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Après son essai biographique sur l’italienne Letizia Battaglia (Letizia Battaglia, Une Femme contre la Mafia), Frederika Abbate s’intéresse de nouveau au combat féminin dans son dernier opus, La Femme est une île (éd. de la Reine Rouge). Ou plutôt les combats de femmes, car c’est ni plus ni moins qu’au néo-féminisme post-meetoo qui intéresse l’auteure. Et le moins que l’on puisse dire c'est que son essai polémique va en défriser plus d’une.
Arrêtons-nous pour commencer sur le titre. La Femme est une île fait référence à une publicité de Guy Laroche pour un parfum : "La femme est une île, Fidji est son parfum", dit le slogan. Frederika Abbate y voit une métaphore à la fois poétique et philosophique sur la femme, proche de la nature et symbolisant la sensualité, la maternité, l’environnement mais aussi un vrai univers à elle toute seule : "Elle est une île de n’exister que par rapport à elle même".
Elle-même femme, consciente du poids qui a pesé sur son genre depuis des millénaires, l’auteure n’en demeure pas moins très critique sur le néo-féminisme. Elle entend démontrer qu’il pèche par son incohérence, ses raccourcis, sa mauvaise fois et ses combats parfois vains. Or, ce mouvement, certes louable à ses débuts, a pris le virage d'une doxa qui "n’a de cesse de dresser les gens les uns contre les autres".
Frederika Abbate cogne et cogne dur, y compris contre des intellectuelles pourtant réputées comme indiscutables. La première est Simone de Beauvoir (Le Deuxième sexe) qui, sous couvert d’existentialisme, énonce qu’on ne naît pas femme mais qu’on le devient. Ce serait un peu vite oublier, conteste Frederika Abbate, que l’on vient de la nature, que l’on naît au monde et que l’on est. En comparant la philosophe française à cette intellectuelle avant-gardiste qu’était Lou Andréas-Salompé, Frederika Abbate préfère parler d’essentialisme et du retour au réel, avec pour commencer cet événement structurant dans le genre qu’est la maternité.
Court mais tonique essai
Genres, espèces et sexes sont justement interrogés dans le court mais tonique essai. Les néo-féministes trépigneront à la lecture du livre : instrumentalisation du viol, critiques contre des figures du mouvement (Françoise Héritier, Chloé Delaume, Virginie Despentes ou Pauline Harmange et son brûlot au titre éloquent, Moi, ce que je déteste, ce sont les hommes) et ces combats qui peuvent laisser perplexe (critiques contre le maquillage – féminin – ou enfants interrogés dès leur plus jeune âge sur leur "vrai" genre).
Frederika Abbate ne prend pas la défense des hommes – tel n’est pas son propos – mais préfère pointer du doigt les dangers d’une nouvelle idéologie : "le désert sensuel", "l’angoisse sexuelle", la dénatalité, la liberté individuelle parfois remise en question et les différences sexuelles trop vite gommées "sous prétexte d’égalité". Comme le dit l’adage, l’enfer est pavé de bonnes intentions.
L’amour se trouverait dévitalisée ou en tout cas condamné à l’être. Frederika Abbate ne s’en prend cependant pas au transgenre pas plus qu’à l’androgynie qui sont devenus quasi indiscutés pour ne pas dire respectés et parfois admirés. Elle s’attaque plutôt à cette non-détermination ou plutôt cette auto-détermination qui interroge le genre humain lui-même.
Et si l’essai de Frederika Abbate se donnait aussi à lire comme une prière à la réconciliation, au refus de la détestation du genre masculin et au retour à l’amour ? Et aux amours.
Films de famille (éd. Borromées), l’essai de Philippe Collinet, un "psychanalyste cinéphile", se veut "une tentative de nouer le cinéma et la psychanalyse dans le cadre familial". Dans cet essai mixant science psychanalytique et art cinématographique, quelques questions essentielles se posent : "Qu’est-ce qu’une famille ?", "Le père a-t-il encore un nom ?", Qu’est-ce qu’une sexualité libérée ? Quels liens peuvent exister entre les pères, les mères, les fils et les filles ? Et les orphelins et orphelines ? Quant aux femmes, où en sont-elles suite aux différentes vagues de révolutions féministes ? Voilà de vastes et passionnants sujets décryptés grâce au cinéma, de Charlie Chaplin à Nanni Moretti, en passant par Claude Sautet, François Ozon ou Brigitte Bardot.
Une brève histoire du cinéma donc, avec le rappel des inventions techniques, sans oublier l’évocation capitale des films publicitaires ou des films d’amateur rendus possibles grâce à la popularisation des caméras, via la vidéo : "L’intention première est de filmer pour garder en mémoire le souvenir des événements, des lieux, des membres de la famille." Et c’est là que le psychanalyste parle : "L’histoire familiale ne se filme pas, ne se découpe pas, ne se monte et ne se projette pas sans une autocensure inconsciente et cachée. Le refoulement est naturel et réflexe." Autre genre évoqué, celui du film d’auteur : "Le cinéaste et ses inventions (...) peuvent faire avancer et approfondir les concepts de la psychanalyse et peut-être modifier parfois l’écoute des patients sur le divan dans la cure." Film d’art et d’essai et documentaire peuvent s’alimenter à cet égard mutuellement, comme le montrent les premières œuvres d’Arnaud Desplechin La vie des morts et La Sentinelle : "La poésie et l’opéra, écoutés en silence, ménagent des entractes intenses de partage familial. On reste en famille, une famille mise en actes sur une autre scène, la vraie".
L'auteur fait le focus sur plusieurs films, objets de chapitre à part. La première œuvre commentée est The Fabelmans de Spielberg, "le cinéaste de la jeunesse", formidable portrait familial autour du cinéma. Quel autre film pouvait commencer aussi bien cet essai ? "Sam (...) prend conscience que le cinéma a des effets inattendus dans sa famille et au lycée où les réactions des amis ou rivaux sont à l’opposé de ce qu’il attendait".
À mi chemin entre essai psychanalyse et exégèse autour du cinéma, on trouvera dans l’ouvrage de Philippe Collinet des pages documentées sur la structure familiale, sa définition, le système du patriarcat et sur les "complexes familiaux" qui fait l’objet d’un chapitre, tout comme les autres parentalités (homoparentalité, adoptions, GPA ou coparentalités). Le complexe d’œdipe n’est pas non plus oublié.
À mi chemin entre essai psychanalyse et exégèse autour du cinéma
La culture cinématographique de Philippe Collinet impressionne dans cet essai dédié à la psychanalyse. James Dean, Xavier Dolan – très présent dans l’ouvrage – ou François Truffait côtoient Pasolini, Maurice Pialat ou Julia Ducourneau ("l’enfant terrible du cinéma au féminin", présente avec ses deux films majeurs, Grave et Titane).
Le chapitre intitulé "Le complexe de la sexualisation" s’intéresse aux questionnements de féministes radicales au sujet des questions de genre et de sexe ("Il faut détruire politiquement, philosophiquement et symboliquement les catégories d’homme et de femme" écrivait M. Witting). L’auteur insiste sur son refus de souscrire à de tels extrémismes qui ne reflètent qu’une minorité de femmes : "La psychanalyse rencontre peu de femmes aussi radicalisées, sur le divan", rappelle-t-il avec raison. Pour appuyer ses propos, là encore Philippe Collinet évoque plusieurs films : Petite fille de Sebastien Lifshitz (2020), Laurence anyways de Xavier Dolan (2012) et Masculin, Féminin de Jean-Luc Godard (1966).
Les cinéphiles trouveront matière à découvrir des films moins connus, que ce soit Mon roi de Maïwenn (2015), le film néo-zélandais L’Âme des guerriers de Lee Tamahori (1994) ou Maria’s lovers d’Andreï Kontchalovski (1984).
Philippe Collinet propose une section consacrée aux enfants, le cinéma s’étant très tôt intéressé à eux. Que l’on pense au Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939) ou Cendrillon (1950). Les parents (avec le chapitre "Les parents terribles") ne sont pas en reste , avec quelques grands films : L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune de Jacques Demy (1973), Trois hommes et un couffin de Coline Serreau (1985) ou Le Fils du désert de John Ford (1948).
Le rôle des femmes et des mères n’est pas absent. Jean Eustache ouvre la marche avec son chef d’œuvre, certes daté, La Maman et la putain (1973), Tout sur ma mère de Pedro Almodovar (1999) ou Sonate d’automne d’Ingmar Bergman (1978).
On peut remercier Philippe Collinet de ne pas avoir oublié Citizen Kane d’Orson Welles qui est sans doute à classer parmi les trois plus grands films de l’histoire du cinéma, sinon le plus grand.
Non sans malice, l’auteur consacre un chapitre à "la grande famille du cinéma", une allusion lancée parfois avec emphase (Jane Moreau) mais aussi moquée pour son entre-soi. Finalement quel autre art que le cinéma pouvait aussi bien parler de la famille ?
Soyons précis. Des trois Dumas, c’est le deuxième qui est le plus connu. Alexandre Dumas, dit Père, est devenu pour toujours l’auteur des Trois Mousquetaires, du Comte de Monte-Cristo ou de La Reine Margot. Les qualificatifs le concernant sont bien entendu d’autant plus élogieux qu’il reste moderne.
Qu’en est-il des deux autres Dumas. Thérèse Charles-Vallin, autrice du Troisième Dumas (éd. de la Bisquine) passe rapidement sur l’ancêtre, lui aussi nommé Alexandre, plus précisément Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie. Général métissé, il a eu pour père un noble normand qui épousa une femme noire de Saint-Domingue. Le militaire, le "premier Dumas", donc, donne naissance au plus célèbre d’entre eux, le fameux Alexandre Dumas Père.
Arrêtons-nous tout de suite sur cette naissance car c’est là qu’il faut chercher un des points communs des trois Dumas : une paternité mal assumée qui est au cœur de l’essai de Thérèse Charles-Vallin. Pour autant, les liens pères-fils restent très forts. Le créateur de Monte-Cristo a une fascination pour le brillant Général increvable et qui eut pour seul "tort" d’être métis. "À l’âge de quatre ans, [Il] voulait aller au ciel pour y trouver Dieu et le tuer afin de venger la mort de son général de Pierre".
Singulièrement, Alexandre Dumas Fils ne fut reconnut lui aussi que tardivement, après une enfance difficile, trois femmes se disputant sa garde jusqu’à ce qu’il soit définitivement reconnu à l’âge de sept ans. La suite c’est un long chemin personnel et artistique jusqu’au triomphe d’Alexandre Dumas Fils.
Féminisme
Thérèse Charles-Vallin suit chronologiquement la carrière exceptionnelle d’un écrivain qui aurait pu se faire écraser par une paternité exceptionnelle, d’autant plus que son enfance augurait mal de la suite – un père absent, des femmes ne s’entendant pas, le rejet et les humiliations à l’école en raison de sa naissance et de ses racines antillaises. Lorsque le père se rapproche du fils, ce dernier ne pourrait que se sentir écrasé par un écrivain adulé et à la force de travail exceptionnelle : "Un véritable bourreau de travail qui peut rédiger 200 pages d’un excellent texte en une nuit". Finalement, les relations entre le père et le fils vont devenir excellentes, comme le prouvent les multiples extraits de leur correspondance, le père soutenant et appuyant le fils et le fils marquant son amour pour un père jusqu’à ses derniers jours.
L’essai de Thérèse Charles-Vallin est passionnant en ce qu’il donne à voir un artiste s’émancipant d’un père autant admiré et reconnu que "frivole et jouisseur" mais qui finira ruiné. C’est son fils qui l’accueillera chez lui dans ses derniers jours et le veillera jusqu’à sa mort. L’auteure propose sans doute là les plus belles et émouvantes pages de son essai.
D’Alexandre Dumas Fils, le grand public a avant tout retenu son chef d’œuvre, La Dame aux camélias. Le roman a été écrit en 1847, dans une rage que son père n’aurait pas renié. Le troisième Dumas n’a jamais caché que cette histoire d’amour et de mort lui a été inspiré par sa propre relation avec une jeune femme dont il était épris, Alphonsine Plessis et qui mourut à l’âge de 23 ans, après une vie des plus agitée.
Dumas Fils est surtout un homme de théâtre et c’est bien naturellement qu’il se lance dans l’adaptation sur scène de sa Dame aux camélias, avant qu’elle ne devienne ensuite une œuvre lyrique, La Traviata.
Le Troisième Dumas est aussi passionnant par son tableau du XIXe siècle, ses fièvres politiques, le retour de l’Empire, la guerre de 1870 puis la jeune IIIe République. Dans cet essai, traversent des personnages historiques, que ce soit Victor Hugo, Émile Zola ou Sarah Bernhardt. Thérèse Charles-Vallin souligne la clairvoyance de Dumas Fils qui s’est lancé dans le féminisme et le soutien de l’égalité de droits entre hommes et femmes, une attitude à la fois rare et remarquable pour un homme du XIXe siècle, très souvent cantonné, à tort, dans celui d’artiste bourgeois.
Finalement, Alexandre Dumas Fils est resté dans les manuels d’histoire autant que de littérature en dépit de l’ascendance de Dumas Père. Mieux, au contraire de ce dernier, il réussit à se faire élire à l’Académie Française.
En juin 1835, Pierre Rivière, fils d’un paysan normand, assassine à coups de serpe sa propre mère, enceinte, sa sœur ainsi qu’un de ses jeunes frères. Condamné à mort, le meurtrier âgé de 18 ans est condamné à mort. Par grâce royale, sa peine est commuée en réclusion criminelle à perpétuité. Moins de cinq ans plus tard, Pierre Rivière se suicide en prison.
Ce parricide – considéré à l’époque comme le crime le plus terrible qui soit – intéresse les gazettes locales mais n’a pas de retentissement particulier (les parricides sont nombreux et les Français sont plus intéressés par une autre affaire : une tentative d’attentat contre le roi Louis-Philippe par Fieschi). Si Michel Foucault et une équipe de scientifiques s’intéressent dans les années 1970 à cette affaire c’est qu’elle est exceptionnelle par la documentation disponible. Mais surtout parce que le meurtrier lui-même, Pierre Rivière a laissé un mémoire de grande qualité pour expliquer son geste.
Le titre de l’étude collective dirigée par Foucault porte d’ailleurs pour titre l’incipit de ce mémoire : Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère. Ce livre passionnant, et qui vaut bien des polars, est divisé en deux parties principales : un dossier brut présentant des documents bruts (procès-verbaux, études médicales de l’époque, rapports, lettres officiels, fac-similés, un plan, etc.) et un recueil de sept articles (ou notes), dont une écrite par Michel Foucault lui-même (il signe également la préface générale). Au milieu de ces deux parties, une pièce maîtresse est reproduite : le mémoire in extenso de Pierre Rivière.
Le lecteur constate, troublé, que celui que l’on présentait comme fou, fait preuve d’une rare clairvoyance pour expliquer en détail ce qui l’a conduit à un tel crime.Les notes explicatives éclairent à la fois le contexte historique du crime (une époque troublée, marquée par les guerres et la mort – on sort tout juste de la Révolution française et les guerres napoléoniennes), le contexte social aliénant (la paysannerie toujours enchaînée malgré la fin de l’Ancien Régime), la personnalité de Pierre Rivière, plus complexe qu'il n'y paraît, les atermoiements de la Justice (pourquoi les circonstances atténuantes n’ont pas été retenues durant le procès ?), les luttes d’influence – voire de pouvoir – entre justice et médecine ou encore la question de la folie de Pierre Rivière. Cet essai historique est exemplaire en ce que, partant d’un fait divers hélas banal, il décortique ses tenants et ses aboutissants, comme un archéologue le ferait sur un chantier de fouilles.
Si Mike Diana est entré dans l’histoire de l’art et de la justice c’est en raison d’un procès singulier survenu il y a un peu plus de 30 ans. Nous sommes en mars 1994 en Floride, dans le comté de Pinellas. Mike Diana a à peine 25 ans et produit une série de dessins et de BD pour plusieurs fanzines confidentiels, dont la revue Boiled Angel ("Ange bouilli" en français) qui peine à dépasser quelques dizaines de lecteurs. Une production underground amenée à tomber dans l’oubli sans un policier trouvant des liens entre des dessins de ce fanzine et des meurtres particulièrement horribles dans la région.
Finalement, le procureur de l’époque retient la plainte d’obscénité, une première dans un pays libéral comme les États-Unis, premier producteur en outre de matériaux pornographiques.
DansDisgrâce en Amérique, paru aux éd. White Rabbit Prod, Pierre Dourthe revient sur cette affaire hors-norme et sur les 10 ans de la production de Mike Diana, entre 1988 et 1997. ajoutons que l’artiste est toujours en activité aujourd’hui.
La monographie s’intéresse à l'artiste américain underground grâce à de nombreuses illustrations et planches à ne pas mettre entre toutes les mains. L’art de Mike Diana est en effet volontairement provocatrice et ne s’empêche aucun interdit. Sexe, violence, tortures, mutilations et toutes les perversités possibles et imaginables constituent cet univers singulier. Le dessin est "rudimentaire" comme le précise Pierre Dourthe. La facture du dessin est naïve, les traits réduits à leur plus simple expression et les décors quasi inexistants.
À ne pas mettre entre toutes les mains
Le grotesque le dispute au morbide et les personnages apparaissent comme des caricatures soumises à toutes les perversités. La religion – le christianisme en l’occurrence – en prend pour son grade, avec ses symboles détournés. Monstres, extra-terrestres et animaux viennent compléter ce bestiaire parfois difficilement supportable.
Le procès en valait-il cependant la chandelle ? C’est là que la question se pose de manière pertinente. Au début des années 90, Mike Diana est un adolescent inconnu proposant ses œuvres à des magazines confidentiels, parfois photocopiés et agrafés sommairement – maintenant des objets culturels à la valeur marchande certaine. Cependant, l’Amérique traditionnelle et puritaine est bien décidée à ne pas laisser passer ce qui ressemble à une série de créations qu’elle considère comme obscène.
Pierre Dourthe s’interroge longuement sur la question à la fois du jugement moral et de l’utilité sociale d’un tel procès. "Que fait le dessin de Mike Diana ?" se demande-t-il. La brutalité des crimes, leur gratuité, leur absence de justification et, plus que tout, leurs violences sans limite font dire que l’artiste fait de la dérision et de la raillerie le cœur de son œuvre. Le lecteur aura d’ailleurs en-tête la participation à un projet postérieur, celui d’un jeu de société, The Rape Game! Ce faisant, Mike Diana se pose en pourfendeur de la morale traditionnelle, ce que les accusateurs de l’artiste ne pouvaient ou ne voulaient pas admettre. Pire pour eux, c’est aussi aux rituels et aux institutions chrétiennes que s’attaque le dessinateur dans plusieurs créations.
Pierre Dourthe souligne, tout comme Nicolas Le Bault dans la préface, que le premier amendement de la constitution américaine sur la liberté d’expression ne pouvait protéger Mike Diana des foudres de la censure. Au final, les outrances de Mike Diana n’ont pas été freinées par la décision judiciaire de 1994, loin s’en faut. Pour autant sa condamnation interroge sur la notion d’œuvre d’art, sur la place de la morale, sur la capacité d’une cour de justice de rendre des décisions esthétiques et, plus généralement sur la notion de liberté d’expression. Il est au final frappant que de telles questions ont été posées à cause de fanzines confidentielles qui auraient très bien pu rester complètement oubliés.
Depuis la mort d’Hergé en 1983, aucune nouvelle aventure de Tintin n’est sortie. Frustrés, les tintinophiles se rabattent sur l’œuvre passée du dessinateur belge, comme sur des essais dont Bla Bla Blog s’est largement fait l’écho et sur des publications d’inédits. Les éditions Moulinsart ont fait aussi le pari de nourrir les fans d’Hergé avec une collection l’exégèse et l’histoire de l’œuvre d’Hergé, album par album.
Voici donc les premiers livres consacrés à Tintin au Pays des Soviets et Tintin au Congo, publiés respectivement en 1929 et 1931. Philippe Goddin s’est attelé à la tâche en s’intéressant à ces deux livres mythiques quoique mal-aimés, pour ne pas dire sous-évalués avec le temps.
Le premier, Tintin au Pays des Soviets est l’œuvre d’un jeune dessinateur de 22 ans, déjà archidoué. Contre toute attente, le feuilleton en bande dessinée qu’il imagine pour Le Petit Vingtième, le journal qu’il l’emploie, obtient un succès inattendu en Belgique. Hergé imagine un reporter de son journal partir dans la Russie soviétique – l’URSS – pour y relater les méfaits du communisme car Le Petit Vingtième revendique son appartenance au conservatisme et au catholicisme.
Voilà donc le jeune Tintin, pas plus âgé que son créateur, parti en direction de Moscou. Il y découvre la propagande soviétique, les élections truquées, les procès arbitraires et la violence d’un pays lancé dans la folie du bolchévisme. De cette aventure, Tintin et son fidèle compagnon Milou en ressortent sains et saufs, avec, par dessus le marché, une houppette qui ne quittera plus la tête du jeune héros. Un an plus tard, fort de ce succès, c’est dans le Congo belge qu’Hergé amène son héros. C’est une Afrique colonialiste aux forts relents racistes que le petit journaliste découvre avec une naïveté dont il lui sera beaucoup reproché.
Hergé invente deux jeunes héros farfelus, Quick et Flupke, comme si l’hypothèse Tintin pouvait être levée à tout moment
Philippe Goddin retrace l’histoire de chacun de ces albums, le premier volume étant le plus intéressant en ce qu’il revient sur la genèse de l’œuvre d’Hergé. Crayonnés, reproduction de planches en noir et blanc ou en couleur, couvertures inédites et photos rares enrichissent ce Tintin au Pays des Soviets. On découvre un dessinateur génial à la plume incroyablement sûre – ah, ce couple de danseurs de tango ! Créateur de la fameuse ligne claire, Hergé démontre qu’il a été fortement influencé par les comics américains. À ce sujet, l’ouvrage reproduit de superbes illustrations tirées du Triomphe de l’Aigle rouge.
Tintin au Congo n’était certes pas l’ouvrage le plus simple à mettre en exégèse. Très daté, colonialiste, raciste, aussi peu écolo que possible (le nombre d’animaux tués inutilement est légion), l’album reste mal-aimé. Philippe Goddin ne cache pas ses défauts. Mais il souligne aussi ses qualités. Le dessin est plus travaillé et le scénario moins confus que la première aventure russe. L’humour omniprésent est typique des années 30, alors même qu’Hergé invente deux jeunes héros farfelus, Quick et Flupke, comme si l’hypothèse Tintin pouvait être levée à tout moment.
On sait qu’il n’en saura rien et qu’après la Russie puis le Congo c’est en Amérique que le détective belge se rendra.
Comme chaque année, Bla Bla Blog propose son top 10 des publications phares de cette année, celles qui ont fait le buzz et celles qui sont les plus populaires. Comme souvent, elles sont représentatives de Bla Bla Blog, le site des découvertes culturelles et artistiques. Qu’y trouve-t-on dans ce florilège ? Rimbaud et son actualité poétique autant que technologique (certes très critiquable !), de la musique avec du jazz (très bien représenté) mais aussi Gabriel Fauré dont nous fêtions en 2024 les 100 ans de sa mort. La chanson et la pop ne sont pas en reste, pas plus qu’une série télé que nous avons trouvé formidable ! Et pour épicer le tout, du sexe, avec un roman à ne pas mettre entre toutes les mains… Bref, il y a de tout pour faire un monde, et c’est très bien comme ça.
"Bobbie, c’est l’une des révélations du moment. Mais attention, pas n’importe quelle révélation ! La jeune chanteuse française a puisé dans l’Amérique profonde les sources de son album The Sacred In The Ordinary.
Les influences de Bobby s’appellent Joni Mitchell, Dolly Parton ou Bob Dylan. Un opus en anglais où la pop (Last Ride, Back Home) fait la part belle à la country, à l’instar du morceau Losing You qui ouvre ce délicieux album ou encore le formidable et enlevé The Sacred In The Ordinary qui lui donne son nom…"
"Hervé Sellin propose de nouvelles adaptations jazz dans son Jazz Impressions. Après Debussy, c’est Gabriel Fauré et Maurice Ravel qui ont les honneurs du pianiste français.
L’opus commence par un véritable tour de force. En l'occurrence, Gabriel Fauré et son Requiem en mode jazz, avec une "Introduction" et un "Kyrie", moins funèbre que sombre et mélancolique. On peinera à retrouver l’aspect liturgique de ces premières Impressions. L’"Agnus Dei" sonne comme un chant d’amour paisible, avec des improvisations au piano qui ont toute leur place. Le lyrisme du "Libera Me" originel est plus intimiste et personnel dans cette revisite. Plus paisible aussi. Une vraie libération, aurions-nous envie d’écrire. Les connaisseurs de Fauré et de son Requiem peineront sans doute à reconnaître l’œuvre originale, en particulier dans cet extrait, léger et rafraîchissant…"
"Peu d’instruments sont aussi à la fois élégants et humains que le violoncelle. Et si vous ajoutez à cela un répertoire de la classe de Gabriel Fauré, voilà qui devrait définitivement vous convaincre de découvrir l’album que Pauline Bartissol – au violoncelle, donc – et le pianiste Laurent Wagschal consacrent à l’auteur du fameux Requiem.
En cette année Fauré (le compositeur est mort en 1924), Laurent Wagschal consacre une intégrale de ses œuvres pour piano. Pauline Bartissol le rejoint dans ses enregistrements consacrés au violoncelle et au piano. Au programme, les deux Sonates op. 109 et 117 pour violoncelle et piano et des pièces de musiques de chambre devenues universelles, à savoir la Sérénade op. 98, la célèbre Élégie op. 24, la Romance op. 69, la naturaliste pièce intitulée Papillon op. 77 et la délicieuse Sicilienne op. 78…"
"Qui était vraiment Rimbaud ? Que reste-t-il de lui ? Quelques (vraies) photos, une correspondance et surtout une œuvre brève (Une saison en enfer et Les Illuminations, sans compter de nombreux poèmes en vrac). Pour autant, son importance et son influence sur la littérature est exceptionnelle. Précurseur de la poésie moderne, Arthur Rimbaud a produit une œuvre révolutionnaire avant ses 20 ans. Il abandonne définitivement la poésie en 1875, jusqu’à son décès en 1891 à l’âge de 37 ans.
C’est sur les années 1870-1875 que se concentre la biographie de Luc Loiseaux, Rimbaud est vivant (éd. Gallimard), c’est-à-dire de son premier séjour à Paris – qui se termine en prison – jusqu’au décès de Vitalie, la jeune sœur de Rimbaud. Ce deuil marque aussi la fin de sa carrière littéraire…"
"Une chose est sûre. Mattieu Lavagna et Michel Onfray ne passerons pas leurs vacances ensemble, comme aurait dit un journaliste sportif.
Depuis le temps que le philosophe Michel Onfray truste les plateaux télé et propose sa "bonne parole", il fallait bien que quelques voix discordantes vienne susciter la polémique. C’est le cas avec cette Libre réponse à Michel Onfray proposé par les éditions Artège.
Ce n’est pas un mais plusieurs ouvrages qui intéressent le philosophe et théologien Matthieu Lavagna : Traité d’Athéologie (2005), Décadence, Vie et Mort du Christianisme (2017) et Anima (2023). Le tort de Michel Onfray ? Affirmer que Jésus n’a jamais existé, ni plus ni moins, et que sa vie n’est jamais qu’un mythe. C’est la "thèse mythiste", très ancienne, pour ne pas dire datée. Dès la préface, Matthieu Lavagna cogne, et dur..."
"C’est par une œuvre collective que commence cet enregistrement d’œuvres de Robert Schumann pour violon et piano. La Sonate F.A.E. nous vient de deux figures majeures du romantisme – Brahms (pour le troisième mouvement Allegro (Scherzo) et Schumann pour les deuxième et quatrième mouvements, Intermezzo et Finale.
Le troisième est Albert Dietricht, compositeur du premier mouvement Allegro. Les trois amis écrivent en 1853 cette sonate au nom étrange mais plein de sens : F.A.E. pour Frei Aber Einsam ("libre mais solitaire"). Elle a été offerte cette année-là au violoniste Joseph Joachim. Ce dernier l’a d’ailleurs joué, tout comme Clara Schumann…"
"En ce début d’année, et alors que nous sommes toujours nombreux à trouver une bonne série à se mettre sous les dents, pourquoi ne pas se tourner vers la télévision publique ? La série Sambre avait, à juste titre, suscité l’enthousiasme. L’une des meilleures de 2023, osons le dire. Bla Bla Blog en avait parlé. Voilà une autre qui mérite tout notre intérêt.
Elle se nomme Les Invisibles et se présente comme une passionnante saga policière. Nous suivons un groupe de quatre enquêteurs du Nord, sous la direction du commandant Darius. Il est secondé par l’expérimentée et râleuse Marijo, la jeune lieutenant fraîchement recrutée surnommée Duchesse, sans oublier Ben, un autre lieutenant, père de famille exemplaire capable de jouer des poings en cas de besoin.
Ces quatre-là ont une semaine pour identifier des morts anonymes, surnommés des "invisibles". Une chasse à l’identité qui devient vite une course à l’assassin..."
"Attention, voici un ouvrage à ne pas mettre entre toutes les mains. Plurielles, paru aux éditions Tabou, est un roman qui nous transporte vers un milieu peu courant, celui du BDSM.
Son autrice, Éva Delambre fait partie de ces noms fameux de la littérature érotique, jamais aussi à l’aise que lorsqu’elle interroge des thèmes de la soumission et de la BDSM.
Plurielles nous propose une plongée plus vraie que nature dans un milieu vivant dans la discrétion.
Éva Delambre en profite pour le désacraliser et de le faire découvrir, parfois dans toute sa crudité…"
"Lorsque la chanson française se pare de jazz, ça donne A French Songbook, un album du Antoine Delaunay Quintette, un ensemble mené par Antoine Delaunay, avec la chanteuse Mélanie Dahan en vedette, Gilles Barikosky au sax ténor, Marc-Michel Le Bévillon à la contrebasse et Luc Isenmann à la batterie.
L’opus commence dans le mystère et la mélancolie avec la reprise des Passantes le classique de Brassens, sur un air de jazz épuré, chanté par Mélanie Dahan, une vraie revisite jazz. "Je veux dédier ce poème / À toutes les femmes qu'on aime / Pendant quelques instants secrets".
On sera sans doute un peu plus décontenancée par cette Jolie Môme, moins espiègle que la version de Léo Ferré. On a là une promenade germanopratine et joyeuse propre à autant éclairer les cœurs que la Jolie Môme originelle, avec en plus les improvisations d’Antoine Delaunay…"
Parmi la pléthore d'ouvrages de vulgarisation philosophiques, celui-ci offre la particularité de s'intéresser aux grands concepts philosophiques. La caverne de Platon, le pari de Pascal, la dialectique de Hegel, le Cogito de Descartes, la mauvaise foi de Sartre ou le Surhomme de Nietzsche sont expliqués de manière claire.
Les lycéens de Terminale - mais aussi tous ceux qui s'intéressent un tant soit peu à la philosophie - trouveront certainement dans cet ouvrage matière à éclairer leur lanterne et à comprendre des théories parfois mal comprises.
Les auteurs ont également choisi de traiter de concepts moins connus : le théorème de Gödel, le cerveau dans une cuve, le sens commun de Moore ou... les zombies de Chalmers ! J'ai cependant quelques réserves à faire sur ce vade-mecum. Tout d'abord, on peut être frustré par ce livre aux articles si courts qu'ils restent parfois obscurs (je pense à la rubrique "Langage et logique" que j'ai trouvée très difficile). Le choix de grands chapitres est lui aussi critiquable : "Langage et logique", "Science et épistémologie", "Esprit et métaphysique", "Philosophie politique et éthique", "Religion", "Grands moments" (!) et "Philosophie européenne" (!). Un choix chronologique n'aurait-il pas été mieux ? Ensuite, ce livre prend le parti de faire l'impasse sur les philosophes eux-mêmes (leur biographie se limite à leur nom, prénom et dates, à l'exception de sept philosophes dont la vie et la carrière sont résumées en quelques lignes).
S'il veut aller plus loin, le lecteur est invité à se munir d'un dictionnaire. Disons que c'est un choix délibéré des auteurs. Mais la principale réserve reste sur la brièveté de ce manuel (qui est certes un argument en sa faveur) : en faisant de larges raccourcis, ce petit livre fait des choix arbitraires et - pire - des impasses assez peu compréhensibles. A côté des penseurs allemands ou grecs antiques incontournables, les auteurs ont offert une place de choix aux philosophes anglo-saxons et américains. Cela peut se comprendre pour des penseurs comme Hume ou Russell. Seulement, comment expliquer que des philosophes comme Ryle, Chalmers ou Kuhn aient droit à une rubrique alors que d'autres, comme Kierkegaard, Foucault ou les Encyclopédistes français aient été zappés ? Dommage.