du Comte de Monte-Cristo ou de La Reine Margot. Les qualificatifs le concernant sont bien entendu d’autant plus élogieux qu’il reste moderne.

    Qu’en est-il des deux autres Dumas. Thérèse Charles-Vallin, autrice du Troisième Dumas (éd. de la Bisquine) passe rapidement sur l’ancêtre, lui aussi nommé Alexandre, plus précisément Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie. Général métissé, il a eu pour père un noble normand qui épousa une femme noire de Saint-Domingue. Le militaire, le "premier Dumas", donc, donne naissance au plus célèbre d’entre eux, le fameux Alexandre Dumas Père.

    Arrêtons-nous tout de suite sur cette naissance car c’est là qu’il faut chercher un des points communs des trois Dumas : une paternité mal assumée qui est au cœur de l’essai de Thérèse Charles-Vallin. Pour autant, les liens pères-fils restent très forts. Le créateur de Monte-Cristo a une fascination pour le brillant Général increvable et qui eut pour seul "tort" d’être métis. "À l’âge de quatre ans, [Il] voulait aller au ciel pour y trouver Dieu et le tuer afin de venger la mort de son général de Pierre".

    Singulièrement, Alexandre Dumas Fils ne fut reconnut lui aussi que tardivement, après une enfance difficile, trois femmes se disputant sa garde jusqu’à ce qu’il soit définitivement reconnu à l’âge de sept ans. La suite c’est un long chemin personnel et artistique jusqu’au triomphe d’Alexandre Dumas Fils.

    Féminisme

    Thérèse Charles-Vallin suit chronologiquement la carrière exceptionnelle d’un écrivain qui aurait pu se faire écraser par une paternité exceptionnelle, d’autant plus que son enfance augurait mal de la suite – un père absent, des femmes ne s’entendant pas, le rejet et les humiliations à l’école en raison de sa naissance et de ses racines antillaises. Lorsque le père se rapproche du fils, ce dernier ne pourrait que se sentir écrasé par un écrivain adulé et à la force de travail exceptionnelle : "Un véritable bourreau de travail qui peut rédiger 200 pages d’un excellent texte en une nuit". Finalement, les relations entre le père et le fils vont devenir excellentes, comme le prouvent les multiples extraits de leur correspondance, le père soutenant et appuyant le fils et le fils marquant son amour pour un père jusqu’à ses derniers jours.

    L’essai de Thérèse Charles-Vallin est passionnant en ce qu’il donne à voir un artiste s’émancipant d’un père autant admiré et reconnu que "frivole et jouisseur" mais qui finira ruiné. C’est son fils qui l’accueillera chez lui dans ses derniers jours et le veillera jusqu’à sa mort. L’auteure propose sans doute là les plus belles et émouvantes pages de son essai.

    D’Alexandre Dumas Fils, le grand public a avant tout retenu son chef d’œuvre, La Dame aux camélias. Le roman a été écrit en 1847, dans une rage que son père n’aurait pas renié. Le troisième Dumas n’a jamais caché que cette histoire d’amour et de mort lui a été inspiré par sa propre relation avec une jeune femme dont il était épris, Alphonsine Plessis et qui mourut à l’âge de 23 ans, après une vie des plus agitée.

    Dumas Fils est surtout un homme de théâtre et c’est bien naturellement qu’il se lance dans  l’adaptation sur scène de sa Dame aux camélias, avant qu’elle ne devienne ensuite une œuvre lyrique, La Traviata.

    Le Troisième Dumas est aussi passionnant par son tableau du XIXe siècle, ses fièvres politiques, le retour de l’Empire, la guerre de 1870 puis la jeune IIIe République. Dans cet essai, traversent des personnages historiques, que ce soit Victor Hugo, Émile Zola ou Sarah Bernhardt. Thérèse Charles-Vallin souligne la clairvoyance de Dumas Fils qui s’est lancé dans le féminisme et le soutien de l’égalité de droits entre hommes et femmes, une attitude à la fois rare et remarquable pour un homme du XIXe siècle, très souvent cantonné, à tort, dans celui d’artiste bourgeois.

    Finalement, Alexandre Dumas Fils est resté dans les manuels d’histoire autant que de littérature en dépit de l’ascendance de Dumas Père. Mieux, au contraire de ce dernier, il réussit à se faire élire à l’Académie Française. 

    Thérèse Charles-Vallin, Le Troisième Dumas, éd. de la Bisquine, 2024, 214 p.
    https://www.editions-labisquine.com/le-troisieme-dumas.html
    https://www.facebook.com/p/Therese-Charles-Vallin-100063155264919

    Voir aussi : "Thérésia versus Robespierre"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère

    essai,philosophie,barry loewer,3 minutes,confrérie,michel foucault,essai,philosophie,pierre riviereEn juin 1835, Pierre Rivière, fils d’un paysan normand, assassine à coups de serpe sa propre mère, enceinte, sa sœur ainsi qu’un de ses jeunes frères. Condamné à mort, le meurtrier âgé de 18 ans est condamné à mort. Par grâce royale, sa peine est commuée en réclusion criminelle à perpétuité. Moins de cinq ans plus tard, Pierre Rivière se suicide en prison.

    Ce parricide – considéré à l’époque comme le crime le plus terrible qui soit – intéresse les gazettes locales mais n’a pas de retentissement particulier (les parricides sont nombreux et les Français sont plus intéressés par une autre affaire : une tentative d’attentat contre le roi Louis-Philippe par Fieschi). Si Michel Foucault et une équipe de scientifiques s’intéressent dans les années 1970 à cette affaire c’est qu’elle est exceptionnelle par la documentation disponible. Mais surtout parce que le meurtrier lui-même, Pierre Rivière a laissé un mémoire de grande qualité pour expliquer son geste.

    Le titre de l’étude collective dirigée par Foucault porte d’ailleurs pour titre l’incipit de ce mémoire : Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère. Ce livre passionnant, et qui vaut bien des polars, est divisé en deux parties principales : un dossier brut présentant des documents bruts (procès-verbaux, études médicales de l’époque, rapports, lettres officiels, fac-similés, un plan, etc.) et un recueil de sept articles (ou notes), dont une écrite par Michel Foucault lui-même (il signe également la préface générale). Au milieu de ces deux parties, une pièce maîtresse est reproduite : le mémoire in extenso de Pierre Rivière.

    Le lecteur constate, troublé, que celui que l’on présentait comme fou, fait preuve d’une rare clairvoyance pour expliquer en détail ce qui l’a conduit à un tel crime.Les notes explicatives éclairent à la fois le contexte historique du crime (une époque troublée, marquée par les guerres et la mort – on sort tout juste de la Révolution française et les guerres napoléoniennes), le contexte social aliénant (la paysannerie toujours enchaînée malgré la fin de l’Ancien Régime), la personnalité de Pierre Rivière, plus complexe qu'il n'y paraît, les atermoiements de la Justice (pourquoi les circonstances atténuantes n’ont pas été retenues durant le procès ?), les luttes d’influence – voire de pouvoir – entre justice et médecine ou encore la question de la folie de Pierre Rivière. Cet essai historique est exemplaire en ce que, partant d’un fait divers hélas banal, il décortique ses tenants et ses aboutissants, comme un archéologue le ferait sur un chantier de fouilles.      

    Michel Foucault, Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère...
    Un cas de parricide au XIXe siècle, éd. Gallimard, coll Folio, 421 p.

    https://confrerie2010.canalblog.com/archives/2013/02/12/26400277.html
    https://www.folio-lesite.fr/catalogue/moi-pierre-riviere-ayant-egorge-ma-mere-ma-soeur-et-mon-frere/9782070328284 

    Voir aussi : "La philosophie dans le boudoir"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Contre Mike Diana

    Si Mike Diana est entré dans l’histoire de l’art et de la justice c’est en raison d’un procès singulier survenu il y a un peu plus de 30 ans. Nous sommes en mars 1994 en Floride, dans le comté de Pinellas. Mike Diana a à peine 25 ans et produit une série de dessins et de BD pour plusieurs fanzines confidentiels, dont la revue Boiled Angel ("Ange bouilli" en français) qui peine à dépasser quelques dizaines de lecteurs. Une production underground amenée à tomber dans l’oubli sans un policier trouvant des liens entre des dessins de ce fanzine et des meurtres particulièrement horribles dans la région.  

    Finalement, le procureur de l’époque retient la plainte d’obscénité, une première dans un pays libéral comme les États-Unis, premier producteur en outre de matériaux pornographiques.

    Dans Disgrâce en Amérique, paru aux éd. White Rabbit Prod, Pierre Dourthe revient sur cette affaire hors-norme et sur les 10 ans de la production de Mike Diana, entre 1988 et 1997. ajoutons que l’artiste est toujours en activité aujourd’hui.

    La monographie s’intéresse à l'artiste américain underground grâce à de nombreuses illustrations et planches à ne pas mettre entre toutes les mains. L’art de Mike Diana est en effet volontairement provocatrice et ne s’empêche aucun interdit. Sexe, violence, tortures, mutilations et toutes les perversités possibles et imaginables constituent cet univers singulier. Le dessin est "rudimentaire" comme le précise Pierre Dourthe. La facture du dessin est naïve, les traits réduits à leur plus simple expression et les décors quasi inexistants. 

    À ne pas mettre entre toutes les mains

    Le grotesque le dispute au morbide et les personnages apparaissent comme des caricatures soumises à toutes les perversités. La religion – le christianisme en l’occurrence – en prend pour son grade, avec ses symboles détournés. Monstres, extra-terrestres et animaux viennent compléter ce bestiaire parfois difficilement supportable.

    Le procès en valait-il cependant la chandelle ? C’est là que la question se pose de manière pertinente. Au début des années 90, Mike Diana est un adolescent inconnu proposant ses œuvres à des magazines confidentiels, parfois photocopiés et agrafés sommairement – maintenant des objets culturels à la valeur marchande certaine. Cependant, l’Amérique traditionnelle et puritaine est bien décidée à ne pas laisser passer ce qui ressemble à une série de créations qu’elle considère comme obscène.

    Pierre Dourthe s’interroge longuement sur la question à la fois du jugement moral et de l’utilité sociale d’un tel procès. "Que fait le dessin de Mike Diana ?" se demande-t-il. La brutalité des crimes, leur gratuité, leur absence de justification et, plus que tout, leurs violences sans limite font dire que l’artiste fait de la dérision et de la raillerie le cœur de son œuvre. Le lecteur aura d’ailleurs en-tête la participation à un projet postérieur, celui d’un jeu de société, The Rape Game! Ce faisant, Mike Diana se pose en pourfendeur de la morale traditionnelle, ce que les accusateurs de l’artiste ne pouvaient ou ne voulaient pas admettre. Pire pour eux, c’est aussi aux rituels et aux institutions chrétiennes que s’attaque le dessinateur dans plusieurs créations.

    Pierre Dourthe souligne, tout comme Nicolas Le Bault dans la préface, que le premier amendement de la constitution américaine sur la liberté d’expression ne pouvait protéger Mike Diana des foudres de la censure. Au final, les outrances de Mike Diana n’ont pas été freinées par la décision judiciaire de 1994, loin s’en faut. Pour autant sa condamnation interroge sur la notion d’œuvre d’art, sur la place de la morale, sur la capacité d’une cour de justice de rendre des décisions esthétiques et, plus généralement sur la notion de liberté d’expression. Il est au final frappant que de telles questions ont été posées à cause de fanzines confidentielles qui auraient très bien pu rester complètement oubliés.  

    Pierre Dourthe, Disgrâce en Amérique, Dix ans de l'art de Mike Diana (1988-1997),
    éd. White Rabbit Prod, 2024, 176 p.

    https://www.whiterabbitprod.com/product/pierre-dourthe-mike-diana-disgrace-in-america
    https://www.facebook.com/story.php?story_fbid=955285119971830&id=100064710515208
    https://www.instagram.com/mikedianaboiled
    https://mikedianacomix.com

    Voir aussi : "Rêves violents"
    "Visages de la peur"
    "Au-delà du miroir"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !