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Imaginez un moment que le premier humain a avoir marché sur la lune en 1969 n’était pas américain mais russe. Voilà le point de départ de la série de SF la plus incroyable de ces trois dernières années. Pour For All Mankind, les créateurs Ronald D. Moore, Matt Wolpert et Ben Nedivi, les créateurs de Battlestar Galactica, Outlander et Fargo, revisitent la conquête spatiale à la mode uchronie. À ce sujet, il faut absolument regarder avec attention les premières minutes des saisons 2 et 3 pour suivre les bouleversements qu’auraient pu entraîner les premiers pas hors du berceau terrestre d’un Soviétique.
Le premier épisode imagine des millions d’Américains subjugués par ce que leur montre la télévision : les premiers pas du cosmonaute Alexeï Leonov – qui a vraiment existé – sur l’astre lunaire. Les États-Unis ont perdu une bataille capitale de la course à l’espace, enjeu stratégique majeur dans la Guerre Froide. Et, bientôt, c’est une femme russe qui lui emboîte le pas. Humiliée, la NASA entend poursuivre son rêve d’espace, et bientôt c’est sur Mars que se dirigent les regards.
Conséquences incalculables : colonisation de la lune, progrès de la science, conquête de mars
For All Mankind est de la science-fiction, de la vraie, tant l’uchronie incarne la fiction élevée au rang de réflexion puissante. La série d’Apple+ entend montrer que la victoire – imaginée – des Russes a permis à la course à l’espace de ne jamais s’arrêter. Et les conséquences sont incalculables : colonisation de la lune, progrès de la science (les premières voitures électriques se développent dans les années 70), conquête de Mars et astronautes devenus de véritables héros que le grand public suit avec intérêt.
Les trois saisons suivent d’ailleurs les péripéties de ces hommes et femmes (car la conquête spatiale se féminise rapidement) devant gérer leurs projets spatiaux tout en s’occupant de leur famille. Ce n’est déjà pas facile lorsque l’on travaille sur terre ; alors, pensez, sur la lune…
Les personnages imaginés se nomment Ed Baldwin et sa femme Karen (la formidable Shantel VanSanten), l’étonnant et passionnant Gordo Steven, Ellen Wilson dont le destin va la conduire très loin et l’étonnante Molly Cobb.
On peut être agacé par des facilités dans le scénario et les dialogues mais, en tout cas, For All Mankind mérite de figurer parmi les séries de SF les plus passionnantes du moment. Et tout cela avec les moyens importants d’une superproduction.
For All Mankind, série américaine de Ronald D. Moore, Matt Wolpert et Ben Nedivi, avec Joel Kinnaman, Michael Dorman, Wrenn Schmidt, Sarah Jones, Shantel VanSanten, Jodi Balfour et Olivia Trujillo, 3 saisons depuis 2019 https://tv.apple.com/fr/show/for-all-mankind
Intelligences artificielles, robots, voyages dans l’espace, extraterrestre, fins du monde ou utopies environnementales : voilà les sujets traités par Ariel Kyrou pour son dernier livre, Dans les Imaginaires du Futur (éd. ActuSF), sorti cette année, terminé et publié alors que la planète connaissait sa première grande pandémie mondiale. Une actualité dont l’auteur ne se prive pas de faire référence, comme un pied de nez à ses réflexions sur les récits imaginés par nombre d’auteurs de SF, de films, de BD ou de séries a priori d’abord destinés au seul divertissement.
Précisions d'emblée que les imaginaires dont parle l'auteur concernent d’abord la science-fiction. La fantasy est laissée de côté (si l’on excepte la place laissée à Game of Thrones), notre auteur ayant choisi finalement de parler d’anticipation, du futur et de réflexions sur notre monde et sur le futur.
En quoi les imaginaires peuvent nourrir nos réflexions sur l’avenir de l’espèce humaine et de la terre ? Voilà l’objet de l’essai d’Ariel Kyrou, constitué de 5 grandes parties et d’une conclusion de 30 pages. À cela, s’ajoute ce que l’auteur appelle une "volte-face d’Alain Damasio", qui est en réalité, n'en déplaise à l'auteur, moins un contre-point à l’essai qu’une sorte de préface en plein milieu de l’ouvrage.
Fort de sa culture immense, comme l’écrit Alain Damasio, Ariel Kyrou "ne cherche pas l’exhaustivité" en proposant un ouvrage encyclopédique, mais il s'évertue à raconter des récits de SF – souvent mâtinés de fantastiques – permettant de déchirer le rideau de l’imaginaire et "désincarcérer le futur". À ce sujet, il faut évoquer la brillante analyse du roman Je suis une légende de Richard Matheson et de ses adaptations cinématographiques.
"L’imaginaire n’est ni positif ni négatif par lui-même", annonce-t-il, avant de préciser que son livre "n’oppose pas la raison à l’imaginaire, la quête rationnelle du « vrai » aux mensonges de ces « histoires » que nous racontent les pouvoirs asservissants." C’est d’abord sur une définition – ou plutôt des définitions – de l’imaginaire que s’attaque d'abord Ariel Kyrou, déroulant des réflexions sur les idéologies, les utopies et les dystopies. En quoi la science-fiction peut-elle avoir sa place dans le réel, et plus précisément dans l’anticipation – à l’instar de la Red Team de l’Agence de l’Innovation de Défense (AID) ?
Le deuxième chapitre de l’essai s’intéresse aux "créations technologiques" et au progrès, en abordant des thématiques très courantes dans la SF : l’intelligence artificielle, la "singularité technologique", le tout numérique, l'autonomie des machines ou les dérives prométhéennes des géants des nouvelles technologies – avec notamment des passages importants consacrés à Elon Musk (SpaceX). L’auteur considère que c’est "cette alliance entre des projections fictionnelles et la recherche scientifique qui constitue l’essence de ce qu’on appelle l’IA." Une telle considération amène naturellement l’écrivain à cette figure légendaire et inquiétante qu’est HAL, de 2001 L’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick, tant progrès et déclin humain semblent être indubitablement liés.
"Retour sur terre"
Voilà qui nous mène à l’une des parties les plus sombres du livre, "fins du monde" (chapitre III). C’est la "pluralité des effondrements" qui intéresse d'abord Ariel Kyrou : virus et contagion (l’écriture du livre a singulièrement couru pendant la crise sanitaire), destructions des écosystèmes, stérilité (La Route), dérèglement climatique et bouleversements sociaux (Le Transperceneige) amènent à des tableaux littéralement apocalyptiques et post-apocalyptiques. Et là, Ariel Kyrou a cette mise en garde : que "la fiction post-apocalyptique" ne soit pas "idéologique, voire réactionnaire" et que le "demain, après le cataclysme, [ne soit pas] une caricature de l’hier." Dit autrement, le futur peut-il être "la continuation sans surprise du présent" ? Des auteurs répondent par la négative grâce à des apocalypses originaux et délirants : J.G. Ballard, Philip K. Dick ou, plus récemment, Liu Cixin dans Le Problème à trois Corps).
A contrario, pour l’auteur, "les fictions de fin du monde, ou plutôt de fins de notre monde, nous permettent de travailler nos peurs, même peut-être de les convertir en actions politiques, en espoirs et en pistes pour d’autres façons de vivre." En bref, "un désir collectif de recommencer à zéro".
Une section est consacrée à des thèmes que la SF a largement abordés et "imaginés" : les extraterrestres, la conquête spatiale (largement "ancrée dans la vieille logique productiviste. Capitaliste. Extractiviste" est-il écrit), la conquête de Mars (vue sous sa dimension imaginaire, pour ne pas dire délirante) et l’articulation entre Dieu et la vie extra-terrestre. Avec cette question finale bien plus capitale qu'il n'y paraît : est-il vraiment opportun et surtout prudent d’envoyer un salut amical aux aliens ? Est-ce bien raisonnable d’avoir la tête dans les étoiles ? s'interroge encore Ariel Kyrou, qui écrit ceci : "Le souci du sol et de nos interactions avec les agents de Gaïa ne s’oppose pas, mais au contraire se marie à merveille avec l’exploration des étoiles.
"Retour sur terre" donc pour la dernière section du livre consacrée justement à Gaïa, dans laquelle le spécialiste réunit "imaginaires de l’écologie et de la technologie." Dans ce chapitre V, à la fois plus engagé, plus sombre et plus complexe, Ariel Kyrou dépasse le thème de l’imaginaire pour aborder celui de des utopies, non sans l’utilisation de termes qui pourront dérouter pas mal de lecteurs et lectrices : "entropie", "néguentropie", "luddite", "homo-ingénierie" ou "biotopie." L'imaginaire prend ici véritablement corps grâce à des réflexions autour des utopies et des dystopies, avec ces questions fondamentales à se poser : "Qu'est-ce qui est souhaitable et qu'est-ce qui ne l'est pas ? " Dans cette dernière partie, l'auteur se risque à l'engagement : "L'utopie peut d'un même élan contribuer à la réinvention de concepts comme l'argent ou le travail selon d'autres principes, plus solidaires dans leurs mécanismes mêmes."
Cela ne veut pas dire pour autant que l’auteur veuille tisser un scénario pour le futur, ni faire des prophéties de Cassandre : "Ballard nous rappelle que ni l’enfer ni le paradis ne sont pour demain, pas plus que ne le sont le rêve transhumanisme et son miroir inversé, la fin du monde, que nous vivons d’ores et déjà au quotidien." La réalité frappe à la porte de cet essai qui a pour épicentre l’imaginaire et le futur. En abordant ces événements que sont les accidents nucléaires de Tchernobyl ou de Fukushima ou bien encore le projet social et alternatif de ZAD à Notre-Dame-des-Landes, Ariel Kyrou entend "désincarcérer le futur" et le rendre perméables à notre présent. Et de nous prévenir au sujet des avertissements sombres liés à l’environnement : "Notre planète n’est guère menacée à très long terme… [Mais] pour nous, microbes humanoïdes qui nous agitons sur son corps pluriel et imprévisible, c’est une autre histoire."