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Ces dernières années, la chanson française a su se renouveler, sans trahir ses valeurs. Armelle Yons en est un des exemples avec son premier album, Mon Secret, sorti en ce début d’année.
La chanteuse s’est entourée du duo rock La Bestiole, chargé de mettre en rythmes et en sons les paroles d’Armelle Yons, dans un opus personnel, pour ne pas dire autobiographique ("Je n’ai pas peur de la nuit / Des rêves ébouriffés / J’ai mon Styx / Mon corsage nocturne / C’est mon secret irisé", "C’est mon secret").
Armelle Yons c’est une vraie personnalité et une vraie singularité, que ce soit dans l’utilisation du talk-over ("C’est mon secret"), de l’appropriation du rock ("Sur le bord de la route") à des fins poétiques ("Tranquille et bien au chaud / A travers mon hublot / Je rêve et j’imagine", "Ici tout simplement") ou d’orchestrations traditionnelles ("Tango Padadam").
Mon Secret emprunte des chemins également pop. C’est le cas de "Je me souviens" dans lequel Armelle Yons se confie sur son enfance, avec un mélange de nostalgie et de gravité : "Je me souviens / Des mûres à pleine bouche / Murmures… / Je m’en invente une prière". C’est aussi la jolie déclaration d’amour "Croquis". On s’arrêtera particulièrement sur un autre titre, "À mes poignets", dans lequel la chanteuse met en valeur cette autre déclaration, plus poétique encore, parlant d’un amour envoûtant représenté par une poupée vaudou. Il s’agit d’un morceau voix-guitare aux accents blues : "À mes poignets souvent je pends / Des rimes de toi et des pendules / J’ai un penchant pour les perdants… / J’ai mes grigris porte-bonheur / Mon élixir du Gévaudan".
L’auditeur ne devra absolument pas passer à côté de la revisite du "Bout des lèvres" de Barbara, dans une version rock
L’auditeur ne pourra que s’incliner devant le travail sur les textes, à l’instar du magnétique et engagé "No Scrupule", en duo avec Cat Loris. L’artiste se fait "marquise sans particule" pour se sauver de "soirées mondaines" au sujet desquels on ne peut pas dire que la musicienne soit tendre. Féministe ? Oui, et même plutôt deux fois qu’une ! Mâles sans scrupules, passez votre chemin, car l’arme de cette femme sont des mots "obsolètes", des phrases "désuètes", des "rimes en toc" contre ces "salauds modernes". L’humour, Armelle Yvons n’en a pas, y compris lorsqu’elle parle de vague à l’âme et de mal d’amour (le délicieux "Passe-moi le cric" aux accents blues).
L’auditeur ne devra absolument pas passer à côté de la revisite du "Bout des lèvres" de Barbara, dans une version rock qui ne perd pas la force politique de la Dame Brune. Au fur et à mesure que l’opus avance, Armelle Yvons se fait plus nostalgique ("Les clés du temps"), voire plus philosophe, à l’exemple de ce titre apaisant – et blues rock – qu’est "Les essentiels" dans lequel la musicienne se félicite d’avoir eu "du cran pour couper le courant / Le bleu à l’âme… Le rouge au cœur".
Une jolie découverte par une musicienne qui ne ferme aucune porte à son univers riche et passionnant.
La découverte du dernier album de la jazzwoman Laura Anglade, Venez donc chez moi, que nous avions chroniqué sur Bla Bla Blog, nous a donné envie d’interviewer la chanteuse, un pied en France et l’autre de l’autre côté de l’Atlantique. Rencontre avec une artiste qui voue un amour immodéré pour la chanson française, y compris le répertoire moins connu des années 30.
Bla Bla Blog – Bonjour Laura. Le public français vous découvre cette année avec votre reprise de standards de la chanson française, l’album Venez donc chez moi. Au Canada, vous êtes une des voix montantes de la scène jazz. Franco-américaine, quels sont vos rapports avec le Canada et la France ? Laura Anglade – Merci. J’ai quitté le Connecticut à l’âge de 18 ans, à la fin du lycée. Je suis partie à Montréal, à l’université Concordia, pour suivre des études de Traduction. J’ai toujours été fascinée par les langues, depuis toute petite. Je n’avais pas du tout envisagé de suivre une carrière en musique à ce moment-là. Cette ville me tentait bien, et le programme surtout…et depuis je n’ai pas quitté le Canada !
BBB – Pour cet album de reprises, vous avez choisi des titres qui ne sont pas forcément les plus connus : "Venez donc chez moi", qui donne le titre à l’opus, mais aussi "Vous qui passez sans me voir" ou "Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerai toujours". Pourquoi ces choix ? LA –Venez Donc Chez Moi, tout d’abord met en avant mon identité française, mon “chez moi”, mais aussi, à un autre niveau, un album est une œuvre qui représente un moment précis, un peu comme la photographie. Nous avons enregistré cet album en pleine période de pandémie, bloqués chez nous. Avec Sam, le guitariste, on voulait inviter le public à passer un beau moment intime d’écoute, chez eux, en attendant de venir nous voir en concert peut-être un jour. En ce qui concerne les autres titres, Charles Trenet est le chanteur préféré de mon grand-père, il me chantait souvent ses chansons quand j’étais petite. Je connais pratiquement toutes ses chansons par cœur. Je voulais rendre hommage à ma famille, en leur faisant ce cadeau, pour qu’ils puissent chanter avec moi en écoutant mon disque. Ils sont loin, donc au moins cela nous permet de nous rapprocher un peu, comme si une partie de moi était là, avec eux. D’après moi, “Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerai toujours” est une belle leçon. Quand on se lance dans une histoire avec quelqu’un en tout début de relation, il y a toujours un moment d’hésitation. On essaye de se protéger, sûrement pour ne pas s’emballer trop vite. On ne veut pas trop se projeter, par peur d’être rejeté, mais quand ça doit marcher, les choses se mettent en place petit à petit, naturellement. On a pas besoin de se faire des promesses ni des plans, on peut simplement vivre jour après jour, sans attente. Je trouve ce message magnifique.
BBB – On sent chez vous un attachement au répertoire des années 30 et aussi au compositeur Paul Misraki, peu connu, et qui a écrit deux de vos reprises ("Venez donc chez moi" et "Vous qui passez sans me voir"). Est-ce une invitation à redécouvrir le patrimoine musical français oublié et les chansons de Lucienne Boyer, Ray Ventura, voire Charles Trénet ? LA – Effectivement. Je trouve que ces chansons sont intemporelles. On arrive à plonger dans ces histoires et ces mélodies, comme un bon livre. Ce sont des thèmes nostalgiques, mais en même temps encore courants. On s’y retrouve.
BBB – On est peu surpris de voir apparaître Michel Legrand ; on l’est plus par le choix de vos reprises : au lieu des "Moulins de mon cœur" ou de la "Recette du cake d’amour", vous avez choisi la magnifique "Chanson de Maxence" et de la "Valse des lilas". Pourquoi le choix de ces morceaux ? LA – "La Chanson de Maxence", de la comédie musicale Les Demoiselles de Rochefort par Michel Legrand est l’une de ses plus belles chansons. Elle a été adaptée en anglais, et raconte une histoire complètement différente de l’originale. En général, je choisis de chanter une chanson si je trouve les paroles captivantes. Dans ce cas, je me laisse emporter par la mélodie, complexe et à la fois mémorable et nostalgique, des thèmes que l’on reconnaît facilement à travers toutes les œuvres de Michel Legrand. "La Valse des Lilas" a aussi été adaptée en anglais, c’est une chanson pleine d’espoir, comme les premières fleurs au printemps.
"Mon rêve serait de lui chanter « Chez Laurette » un jour dans son ancien café, et peut-être même d’aller y boire un verre ensemble !"
BBB – Deux femmes ont les honneurs de votre opus : Jeanne Moreau, l’interprète de "Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerai toujours et surtout "Barbara ("Précy Jardin" et "Ce matin-là"). J’imagine que c’est tout sauf un hasard de voir Barbara figurer sur cet album. LA – Barbara a toujours été une grande source d’inspiration. "Precy Jardin" est la chanson de Barbara ou je me reconnais le plus. Chaque été depuis mon enfance, ma famille retournait dans notre petit village dans le sud de la France. En 1973, Barbara a quitté Paris pour aller vivre à Précy sur Marne, à la campagne, et c’est là ou elle a passé ses dernières années. Dans ce lieu paisible, loin de tout, près de la nature, Barbara est au paradis. Je reconnais mon petit village, Brousse le Château, à travers les paroles, “juste le clocher qui sonne minuit”.
BBB – L’auditeur français sera heureux de trouver une reprise de "Chez Laurette". À ma connaissance, c’est l’une des première fois que Michel Delpech côtoie Charles Trénet, Charles Aznavour ou Barbara. "Chez Laurette" se devait de figurer dans votre album ? Et spécialement cette chanson, la plus célèbre sans doute de son répertoire ? LA – "Chez Laurette", de Michel Delpech, est une de mes chansons préférées de tout l’album. J’ai appris que le chanteur a écrit la chanson en une traite durant un court trajet en train. Chez Laurette raconte l’amitié entre un jeune garçon et la dame qui tient le café au coin de la rue. Laurette devient vite la confidente de lui et de tous ses amis. Chaque chagrin d’amour, chaque fou rire, elle les voit grandir au fur et à mesure des années qui passent. C’est une belle confiance qui se construit, surtout pendant les années les plus importantes, elle les aident à naviguer l’adolescence. Quand j’écoute cette chanson, pour moi c’est la culture française dans toute sa splendeur. Ça me rappelle de beaux souvenirs avec ma mère, quand on allait faire les boutiques en ville chaque été et qu’on retrouvait toujours les mêmes vendeuses, qui me disaient avec leur sourire familier, “alors ça pousse !” ou quand on allait chercher la viande chez le boucher de ma grand-mère, qui a vu ma mère grandir, et maintenant voyait ses enfants grandir aussi. La vie passe tellement vite. Ce sont ces personnes, ces liens qu’on crée de génération en génération qui forment nos valeurs et ce que l’on devient. J’ai aussi choisi la chanson parce que c’est une des chansons préférées de mon grand-père. Même si Michel Delpech n’est plus parmi nous, j’ai appris que cette “Laurette” est inspirée d’une vraie personne, qui existe toujours, et que ce fameux café aussi ! Mon rêve serait de lui chanter cette chanson un jour dans son ancien café, et peut-être même d’aller y boire un verre ensemble !
BBB – Après cet album, quels sont vos futurs projets ? Une tournée est-elle prévue en France ? Ou un album en préparation ? LA – Je viens de faire une mini tournée à Paris dernièrement en juin 2022. J’espère y revenir le plus vite possible, j’adore cette ville, surtout au printemps. Je pars en tournée avec Melody Gardot en septembre, j’ai vraiment hâte. En ce moment, oui, je pense à un futur album aussi. Plein de belles choses ! Merci beaucoup.
Qui dit reprises de chansons françaises dit standards incontournables d’Édith Piaf, Yves Montand ou Maurice Chevalier, avec des classiques archi rabattus, de ceux que Thomas Dutronc avait réinterprétés en duo il y a quelques années, dans un très joli album au demeurant. La jazzwoman franco-américaine Laura Anglade, accompagnée du guitariste québécois Sam Kirmayer, a choisi le contre-pied dans son album de reprises, Venez donc chez moi.
"Venez Donc Chez Moi", à l'origine un tube de l’entre-deux guerres écrit par Paul Misraki et créé par Lucienne Boyer et Ray Ventura et ses collégiens, peut s’écouter comme une invitation dans l’univers smooth de Laura Anglade, reconnue par "Ici Musique" de Radio Canada comme l'une des cinq meilleures musiciennes de jazz à surveiller.
Paul Misraki est mis à l’honneur dans une autre de ses compositions avec cet autre classique qu’est "Vous qui passez sans me voir" que Charles Trénet avait rendu célèbre, en dépit du fait que ce morceau n’est pas celui que le grand public a retenu de l’interprète de "La mer", de "Douce France" ou de "Boum !"
L’auditeur sera sans doute plus familier avec ce bijou qu’est "Paris au mois de mai", romantique et parisien à souhait, grâce à l’accordéon de Benjamin Rosenblum. Laura Anglade reprend également le célébrissime "Que reste-t-il de nos amours ?", dans lequel Charles Trénet – encore lui ! – s’était rarement montré aussi mélancolique. La chanteuse y ajoute sa patte jazz, montrant du même coup un aperçu de sa palette vocale.
"Chez Laurette" est la reprise la plus incroyable de l’album, et qui mérite à elle-seule que l’on se précipite pour découvrir l’opus de Laura Anglade
La Franco-américaine ne pouvait pas ne pas reprendre des standards de Michel Legrand. Outre "La valse des lilas", qui clôt l’album, sa revisite délicate de "La chanson de Maxence" permet de déguster les paroles et d’apprécier les qualités de parolier du compositeur français : "Elle a cette beauté des filles romantiques / Et d'un Botticelli, le regard innocent / Son profil est celui de ces vierges mythiques / Qui hantent les musées et les adolescents".
Un hommage est rendu à deux femmes, deux artistes et deux musiciennes : Jeanne Moreau, avec une reprise "Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerai toujours" (par ailleurs, la chanson du film Pierrot le fou, avec Anna Karina et Jean-Paul Belmondo) et Barbara avec deux titres que beaucoup d’auditeurs découvriront sans doute : le nostalgique "Précy Jardin" et le délicat "Ce matin-là", toujours avec l’accompagnement à l’avenant de Sam Kirmayer.
"Chez Laurette" est la reprise la plus incroyable de l’album, et qui mérite à elle-seule que l’on se précipite pour découvrir l’opus de Laura Anglade. La chanteuse se l’approprie totalement au point que l’auditeur, pourtant habitué à l’original, a la sensation de la redécouvrir, dans toute sa pureté avec voix jazzy et guitare. Laura Anglade dit ceci : "Quand j’écoute cette chanson, pour moi c’est la culture française dans toute sa splendeur. Ça me rappelle de beaux souvenirs avec ma mère, quand on allait faire les boutiques en ville chaque été. La vie passe tellement vite. Ce sont ces personnes, ces liens qu’on crée de génération en génération qui forment nos valeurs et qui on devient."
Tout autant que ces reprises de standards français, c’est une chanteuse d’exception qui est à découvrir à travers ce Venez donc chez moi, étincelant dans sa simplicité.
La revue Hexagonea eu la bonne idée de nous fait découvrir sur sa page Facebook la reprise "confinée" du titre de Barbara, Du bout des lèvres.
C’est Renan Luce qui nous propose cette version avec l’équipe qui l’accompagne en tournée, à savoir Christophe Cravero au piano, Oliver Smith à la contrebasse, Mathieu Gayout à la batterie sur table, le Sinfonia Pop Orchestra et Romain Trouillet pour l’orchestration.
Une vraie déclaration d’amour de Renan Luce, qui fait son grand retour en ce moment : "Il y a aussi dans cette chanson de Barbara quelque chose qui exprime ce qui nous lie les uns aux autres, au delà des mots, par un élan du cœur."
2018 aura été marqué par de grandes légendes de la chanson française : il y a eu la découverte il y a un an de Lily Passion de Barbara dans sa version studio inédite, le décès de Charles Aznavour il y a deux semaines et, il y a quelques jours, la célébration des quarante ans de la mort de Jacques Brel. Mais il fait aussi compter sur Léo Ferré, dans l’actualité en ce moment avec la sortie de plusieurs reprises par Cali.
Sur la pochette de l’album, celui-ci pose avec un chimpanzé, l’alter-ego de Pépée, le célèbre singe de Ferré disparu en 1968 et qui inspira un titre éponyme – mais qui n’est singulièrement pas présent dans cette série d’adaptations.
C’est extra, Vingt ans, Ni dieu ni maître, Les anarchistes, Joli môme ou Avec le temps font partie des classiques que reprend Cali, dans un souci de dépoussiérer, de moderniser, voire de révolutionner des chansons de Ferré : c’est "une sorte de laboratoire musical" comme il le dit lui-même. Pour l’occasion, il s’est entouré de Steve Nieve au piano et de François Pioggio à la guitare.
Cali se met au service des textes de Ferré avec le souci de proposer des arrangements parfois désarçonnants mais souvent très convaincants. Le choix de l’acoustique et de la simplicité guident un chanteur qui entend mettre en valeur, plutôt que d’étouffer, les textes de Ferré, que ce soit ceux de La Mélancolie ou de Paris je ne t’aime plus.
Dans C’est extra, l’orchestration minimaliste est soutenue par des explosions de lumières et des averses de pianos, permettent de voir sous un autre jour un standard archiconnu.
Cali s’approprie si bien les œuvres de son aîné que l’on penserait que certains titres, à l’exemple d’Ils ont voté, ont été écrits pour lui en 2018 : "A porter ma vie sur mon dos / J'ai déjà mis cinquante berges / Sans être un saint ni un salaud / Je ne vaux pas le moindre cierge /Marie maman voilà ton fils / Qu'on crucifie sur des affiches / Un doigt de scotch et un gin fizz /Et tout le reste je m'en fiche / Ils ont voté... et puis, après ?"
Pour ce chef d’œuvre qu'est Les étrangers, Cali en fait une adaptation sèche, rythmée et presque ludique. On pourra préférer la version originale mais on n’enlèvera pas la prise de risques de l’interprète. Autre prise de risques : celle avec Vingt ans, cet impertinent, tendre et cruel hymne à la jeunesse : "Pour tout bagage on a vingt ans / On a des réserves de printemps / Qu'on jetterait comme des miettes de pain / A des oiseaux sur le chemin." Là, Cali choisit opportunément la modernité et l’électro. Pour Ni dieu ni maître, c’est le rock qui est préféré dans cette chanson sur l’anarchie et qui renvoie à cet autre titre emblématique, Les Anarchistes, aussi sombre et mélancolique que la version de Ferré pouvait être combative et engagée : "La plupart fils de rien ou bien fils de si peu / Qu'on ne les voit jamais que lorsqu'on a peur d'eux / Les anarchistes / Ils sont morts cent dix fois / Pour que dalle et pourquoi ?"
Les guitares fument sur un rythme espagnol étouffant
Outre le joyeux et mutin Joli Môme, un titre qui avait été écrit au départ pour Annie Butor, la belle-fille de Ferré, Cali propose une interprétation de La mémoire et la mer assez proche, dans les gènes, à l’original studio, mais avec une facture lo-fi et des percussions sombres qui lui confèrent une indéniable puissance nostalgique et une singulière patine du temps : "Je me souviens des soirs là-bas / Et des sprints gagnés sur l'écume / Cette bave des chevaux ras / Au ras des rocs qui se consument / Ô l'ange des plaisirs perdus / Ô rumeurs d'une autre habitude / Mes désirs dès lors ne sont plus / Qu'un chagrin de ma solitude."
Impossible de ne pas parler de l’un des classiques le plus célèbres de Ferré. Avec le Temps renaît grâce un enregistrement audacieux par l’utilisation d’une guitare nue et un admirable jeu d’échos. L’auditeur peut féliciter Cali pour son interprétation sans fioriture, lui permettant de laisser les mots du poète dominer le sujet : "Avec le temps, va, tout s'en va et l'on se sent blanchi / Comme un cheval fourbu et l'on se sent glacé / Dans un lit de hasard et l'on se sent tout seul / Peut-être, mais peinard / Et l'on se sent floué par les années perdues."
Cali, le "métamec", pour reprendre le titre de l’album posthume de 2000, se fait carrément aventurier pour Le flamenco de Paris qui devient, grâce à lui, une authentique création musicale. Les guitares fument sur un rythme espagnol étouffant, faisant de ce flamenco un vrai chant de mort.
On s’arrêtera aussi longtemps et plusieurs fois sur ce joyau qu’est Thank You Satan : lumineux, majestueux et d’une belle épaisseur instrumentale et rythmique. Les mots de Ferré renaissent avec lyrisme dans une chanson qui n’est pas forcément la plus connue dans la discographie de Ferré : "Pour la solitude des rois / Le rire des têtes de morts / Le moyen de tourner la loi / Et qu'on ne me fasse point taire / Et que je chante pour ton bien / Dans ce monde où les muselières / Ne sont pas faites pour les chiens."
L’album se termine avec un titre rare de Ferré, L'amour est dans l'escalier. Ce poème de Léo Ferré, mis en musique par Steve Nieve et François Poggio, est interprété par le Mathieu Ferré, son fils, au timbre de voix si familier. Cali semble quitter cet album d’adaptations réussies sur la pointe des pieds, en laissant le dernier mot à Léo Ferré lui-même. Il aurait eu 102 ans cette année, déjà.
Cali chante Léo Ferré, BMG, sorti le 5 octobre 2018 En concert à Paris, le 16 novembre 2018 au Théâtre Dejazet https://www.calimusic.fr
Laïn est un vrai appel d’air dans cette passionnante vague de chanteurs et chanteuses. Appel d’air :comme son premier EP, dans les bacs à partir du 25 mai.
La Parisienne a dans ses bagages quelques belles références : Léo Ferré, Barbara, Claude Nougaro ou encore Philippe Léotard. Mais c’est surtout Alain Bashung que cite la jeune artiste, bouleversée comme tant d’autres par l’auteur de Fantaisie militaire. Cette référence n’est pas anecdotique. En 2015, lors de l’édition des Francofolies de la Rochelle, Laïn rencontre Jean Fauque, l’auteur de La nuit je mens. Il lui propose un texte qu’il avait écrit pour son ami Alain Bashung et que ce dernier adorait : On sera sur.
Dans son premier EP, la pop électro sèche et rythmée de Laïn ne transige pas avec des textes âpres et exigeants : "T’avais le coeur au bout des doigts / Un peu de safran dans ma voix / Dans notre deux pièces à Paris / On s’est aimés comme deux junkies inséparables / Maladifs prêts à se tuer à coup de canif / Sur notre perchoir parisien / On s’est aimés / Comme s’aiment les chiens" (Matelot).
Laïn ce sont ces chants d’amour suffocants interprétés par une noctambule : "La nuit, Paris rassemble ceux qui perdent la tête et le sommeil, comme moi," avoue-t-elle à ce sujet la musicienne qui consacre quelques textes à cette nuit qu’elle aime tant.
Son "gri-gri"
Le titre phare du EP, L’appel d’air, est un voyage à la Robert Conrad dans la jungle d’amours qui nous font divaguer. Sauvages, bruts et fascinants sont les mots que nous offre Laïn : "L’appel d’air sublime l’au-delà / Sous le jardin toussent les camélias / Qui retournent ma terre / Retournent à la terre comme des mégots." Le titre se termine par une envolée électro hypnotisante. Hypnotisant comme La Fin de L’Hiver, le récit d’un un séjour à Southport que l’on devine autobiographique et où il est question une nouvelle fois de jungle (urbaine et sentimentale), du froid de l’hiver, d’une séparation et de cette nuit qui va si bien à Laïn.
Ce premier EP se termine par par une jolie balade au piano, rehaussée par de délicates nuances d'électro. Le reflet des drapeaux, sa première chanson et aussi, comme elle le dit elle-même, son "gri-gri", nous caresse et nous entraîne dans un voyage intime et mélancolique.
On peut saluer les arrangements musicaux soignés. Les synthétiseurs servent des titres à la poésie savamment scandée et au souffle lyrique moderne et houellebecquien. Mine de rien, Laïn a une puissance vocable comme mise sous le boisseau, mais pouvant se faire explosive : voilà une belle découverte musicale et une pure personnalité de la chanson, déjà attachante. Laïn est à suivre à coup sûr. Elle sera en concert en mai à Paris, au Réservoir le 23 et aux Trois Baudets le 29.
Laïn, L’appel d’air, sortie le 25 mai 2018 Laïn en concert à Paris, au Réservoir le 23 mai 2018 et aux Trois Baudets le 29 mai 2018 http://lainofficiel.com
Après ses deux EP, Mesure Première et Mesure Seconde, on attendait la sortie du premier album de Laurie Darmon. Que nous réservait la jeune chanteuse, vingt-sept ans à peine, qui avait fait sensation avec ses chansons au flow irrésistible et sensible, Rupture,Ta Voix ou le formidable Juillet Formiguères ? Son album Février 91 ne déçoit pas et suit la même veine intimiste et la même couleur rythmique.
Laurie Darmon a opportunément intitulé son premier opus en référence à sa date de naissance. Album très personnel, Février 91 parle de jeunesse, d’adolescence et des premiers émois. Il s’ouvre avec 17 ans, que la chanteuse propose dans deux versions – la seconde (17 ans Face B) s’avérant la plus efficace : "Ce soir, dis moi, t'as 17 ans déjà déjà / Ce soir, dis moi, t'as 17 ans, 17ans / Fugace, cocasse, / L'instant se forme et puis s'enfuit pour n'être plus qu'un souvenir…" A l’instar du Vingt ans de Léo Ferré, les adolescents de 2018 verront dans ce titre un hymne tendre, poignant et non sans humour à leurs jeunes années ("Puis un jour t'auras des gosses / Et tu leur criera "Bosse, bosse. / Puis après t’auras même des petits gosses / Et à eux tu leur diras « Encore tu bosses ? »"), chanté par une grande sœur bienveillante.
Sans lâcher son flow tendu, Laurie Darmon construit des textes auto-fictionnels dans lesquels il est beaucoup question d’elle (Moment d’Absence), de recherche de soi (Je pense), de dépression (La Rage au Cœur : "Elle ne m'a pas quitté vous savez / La rage au corps qui me bouffe depuis sept longues années / Comme un tunnel que je n'ai pas emprunté / Parfois je n'en vois pas le bout / Il y a de l'ombre partout / Sur le monde que j'ai tant aimé / Tant croqué / Les plaisirs de la vie s'échappent / Et ne reviendront pas") ou de fantasmes (Désirs interdits).
Laurie Darmon plonge avec un mélange de culot, d’audace et de sensibilité dans le royaume de l’intime. Elle parle de "Rêves / De choses un peu mauvaises / De douleurs qui apaisent / De gestes qui déplaisent… / De marcher sur la braise" dans ce Désirs interdits, un titre qui annonce le joyau gainsbourien qu’est Monte encore : "Au coin d'une rue / Je me suis perdue / Telle une chienne / Je me démène / Pour m'en sortir / Te voir languir / Au coin du feu / Me ferai jouir / C'est désarmant / Ce calme fou / Que tu prétends / Garder à bout / A bout de force / Je m'efforce / Tu me regardes / Sale bête féroce…" Tout, dans ce petit chef d’œuvre, que ce soit l’écriture ciselée et incandescente, la composition bluffante ou l’orchestration brillante, en fait l’un des titres inoubliables de cet album d’une grande ambition artistique.
Incandescente
À côté de l’étonnant, touchant et piquant hommage aux soldats anonymes (Les Militaires), l’auditeur s’attardera sur le sublime portrait Clémentine : "Clémentine part en vacances / mais Clémentine n'a pas de chance / le soleil s'est pas levé / alors elle est restée couchée / Clémentine n'a pas le moral / il l'a quitté et ça fait mal / Clémentine s'en remettra /Clémentine c'est un peu toi…"
Laurie Darmon propose avec Les Jupons de Madame une parenthèse sobre et élégante. Le slam fait place à une valse légère, classique et mélancolique, largement inspirée du répertoire de Barbara : "Les jupons de Madame ont vu pousser de jolies jambes / Auxquelles, ils ont vite enseigné l'intimité des jolies chambres / Là-bas, la porte reste close, la nuit dure une éternité / Madame baigne dans l'obscurité à l'abri d'une enfance morose."
Et puis, il y a Février 91. Ce titre de presque dix minutes clôture de la plus belle des manières un premier album très personnel. Laurie Darmon, qui nous avait parlé d’adolescence, propose un slam intime et bouleversant. Même si vous êtes nés bien avant 1991, il n’est pas possible de rester insensible à l’écoute de ces souvenirs égrainés par l’auteure, souvenirs qui parleront particulièrement aux trentenaires : "Février 98, bonne élève. Des mots de vocabulaire à apprendre tous les soirs. / Les dictées, les devoirs. Tom Tom et Nana sur Canal J. La douche, le dîner. / Denis la Malice le mercredi matin sur France 3. Les Minikeums. Les Filles d'à Côté. / Les jeux de bille au pied des troncs d'arbre dans la cour. /Les mammouths." Laurie Darmon slame avec grâce, pudeur et délicatesse. Elle nous ouvre son journal intime et partage la liste de saynètes de son enfance, de personnes qui ont croisées sa route ou de découvertes personnelles. Laurie Darmon parvient ici, comme ailleurs, à nous prendre par la main avec l’élégance, le culot et le talent d’une musicienne hors-pair.
Grâce à Février 91, l’histoire artistique de Laurie Darmon, du haut de ses vingt-sept ans, ne fait que commencer.
2017 est décidément l’année "Barbara" : les 20 ans de sa mort, un concert et album hommage de Gérard Depardieu en début d’année, un biopic avec Jeanne Balibar et, ce mois-ci, la sortie d’un enregistrement inédit de la longue dame brune, Lily Passion.
Inédit ? Lily Passion n’est pourtant pas inconnue. En 1986, Barbara jouait sur scène avec Gérard Depardieu un spectacle musical d’un autre genre que la chanteuse avait composé avec la collaboration de Luc Plamandon et de son fidèle accompagnateur Roland Romanelli. En 1985, elle avait enregistré une version studio qui disparut de la circulation et qu’elle rechercha jusqu’à sa mort, en vain. En 2013, soit cinq ans après son décès, dans le cadre d’un travail de remasterisation de ses archives, la firme Universal tomba sur de précieuses bandes mal étiquetées : le Lily Passion studio de 1985. Les pistes nécessitaient un important et minutieux travail de montage mais l’essentiel était là : la version studio du spectacle musical de Barbara, capital dans sa vie et dans sa carrière, pouvait voir le jour.
Lily Passion conte l’histoire d’une musicienne poursuivie par un assassin blond, tuant à chacun de ses concerts, avant de laisser un brin de mimosa en guise de signature. Lily Passion c’est aussi l’aventure d’un couple maudit et ténébreux, dans lequel amour et mort se cofondent dans une série de danses infernales : "Pourtant cet assassin m’obsède / J’ai peur / Cet assassin me suit / Qu’il me suive ou qu’il me précède / Il tue / Je chante, je chante / Il tue" (Cet Assassin).
Aux récitatifs et envolées lyriques de Gérard Depardieu dans le Lily Passion de 1986 vient répondre un album soigné qui n’a certes pas la fièvre de la captation publique de 1986, mais qui propose une série de chansons abouties. Exceptionnellement abouties.
Les connaisseurs et fans de la longue dame brune remarqueront l’absence de plusieurs titres par rapport à la version de 1986 : Berlin, David Song, Campadile, Mémoire, mémoire et, symptomatiquement, Ma plus belle Histoire d’Amour. Par ailleurs, le récitatif autobiographique Ô mes Théâtres a droit à une une version resserrée et à l’état d’ébauche – 0,51 contre 5:50 pour la captation publique.
On saluera la cohérence d’un album studio aux joyaux inoubliables et aux orchestrations soignées, avec Jannick Top à la basse, Richard Daguerre au piano mais aussi Richard Galliano à l’accordéon. La voix de Barbara est là, intacte et inspirée, pour "cette chanson plus longue que les autres."
L’auditeur pourra trouver dans plusieurs morceaux de cette version studio (Lily Passion, Emmène-moi) la touche musicale des années 80, lorsque la vague des synthétiseurs balayait tout sur son passage. Pour être juste, il convient de préciser que l’écriture de Lily Passion au début de cette décennie correspond à un virage dans la carrière de Barbara. La chanteuse se fond dans son époque et dans la modernité, en même temps qu’elle se consacre corps et âmes à son public au cours de concerts devenus de véritables messes autour d’une artiste vénérée par ses fans. La double de la chanteuse le dit ainsi dans le titre Lily Passion : "J'entends la foule qui crie mon nom / Lily Passion, Lily Passion / Et j'entre dans la fosse aux lions / Pour m'offrir en immolation."
Dans Lily Passion, d’autres titres ont une facture plus classique et plus acoustique : cordes, piano, ou bandonéon (Je viens, Bizarre, Tango indigo). Cet album studio, sorti vingt ans après sa mort, nous montre une Barbara fidèle à elle-même : sensible, mélodiste hors-pair, parolière inimitable et transportée par une histoire d’amour et de mort. Gérard Depardieu n’est pas de cet album studio, bien qu’il apparaisse en creux tout au long de Lily Passion : "P’tit voleur / Grand seigneur / Ils tireront / Ils t’auront / Ils diront qu’t’avait tort / C’est toi qu’a tiré d’abord" (Tire pas).
Barbara étonne et séduit particulièrement dans Bizarre. La chanteuse se fait jazzwoman dans un titre cinématographique et mélancolique : "Il fait bizarre / Sur la ville / Trottoirs-miroirs / Sur la ville. / Des ombres lézards / Se faufilent / Et se glissent, agiles / Dans le brouillard / Indélébile."
On sera moins étonné par le morceau le plus connu de Lily Passion, L’Île aux Mimosas, onirique, passionné et apaisé : "Et si tu m'avais cherchée, / De soir en soir, de bar en bar, / Imagine que tu m'aies trouvée, / Et qu'il ne soit pas trop tard, / Pour le temps qu'il me reste à vivre, / J'amarrerais mon piano ivre, / Pour pouvoir vivre avec toi, / Sur ton île aux mimosas."
L’auditeur est happé par un des trésors de cet album : Tango Indigo. Barbara prend à bras le corps un titre virevoltant où se mêlent la passion, le jeu, la danse, la mort et la fin du monde : "On est comme deux évadés / Qui ne croient pas ce qui est arrivé / Après, je ne sais plus les paroles / Mais je vais t'en dire de plus folles / C'est l'histoire d'un assassin blond / Qui rencontre Lily-Passion." Tango Indigo se révlèle comme le titre le plus envoûtant et irrésistible de la femme mimosa, se livrant à corps perdu dans un album déjà légendaire et sorti de l’oubli par miracle.