Musique ••• Classique ••• J.S. Bach, The English Suites, Zhu Xiao-Mei
Dans la peau d’un djihadiste
Soldats d’Allah est un documentaire exceptionnel, engagé et rude que tout citoyen devrait regarder pour saisir une partie – et une partie seulement – de la réalité du djihadisme en France.
Pendant six mois, des journalistes (bien qu’un seul prenne la parole, visage caché et voix dissimulée) ont infiltré un réseau de partisans de DAESH installés en France. Les enquêteurs, restés dans anonymat pour des raisons de sécurité, sont parvenus, via les réseaux sociaux et des contacts directs, à sympathiser avec des "soldats" de l'Etat Islamique puis à les suivre dans leur quête folle d’un djihad en France. Ils ont filmé en caméra cachée pendant six mois cette plongée dans un de ces groupuscules ultra-violents et hyper fanatisés.
Étonnamment, la cellule dormante qu'ils ont infiltrée ne se situe pas dans un quartier fiévreux de la région parisienne ou dans un des quartiers nord de Marseille mais au cœur de la France profonde, à Châteauroux (Indre). On y suit Ossama, 20 ans, gamin perdu et frustré et complètement radicalisé, avec la foi enchaînée au corps, à la recherche du paradis après sa mort en "martyr".
C’est du reste la seule trace de religion dans cette enquête dangereuse. On devine les connaissances religieuses de ces djihadistes plus que succinctes et le reportage aborde peu les motivations politico-stratégiques de ces soldats de Daesh. Il est question dans les conversations d’Ossama et de ses sbires de guerre sainte, de plans d’attaques plus ou moins élaborées, d’entraînements militaires, de recherches d’armes, de discours enflammés au vocabulaire "daeshien" et de précautions pour maintenir leur clandestinité (bien que la plupart des individus rencontrés sont "surveillés" par les forces antiterroristes).
La clandestinité passe par une utilisation prudente des moyens de communiquer : dans des fast-foods, des jardins publics, par courrier détruit après lecture ou via des réseaux sociaux sécurisés comme Telegram que les journalistes critiquent pour son refus de collaborer avec les autorités.
Des informations et des moments surprenants parsèment cette enquête hors du commun : la haine rédhibitoire entre salafistes et partisans de Daesh (alors que les deux vocables sont en général indistinctement utilisés et confondus), la méfiance des djihadises pour la quasi-totalité des mosquées françaises et la personnalité de ces candidats au djihad - de jeunes hommes frustrés et aveuglés. Et puis, il y a ces scènes hallucinantes : un mariage célébré par téléphone en plein jardin public, un attentat suicide par un Français parti mourir au Moyen-Orient, les échanges de missives pour organiser des coups, les témoignages du père d’Ossama, impuissant à freiner les pulsions de son fils, ou les réactions des candidats du djihad à l’annonce des attentats du Bataclan et du Stade de France. Du reste, ces attentats marquent la dissolution du groupuscule qui s’apprêtait à s'attaquer à une caserne d'Orléans, cible privilégiée d'Ossama qui semble porter une rancune personnelle tenace à l'égard de l'Armée française.
Soldats d’Allah est un documentaire hallucinant, engagé et démonstratif, non sans effets de mise en scène. Un reportage choc sur une enquête au terme de laquelle un journaliste, lui-même de culture musulmane, avoue que durant ces six mois il n’a pas vu Allah !
Soldats d’Allah de Marc Armone et Saïd Ramzy, 2016, 1H27
Canal + Investigations, jusqu’au 15 mai 2016