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georges pompidou

  • Un classique des classiques

    Avant d’être Président de la République, Georges Pompidou a été un brillant agrégé en lettres et un non moins doué professeur en littérature. En laissant une anthologie de la littérature, ce n’est donc pas le successeur du Général de Gaulle à L’Élysée qui s’affirme mais un spécialiste et passionné qui entend offrir "l’essentiel de notre poésie" depuis l’invention de la langue française.  Or, Georges Pompidou a fait mieux que cela. Son Anthologie (éd. Livre de Poche), toujours éditée et disponible, est devenue un must, pour ne pas dire un classique pour les amoureux et amoureuse de la littérature française.

    Il y aura certes toujours matière à redire sur la sélection des textes et des auteurs. Résumer près d’un millénaire de poésie française en 500 pages était un pari impossible, d’autant plus que des auteurs comme Baudelaire ou Victor Hugo ont laissé des centaines de pages absolument uniques. On les trouvera d'ailleurs largement présents. Ajoutons qu’en fin de pages, Georges Pompidou a eu l’idée géniale de proposer un "post-scriptum", en l’occurrence un ensemble de vers souvent isolés se suffisant à eux-mêmes. Le lecteur pourra par là-même trouver l’origine d’expressions connues comme "bonjour, tristesse", "Il fait noir, enfant, voleur d’étincelles" ou "le bel aujourd’hui". Par contre, très peu – trop peu – de femmes figurent dans cette anthologie.

    Du peu connu Eustache Deschamps (1346-1406) ou Charles d’Orléans à Paul Eluard, en passant par Ronsard, Lamartine ou Verlaine, Georges Pompidou fait donc un vaste tour d’horizon des plus beaux textes de la poésie française, ou du moins des textes qui lui semblent les plus représentatifs. 

    Sans surprise, le XIXe siècle se taille la part du lion      

    Parmi ces grandes figures classiques, on trouve en très bonne place François Villon, le premier très grand poète cité (Le Testament, Ballade des Dames du Temps jadis), avant de passer quelques pages plus loin aux auteurs de La Pléiade (Ronsard et Du Bellay notamment. Le lecteur pourra également découvrir quelques auteurs moins connus et des petits maîtres (François de Malherbe, Jean de Sponde ou Théophile de Viau).

    Jean de la Fontaine prend une place d’importance dans cette Anthologie, avec ses célèbres Fables, dont plusieurs sont apprises dès le plus jeune âge. L’auteur sera doublement surpris, et par la présence d’auteurs de théâtre comme Racine ou Corneille – il est vrai que leurs tragédies proposent des pages poétiques incroyables –, et par la discrétion d’écrivains pourtant incontournables en littérature, à l’instar de Molière ou Boileau.

    Sans surprise, le XIXe siècle se taille la part du lion. C’est d’abord le romantisme commencé par André Chénier, mort trop jeune, révolutionnaire guillotiné avant d’avoir sans doute produit l’œuvre majestueuse qu’il promettait. À sa suite viennent des figures géniales, les Lamartine, Vigny, Hugo (près de 50 pages tout de même), Musset, l’incroyable Nerval et ce phare du modernisme que fut Baudelaire, indépassable sans doute et qui a laissé une pléthore de successeurs, jusqu’à aujourd’hui.

    Baudelaire figure d'ailleurs parmi les préférés de Pompidou qui choisit néanmoins de ne s’intéresser qu'aux Fleurs du Mal – avec cependant des poèmes dont on peut regretter l’absence ("A une mendiante rousse" ou "Bien loin d'ici" pour ne citer qu’eux). Avec Mallarmé, le génial Verlaine et Rimbaud, nous entrons vite dans le XXe siècle. Le lecteur pourra rester imperméable à la poésie de Paul Claudel mais il pourra être subjugué par les textes d’Apollinaire. Le recueil s’arrête avec Paul Eluard, l’un des derniers grands classiques – l'Anthologie a été terminée au début des années 60. Pompidou explique ce choix par un désir de ne pas parler des contemporains et des vivants.

    Choisir c’est renoncer, comme le dit l’adage. Cette anthologie a fait des choix clairs et assumés, permettant d’avoir tout de même un tableau pertinent du meilleur de la poésie classique française. Chose remarquable, il a fait de son Anthologie de la poésie française un classique de la littérature. 

    Georges Pompidou, Anthologie de la poésie française, éd. Hachette, coll. le Livre de Poche, 1967, 533 p.
    https://www.hachette.fr/livre/anthologie-de-la-poesie-francaise-9782253005438

    Voir aussi : "Poésie feel good"
    "La Pléiade avec Outre Mesure"

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  • Héros, salauds et intellos sous l’Occupation

    Dans son essai Vingt intellectuels sous l’Occupation (éd. du Rocher), Laurent Wetzel cite le Général de Gaulle qui dit ceci dans ses Mémoires de Guerre : "Les écrivains, du fait de leur vocation de connaître et exprimer l’homme, s’étaient trouvés au premier chef sollicités par cette guerre où se heurtaient doctrines et passions. Il faut dire que la plupart et, souvent, les plus grands d’entre eux avaient pris le parti de la France, parfois d’une manière magnifique. Mais d’autres s’étaient, hélas ! Rangés dans le campo opposé avec toute la puissance de leurs idées et de leur style." Cet extrait se trouve dans le chapitre consacré à Robert Brasillach, le plus célèbre de ces intellos engagés dans le camp de Pétain, et aussi la seule de ces figures à avoir été exécutée après la Libération.

    De Gaulle et Pétain : voilà bien la ligne de fracture fondamentale entre les deux camps dont parle Laurent Wetzel, bien qu’elle ne soit pas la seule. Car, outre les désaccords au sujet d’une paix signée avec l’Allemagne, c’est aussi l’antisémitisme qui distinct Résistants et Collaborationnistes.

    Laurent Wetzel a fait le choix de portraits synthétiques pour retracer cette grande histoire qu’a été la vie intellectuelle en France pendant la seconde guerre mondiale. Une grande histoire avec ces héros, ces lâches, ces salauds mais aussi ces figures équivoques. Pour cela, l’auteur, intellectuel lui-même (normalien, maître de conférence d’histoire contemporaine à Sciences Po et professeur d’histoire politiques à Sup de Co), a divisé son livre en trois parties : les deux premières, "Figures d’intellectuels résistants" et "Figures d’intellectuels collabos", retracent chacune le parcours de huit personnalités. La dernière, "Figures d’intellectuels ambivalents", est singulièrement la moins développée, bien qu’elle reste passionnante puisque les quatre célébrités évoquées sont ni plus ni moins que Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, Georges Pompidou et François Mitterrand. Que du gros calibre.

    Laurent Wetzel s’attache à décrire des parcours hors du commun dans une France déchirée et en guerre. Quelques figures parlerons très certainement au lecteur.

    Parmi les Résistants, il y a, pour commencer, Marc Bloch et Pierre Brossolette, tous deux tués en 1944. On retiendra aussi René Cassin, en raison des conséquences qu’eurent son engagement. L’auteur rappelle que ce dernier, condamné à mort par contumace du fait de ses responsabilités dans la France Libre, a vu 27 membres de sa famille disparus en déportation, dont sa mère, sa sœur et son beau-frère. Laurent Wetzel relate également ses distensions avec le Général de Gaulle pendant et après la guerre, comme les engagements français et internationaux de René Cassin : création de l’Unesco, élaboration de la déclaration des droits de l’Homme et Prix Nobel de la Paix. Le fascinant Jean Prévost, l’homme d’Eglise Jules Saliège et Jacques Soustelle font l’objet eux aussi de portraits passionnants, avec parfois, comme pour l’archevêque de Toulouse, des positions réservées au sujet du Général De Gaulle. Jacques Soustelle, lui aussi, se détournera du chef de la France Libre. Il regretta, par exemple, "l’épuration… ratée". Deux figures féminines, les seules de cet ouvrage, complètent ce tableau de la Résistance intellectuelle : il s’agit de Germaine Tillion et de l’exceptionnelle Simone Weil (à ne pas confondre avec la femme politique et ancienne déportée Simone Veil).

    Les angles morts de l’épuration

    De l’autre côté de la barrière, il y a ces écrivains, philosophes, essayistes et professeurs d’université qui ont choisi le camp de Vichy. À ce sujet, Laurent Wetzel n’hésite pas à parler dans le chapitre consacré à Claude Jamet (le père d’Alain Jamet, vice-président du Front National et Dominique Jamet, journaliste et Président de la BnF), de ce qu’il appelle un "paradoxe" de cette époque : "L’alliance des pacifistes les plus ardents avec les soldats d’une société guerrière."

    Il y a ces figures proprement sulfureuses : Robert Brasillach, nous l’avons dit, qui a payé de sa vie des engagements qu’il n’a jamais reniés. Marcel Déat, "un ami de la Waffen SS", fait lui aussi partie de cette inconditionnels de la Collaboration, "avec d’autant plus de désintéressement qu’il croyait que sa réussite personnelle serait bienfaisante pour son pays" (cette citation est extraite de la biographie que lui a consacrée Georges Albertini). Laurent Wetzel n’oublie par Pierre Drieu La Rochelle, homme de lettres souvent cité et décrié, antisémite convaincu mais aussi "hitlérien déçu" qui, nous apprend l’auteur, "se convertit sur le tard au communisme et au stalinisme". Le cardinal Alfred Baudrillart a eu lui aussi des positions antinomiques : antinazi proclamé avant la guerre, adversaire de Hitler, le cardinal et membre de l’Académie française fait un virage à 180 degrés après le déclenchement de la guerre et l'Exode, montrant son aversion pour "le traître de Gaule", son accord pour la paix signée par Pétain, son adhésion à l’ordre vichyste et même sa fascination pour "la personnalité et l’éloquence d’Hitler". Autant d’attitudes qui lui vaudront bien des inimitiés.

    Parmi les portraits consacrés à ces figures noires de la vie intellectuelle française, il y a ceux qui sont singulièrement passés à côté de l’épuration, dont Jacques Benoist-Méchin, Claude Jamet ("J’espère l’avenir sous le visage nazi") ou Georges Soulès ("fanatiquement collaborationniste"). Un autre de ces intellos fourvoyés se détache, et pas forcément le plus connu : Jean-Paul Hüter, un "intellectuel parmi les plus remarquables de sa génération" comme l’écrit Laurent Wetzel. Cet hitlérien convaincu meurt en 1944 en Lituanie, sous l’uniforme de la Wehrmacht.

    En consacrant la dernière partie de son essai à deux Présidents de la République, Pompidou et Mitterrand, Laurent Wetzel montre aussi en filigrane les échecs de l’épuration, ou du moins ses angles morts. Raymond Aron, qui s’est mis à distance et du Général de Gaulle et du Maréchal Pétain, disait d’ailleurs ceci : "Si l’épuration avait été mieux conduite, si les principaux responsables avaient été rapidement et solennellement châtiés, il eût été plus facile de se désintéresser des lampistes…" Peu touché par la Libération, Jean-Paul Sartre n’en reste pas moins un intellectuel – et pas des moindres ! – dont les positions sont encore très discutées et critiquées.

    Voir Georges Pompidou présent dans cette dernière partie peut surprendre. Le futur gaulliste, "attentiste" pendant l’Occupation, n’a jamais nié que ses engagements dans la Résistance ont été très limitées. Pour autant, il fit circuler quelques tracts : des "actions isolées et sans portée". Il montra également une certaine indulgence envers d’autres intellectuels aux positions critiquables, comme Jean Guitton.

    Plus troublante est la carrière du jeune François Mitterrand pendant cette période noire : proche de l’extrême-droite dans l’entre-deux-guerres, puis prisonnier en 1940 et évadé d’un stalag avant de devenir haut-fonctionnaire pétainiste, il a été décoré de la Francisque. Le futur Président socialiste "entretenait de bons rapports avec l’entourage du maréchal Pétain et approuvait les principes de la Révolution nationale". Mais il bascule en 1943 dans la Résistance, non sans un certain courage. Il créa même son propre réseau. S’il y a un homme controversée qui a bien sa place dans cette partie, c’est bien lui.

    En s’arrêtant sur ces personnalités du monde intellectuel au milieu de la seconde guerre mondiale, Laurent Wetzel montre bien la manière dont les têtes les mieux faites peuvent se fourvoyer dangereusement, et souvent avec la meilleure foi du monde. Pierre Drieu La Rochelle l’exprime à sa manière : "Si l’intellectuel garde son iondépendance et sa pureté de pensée, il est considéré par les politiciens comme un homme de paille d’autant plus utilisable à l’égard des foules aveugles qu’il est lui-même aveugle."

    Laurent Wetzel, Vingt intellectuels sous l’Occupation, éd. du Rocher, 2020, 233 p.
    https://www.editionsdurocher.fr
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Wetzel

    Voir aussi : "Parisiennes et Parisiens dans l'exode"

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