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birmanie

  • Aung San Suu Kyi et les bouddhistes extrémistes

    Carnet de voyage autant qu’enquête d’investigation sur la Birmanie, l’ouvrage de Frédéric Debomy et Benoît Guillaume, Aung San Suu Kyi, Rohingya et extrémistes bouddhistes, (éd. Massot) jette un coup de projecteur sans concession sur l’un des pays les plus fermés d’Asie du Sud-Est et sur l’une des figures les plus mystérieuses de la politique internationale. Les 30 premières pages de ette BD ont paru dans le numéro d'automne 2018 de la revue XXI, sous le titre : La haine des cieux.

    Comme le rappellent les deux reporters français, il n’y a pas si longtemps que cela, Aung San suu Kyi, la fille du Père de l’indépendance birmane, était une dissidente vénérée, récompensée d’un Prix Nobel de la Paix (en 1991) dans un pays sous le joug de l’armée. Réhabilitée par ceux-là même qu’elle combattait, elle devient députée en 2012, puis Présidente trois ans plus tard.

    Mais ce qui devait être un renouveau démocratique et pacifique se révèle rapidement décevant. Et la clé de cette déception réside sans doute autant dans la place de l’institution militaire, toujours puissante, que dans celle des Bouddhistes extrémistes : "Avant les émeutes [en 2013], les moines prêchaient l'amour entre les communautés. Maintenant il y a certains moines qui font partie de Ma Ba Tha, même si ce n'est pas le cas de tous." Ma Ba Tha est un mouvement extrémiste bouddhiste dont le bonze Wirathu est la figure la plus connue. Ces moines se disent "nationalistes".

    Parmi les ennemis désignés de ces bouddhistes extrémistes figurent les musulmans, dont ceux de l’ethnie des Rohingya ("des bouddhistes essayaient de monter les leurs contre les musulmans"). "Wirathu est un moine influent. Au point d'avoir été surnommé « le visage de la terreur bouddhiste » par le magazine Time," est-il écrit dans la bande dessinée d’investigation.

    Frédéric Debomy et Benoît Guillaume parcourent le pays pour rencontrer dissidents, victimes, défenseurs des droits de l’homme et membres d’ONG qui, tous, à leur manière, parlent de la situation explosive dans un pays riche de plus de 130 ethnies. Et aux différences ethniques vient se confondre les différences religieuses, ce qui complique tout dans ce pays soumisà toutes les violences.

    La question de la nationalité, du fédéralisme – qui serait logique dans un État pourtant très centralisé – et de la manière dans des groupes manipulent la société, est au centre de l’enquête. Elle est mise en images et en couleurs avec une économie de moyens, comme si elle était guidée par l’urgence. Ce qui rend le livre d’autant plus passionnant.

    "Une dictatrice démocratiquement élue"

    Un musulman birman résume toutes les tensions que vivent son pays : "Ce qui n'existait pas avant, c'est que si je perds ma carte d'identité et que j'en demande une nouvelle, il n'y aura plus écrit « Bamar » [l'ethnie birmane] et « musulman » comme sur l'actuelle, mais « Indien » ou « Bengali » et « musulman ». On fait de nous des étrangers." "Les moines sont les marionnettes de l'armée" commente encore un des reporters. Des "marionnettes" qui manipulent à leur tour une population d’autant plus perméable aux discours intolérants qu’ils ont été facilités par des décennies de dictature.

    Les droits de l’homme ont encore un long chemin à faire en Birmanie. Un dissident d’origine musulman a une réflexion éloquente : "Il y a un problème de traduction aussi : les « droits » de « droits de l’homme » se traduit en birman par « opportunités »… Les gens se disent : « Pourquoi donnerait-on des opportunités particulières aux musulmans ?" No comment.

    Et c’est là qu’on en vient à Aung San Suu Kyi, l’ancienne dissidente et défenseuse des droits de l’homme. Comment cette Présidente a pu décevoir à ce point ? C’est "une dictatrice démocratiquement élue" assène Thet Swe Win, une des figures politiques de la jeune génération.

    Les journalistes français esquissent des explications au laisser-faire d’Aung San Suu Kyi, prise en tenaille entre l’armée birmane, les extrémistes bouddhistes et ses anciens soutiens frustrés par son inaction après les exactions contre les Rohingya. Peut-on la taxer de femme hautaine, trop prudente ou influencée par Wirathu et ses sbires ? Une chose est sûre : l’ancienne dissidente auréolée d’un Prix Nobel de la Paix a laissé de côté ses anciens soutiens comme les organisations de la société civile. Les plus magnanimes diront qu’elle "sacrifie sa dignité [pour le pays]", les autres qu’elle est une politicienne nationaliste et refusant toute critique. Elle "s’enferme dans un tête à tête avec l’armée", comme si son parti, la LND, n’avait besoin de personne. Et pendant ce temps là, les Birmans, et en particulier les femmes birmanes, souffrent.

    On n'a pas fini d'entendre reparler de la Birmanie, hélas. 

    Frédéric Debomy et Benoît Guillaume,
    Aung San Suu Kyi, Rohingya et extrémistes bouddhistes,
    Massot Editions. 2020, 103 p.

    https://massot.com/auteurs/frederic-debomy

    Voir aussi : "Habibi, mon amour"

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  • Les Seper Hero sont increvables

    Seper Hero commence comme un drame. Marine Barnérias, étudiante en école de commerce de 21 ans, apprend en 2015 qu’elle est atteinte d’une sclérose en plaques (ou SEP). La stupeur, l’effroi et l’incompréhension anéantissent dans un premier temps cette jeune femme cash, dynamique et entière. Tout un monde s’effondre à l’annonce de cette maladie dégénérative : "Ce n’est pas comme un requin qui vous engloutirait d’un coup, mais on vous croque petit à petit tout en vous laissant avec la conscience de ce qui est en train de se passer."

    Les premiers temps se passent dans les salles d’attente des hôpitaux, dans les urgences ou dans les cabinets des médecins. Marine n’est pas tendre envers certains professionnels, comme le prouve cet échange avec un neurologue dénoué d’empathie et qui lui dit ceci : "Je ne m’attache pas aux patients, sinon je ne pourrais pas exercer ce métier." No comment.

    Le cataclysme de la SEP bouleverse l’étudiante qui décide cependant, dans une audace inconsciente, de se lancer dans un projet solitaire et ambitieux : effectuer un voyage d’environ un an et demi en Nouvelle-Zélande, en Birmanie et en Mongolie. Derrière ce défi humain, il y a d’abord le besoin, dit l’auteure, de remettre debout trois piliers qui ont été mis à mal par sa maladie : le corps, l’esprit et l’âme.

    Mue par cette "seper envie de partir", Marine rejoint l’autre bout du monde avant de commencer un périple hors du commun en avion, en bateau, en car, à pied ou en auto-stop. La jeune femme entend faire de cette aventure un voyage initiatique : "Être face à mon stress ! C’était bien le but de mon départ ! Le stress est la première chose que je souhaite essayer de mettre de côté."

    L’étudiante française, citadine, insouciante mais aussi tête en l’air, fait de sa maladie un camarade de route qu’elle personnifie et nomme Rosie : "Je commence par parler à ma sclérose. Je lui parle tout le temps, comme à un compagnon de voyage. Et elle l’est. Je lui demande beaucoup de choses pour notre colocation. À sa place, j’aurais rendu les clefs depuis longtemps ! On se connaît à peine et elle a déjà une liste de critères à remplir. Je me force à ne pas penser ni réfléchir, mais uniquement à marcher et écouter."

    La rencontre avec les autres, ces inconnus parlant une autre langue, ces Européens parfois simples touristes ou ces expatriés français devient finalement l’autre but de Marine. Munie de sa pancarte "DONT WORRY, I AM COOL !" et surtout d’un sens du contact étonnant, l’increvable "seper hero" fait tomber les différence de langues, de cultures et de comportements pour partir à la rencontre de ces inconnu(e)s : un pianiste à Queenstown, le Maori Ray, Helionor, une jeune avocate française atteinte elle aussi de SEP, le guide birman Ko Saw, l’expatrié vosgien Côme, l’éleveur mongol Ikbath, ou le couple tsaatan Mooji et Dolgor. Voilà ce que l’auteure dit au sujet des Birmans qu’elle croise : "Durant ce passage au lac Inle, j’ai rencontré une multitude de personnes. J’ai l’impression que ça devient une drogue de découvrir les autres et leur histoire. La rencontre m’apaise et me stimule."

    Le voyage au long cours de Marine est bien entendu semé d’embûches. La SEPer globe-trotteuse rappelle que faire du stop en 2017 reste toujours aussi risqué. La solitude, le manque de la famille et des amis, le stress, la peur et l’angoisse font partie du quotidien de la jeune voyageuse. La citadine occidentale découvre aussi la puissance de la nature : "C’est une impression assez étrange de communion et de proximité avec la nature qui nous laisse exister pour qui nous sommes, car la nature nous a fait comme ça !" Marine se trouve propulsé dans des pays d’un autre temps. En Mongolie, chez les Tsaatan ("les rois de la nature domestiqués"), c’est comme en cow-boy d’un Eastern préservé qu’elle côtoie les chevaux des steppes mongoles : "Les chevaux sont magnifiques, un gabarit beaucoup plus petit par rapport aux chevaux européens. Mais ils sont mille fois plus robustes. Ici la manucure équestre n’existe pas, ni la crème hydratante ou le démêlant. C’est remplacé par l’eau des rivières, la boue pour se protéger des moustiques et le vent pour se brosser le crin."

    Finalement, les découvertes les plus fondamentales sont aussi les plus simples : le partage, les sourires, l’hospitalité, l’entraide, l’amitié, le rire, la fraternité mais aussi la méditation lorsque Marine choisit de s’isoler dix jours dans un monastère bouddhiste. "Oui, l’Homme existe, je l’ai rencontré. Le bon, le bienveillant, le généreux, le vrai, il existe ! Et il est Birman !" affirme avec force la petite Française.

    Ce qui devait être un voyage pour oublier une maladie terrible et entreprendre un challenge personnel se révèle être un modèle d’abnégation, d’ouverture et de reconstruction. La femme et l’homme occidental y trouvent matière à réflexion : "Quel est cet esprit vagabond si instable, si faible, si agité, sans paix, sans tranquillité ? Il ressemble à un singe qui bondirait de branche en branche. D’un sujet à l’autre. Comme un taureau en liberté."

    Voyage physique et voyage intérieur : telles sont les deux facettes de cette aventure à l’autre bout du monde. Marine Barnérias sort transfiguré, à la faveur de cette passagère à la fois discrète et sournoise qu’est Rosie : "Je me rends compte que j’ai de plus en plus envie de construire ma vie." La SEP, terrible et impitoyable, est comme domptée contre toute attente par une petite bonne femme increvable : "J’étais dans le déni de ma maladie et que je savais qu’un traitement n’aurait pas fonctionné."

    Marine Barnérias adresse de saisissantes suppliques à ses lecteurs : "En fait, nous sommes tous malades. Il est LÀ le message que j’aimerais faire passer. La plus grosse maladie pour moi est de ne pas s’écouter… La solution n’est pas forcément le voyage, loin de là, mais le voyage à l’intérieur de soi." Un double voyage "interdit" que la Sepeuse a accomplie : elle ne savait pas que c’était impossible, alors elle l’a fait.

    Marine Barnérias, Seper Hero (Le voyage interdit qui a donné du sens à ma vie),
    éd. Flammarion, 2017, 472 p.
    Seper Hero : chaîne Youtube

    Page Facebook de Marine Barnérias
    Extraits de Seper Hero