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berg

  • Une Fleur pour l’Orage nu

    fleur offwood,zaza fournier,yvan cassar,steve reich,berg,webern,shoenberg,contemporain,smartinesJ’avais parlé sur ce blog de la Sonate de Vinteuil et du concours de création musicale et digitale organisé par NoMadMusic dans le cadre du festival Normandie Impressionniste ("Joue-la comme Proust"). La composition du vainqueur sera d'ailleurs jouée par l'Orchestre de l'Opéra de Rouen-Normandie sous la direction d'Yvan Cassar, ce 15 septembre à l'Opéra de Rouen, en clôture du festival Normandie Impressionniste.

    Ce n’est pas le premier coup d’essai de NoMadMusic, un label musical qui s’est spécialisé dans l’innovation web (la "musique augmentée") et la création musicale. Bla Bla Blog fait un retour en arrière avec un autre concours qui, fin 2015, a mis en partenariat NoMadScore, Orange et la Philharmonie de Paris. Le principe ? Un concours d’arrangements musicaux à partir de samples orchestraux (cordes, cuivres et bois) et de la voix de Zaza Fournier.

    En janvier dernier, le prix du jury a été décerné à Fleur O., alias Fleur Offwood (Fleur Dupleich pour l'état civil), pour une création originale de 2:17, L’Orage nu.

    La jeune musicienne a fait le choix d’une composition audacieuse, offrant une pièce de musique de chambre contemporaine que le Kronos Quartet n’aurait pas renié : les leitmotivs entêtants, inquiétants et teintés de naturalisme (l’auditeur peut être transporté à la campagne en été, un jour d’orage) semblent faire le pont entre le sérialisme viennois du début du XXe siècle (Schoenberg, Berg et Webern) et le courant répétitif américain, une influence que la musicienne revendique en faisant référence au compositeur contemporain Steve Reich.

    L’Orage Nu est une courte pièce culottée et lumineuse, d’une belle maîtrise. Elle prouve du même coup qu’on aurait tort de voir la musique d’aujourd’hui cantonnée à la pop, au rock ou au folk.

    Fleur Offwood a pour elle un parcours de musicienne d’une grande richesse : auteure, compositrice et interprète, elle s’est également intéressée à la musique électronique il y une dizaine d’années. Son parcours artistique a suivi de multiples voies : chansons, musiques de films, bandes sons publicitaires, remixes ou spectacles avec notamment le duo des Smartines . Et aussi, depuis peu, la musique de chambre contemporaine, via un concours national qui l’a récompensée de ce prix du jury mérité.

    Une vraie chercheuse musicale, à suivre de près.

    NoMadMusic : les compositions
    Le site de Fleur Offwood
    Studio 6/49
    Les Smartines
    "Joue-la comme Proust"

  • Barbara Hannigan est Lulu

    Pour jouer Lulu, rôle phare de l'opéra le plus célèbre du XXe siècle, combien de sopranos auraient le coffre de s'y frotter ? Or, non content d'avoir relevé le gant pour la Monnaie de Bruxelles en 2012, Barbara Hannigan mérite de voir son interprétation devenir une référence légendaire. 

    Lulu, l'opéra dodécaphonique en trois actes d'Alban Berg (le dodécaphonisme étant cette technique inventée par Arnold Schoenberg donnant une importance comparable aux douze notes de la gamme chromatique, rejetant de fait toute tonalité), écrit en 1935 et resté inachevé par le compositeur (le troisième acte a été terminé par Friedrich Cerha), conte le destin de Lulu. Celle que l'on nomme et surnomme également Eva, Mignon, Nelly ou Lilith est une beauté légendaire, une femme fatale, "un ange exterminateur" et la "la putain la plus raffinée qui ait jamais ruiné un homme" comme le dit un de ses amants et victimes.

    La cruauté de l'amour est au centre de cet opéra, non exempt d'humour noir. Un prologue en anglais présente au spectateur (symboliquement représenté sur scène) cette "vraie bête, sauvage et belle [que l'on ne verra] qu'ici". Lulu, jouée avec ardeur et juste démesure par une Barbara Hannigan complètement habitée par son rôle, passe d'homme en homme tout au long de ces plus de trois heures de spectacle. 

    Séduite par un artiste (interprété par Tom Randle, peintre devenu photographe dans cette version de 2012), Lulu provoque une crise cardiaque mortelle de son mari qui la surprend. Le photographe devient son mari et se suicide de jalousie en apprenant la vie amoureuse tumultueuse de sa femme. Le Dr Schön (Dietrich Henschel), directeur d'un journal, est témoin de cette mort et craint pour sa réputation, alors qu'il s'apprête à se fiancer. Puis, c'est lui-même qui tombe dans les bras de Lulu à la fin d'acte I, sous les yeux complices et jaloux et son fils Alwa (Charles Workman) – qui pense par ailleurs que cette femme ferait un très beau sujet d'opéra ! Dans l'acte II, le Dr Schön est devenu le nouveau mari de Lulu mais sombre lui aussi dans la jalousie ("Voilà donc le soir de ma vie : la peste à domicile", auquel la belle répond : "Tu as sacrifié tes vieux jours, tu as reçu ma jeunesse en échange" ). Il constate que sa femme séduit la comtesse Gräfin Geschwitz (Natasha Petrinsky), sorte de double positif de Lulu : "Elle ne peut pas vivre d'amour car sa vie est amour". Schön perd tout contrôle de lui-même, s'enflammant pour son épouse tout en la suppliant de se suicider pour le bien de tous : "Sans le savoir tu transformes en criminels les gens qui t'entourent". Mais Lulu refuse, prend le revolver que lui tend son mari et le tue. Arrêtée, la criminelle parvient à s'enfuir grâce au fils de Schön. Le couple se retrouve à Paris. Devenu proxénète (acte III), Alwa est entretenu par Lulu. La prostituée terminera sa triste carrière de séductrice sous la lame de Jack L’Éventreur (Dietrich Henschel, de nouveau). Son amie fidèle et sacrifiée, la comtesse Geschwitz ne parvient pas à la défendre et est tuée elle aussi par le serial-killer.

    Drame terrible, l'opéra dodécaphonique et expressionniste de Berg, dirigé par Paul Daniel, prend l'allure d'un spectacle rock et sexy grâce à la mise en scène de Krzysztof Warlikowski. L'inventivité est omniprésente dans cette version contemporaine : un décor monstrueux composé d'un escalier encadré de toboggans surréalistes, une cage de verre omniprésente, des animaux empaillés, les costumes à l'avenant, l'omniprésence du travestissement, les projections vidéo, des scènes de ballet, des figurants par dizaines peuplant la scène. Le baroque, l'inventivité, la démesure revendiquée et la folie servent les chanteurs, Barbara Hannigan en premier lieu. 

    Parler d'interprétation exceptionnelle à son sujet n'est pas exagérée. La soprano canadienne se donne corps et âme dans Lulu. Elle incarne ce personnage jusqu'à la démesure, se faisant tour à tour séductrice, romantique, danseuse, junkie, prostituée, bourreau et victime sacrifiée sur l'autel du plaisir. Alwa chante au cours du deuxième acte un hymne à cette femme condamnant chaque homme qu'elle séduit : "Je vois ton corps comme une musique. Ces chevilles un grazioso. Ces rondeurs un cantabile. Ces genoux un misterioso. Et le puissant andante de la volupté.Un aria qui pourrait tout autant s'adresser à Barbara Hannigan, une Lulu pour l'éternité.

    Alban Berg, Lulu, dirigé par Paul Daniel, mise en scène de Krzysztof Warlikowski, avec Barbara Hannigan, Dietrich Henscheln, Charles Workman, Natascha Petrinsky, Pavlo Hunka, Tom Randle, Ivan Ludlow, Rosalba Torres Guerrero et Claude Bardouil, Bel Air Classiques, 2014
    http://www.barbarahannigan.com