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crues

  • Girodet versus Géricault

    Le moins que l’on puisse dire c’est que le Musée Girodet s’est fait désirer. Fermé en 2008 pour rénovations, qui étaient bienvenues, l’auguste établissement public de Montargis, consacré principalement au peintre néoclassique Anne-Louis Girodet-Trioson, a subi de plein fouet l’avanie de la crue historique de juin 2016, qui a contraint à la restauration de plusieurs milliers d’œuvres et, in fine, à retarder la réouverture du musée.

    Une réouverture qui a eu lieu il y a moins d’un an. Le Musée Girodet propose en ce moment sa deuxième exposition : "Girodet face à Géricault ou la bataille romantique du Salon de 1819" qui sera visible jusqu’au 12 janvier 2020.

    Qui dit Géricault dit Radeau de la Méduse, une œuvre que le musée ne pourra découvrir – hélas – qu’à travers une copie de d’Eugène Ronjat. Le tableau original, peint en 1819 par un Théodore Géricault âgé de seulement 20 ans, va marquer pour longtemps l’histoire de la peinture, à travers la représentation, avec un réalisme cru, d’un fait divers survenu en 1816 : le naufrage catastrophique et choquant de La Méduse, un navire royal que le capitaine et les officiels ont décidé d’abandonner laissant leurs 400 passagers à un sort tragique. Cette œuvre est présentée en 1819 lors du salon de peinture et de sculpture au cours de laquelle Girodet, que Géricault connaît et admire, présente Pygmalion et Galatée. Ce sont deux peintures bien différentes qui marquent également l’affrontement de deux courants : l’un néoclassique avec une scène mythologique, et l’autre romantique et historique, précurseur d’un mouvement qui fera date.

    Le Musée Girodet a choisi d’exposer 80 des peintures qui avaient été présentées il y a 200 ans, des peintures recouvrant bien des thèmes : histoire, portraits, paysages, scènes de guerre, allégories ou religion.

    200 ans plus tard c’est pourtant Le Radeau de la Méduse que l’Histoire a gardé en mémoire

    Le visiteur circule dans un musée restauré depuis peu, plus aéré, à la scénographie et à l’éclairage plus moderne. Le cœur de l’expo est la nef principale dans laquelle, face à la copie du Radeau de la Méduse, a été accrochée une scène représentant Pygmalion et Galatée. Girodet décrit ainsi son tableau d’une rare force allégorique : "Le lieu de la scène est dans l’endroit le plus retiré de la maison du sculpteur ; il y a fait transporter la statue dont il est épris, non loin de celle de Vénus. Au moment du prodige, une auréole brillante paraît sur la tête de la déesse, et une lumière surnaturelle se répand dans tout le sanctuaire et forme, avec la fumée des parfums, le fond du tableau, sur lequel se détache, avec une magie surprenante, la figure de Galatée."

    Conscient que ce chef d’œuvre sera son dernier (le peintre meurt cinq ans plus tard, la même année d'ailleurs que Géricault), Girodet est soulagé de voir sa toile remarquée. Un critique salue la maîtrise d’un artiste qui est déjà au crépuscule de sa vie : "Le tableau de Galatée, destiné, même avant qu’il fût commencé, pour le cabinet de M. le comte de Sommariva, tiendra, sans contredit, le premier rang parmi les productions modernes de nos meilleurs artistes" Le terme de "moderne" prend ici un relief particulier, car si le tableau de Girodet a été la grande peinture du salon de 1819 (avant d’être oubliée puis redécouverte en 1967), c’est pourtant Le Radeau de la Méduse que l’Histoire a gardé en mémoire.

    "Girodet face à Géricault ou la bataille romantique du Salon de 1819"
    Musée Girodet, Montargis
    Jusqu’au 12 janvier 2020
    http://www.musee-girodet.fr

    Voir aussi : "L’art d’enculer les mouches"

    Anne-Louis Girodet-Trioson, Pygmalion et Galatée (ou Pygmalion amoureux de sa statue), huile sur toile, 202 x 253 cm, Paris, musée du Louvre © Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais/Angèle Dequier – prêt exceptionnel

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  • Crues en clichés

    Il y a deux ans, Montargis connaissait l’une des plus importantes crues de son histoire, des crues qui allaient frapper également la Seine et en particulier Paris.

    Pour marquer cet événement, l’association locale ATR (association pour la réinsertion des personnes en situation précaire) a eu l’idée d’éditer un livre présentant un recueil de photos, et notamment des photos aériennes prises par Éric Gauchy.

    Des clichés spectaculaires au service d’un livre peu ordinaire.

    Le Gâtinais sous l’eau (crue mai-juin 2016)
    ATR, Pannes, 270B rue de la Bézonde , 45700 Pannes

  • Des hommes, des eaux et des arbres

    Sentinelle de la Pluie (éd. Héloïse d’Ormesson), le dernier roman paru de Tatiana de Rosnay, n’est pas le moins étonnant de l’auteure d’Elle s’appelait Sarah ou de Boomerang. Pourquoi étonnant ? Le lecteur trouvera certes quelques-uns des thèmes traversant son œuvre : les liens de sang, les secrets de famille ou les lieux imprégnés de souvenirs ; mais là où Tatiana de Rosnay a surpris ses lecteurs c’est le parti-pris de situer son histoire dans un futur proche, proposant un roman d’anticipation et le récit d’une catastrophe apocalyptique en même temps qu’un thriller psychologique et un drame familial.

    Linden Malegarde est l’un des plus célèbres photographes de son époque. Sa vie se passe dans les studios de shooting, entre son agent, des clients prestigieux, des mannequins célèbres et surtout son petit ami Sacha qu’il a laissé en Californie, le temps d’une réunion familiale dans un palace à Paris. Il doit y retrouver sa sœur Tilia et ses parents, Oriel et Paul à qui ses enfants ont décidé de fêter son soixante-dixième anniversaire. "Ce n’est peut-être pas le week-end idéal pour être à Paris" s’interroge la mère de Linden au début du roman, car la capitale est sujette à des pluies diluviennes, qui vont devenir l’une des clés de l’histoire. Il est vrai aussi que le vieux couple a accepté de quitter le paisible arboretum familial situé près de Nyons, dans la Drôme, pour un événement qui doit être l’occasion de réunir la famille. Les retrouvailles paisibles se transforment en un drame lorsque Paul s’écroule au beau milieu d’un dîner. Le père est conduit dans un hôpital pour y être soigné, alors que le déluge s’intensifie dans la capitale : la grande crue de 1910 risque bien d’être dépassée.

    Un livre sur les hommes – mais aussi sur les arbres

    Qui est-cette sentinelle dont nous parle le titre du livre ? Une première réponse se trouve dans une scène au cours de laquelle Linden veille sur son père hospitalisé, un père avec qui il n’a jamais pu discuter, ni parler de son coming-out et de Sacha : "Linden regarde à travers le carreau ruisselant, et il lui semble être devenu une sentinelle qui guette l’inévitable submersion aquatique, qui surveille son père, la pluie, la cité entière." Mais la sentinelle pourrait aussi être ce témoin muet et protecteur dont parle Paul au cours de sa propre histoire.

    Dans ce roman, aussi atypique soit-il, Tatiana de Rosnay est au cœur de ses sujets de prédilection : les liens familiaux, la difficulté à être soi lorsque des normes sociales vous contraignent, les secrets qui traversent les années voire les générations et les lieux qui peuvent être aussi bien des points de repère que des chaînes dont on veut se défaire. En apparence, Linden, artiste reconnu suscitant l’admiration de sa sœur et de ses parents, fait partie de ces personnages émancipés. En réalité, même s’il assume sa liberté en tant qu’homme et en tant qu’artiste, il lui reste une dernière barrière à franchir : celle du dialogue avec un père, dialogue qui, paradoxalement, finira par venir alors que ce dernier, dans un état grave, ne parvient pas à s’exprimer.

    C’est bien d’un échange entre deux hommes dont il est question dans ce livre : celui d’un fils qui veut aborder des sujets personnels ayant principalement trait à son homosexualité, mais aussi celui d’un père qui garde depuis son enfance un terrible secret. Au terme de ce séjour, Linden choisit de revenir quelques heures sur les lieux de son enfance afin de retrouver la trace d’une histoire qui devait rester cachée à jamais.

    À l’instar de Boomerang ou À L’Encre russe, Tatiana de Rosnay a écrit un livre sur les hommes – mais aussi sur les arbres. Certes, les personnages féminins sont passionnants, que ce soit Tilia (son nom signifie "tilleul" en latin, alors que "Linden" en est la traduction anglaise), Oriel ou Candice. Cependant, c’est autour du fils omniprésent et du père silencieux que se noue le récit d’une forme de réconciliation dans un Paris apocalyptique.

    Il a d’ailleurs beaucoup été question de ces crues qui forment la charpente du récit. Le récit familial se déroule lentement et inexorablement, à la manière de ces crues dévastatrices. Contrairement à son habitude, Tatiana de Rosnay a choisi de raréfier les dialogues, comme pour ne laisser aucun moyen de souffler au lecteur et de l’entraîner avec elle dans les courants implacables de son récit. L’auteure a aussi rappelé qu’elle a commencé à écrire son roman peu de temps avant les inondations de juin 2016, un événement qui lui a ensuite permis de donner aux scènes de crues un très grand réalisme : "L’insupportable odeur de putréfaction. Luisant et visqueux à cause de toutes les immondices échappées des canalisations crevées, le liquide jaunâtre exhale des miasmes pestilentiels..."

    Sentinelle de la Pluie déborde de signes, de symboles et de personnages se regardant tels des miroirs. Ils ont beaucoup à se dire, submergés par des souvenirs et des émotions : il a suffi d’une inondation pour mettre à bas toutes les digues.

    Tatiana de Rosnay, Sentinelle de la Pluie, éd. Héloïse d’Ormesson, 2018, 367 p.
    http://www.tatianaderosnay.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Sous l'eau"
    "Je viendrai te chercher"

    "Inondations de Montargis"