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Après son essai biographique sur l’italienne Letizia Battaglia (Letizia Battaglia, Une Femme contre la Mafia), Frederika Abbate s’intéresse de nouveau au combat féminin dans son dernier opus, La Femme est une île (éd. de la Reine Rouge). Ou plutôt les combats de femmes, car c’est ni plus ni moins qu’au néo-féminisme post-meetoo qui intéresse l’auteure. Et le moins que l’on puisse dire c'est que son essai polémique va en défriser plus d’une.
Arrêtons-nous pour commencer sur le titre. La Femme est une île fait référence à une publicité de Guy Laroche pour un parfum : "La femme est une île, Fidji est son parfum", dit le slogan. Frederika Abbate y voit une métaphore à la fois poétique et philosophique sur la femme, proche de la nature et symbolisant la sensualité, la maternité, l’environnement mais aussi un vrai univers à elle toute seule : "Elle est une île de n’exister que par rapport à elle même".
Elle-même femme, consciente du poids qui a pesé sur son genre depuis des millénaires, l’auteure n’en demeure pas moins très critique sur le néo-féminisme. Elle entend démontrer qu’il pèche par son incohérence, ses raccourcis, sa mauvaise fois et ses combats parfois vains. Or, ce mouvement, certes louable à ses débuts, a pris le virage d'une doxa qui "n’a de cesse de dresser les gens les uns contre les autres".
Frederika Abbate cogne et cogne dur, y compris contre des intellectuelles pourtant réputées comme indiscutables. La première est Simone de Beauvoir (Le Deuxième sexe) qui, sous couvert d’existentialisme, énonce qu’on ne naît pas femme mais qu’on le devient. Ce serait un peu vite oublier, conteste Frederika Abbate, que l’on vient de la nature, que l’on naît au monde et que l’on est. En comparant la philosophe française à cette intellectuelle avant-gardiste qu’était Lou Andréas-Salompé, Frederika Abbate préfère parler d’essentialisme et du retour au réel, avec pour commencer cet événement structurant dans le genre qu’est la maternité.
Court mais tonique essai
Genres, espèces et sexes sont justement interrogés dans le court mais tonique essai. Les néo-féministes trépigneront à la lecture du livre : instrumentalisation du viol, critiques contre des figures du mouvement (Françoise Héritier, Chloé Delaume, Virginie Despentes ou Pauline Harmange et son brûlot au titre éloquent, Moi, ce que je déteste, ce sont les hommes) et ces combats qui peuvent laisser perplexe (critiques contre le maquillage – féminin – ou enfants interrogés dès leur plus jeune âge sur leur "vrai" genre).
Frederika Abbate ne prend pas la défense des hommes – tel n’est pas son propos – mais préfère pointer du doigt les dangers d’une nouvelle idéologie : "le désert sensuel", "l’angoisse sexuelle", la dénatalité, la liberté individuelle parfois remise en question et les différences sexuelles trop vite gommées "sous prétexte d’égalité". Comme le dit l’adage, l’enfer est pavé de bonnes intentions.
L’amour se trouverait dévitalisée ou en tout cas condamné à l’être. Frederika Abbate ne s’en prend cependant pas au transgenre pas plus qu’à l’androgynie qui sont devenus quasi indiscutés pour ne pas dire respectés et parfois admirés. Elle s’attaque plutôt à cette non-détermination ou plutôt cette auto-détermination qui interroge le genre humain lui-même.
Et si l’essai de Frederika Abbate se donnait aussi à lire comme une prière à la réconciliation, au refus de la détestation du genre masculin et au retour à l’amour ? Et aux amours.
Les Cramés de la Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film L’Affaire Nevenka. Il sera visible du 27 novembre 2024 au 3 décembre. Soirée débat à l’Alticiné le mardi 3 décembre 2024 à 20H30.
À la fin des années 90, Nevenka Fernández, est élue à 25 ans conseillère municipale auprès du maire de Ponferrada, le charismatique et populaire Ismael Alvarez. C’est le début d’une descente aux enfers pour Nevenka, manipulée et harcelée pendant des mois par le maire. Pour s’en sortir, elle décide de dénoncer ses agissements et lui intente un procès.
Inspiré de faits réels, L’Affaire Nevenka révèle le premier cas de #MeToo politique en Espagne.
Voilà une singulière et inédite rencontre que propose Bla Bla Blog. Il s’agit de celle avec Erika Lust, réalisatrice, productrice (ERIKALUST), photographe et auteure. Sa spécialité ? Le porno, mais un porno où le féminisme serait au cœur. Cette artiste et intellectuelle, aussi engagée que provocatrice, a bien voulu répondre à nos questions.
Bla Bla Blog – Bonjour, Erika. Vous portez plusieurs casquettes – réalisatrice, photographe, productrice, écrivaine, essayiste, féministe engagée, spécialiste du porno. Vous-même, comment vous définiriez-vous ?
Erika Lust – Bonjour Bla Bla Blog. Oui, je pense que j'ai plusieurs casquettes, mais avant tout, je dirais que je suis une réalisatrice de films, car c'est ainsi que j'ai commencé ma carrière. Tout a commencé avec un film que j'ai réalisé en tant qu'étudiante en master d'études de genre il y a plus de 20 ans, The Good Girl. J'ai essayé de partir du cliché du film porno avec le livreur de pizza, mais en axant toute l'intrigue sur le point de vue féminin et le désir féminin. Je dirais que j'étais déjà une féministe convaincue à l'époque, mais ce film et son succès m'ont servi de tremplin pour produire et écrire d'autres films, et même pour m'essayer à la photographie.
BBB – Vous avez beaucoup écrit et filmé autour de la pornographie, et en particulier de la pornographie féminine. Ce concept peut surprendre. Comment le définiriez-vous ? Et surtout, qu’est-ce qui différencie le porno masculin du porno féminin ?
EL – Je pense que le point important dans mon école de pensée est de se demander comment un porno éthique et féministe est possible, plutôt que de faire strictement la différence entre le porno "masculin" et le porno "féminin". Une chose qui m'a aidée dans mon travail, c'est de croire vraiment que le porno peut être féministe. Chez ERIKALUST, nous avons prouvé qu'il pouvait l'être depuis 20 ans maintenant. Nous sommes habitué.es à ce que le porno gratuit en ligne soit rempli de jeux de pouvoir fatigants qui ne mettent en avant que des organes génitaux - féminins - et des parties du corps, mais pas le plaisir des femmes. Le porno réalisé avec des valeurs féministes vise essentiellement à montrer une représentation authentique de la sexualité humaine. Le "porno féministe" vise à montrer des adultes consentants qui parlent avec respect de leurs désirs et de leur sexualité dans le cadre d'une relation sexuelle égalitaire, où le consentement mutuel et affirmatif est clairement montré comme une priorité au lieu de normaliser les simulations de coercition ou d'abus.
BBB – Le féminisme semble, chez vous, indissociable de la représentation du plaisir féminin. C’est un concept relativement nouveau, il me semble. Est-ce à dire que le porno en est encore à ses balbutiements ?
EL – Je ne pense pas que le porno en soit à ses débuts. En revanche, je pense que lier porno et féminisme est un phénomène plus récent, que l’on doit au féminisme pro-sexe, dont je me revendique. Longtemps, on avait cette idée que féminisme signifie anti porno, et anti travail du sexe au sens large. Ce n’est pas ma conviction. Pour moi, se contenter de rejeter un contenu qui existe déjà (le porno masculin mainstream) sans y apporter un regard féminin, c’est nier le désir sexuel des femmes. Elles aussi aiment parfois regarder du sexe, et aimeraient aussi voir leurs propres désirs représentés à l’écran. C’est ce que j’aimerais pouvoir leur offrir, à elles et aux hommes qui ont tout à gagner à se représenter la sexualité autrement.
BBB – Vous avez écrit ceci : "Pour de nombreuses personnes, qu'elles en soient conscientes ou non, le porno est leur principale source d'éducation sexuelle". Ce constat éloquent ne vous rend-il pas triste ?
EL – C'est un constat triste mais réel. En l'absence d'une éducation sexuelle adéquate et actualisée, le porno est devenu la principale source d'éducation de nos enfants, que cela nous plaise ou non. Nous ne pouvons pas empêcher les enfants de trouver ces sites, alors au lieu d’ignorer ce fait, éduquons-les. Si nous parlons franchement du porno avec eux, cela devient immédiatement moins honteux et ouvre le dialogue, ce qui permet un apprentissage sain et actif.
"Le porno a sa place dans le cinéma d'aujourd'hui"
BBB – Mal-aimé et déconsidéré en raison de ses représentations crues du sexe, qu’est-ce que le porno peut-il toutefois apporter dans le domaine de la culture comme dans la société ?
EL – Je pense que le porno a sa place dans le cinéma d'aujourd'hui. En fait, la plupart des gens ont normalisé la présence de scènes de sexe, même les plus crues, dans le cinéma grand public. À condition que les films aient une qualité cinématographique et un regard à la fois bienveillant et inclusif, je pense que le contenu pornographique peut faire travailler l'imagination, susciter des fantasmes et alimenter le désir chez les adultes consentants qui le regardent. Dans le cas du porno féministe et inclusif, il peut apporter une meilleure représentation des sexualités dans leur spectre large, et aider à la fois les femmes à se réapproprier leurs propres désirs, et les hommes à mieux comprendre et réaliser quels sont ces désirs spécifiques, parfois distincts des leurs.
BBB – Depuis le début du mouvement MeeToo, voyez-vous des changements importants dans le milieu porno et dans la représentation du sexe au cinéma ?
EL – Bien sûr ! Ce mouvement s'est produit en même temps dans l'industrie du cinéma grand public et du cinéma pour adultes. Le mouvement MeToo a eu un impact énorme sur notre industrie, et ceux qui ont violé le consentement, tout comme à Hollywood, ont été écartés et ont dû remettre en question leur place au sein de l'industrie. Je pense que MeToo a eu un effet positif considérable en inspirant les gens, en particulier les femmes du monde entier, à remettre en question les dynamiques du pouvoir patriarcal et à élever la voix pour dénoncer les abus sur leur lieu de travail, que ce soit sur les plateaux de tournage d'Hollywood ou dans n'importe quel autre bureau de n'importe quel autre secteur d'activité. Il y a eu une poussée puissante pour se soutenir mutuellement et cesser de normaliser l'abus de pouvoir, principalement par les hommes sur les femmes, qui concerne malheureusement tant de personnes dans les différentes couches de la société dans laquelle nous vivons, et pour créer une prise de conscience et une responsabilisation à cet égard.
BBB – Parlons séduction et vie amoureuse. Depuis MeeToo, est-ce que la drague est devenue, selon vous, has been ?
EL – Je ne le pense pas, et heureusement ! Je dirais que les codes de la drague ont évolué vers un mieux : vers plus de consentement et de respect mutuel. C'est ce que j'essaie de montrer dans mes films. Malheureusement, force est de constater que dans de nombreux secteurs, et sur de nombreux tournages, il y a encore beaucoup de machisme dans la manière dont la séduction est représentée. Et pourtant, demander la permission, respecter, offrir sans insister : c'est tellement plus sexy que de forcer ! Sur ma plateforme XConfessions, où je crée du porno à partir des fantasmes et des demandes de mes consommateur⸱ices, beaucoup d'entre elles et eux m'ont indiqué qu'ils trouvaient très excitant que les acteurs aient des échanges consensuels, qu'ils demandent le consentement de leur partenaire ou qu'ils décrivent ce qu'ils veulent faire à l'autre avant de le faire, pour laisser la place au « non ». D'ailleurs, chez ERIKALUST, nous mettons toujours à disposition des coordinateurs d'intimité, qui sont chargés de veiller à ce que le consentement et le respect mutuel soient respectés tout au long des scènes tournées par les performeurs, avant, pendant et après chaque tournage.
BBB – Pour conclure, la pornographie peut-elle être engagée, pour ne pas dire intello ?
EL – Oui, bien sûr, c'est politique. La pornographie est politique, même si elle ne veut pas l'être, même si elle n'a peut-être pas l'intention de l'être. Mais elle l'est, parce que la pornographie contient des messages sur la façon dont nous nous comportons. Et parce que la pornographie est politique, nous pouvons l'utiliser comme un outil pour raconter d'autres récits. Nous pouvons l'utiliser pour que les femmes puissent s'émanciper en voyant d'autres femmes prendre du plaisir. Sans une représentation inclusive du sexe, les femmes risquent de découvrir leur sexualité sous une approche violente et dominatrice, tandis que les hommes font l'expérience d'une sexualité marquée par la pression de la performance. Ce n'est qu'en redonnant au porno son caractère éminemment politique et son potentiel transformateur pour la société que nous pourrons lui rendre ses lettres de noblesse, en montrant à l'écran des sexualités libres, multiples, belles, féminines, respectueuses, des corps réalistes et des individus de tous âges, dans le respect permanent de chacun. Je suis convaincue que tout le monde gagne à regarder du porno éthique !
Peu de bandes dessinées françaises ont eu une telle longévité, avec en plus des critiques quasi unanimes, suivies en plus par des millions de lecteurs et lectrices.
C’est en 1984 – autant dire une éternité – que François Bourgeon sortait aux éditions Glénat le primer tome desPassagers du Vent. La série en compte déjà neuf, parfois en deux parties, sans compter les hors-séries, et risque bien de ne pas se terminer de sitôt.
Intitulé La Fille sous la Dunette, le premier tome est illustrée par une magnifique couverture, sans doute l’une des plus belles et des plus mythiques de la BD moderne. On y voit Isa, l’héroïne de la saga, agrippée en pleine tempête aux cordes d’un trois-mâts. La jeune femme brune aux yeux d’un bleu profond, fixe l’horizon, habillée tel un simple matelot.
Nous sommes au début des années 1780. Le monde est encore sous d’anciens régimes mais les têtes commencent à évoluer.
Une magnifique couverture, sans doute l’une des plus belles de la BD moderne
Isabeau, c’est Isabeau de Marnaye, une identité d’autant vite oubliée qu’elle a été abandonnée par son père à un couvent avec une de ses amies, Agnès. Bientôt, les enfants sont confondues mais restent néanmoins inséparables. C’est, du reste, sur un trois-mâts que le marin Hoel surprend Isa et son amie. Fasciné, le jeune homme tente de s’approcher d’elles, à ses dépends.
Commence une série d’aventures qui mènera Isa et ses amis de l’Angleterre aux comptoirs africains, en passant par Nantes et les Antilles.
Le lecteur sera sans doute décontenancé par le lettrage des bulles et par la richesse de l’intrigue, désarçonnante dans le tome 5. Toutefois, la lecture de cette saga vaut le coup : des héroïnes modernes, des planches rythmées, une intrigue engagée (féminisme, humanisme, colonisation), d’audacieuses prises de risque (sexe, violence, tortures, exécutions).
Après avoir fêté dignement sa 100e séance en janvier dernier, le Café philosophique de Montargis est de retour, cette fois au Hangar de Châlette-sur-Loing pour une séance qui aura exceptionnellement lieu un samedi, le 16 mars, à 18 heures.
Pour cette soirée spéciale, l’animation philosophique de Montargis s’inscrit dans la journée intitulée "F’âme(s)" consacrée aux femmes, à l’égalité femmes-hommes et aux droits des femmes. Le Café Philosophique de Montargis, partenaire de cette journée faite de rencontres, de conférences, de concerts, d’expositions, d’ateliers et de stands, proposera un débat s’inscrivant dans le cadre de cet événement. Le débat portera sur cette question : "Une cité sans hommes est-elle souhaitable ?"
Les participants du café philo seront invités à débattre sur notre société contemporaine et sur le patriarcat qui semble toujours régir son fonctionnement. Quel rôle la femme peut-elle et doit-elle y tenir ? Les organisateurs et organisatrices du Café Philosophique proposeront de parler du matriarcat, de sa possibilité et de ses enjeux. Est-il pensable ou peut-il être considéré comme une utopie ? Et dans ce cas, quelles places pourraient avoir les hommes ? Il sera aussi question du regard que chacun et chacune peut avoir sur les hommes et sur les femmes. La question du "female gaze" pourra être abordée comme celle du féminisme et de ses combats.
Voilà autant de points qui pourront être débattus par les participants du Café Philosophique de Montargis. Rendez-vous au Hangar, 5 rue de la Forêt à Chalette-sur-Loing, le samedi 16 mars 2024 à 18 heures pour cette nouvelle séance.
Anaïs Nin : voilà un des noms les plus sulfureux et en même temps les plus passionnants de la littérature du XXe siècle. Elle est célèbre notamment pour un journal à la fois marquant, sincère et sans tabou, au point qu’il a été expurgé des années avant de paraître intégralement tardivement dans une version non expurgée. Ce n’est cependant pas de ce fameux Journal dont je vais vous parler mais de deux œuvres plus étonnantes : une bande dessinée sortie récemment et un recueil de nouvelles de l'écrivaine – certes pas le plus connu.
La BD est de Léonie Bischoff. Son Anaïs Nin, Sur la mer des mensonges, paru chez Casterman, est consacré aux années parisiennes d’Anaïs Nin, quelques années après son mariage avec le doux Hugh Parker Guiler, honorable banquier et artiste à ses heures. La jeune femme, Américaine née cubaine, n’est pas encore l’écrivaine que l’on connaît. À dire vrai, elle se cherche, trouvant son refuge dans un journal (ou plutôt ses journaux), son double, dans lequel elle confie ses interrogations, ses émois, ses souffrances, ses doutes et ses rêves.
C’est une Anaïs Nin de son époque, celle des années 30, allant de ses cours de danse avec le beau Monsieur Mirales aux soirées mondaines. Lorsqu’elle rencontre l’écrivain Henry Miller, de passage en France, l’attraction est immédiate entre les deux artistes. Mais il s’agit d’abord d’une attraction littéraire. D’abord.
Léonie Bischoff s'avère virevoltante et poétique dans ce récit qui aurait pu facilement tomber dans le scabreux. Rien de tel ici, tant l’auteure et dessinatrice suit avec tendresse et admiration une artiste exemplaire à plus d’un titre – même si son amoralité en ferait friser plus d’un et plus d’une. La ligne claire et les couleurs pastel font de cette BD un excellent contrepoint au recueil de nouvelles que les éditions Musardine ont publié en 1999 dans une nouvelle traduction.
Faire du sexe et de l’érotisme une matière vivante
Alice – car c’est de ce livre dont il est question – souffre d’une paternité – ou plutôt maternité – que Jean-Jacques Pauvert évoque en présentation, avec un mélange d’admiration et de perplexité – et presque de dédain. Les nouvelles de White Stains (c’est le titre américain) ne sont pourtant pas à proprement parler des histoires prudes. C'est le moins que l'on puisse dire.
Anaïs Nin y prend souvent à plusieurs reprises l’identité d’un homme, à l’instar du "Alice" qui ouvre le recueil, le récit d’une promenade amoureuse à la campagne qui prend un tour inattendu lorsque le narrateur et sa maîtresse – Alice, donc – croisent un autre couple.
Dans l’histoire suivante, "Esmeralda", l’érotisme sans fard – ni sans violence – se pare de provocation littéraire, puisque l’écrivaine hispano-franco-américaine conte la première étreinte imaginaire entre Phoebus et Esmeralda, les deux protagonistes du chef-d’œuvre de Victor Hugo.
Le lecteur lira avec amusement les "Souvenirs" d’un garçon dans une société prude et en particulier dans un pensionnat sévère où l’on se cache pour mieux faire la nique à la morale… L'humour n'est pas absent dans cette nouvelle qui entend pourfendre la morale et la bienséance dans une société rigide. Très rigide.
Anaïs Nin propose avec "Florence" une de ces histoires à la fois épicées et émotionnellement très chargées. Là, sans doute, se cache le cœur des écrits de l’auteure américaine. Cette manière de faire du sexe et de l’érotisme une matière vivante et humaine.
On parlera encore de féminisme dans l’éloquent "Des jeunes filles et de leur con", véritable adresse amoureuse à ses sœurs autant qu’invitation à l’amour, ce que racontent deux narrateurs du recueil. Le premier est séducteur et séduisant ("Je veux une femme") alors que le second devient chasseur et joueur ("Le membre d’or").
L’écriture d’Anaïs Nin vient de loin et touche au cœur, au point d’avoir révolutionné la manière d’écrire sur le sexe. On ne peut se priver de citer un extrait : "Ma main était entre ses ravissantes cuisses, et la façon dont elle réagissait à ses attentions me prouva que je n'avais pas oublié comment jouer de cet instrument qui, habilement stimulé, prolonge dans le corps d'une femme les échos d'une harmonie divine".
Aynoa a conçu la bande originale du documentaire We are 200 million – Code Name Endometriosis. Le film a pour but de mettre en lumière l’impact qu’a l’endométriose dans la vie des femmes du monde entier au travers de leurs témoignages. La chanteuse s’empare de ce sujet difficile en proposant un EP posant des mots sur un mal invisible et connu du grand public depuis peu.
Dans le morceau qui ouvre l’album, "J’ai un volcan, dans mon ventre", Aynoa parle dans un texte poétique slamé du ressenti d’une femme touchée par l’endométriose : "J’ai un volcan dans mon ventre, tu ne le vois pas. / Quand la lave s’écoule, j’deviens esclave, j’m’écroule. / Mon corps est en fusion, danse la confusion". Plus cash encore, le titre "Leurs ventres saignent", en featuring avec la comédienne et metteuse en scène Sarah Mathon, scande un chant d’hommage aux 200 millions de femmes victimes du mal insidieux.
L’honnêteté et la sincérité du message n’interdisent pas la qualité ni le soin dans la production
L’auditeur goûtera avec un plaisir certain le moreau pop-folk "We are one out of ten" pop-folk. Comme quoi, l’honnêteté et la sincérité du message n’interdisent pas la qualité ni le soin dans la production. On aimerait même que ce titre devienne un tube pour la bonne cause.
Dans "Mon corps", il est question de ce corps qui peut parfois être un poids et un compagnon lourd à supporter. Pourtant c’est bien une déclaration d’amour que chante Aynoa dans cet extrait : "Tu m’entraînes, dans les bourrasques / des tempêtes que tu souffles. / Tu me traînes, et me démasque, / le temps s’arrête, et je m’essouffle. : Et moi je t’endors, mon corps… / Et moi je t’adore encore, / Je te sers un peu plus fort, / Tu vois on s’en sort".
Les hommes aussi ont leur place dans un EP féminisme à plus d’un titre. Le titre rap "En te servant du thé" trace le portrait d’une femme meurtrie et victime, portrait chanté par Edgar Sekloka : "Elle combat une égalité d’apparat / Vu ce qu’elle supporte, vu ce qu’elle brave / c’est pas étonnant que ma voix soit grave".
L’EP d’Aynoa doit être écouté comme un album engagé pour que des millions de femmes puissent "sortir de l’ombre", ce que l’extrait "On nous a dit qu’c’était normal" (en featuring avec Noémie de Lattre) assène avec efficacité et sans sensibilité.
Ces dernières années, de nombreux rapports et études posent le même constat : les femmes sont sous-représentées dans le domaine de la musique classique, notamment à des postes de premier plan (direction ou composition).
S’agissant des programmations d’artistes féminines, les choses ne sont pas meilleures. Dans son rapport de 2006, Reine Prat établit un seuil à hauteur de 33 % à partir duquel le groupe minoritaire n’est plus perçu comme tel. Les résultats sont encourageants à partir de 30 %. Or, en France, les chiffres ne sont pas bons : aucun orchestre national n’atteint ce seuil, et seul un opéra, celui de Lille, l'atteint. Les théâtres nationaux ne sont pas mieux lotis : 19 % pour l’Odéon, 21 % pour la Comédie Française et 30 % pour le Théâtre National de Chaillot.
Côté cinéma, le bilan est pire : 20 % de réalisatrices et autant pour les scénaristes et en 2019, le CDMC, Centre de documentation de la musique contemporaine comptait dans ses ressources 10 % de femmes sur le total des compositeurs représentés. Pour autant, la cause progresse et un mouvement de mobilisation pour faire place aux femmes dans la création artistique prend aujourd’hui de plus en plus d’ampleur.
Alors, que faire ?
Aujourd’hui comme hier s’affichent encore sur les murs de nos écoles et écoles de musique de grandes frises chronologiques et d’imposants posters en couleur représentant dans l’histoire de la musique les noms et les portraits d’artistes reconnus. Le résultat est sans appel : des hommes, des hommes, encore des hommes ! Pas un nom, pas un visage de femme.
Une frise inclusive et… pédagogique
À l'initiative de Valérie Philippin, début 2021, Laure Marcel-Berlioz, Jérôme Thiébaux, Claire Haranger-Segui et l’éditeur Jean-Christophe Michel se sont associés pour concevoir une frise chronologique faisant la parité entre femmes et hommes, à destination des lieux d’éducation musicale en première intention. Ils ont travaillé pendant un an à la conception de deux posters allant du Haut Moyen Âge au XXI e siècle, réunissant 100 portraits de femmes et d’hommes, 50 de chaque, ayant œuvré dans la composition musicale. Cette frise se veut redonner leur juste place à des femmes qui ont eu dans leur temps des carrières reconnues et produit des œuvres importantes que l’histoire a, chemin faisant, occultées.
Le projet se poursuit ensuite avec la réalisation de posters confiée à la graphiste Vanessa Vérillon. Après 6 mois de travail, ces posters finissent par paraître aux éditions Symétrie début septembre 2022.
La frise – allant du Haut Moyen Age au XXIe siècle – représente 100 portraits stylisés (50 de compositeurs et 50 de compositrices) réalisés par Vanessa Vérillon dans une esthétique contemporaine, colorée, attractive adaptée au jeune public.
Cette frise permet de redonner leur juste place à des femmes qui ont eu dans leur temps des carrières reconnues et produit des œuvres importantes que l’histoire a occultées.
De plus, de nombreux projets de médiation et des playlists (en cours de réalisation) viendront enrichir et alimenter ce travail dans les semaines et mois à venir.
Avec le soutien du CNM (Centre national de la musique) et AFO (Association française des orchestres) pour le financement. Association Piano and Co pour la diffusion de la frise et l'EPMM (Étude partenariale sur la médiation et les publics - Université de Montréal) pour la réalisation d'outils de médiation.