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contemporain

  • Hanni Liang et les voix (féminines) du piano

    Oui, la musique contemporaine sait aller droit au cœur autant qu’à l’esprit. La preuve avec ce somptueux album de la pianiste Hanni Liang, le deuxième de l'instrumentiste, Voices for solo piano. Ce sont des voix de la création moderne et contemporaine que la musicienne propose de découvrir dans un programme dédié à des compositrices des XXe et XXIe siècle, toutes engagées pour leur combat en faveur de l'égalité hommes-femmes, ce qui lui permet de "désinvisibiliser" ces artistes. "Avec tous les défis auxquels nous sommes confrontés dans le monde en ce moment, c'est la nécessité intérieure en moi d'élever ma voix. Ma voix, non seulement en tant que femme pour les femmes mais aussi en tant que citoyenne pour une société libre. C'est ce que symbolise cet album : briser le silence et élever la voix", affirme la pianiste. 

    Commençons par Ethel Smyth (1858-1944), compositrice, cheffe d’orchestre mais aussi suffragette. Féministe engagée, homosexuelle à une époque où la chose était impensable, elle resta amie et sans doute aussi amoureuse de Virginia Woolf jusqu’au suicide de cette dernière. Hanni Liang propose sa Sonate n°2 pour piano encore marquée par le romantisme (elle a été écrite en 1877). On y trouve l’influence de Brahms, de qui elle était proche en plus d’être admirée et soutenue par le maestro allemand. Hanni Liang s’empare de cette œuvre avec une belle aisance, donnant à chaque note sa place et sa dimension. On sent le goût de l’harmonie et de la mélodie d’Ethel Smyth dans ses Thèmes et Variations en ré bémol majeur, déroulés avec élégance (Variation VII Presto). On a beau découvrir la compositrice britannique, il semble néanmoins que ces morceaux nous sont déjà familiers, pour ne pas dire attachants. On pense à la Variation IV (Allegro: à la Phylis), joueuse et enfantine ou à la plus mélancolique et longue Variation V (Andante con moto). Hanni Liang y souligne les tourments d’une femme admirée mais mal en raison des mœurs de son pays.

    Sacrément culottée

    Sautons de quelques décennies et intéressons-nous à une autre compositrice anglaise, Sally Beamish. Toujours en activité, cette musicienne, violoniste et multi-récompensée pour ses travaux, est mise à l’honneur par la pianiste allemande grâce à la pièce Night Dances. Nous voilà dans une œuvre riche de silences, de notes suspendue, lui donnant un fort caractère d’introspection. Les hésitations rendent ce morceau particulièrement humain et proche de nous, mais non sans ce sentiment d’anxiété et d’inquiétude. Le rythme finit par s’emballer dans une danse infernale proche de la folie. Hanni Liang fait preuve là d’une technicité à souligner mais aussi d’une solidité à toute épreuve pour ces "danses de la nuit".

    De la même génération, Errollyn Wallen propose une courte pièce, I Woundn’t Normally Say. La compositrice née au Belize, très demandée et très jouée, a puisé dans le jazz ce qu’il faut de rythme pour une pièce à la fois joyeuse et personnelle.

    Après les Variations d’Ethel Smyth, place à celles de Chan Yi, née en Chine et vivant aujourd’hui aux États-Unis (Variations on "Awariguli"). Le Thème, les neuf Variations et le Coda, de trente secondes à un plus d’un minute, ne tournent pas le dos au classicisme. Chen le revendique au contraire et s’en empare, au service d’un combat moderne : celui des Ouïghours persécutés et de leur culture en train de disparaître. Le Thème est d’ailleurs tiré d’une musique folklorique de cette ethnie. Hanna Liang, née en Allemagne mais dont les racines chinoises restent importantes pour elle, interprète cet opus avec une vibrante intensité et de chaudes couleurs.

    Eleanora Alberga vient clôturer ce programme avec Cwicseolfor. Un bien étrange titre pour une pièce qui ne l’est pas moins. La compositrice jamaïcaine l’a composée en 2021. Les transformations sont le fil conducteur de cet opus aux multiples variations, ne s’interdisant ni des passages rythmées et torturées ni de longues pauses de silence.

    Sacrément culottée, Hanni Liang propose là un passionnant voyage musical à la découverte de compositrices aussi différentes qu’engagées. La pianiste y apporte son lustre et son enthousiasme. Vite, à découvrir !  

    Hanni Liang ,Voices for solo piano, Delphian Recards, 2024
    https://www.delphianrecords.com
    https://hanni-liang.com
    https://www.instagram.com/hanniliang/?hl=fr

    Voir aussi : "Bak et la Belle Époque"

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  • Touchés !

    Sacrée gageure que Toccare, l'album imaginé par la pianiste sino-canadienne Claudia Chan. Il est vrai que la musicienne est reconnue comme une spécialiste mondiale dans la création contemporaine. Pour cet enregistrement public au Bad Godesberg de Bonn et proposé aujourd’hui en disque par les éditions b.records, elle s’attaque au répertoire italien.

    Au menu, Gian Francesco Malpiero (1882-1973), le doyen, Sylvano Bussotti (1931-2021), Salvatore Sciarrino (né en 1947), Giulia Lorruso (née en 1990), Simone Cardini et Francesco Fildei (né en 1973), ce dernier étant présent dans plusieurs créations.

    La musique contemporaine est un univers fascinant et aux multiples dimensions, ce que montre bien ce passionnant opus, intelligemment nommé Toccare – "Toccare", comme "toucher" en italien, celui précisément d’une interprète archi-douée, envoûtante, curieuse et à la virtuosité indispensable pour aborder ces pièces singulières et bien différentes les unes des autres.

    Dans le livret de présentation, à la conception originale, soignée et si caractéristique chez b.records, Claudia Chan souligne la singularité du premier compositeur de son programme, Gian Francesco Malpiero, influencé autant par la Renaissance que par la musique du début du XXe siècle : "Il est difficile à situer historiquement lorsqu’on l’entend", précise-t-elle dans son interview. L’auditeur ne sera pourtant pas totalement perdu dans les deux mouvements de Bianchi e neri (1964), alliant légèreté, gravité (Lento, non troppo) et sombres présages (en particulier le Non troppo lento).  

    Parlons ensuite de la deuxième Sonate pour piano de Salvatore Sciarrino datant de 1983, "une des pièces les plus difficiles que j’ai jamais jouées", confie la pianiste. Il est vrai que la technicité et la virtuosité sont indispensables pour venir à bout de cet opus de plus de neuf minutes (et un seul mouvement). Nous voilà sans au cœur d’une musique contemporaine défiant la tonalité et le rythme, près à décontenancer grâce à ses décrochages incessants et ses vagues s’étirant dans une confusion qui n’est qu’apparente. 

    Une audace sonore que Claudia Chan assume avec cran

    Après un passage par Sylvano Bussotti et sa pièce Musica per amici, très influencée par "les traditions sérielles austro-germaniques", Claudia Chan s’attaque au cœur de son programme, à savoir Francesco Fildei, présent dans trois œuvres, un Preludio (1999), une Suite en trois mouvements et une création de 2023 dédiée à la pianiste, naturellement intitulée For Claudia. Disons tout de suite que l’auditeur sera déconcerté par l’utilisation singulière des sons du piano, transformé pour l’occasion en instrument de percussion. Les sonorités inédites font du Preludio un vibrant hommage à cette musique contemporaine revigorée après 1945 grâce à des compositeurs comme John Cage. Pour Suite (1997), jamais sans doute personne n’a composé de Toccata ou de Notturno avec une telle liberté, en se démarquant complètement du jeu pianistique.

    Oubliez Bach, Chopin ou Fauré. Ce qui se joue ici est une certaine notion de la liberté et de la création pure que la pianiste juge unique dans le monde. Voilà qui donne la mesure de cette audace sonore que Claudia Chan assume avec cran. La Suite se termine avec le tout aussi étonnant Garibaldi’s little rock, dans lequel quelques notes de clavier résonnent, bousculés par les chuintements et percussions… de piano. Pour terminer sur Francesco Filidei, le For Claudia, composé pour la pianiste, obéit à la même grammaire, avec une liberté poussant l’interprète jusqu’à ses derniers retranchements, ce que Claudia Chan assume là encore non sans enthousiasme.

    L’auditeur ne sera sans doute pas insensible à la benjamine de cet enregistrement, à savoir la compositrice Giulia Lorusso. Avec la fascinante pièce Kemò-vad, créée en 2021, elle nous entraîne dans un voyage musical zen et orientalisant. Claudia Chan caresse littéralement les touches de son piano avec une économie de moyens, au point que le silence est roi dans cette méditation sonore.

    Simone Cardini vient compléter ce programme italien. Sa composition de 2020, Restare non ha luogo, un long mouvement fait de pauses, de saccades interrogatives et de touches pianistiques tour à tour inquiétantes et mystérieuses, prouve là encore la vitalité de jeunes compositeurs transalpins. Claudia Chan les chouchoute avec amour et en leur donnant une visibilité – et une audition – unique. Grazie mille, Claudia !  

    Claudia Chan, Toccare, b•records, 2024 
    https://www.claudiachan.ca
    https://www.b-records.fr

    Voir aussi : "Oui, je suis la sorcière"

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  • Et pop !

    Saluons cette excellente bande dessinée de Michele Botton au scénario et Marco Maraggi au dessin qui se sont attaqués à celui qui reste l’un des artistes les plus incontournables et les plus populaires de la deuxième moitié du XXe siècle (éd. Larousse).

    L’américain Andy Warhol, pape du pop art, a vu ses œuvres archi diffusées, commercialisées, montrées et souvent copiées, faisant dire parfois qu’il est entièrement identifié au pop art.

    Ce n’est pas le moindre des mérites de l’auteur de faire connaître l’artiste et l’homme, ce dernier étant souvent effacé derrière ses boîtes de soupe Campbell ou ses sérigraphies iconique autour du visage de Marylin Monroe.

    Suivant la chronologie, les auteurs suivent la vie d’Andy Warhol de son enfance à Pittsburgh où le garçon timide se tenait à l’écart des autres enfants jusqu’à son décès en 1987, quelques temps après celui de son ami Jean-Michel Basquiat.

    Pape du pop art

    C’est avec la mention de biographie "non officiel et non autorisé" que se présente cette "bio graphie". Ce qui ne veut pas dire que Michele Botton et Marco Maraggi osent l’impertinence à tout crin et le fantasque. En réalité, voilà une sérieuse biographie qui se distingue autant par le soin de sa vulgarisation que par les dessins et les couleurs – très pop, justement.

    L’introduction de l’ouvrage insiste sur le terme de "pop", justement, renvoyant au mot "populaire", ce qui dit beaucoup sur les intentions des artistes de l’époque, à commencer par Warhol lui-même. L'artiste ne cachait d'ailleurs pas son ambitieux de faire une oeuvre à la fois originale, populaire et commercialement monnayable. Réussite totale !

    Le récit de son parcours, de l’école où il était sérieux, en passant par la publicité puis finalement la Factory, le lieu où il accueillait les artistes new-yorkais, dit beaucoup sur les intentions de Warhol : créer des œuvres et faire de l’argent.

    L’artiste archi célèbre de son vivant, le plus commenté et imité depuis les années 60, reste toutefois un inconnu, tant Warhol s’est dissimulé derrière un personnage. Voilà une belle occasion de le découvrir, en attendant de se précipiter pour découvrir d’un nouvel œil ses œuvres entrées dans le patrimoine de l’humanité.  

    Michele Botton et Marco Maraggi, Warhol, La bio graphique, éd. Larousse, 2024, 192 p.
    https://www.editions-larousse.fr/livre/warhol-la-bio-graphique-9782036065956

    Voir aussi : "Bordeaux en images"
    "Fantasy à lire et à rire"

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  • L’indicible en musique

    Il y a près de 15 ans, sortait l’incroyable, dense et terrible roman de Jonathan Littell, Les Bienveillantes. Multirécompensé, Prix Goncourt quasi indiscuté, ce récit implacable à la première personne d’un SS racontant ses années de guerre, et en particulier sa participation au génocide juif, à la Shoah par balles et aux chambres à gaz, sur fond de drame antique et de rappels mythologiques (les fameuses Bienveillantes, ces déesses de la justice et de la vengeance, mis en scène il y a plusieurs siècles par Eschyle dans Les Euménides), ce récit terrible donc fait aujourd’hui l’objet d’un opéra composé par Hèctor Parra, sur un livret en allemand de Händl Klaus.

    Avec cette commande de l’Opéra Ballet Vlaanderen suggérée par le metteur en scène Calixto Bieito, nous voilà plongés dans une création ambitieuse, baroque et puissante, ne serait-ce que parce qu’elle nous rappelle le pouvoir hypnotique et expressif – pour ne pas dire expressionniste – de la musique contemporaine. La maison de disques b•records propose ici une captation datant de mai 2019 à l’Opéra de Gand. Pourquoi une œuvre lyrique sur Les Bienveillantes et pas une adaptation cinéma ou télé ? Le livret dévoile "le désir impérieux [de Jonathan Littell] de réserver la représentation visuelle des Bienveillantes aux seuls spectacles vivants".

    Dès les premières mesures, l’auditeur se trouve entraîné dans les mots du narrateur et personnage principal, Maximilian Aue. La musique volontairement dissonante, les attaques des cordes et le récitatif musclé de Peter Trantsits lancent un opéra à la fois très actuel mais puisant dans des sources musicales classiques ou plus modernes – Bach (les mouvements Toccata, Courante, Sarabande, Gigue), Chostakovitch (la Symphonie "Babi Yar") ou Berg. La dernière partie de la Sarabande ("Ich tat es") est à cet égard éloquente. Dans le livret complet et passionnant, on pourra y trouver de la main du compositeur un plan musical de l’opéra montrant le substrat musical utilisé, de Bach à Zimmermann, en passant par Berg, Bruckner ou Chostakovitch, justement.  

    C’est du reste Alban Berg qui vient le premier en tête dès l’écoute des premières notes. Rugueux et saisissant comme le roman, l’opéra d’Hèctor Parra prend aux tripes par sa dimension universelle : "Frères humains, laissez-moi vous raconter comment c’était", débute ainsi l’œuvre en allemand (le roman a été écrit en français, la langue qu’utilise couramment le personnage après la guerre). Des ombres terrifiantes planent au-dessus de cette histoire, à l’exemple du chœur de l’Allemande I & II, "Ein Leichengebirge", puissante et quasi insoutenable évocation des exécutions par balles lors de la première phase de la Shoah dans l’Est de l’Europe. 

    Opéra exigeant, impitoyable mais aussi aux multiples influences intellectuelles et artistiques

    Mais Les Bienveillantes c’est aussi le récit personnel de Maximilian Aue où l’inceste et le crime prennent une place importante (Courante). Nous entrons là au cœur des Bienveillantes, avec ces références à la tragédie grecque, à Oreste, à Électre, aux Érinyes et aux Bienveillantes (Euménides).

    Les influences musicales et littéraires d’Hèctor Parra sont nombreuses, comme le souligne le riche livret. Il fallait un certain sang-froid pour mettre en musique et sur scène un récit aussi sombre s’étalant sur environ mille pages. Pour ce faire, le compositeur s’est nourri de sources parfois anciennes : la Passion selon s. Jean de Bach dans la structure – l’auditeur pourra penser au début de la Courante, avec le viol d’une femme pendue. On avait parlé de Berg (Wozzeck, Lulu). Le compositeur s’est aussi inspiré de chansons populaires allemandes, voire des comptines pour enfants. Le Crépuscule des Dieux de Wagner apparaît également au début de la Gigue.

    L’opéra exigeant, impitoyable mais aussi aux multiples influences intellectuelles et artistiques est exactement à l’image du personnage principal, un nazi cultivé et féru de Rameau ou Bach. Voilà qui en fait un homme complexe, "polyvalent" pour reprendre un terme du livret. Il faut toute la souplesse en même temps que la puissance du ténor Peter Tantsits pour incarner ce "frère humain" aux tourments intérieurs bien présents en raison et surtout en dépit des atrocités indicibles qu’il commet au nom d’une idéologie absurde. Une interprétation incroyable et d’une exigence absolue.

    En parcourant l’Europe en guerre, des fosses de Baby Yar à Berlin, en passant par Stalingrad et Auschwitz, Benjamin Littell, puis Hèctor Parra avec son adaptation lyrique, font des Bienveillantes une cruelle et tragique fable sur l’humanité et l’inhumanité. Les souvenirs d’enfance, les traumatismes, les frustrations et finalement la mort – celle de la mère et du beau-père de Maximilian – apparaissent comme de singuliers contrepoints tragiques mais qui viennent d’autant faire des Bienveillantes une authentique tragédie à la fois personnelle et universelle.

    Arrivé dans le dernier quart de l’opus, le Menuet entraîne l’auditeur dans le lieu le plus emblématique et le plus terrible de la Shoah, à savoir Auschwitz. C’est singulièrement sous le titre Menuet que s’ouvre cette partie, avec des violons lugubres accompagnant les plaintes d’Una (l’impeccable Rachel Harnisch) et des percussions menaçantes.

    La force de cette évocation des chambres à gaz est contrebalancée par sa brièveté, l’opéra suivant ensuite la fuite de Maximilian Aue au fur et à mesure que les troupes alliées s’avancent jusqu’en Allemagne. Hèctor Parra fait des derniers tableaux, audacieux et dans le texte et dans la musique, un voyage au bout de l’enfer où la cruauté de la guerre n’a d’égale que la perversité sexuelle de Maximilian Aue. L’opéra monstrueux ne se prive pas de bouffonnerie lorsque l’officier nazi réfugié à Berlin conte sous forme d’un long récitatif son attaque grotesque contre Hitler – il lui mord le nez !  

    Tout cela fait de l’opéra Les Bienveillantes une œuvre incroyable de puissance et d’audace, au point de heurter pas mal de sensibilités, mais toujours au service de l’humanité, de l’indicible mais aussi de la justice – s’il y en a une.  

    Hèctor Parra, Les Bienveillantes, livret de Händl Klaus
    D’après le roman de Jonathan Littell
    Orchestre Symphonique de l’Opéra Ballet de Vlaanderen dirigé par Peter Rundel
    Mise en scène de Calixto Bieito
    Chœurs de l’Opéra Ballet de Vlaanderen
    Avec Peter Tantsits, Rachel Harnisch, Günter Papendell, Natascha Petrinsky et David Alegret,
    b•records, coll. Villa Médicis Live, 2024
    https://www.b-records.fr/les-bienveillantes
    https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Jonathan-Littell
    https://www.operaballet.be
    https://www.hectorparra.net/bio/fr

    Voir aussi : "Marie Ythier, sans l’ombre d’un doute"
    "La terreur au grand jour"

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  • Taillé sur mesure

    Singulier programme que ce Vitrail proposé par les Trios Messiaen et Xenakis, à l’œuvre dans une création éponyme de Thierry Escaich, d’une part, et dans une version musique de chambre de la Symphonie n°15 de Dimitri Chostakovitch, d’autre part. Deux compositeurs bien différents sont au cœur de cet enregistrement proposé par b.records, enregistré en live le 1er août 2023 à la Salle Elie de Brignac-Arqana à l’occasion du 22e Août musical de Deauville.

    Le premier compositeur est Thierry Escaich, un contemporain français toujours très actif. Vitrail, qui donne son nom à l'opus, est une commande de la Fondation Singer-Polignac et des Amis de la musique à Deauville. Voilà une nouvelle preuve que la musique contemporaine reste un domaine essentiel dans la culture actuelle. Dans le livret de l’album, le compositeur français explique qu’il a écrit Vitrail pour faire écho à l’arrangement pour musique de chambre de la Symphonie n°15. Thierry Escaich parle de cohérence, d’unité et des "mêmes couleurs instrumentales" que celles de Dimitri Chostakovitch. Dans ce programme taillé sur mesure, l’alliance des Trios Messiaen et Xenakis est remarquable de pertinence, de cohésion, de finesse et finalement d’évidence.

    En un seul mouvement d’un peu plus de dix minutes, Vitrail propose un voyage dans lequel les sons concrets et lumineux – pour ne pas dire spatiaux – semblent rejoindre le jazz dans une sorte de chant religieux. On trouve dans cet opus d’Escaich ce qui ressemble à des danses traditionnelles. La musique contemporaine n'est très jamais très loin du classique, pour ne pas dire du folklore. Voilà qui rend ce Vitrail tout à fait passionnant. La recherche sonore est dans chaque mesure d’une création du Trio Messiaen et du Trio Xenakis. Il y a des mouvements espiègles dans cette œuvre, mais aussi une sombre mélancolie, au point que l’auditeur pourra y entendre d’inquiétants appels d’esprits tourmenteurs. Les cordes y répondent avec ce qui ressemble à des implorations, voire des prières. Les différents instruments – percussions, cordes, piano – dialoguent, se répondent, s’affrontent dans une œuvre qui reste d’une grande cohérence. 

    Thierry Escaich parle de cohérence, d’unité et des "mêmes couleurs instrumentales" que celles de Dimitri Chostakovitch

    Cette cohérence est présente dans la 15e Symphonie de Dimitri Chostakovitch. Le compositeur russe avait l’habitude des grands ensembles, à telle enseigne que c’était un vrai défi qu’a relevé – avec succès – Viktor Derevianko lorsqu’il a transcrit cette Quinzième pour un orchestre de musique de chambre.  

    Cette symphonie, écrite en 1971, est la dernière composée par Chostakovitch qui meurt quatre ans plus tard. Résolument moderne, cette œuvre frappe par les rappels de classiques – Rossini et l’Ouverture de Guillaume Tell, mais aussi Wagner ou Mahler. Chostakovitch est resté mystérieux sur ce choix artistique et ces "citations" musicales. Dans l’Allegretto, mélancolie, espièglerie et tragédie se mélangent allègrement dans la formidable version des Trios Messiaen et Xenakis.    

    De tragédie, il en est encore plus question dans le bouleversant Adagio. Il faut se souvenir que Chostakovitch incarne sans doute plus que n’importe quel artiste du XXe siècle les drames historiques de son époque, que ce soient les guerres mondiales ou les totalitarismes nazis et communistes. On retrouve dans cette transcription pour un ensemble ramassé les couleurs et l’ampleur musical du compositeur russe. Les percussions y ont en particulier toutes leurs places avec un Trio Xenakis faisant montre d’une subtilité rare dans la manière d’utiliser les percussions. 

    L’auditeur sera sans dote frappé autant par la brièveté de l’Allegretto – brièveté à la fois sèche, pour ne pas dire cinglante – et sa facture plus grave qu’il n’y paraît. Il y a une certaine insouciance dans ce troisième mouvement. Mais cette insouciance est frappée par de lourds dangers, comme si vie et mort s’affrontaient dans un combat qui ne sera finalement que mortel.  

    C’est un mouvement funèbre – Adagio – qui vient conclure cette ultime symphonie de Chostakovitch. Le compositeur russe fait se réconcilier modernité et classicisme pour cette partie baignée dans une sombre mélancolie, non sans éclats lumineux, quand ils ne sont pas aveuglants. Il s’agit de la mélancolie, des tourments et des interrogations d’un homme âgé et qui se sait dans les derniers moments de son existence.  

    Le Trio Messiaen est constitué de David Petrlik (violon), Volodia Van Keulen (violoncelle) et Philippe Hattat (Piano). Le Trio Xenakis est constitué d’Emmanuel Jacquet, Rodolphe Théry et Nicolas Lamothe aux percussions.

    Dimitri Chostakovitch et Thierry Escaich, Vitrail, Trio Messiaen, Trio Xenakis, b.records, 2024
    https://www.b-records.fr/vitrail
    http://www.escaich.org
    https://www.facebook.com/Triomessiaen
    https://www.trioxenakis.com

    Voir aussi : "Romantique et métaphysique Schumann"
    "Marie Ythier, sans l’ombre d’un doute"

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  • Escale contemporaine avec Philippe Chamouard

    Escale contemporaine, ou plutôt néo-classique avec Philippe Chamouard et trois de ses œuvres interprétées par le Brasov Philharmonic Orchestra dirigé par Christian Orasanu.

    Intitulé, Escales, l’album proposé par Indésens propose un vrai voyage musical comprenant la 9e Symphonie écrite entre 2009 et 2011, la Valse toscane, plus récente (2020) et Canadian March composée entre mars et juin 2018. En route donc vers l'Espagne, l'Italie et le Canada avec Philippe Chamouard.

    L’auditeur se laissera emporter par une Symphonie n°9 aux élans passionnés pour ne pas dire néo-romantique. Le premier mouvement au tempo de marche a des accents prokofieviens avec ces vagues de cordes, ces mélodies harmonieuses et le passage de percussions menaçantes. La passion sourd de cette composition d’une grande densité. Le même souffle se retrouve dans le long et langoureux "Adagio" comme si les Roméo et Juliette du compositeur russe reprenaient vie aujourd’hui. Philippe Chamouard précise dans le livret que ce mouvement a été écrit en premier et que "c’est la représentation d’un visage féminin imaginaire qui en est à l’origine". Gageons qu’il s’agit du visage de la célèbre héroïne de Shakespeare. Le lyrisme, la puissance, la profondeur et l’élégie sont en tout cas les maîtres mots de cette deuxième partie qui ne laissera pas l’auditeur ou l’auditrice insensible.

    Des accents prokofieviens

    Pour le troisième mouvement, Philippe Chamouard a décidé de s’emparer de deux rythmes du folklore andalou issus du flamenco. Il est vrai que souffle sur cette "Bulerie y siguiriya" un souffle tout méditerranéen. La direction de Christian Orasanu donne des couleurs et du soleil à l’Orchestre philharmonique de Brasov, jusque dans le jeu des castagnettes s’amusant et dansant avec les cordes.

    Plus complexe est le quatrième mouvement, "Misterioso & allegretto". Mystérieux en effet dans son agencement souvent menaçant de thèmes semblant discuter entre eux, mais toujours avec harmonie. Ce mouvement fait la part belle et la part sombre à un rythme lancinant, mais non sans grandeur.

    L’opus propose deux autres œuvres, plus courtes celles-là. Il y a tout d’abord cette Valse toscane. On sent le plaisir du compositeur à l’avoir créée. Il avoue d’ailleurs qu’elle trouve sa genèse dans un voyage à Sienne, en Toscane, au cours d’un printemps 2019. L’esprit romantique souffle sur cette pièce symphonique qu’il a écrit sous forme d’une valse. "Un exercice de style amusant", confie-t-il.

    L’œuvre qui clôt l’album est une impressionnante Canadian March. À l’instar de la Valse toscane, Philippe Chamouard a retranscrit le souvenir d’une marche au bord du Moraine Lake. Il n’est pas simple de mettre en musique des images – la couleur de l’eau, les paysages de montagnes ou les nuances du ciel. Le compositeur semble avoir posé un chevalet musical peut retranscrire par touches sonores des sensations  et des souvenirs d’un voyage inoubliable et plein de nostalgie.   

    Philippe Chamouard, Escales, Symphonie n°9, Valse toscane, Canadian March,
    Brasov Philharmonic Orchestra dirigé par Christian Orasanu,
    Indésens Calliope Records, 2024

    http://philippechamouard.fr
    https://indesenscalliope.com

    Voir aussi : "Peter Jablonski, très classique, très jazz"
    "Fauré, cent ans après toujours jeune"

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  • Marie Ythier, sans l’ombre d’un doute

    C’est avec un violoncelle riche, endiablé et passionné que Marie Ythier propose une sélection de créations contemporaines signées de jeunes compositeurs : Matteo Gualandi (né en 1995), Augustin Brand (né en 1994) et Bastien David (né en 1990, le plus "âgé" donc).

    Le violoncelle en partage, paru chez b•records, est un ensemble d’instants de communions et d’échanges passionnants avec l’Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes, l’ensemble Sillages et Arne Deforce, violoncelliste familier de compositeurs aussi complexes et déroutants que Iannis Xenakis, Richard Barrett ou John Cage. Voilà qui situe d’emblée l’univers proposé dans l’opus.

    La musique contemporaine mérite largement qu’on parle d’elle, elle qui secoue régulièrement le cocotier des musiques académiques et traditionnelles pour amener les sons dans ses derniers retranchements. Cela donne, à plus d’un égard, la couleur et la densité de l’album imaginé et mené par Marie Ythier.

    Grâce à elle, le violoncelle s’impose comme un instrument soliste à part entière, chose relativement rare comme le souligne la musicienne dans la présentation de l’album. Fotografie rarissime di angeli de Matteo Gualandi, une commande la Fondation Royaumont, s’apparente à une suite, un genre musical tombé en désuétude mais revigoré ici grâce à des sons tour à tour primaires ("La fille, le feu"), minimalistes et méditatifs ("La chute d’Icare") ou s’inspirant du baroque ("Chanson de l’oiseau dans la lumière").

    Il est encore question de baroque dans la quatrième partie "Toccata", savant mélange de sons renvoyant à Bach autant qu’aux trouvailles musicales du XXe siècle. La "Passacaille", le plus long mouvement de cette œuvre de Matteo Gualandi, a une facture à la fois archaïque et contemporaine. Marie Ythier prend à bras le corps ce morceau dans lequel les silences et les suspensions prennent autant de valeur que les notes, jusqu’aux dernières mesures déchirantes.

    Comme "des nuées d’oiseaux"

    Le deuxième compositeur qui a les honneurs de ce passionnant album est Augustin Braud. De l’un, l’autre est une œuvre concertante pour violoncelle et ensemble. Nous sommes là dans une création audacieuse, pleinement contemporaine, dans laquelle s’installe un ensemble de dialogues sauvages entre l’instrument soliste de Marie Ythier et l’ensemble Sillages dirigé par Gonzalo Bustos. Ajoutons que c’est l’Ensemble Sillage qui a lui-même commandé cette œuvre au compositeur. La nature semble être au cœur de ce que la musicienne appelle un "concerto grosso". Mais il s’agirait d’un concerto grosso de notre époque, audacieux, moderne, tourmenté mais aussi singulièrement primaire. Comme "des nuées d’oiseaux" ajoute Marie Ythier. Mais des nuées comme folles et perdues dans un ciel menaçant. Bouleversant.

    En 2022, Le Printemps des Arts de Monaco a commandé à Bastien David L’Ombre d’un doute, une œuvre pour deux violoncelles et orchestre. Pour cet enregistrement public à l’abbaye de Royaumont en septembre 2023, Marie Ythier était accompagnée du violoncelliste Arne Deforce et de l’Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes dirigé par Thomas Zehetmair.

    C’est par une pluie de notes ravageuses que commence cette création contemporaine dans laquelle Marie Ythier a trouvé son alter ego en la personne d’Arne Deforce, jamais plus à l’aise que lorsqu’il met à rude épreuve son violoncelle à la recherche d'inattendus. Et de l’inattendu, il y en a dans ces plus de quinze minutes d’un concerto au service de sonorités puissantes et de rythmes singuliers. Il semble que l’Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes a trouvé ses adversaires avec les violoncelles de Marie Ythier et Arne Deforce.

    Puissance, gravité, sombres dangers et attentes inquiétantes sont exprimés dans des passages qui n’ont rien d’improvisés. Les coups d’archers se succèdent dans une œuvre pleinement inscrite dans le XXIe siècle. L’auditeur pourra y lire l’influence de la musique concrète, celle du courant répétitif américain dans des passages minimalistes mais aussi, dans une certaine mesure, l’apport de l’électro dans des vagues sonores presque spectrales. Marie Ythier et Arne Deforce, armés de leur violoncelle, s’y livrent comme jamais, habités par cette œuvre incroyable s’élevant jusqu’à des sommets, telle une nuée… d’insectes – et non plus d’oiseaux.     

    Marie Ythier, Le Violoncelle en partage, Marie Ythier (violoncelle), Arne Deforce (violoncelle), Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes dirigé par Thomas Zehetmair, Ensemble Sillages dirigé par Gonzalo Bustos, b•records, 2024
    https://www.b-records.fr/marie-ythier-le-violoncelle-en-partage
    https://www.marie-ythier.com
    https://www.facebook.com/marieythiercellist/?locale=fr_FR
    https://www.arnedeforce.com
    https://onauvergne.com
    https://www.ensemblesillages.com
    https://www.bastiendavid.com
    https://augustinbraud.com
    https://www.matteogualandi.com

    Voir aussi : "Schumann et la petite bande des Fouchenneret"

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  • De l’air

    La musique contemporaine prend une grande bouffée d’air frais avec Christian Christian Schittenhelm et son Concerto pour piano n°4 bien nommé "Air". Voir la pianiste ukrainienne  Svetlana Andreeva interpréter cette œuvre avec le  Royal Scottish National Orchestra tombe sous le sens, tant ce concerto puise son inspiration dans le répertoire russe. L’auditeur pensera sûrement à Rachmaninov à l’écoute des premières mesures du mouvement n°1.

    Fougue, richesse des sons, puissance, hypersensibilité se succèdent dans ce passionnant concerto actuel et que le compositeur a dédié à la ballerine Sophie Alexandre. Le deuxième mouvement, plus prokofievien, se veut une lente et bouleversante méditation menée par le piano de Svetlana Andreeva, avec un orchestre à la direction toute en finesse du chef allemand Sergey Neller. 

    L’une des surprises de ce concerto pour piano vient sûrement du troisième et dernier mouvement, aussi cinématographique que classique

    L’une des surprises de ce concerto pour piano vient sûrement du troisième et dernier mouvement, aussi cinématographique que classique. Une vraie bande originale de film pour un passage à la facture assurément néo-classique, mais sans que la modernité ait été abandonnée. Svetlana Andreeva s’y ballade avec une aisance et un plaisir évidents. La musique, toute contemporaine qu’elle soit, n’intimide pas. Il y a ses élans romantiques où la virtuosité, bien présente pour cette œuvre exigeante, n’est jamais écrasante.  

    La seconde création de Christian Schittenhelm présente ici est la danse symphonique Dawn. Onirique et debussyenne, elle se déploie par vagues impressionnistes, avec un Royal Scottish National Orchestra à la belle colorature.

    Après cette création, rien d’étonnant de voir apparaître sur cet album incroyable Debussy. Le classique Prélude à l’après-midi d’un faune. Sergey Neller conduit son orchestre avec un soin particulier : couleurs sonores, densité, mystère, rythme envoûtant. Avec la présence de Debussy, Christian Schittenhelm montre de qui il sait tenir.

    Une vraie belle découverte.    

    Christian Schittenhelm, Air, Piano concerto n°4 & Dawn
    & Debussy Prélude à l’après-midi d’un faune,
    Svetlana Andreeva (piano), Royal Scottish National Orchestra, dirigé par Sergey Neller,
    Evidence Classics, Sfumato Records, 2024

    https://christianschittenhelm.fr
    https://sfumatorecords.com/records
    https://www.facebook.com/evidenceclassics
    https://svetlana-andreeva.com/fr

    Voir aussi : "Basson, toi mon ami"

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