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jésus

  • Moi, Marie-Madeleine

    Après la chronique consacrée au Jésus de Roland Hureaux (éd. Desclée de Brouwer), faisons le grand écart avec cette fois une autobiographie romancée sur une de ces femmes qui a accompagné la prédication du Christ.

    On la doit la journaliste, écrivaine et féministe espagnole Cristina Fallarás, dont le roman L’Évangile selon Marie-Madeleine (El Evangelio según María Magdalena), publié en France aux éditions Hervé Chopin, a fait couler de l’encre de l’autre côté des Pyrénées. C’est au lecteur français de se faire une idée grâce à la traduction de cette fausse autobiographie qui a décidé pour le moins de prendre ses libertés avec les sources canoniques. L’antithèse donc de la biographie sage (trop sage ?) de Roland Hureaux.

    La Marie-Madeleine de Cristina Fallarás, loin d’être la prostituée colportée par la tradition, est une fille de commerçant, issue d’une puissante lignée aristocratique, celle de la reine juive Salomé Alexandra, "la dernière à occuper un trône indépendant pour les juifs". Une fierté pour cette femme, mais aussi, on s’en doute, un modèle pour cette habitante d'une civilisation patriarcale. Marie-Madeleine regarde avec intérêt son père s’occuper de la conserverie de poisson au bord de la mer de Galilée, apprenant par là-même les rudiments du métier. Une vie paisible donc, jusqu’à l’assassinat de son  père par la secte des Zélotes, en raison des fête qui tourne au massacre.

    Orpheline, l’adolescente est envoyée à Rome et y reste quelques année, avant de revenir s’occuper du commerce de son père. Alors qu’elle reprend en main l'entreprise familiale, elle apprend que les prêches d’un Nazaréen draine des foules. C’est d’autant plus mauvais pour les affaires que plusieurs pêcheurs ont abandonné leurs bateaux pour suivre ce prophète qui est surnommé "fils de Dieu". Intriguée, Marie-Madeleine, par l’entremise de son ami Lévi (Matthieu dans les Évangiles synoptiques), propose à ce Nazaréen son aide, alors que les disciples grossissent à vue d’œil. 

    "J’ai toujours su que Simon-Pierre était un nuisible"

    Prenant à contre-pied les Évangiles, Cristina Fallarás conte le ministère de Jésus à travers le regard d'une femme - et pas n'importe laquelle. Mieux, l’auteure espagnole fait une lecture féministe de ces quelques années qui ont révolutionné le monde, et le moins que l’on puisse dire est que les paroles de Marie-Madeleine sonnent clairement à nous, contemporains et contemporaines du XXIe siècle.

    Cristina Fallarás imagine une femme non seulement éduquée mais en plus forgée par une histoire familiale édifiante. Il y a cette aïeule, Salomé Alexandra, l’assassinat de son père ensuite, victime de fous de Dieu, une éducation humaniste auprès des conquérants romans et surtout un caractère bien trempé dans un pays dominé par les hommes. Il faut aussi souligner son idéalisme, lorsqu’elle regarde ses consœurs écrasées par des lois masculines et la société guidée par la violence : elle veut "en finir avec le pouvoir, les lois, le Temple, l’obéissance, la tyrannie du châtiment et la violence…" Rien d’étonnant si elle trouve dans Jésus un alter-ego : "J’avais découvert ce que nous avions en commun".

    En romancière,  Cristina Fallarás imagine un destin commun pour ces deux-là, qui fera hurler, on s’en doute, pas mal de croyants.

    Marie-Madeleine réserve ses mots les plus durs pour les disciples et les apôtres de Jésus. Elle les qualifie d’idiots ("Bande de simples d’esprit", "J’ai toujours su que Simon-Pierre était un nuisible") et, pire, de lâches lorsque le Nazaréen (Jésus, donc) est arrêté ("Face à la mort, ceux qu’on appelle disciples ou fidèles partisans disparaissent… et (…) seules les femmes restent"). Après son arrestation, qui sera suivi de ses tortures et de son exécution, seules quelques femmes vont tenter de le soutenir, alors que les hommes fuient Jérusalem. Ce sont pourtant eux qui vont s’atteler à réécrire le récit des Évangiles officielles à leur compte, ce que Marie-Madeleine condamne comme une injustice, un mensonge et une faute morale : "Tous les faux témoignages des scélérats qui alors même qu’ils n’ont pas accompagné le Nazaréen, profitent de lui, ne sont que des bobards".

    Le lecteur prendra ce livre pour ce qu’il est : un roman. Mais c’est un roman engagé qui met à l’honneur les femmes des Évangiles, trop effacées dans les textes officiels, pour des raisons bien entendu idéologiques. Grâce à son best-seller, Cristina Fallarás met à l’honneur une figure importante du ministère de Jésus, qualifiée à tort, sans doute, de prostituée. L’éditeur rappelle que le pape François a décidé, en 2016, d’élever Marie-Madeleine au rang "d’apôtre des apôtres".

    Cristina Fallarás, L’Évangile selon Marie-Madeleine, éd. Hervé Chopin, 2022, 256 p.
    Traduit de l’espagnol par Anne-Carole Grillot
    https://www.hc-editions.com/livres/levangile-selon-marie-madeleine
    https://www.facebook.com/herve.chopin.5
    Cristina Fallarás : Chaîne Youtube


    Voir aussi : "Jésus, l'inconnu le plus célèbre du monde"

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  • Jésus, l'inconnu le plus célèbre du monde

    Parmi les figures majeures de l’histoire mondiale, celle de Jésus tient une place à part. Personnage-clé, homme fascinant mais à la carrière brève (au plus, trois années d’activités publiques qui ont attiré les foules), n’ayant jamais eu de pouvoir public ni laissé d’écrits directs, Jésus est le personnage de l’Antiquité le plus connu, avant même Socrate dont il partage certains traits communs. L'histoire de Jésus est aussi relativement bien documentée, avec des textes nombreux pour un homme de cette époque.

    Roland Hureaux, dans son essai Jésus de Nazareth (éd. DDB), revient aux sources principales que sont les Évangiles. L’auteur le fait avec rigueur, bien loin des lectures plus ou moins révolutionnaires qu’en ont fait avant lui d’autres essayistes. Disons-le : l’étude de Roland Hureaux, en choisissant de ne s’arrêter que sur les quatre Évangiles synoptiques (Luc, Mathieu, Marc et Jean), et en laissant de côté les écrits apocryphes, ne pouvait pas s’éloigner de la vision traditionnelle de celui qui a bouleversé l’histoire de l’humanité.

    De la même manière, le linceul de Turin se voit redéfini comme pièce à conviction, comme il l'il l'a été pendant des siècles, en dépit des analyses qui en ont été faites au carbone 14. L’auteur s’en explique d’ailleurs, comme il justifie son choix, à quelques exceptions près, de ne pas s’attarder sur les écrits apocryphes (Évangiles de Thomas, de Philippe, de Judas ou de Marie, Le Rapport de Pilate à l’Empereur ou Le Livre de la Résurrection), qu’il estime, sinon peu fiables du moins (trop) tardifs et souvent sous influence de la gnose, lorsqu’ils ne sentent pas "l’esprit romancé" (Histoire de l’Enfance de Jésus).

    C’est aussi l’occasion pour  Roland Hureaux de poser la question de l’appartenance ou non de Jésus aux Esséniens

    Là où Roland Hureaux se montre passionnant et novateur c’est dans son tableau d’Israël au Ier siècle : les généalogies de Jésus, ses parents, sa naissance (qui est assez peu discutée aujourd’hui, à savoir en -4) et surtout la société et la politique de l’époque. L’écrivain met aussi en perspective la carrière de Jésus avec les écrits de l’Ancien Testament qui auraient annoncé sa venue. Le lecteur de 2021 découvrira les mouvements politico-religieux de cette époque : pharisiens, zélotes, sadducéens, esséniens et tous ces groupes inféodés ou non à l’envahisseur romain. C’est aussi l’occasion pour  Roland Hureaux de poser la question de l’appartenance ou non de Jésus aux Esséniens. Sa réponse pourrait bien surprendre aux entournures.

    Après un portrait de l’homme Jésus, dont les qualités sont développées, suit une partie importante sur sa prédication, assez courte comme nous l’avons dit. Plutôt que la chronologie, l’essayiste préfère prendre des thématiques en s’appuyant sur de nombreux extraits des quatre Évangiles : le retour aux lois juives, la sagesse, les paraboles ou la place de l’argent. Une autre question, complexe, est posée : quel Messie Jésus est-il ? Une autre partie est consacrée aux miracles, sans toutefois que l’auteur ne tranche sur leur véracité ou non, pas plus qu’il ne le fera plus tard en parlant de la résurrection.

    Plus étonnant, Roland Hureaux s’arrête sur le personnage de Paul, qu’il identifie dans une des scènes. L’organisation de Jésus est également décrite avec soin dans un long chapitre, faisant clairement apparaître un embryon de mouvement organisé.

    Les deux dernières parties de l’ouvrage, en se consacrant à l’arrestation et à l’exécution de Jésus, font clairement apparaître les responsabilités des notables juifs comme des Romains, dont la cruauté est soulignée et mise en perspective. L’arrêt brutal de la prédication de cet homme mystérieux qu’est Jésus fait dire ceci à Roland Hureaux : "Que Jésus ait été trahi par un des siens [Pierre] puis abandonné par tous ses apôtres sauf un [Jean], montre d’abord la fragilité de l’œuvre qu’il avait tenté d’édifier au cours des quelques mois de sa vie publique". Lorsque Jésus est exécutée, de la pire manière qu'il soit, le mouvement de prédication qu'il a initié semble promis à disparaître. On connaît la suite.

    Roland Hureaux, Jésus de Nazareth, roi des juifs, éd. Desclée de Brouwer, 2021, 576 p.
    https://www.editionsddb.fr/livre/fiche/jesus-de-nazareth-roi-des-juifs-9782220092034

    Voir aussi : "La disparition d’un curé de campagne"
    "Dante, voyage au bout de l'enfer"
    "Approcher Marie Noël"

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  • La mariée et l’orphelin

    Faire le rapprochement entre ces deux films d’horreur que sont Wedding Nightmare et Brightburn : L'Enfant du mal, sortis à la même époque dans les salles obscures, n’a rien d’aberrant.

    Ces deux petits films américains, misant sur la peur, ont au moins un point commun : s’attaquer à leur manière aux valeurs traditionnelles que sont la famille et le mariage. Autre point commun : le budget modeste et un casting sans grande star - si l’on excepte Andy McDowell pour Wedding Nightmare.

    Brightburn : L'Enfant du mal conte l’histoire d’un enfant démoniaque, Brandon, adopté par Tori et Kyle Breyer, un couple en mal d’enfant. Leur bénédiction viendra des étoiles, puisqu’à la faveur de l’écrasement d’un vaisseau extraterrestre, nos deux amoureux recueillent un bébé – en réalité un alien anthropomorphe – qui va devenir leur seul et unique rejeton. Quelques années plus tard, devenu pré-adolescent, le garçon s’aperçoit qu’il a des dons de super-héros, mais qu’il va mettre au service de causes malfaisantes. Et c’est bientôt ces vrais-faux géniteurs qui vont en faire les frais . Le pitch de ce film diablement méchant, et dépourvu de toute espèce de rédemption, est une relecture un brin angoissante d’une naissance divine : enfant né des étoiles, père et mère inconnus, pouvoirs extraordinaires, visions d'ascension, place centrale donnée à une grange… On aura vite deviné que le scénario reprend à son compte des symboles christiques, pour renverser totalement le message et faire du petit bonhomme un être inquiétant, bien décidé à semer le chaos dans le monde.

    Intrigues subversives

    Diabolique, Wedding Nightmare l’est tout autant. Dans la famille des Le Domas, une tradition oblige chaque jeune marié.e à se prêter à un jeu. Lorsque Grace, follement amoureuse du fils Alex, tire la carte qui va décider de l’épreuve, c’est une partie de cache-cache qui lui est proposée. Le hasard fait mal les choses, car la mariée a l’obligation de ne pas être retrouvée, et ce jusqu’à l'aube - sinon, c’est la mort assurée. Une course folle commence dans les couloirs de l’inquiétant château. La jeune mariée espère cependant compter sur le secours de son jeune époux.

    Amateurs de jeux de massacres à l’arme blanche, Weddingt Nightmare est pour vous. On trouve un plaisir presque sadique à suivre la chasse à l’homme - à la femme en l’occurrence - et à voir les protagonistes tomber les uns après les autres, de la manière la plus gore possible, et ce jusqu’à la grande boucherie finale.

    Mais ne nous y trompons pas : comme pour Brightburn : L'Enfant du mal, la cible visée n’est pas cette innocente mariée ou ces parents trop aimants mais bien le mariage et la famille. Ce qui n’empêche pas les scénaristes de transformer les proies en chasseurs, lorsque par exemple Grace se transforme littéralement en Carrie vengeresse ou lorsque le père de Brandon choisit de prendre l’arme contre son propre fils. À ce moment, les intrigues devient carrément subversives. Subversion trouvant d’ailleurs son illustration sonore dans Brightburn : L'Enfant du malavec la bande-son d’une certaine Billie Eilish, qui propose son titre qui l’a fait connaître et qui convient à merveille pour ce film : "I'm that bad type / Make your mama sad type / Make your girlfriend mad tight / Might seduce your dad type /I'm the bad guy" (Bad Guy).

    Ces deux petits films d’horreur sont à voir en ce moment sur Canal+ .

    Brightburn : L'Enfant du mal, film d’horreur américain de David Yarovesky, avec Elizabeth Banks, David Denman, Jackson A. Dunn, Matt L. Jones et Meredith Hagner, 91 mn, 2019
    sur Canal+

    https://www.canalplus.com/cinema/brightburn-l-enfant-du-mal
    Wedding Nightmare (Ready Or Not), film d’horreur américain de Matt Bettinelli-Olpin
    Tyler Gillett, avec Samara Weaving, Adam Brody, Mark O'Brien, Henry Czerny, Andie MacDowell, Nicky Guadagni, Melanie Scrofano, Elyse Levesque et Kristian Bruun, 95 mn, 2019, sur Canal+
    https://www.canalplus.com/cinema/wedding-nightmare

    Voir aussi : "Quand je pense à la vieille Anglaise"

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  • Dieu, quels humains !

    yves caussiol,théâtre,jésus,dieu,désert médical,normandie,théâtre montmartre galabruÉvidemment, faire une chronique sur une pièce de théâtre écrite c’est ne voir qu’un revers d’une médaille : parler d’un texte sans pouvoir évoquer la mise en scène et l’interprétation.

    Come back incognito d’Yves Caussiol, cette "histoire […] plaisante, cocasse, grinçante et pleine d’humour", comme le dit Michel Le Royer de la Comédie française, a été adapté sur planche à Paris au Théâtre Montmartre Galabru. Mais puisqu’une pièce de théâtre est d’abord un texte écrit avant d’être joué, intéressons-nous à cette fable d’Yves Caussiol.

    Dans un village normand, un ancien interne arrive comme le messie pour s’installer dans un cabinet et remplacer un médecin sur le point de partir à la retraite : cela tombe bien car ce nouveau confrère est précisément le messie ! Jésus s’ennuie en effet et veut revoir les hommes malgré les (mauvais) souvenirs dont il garde de son séjour sur terre : "En bas, au moins, il y a de l’action, des guerres. Ici, je ne sers plus à rien, je m’ennuie."

    Réincarné en jeune médecin, sous le nom d’Issa, Jésus découvre la vie d’un cabinet en plein désert médical. Comme abandonné au milieu d’une population de pauvres hères : une secrétaire acariâtre, un agriculteur paralysé – que Jésus, bien entendu, refait marcher – un maréchal-ferrant passablement "vicieux", un enseignant usé, une prostituée et deux agricultrices.

    Une comédie à la fois joyeuse et grinçante

    Aussi perdu que ces habitants, Jésus se débat pour exercer une médecine plus ou moins orthodoxe, et aux méthodes qui, pour le moins, ne laissent personne indifférent. Mais il a surtout cette capacité de discuter et d’écouter avec bienveillance, en dépit de l'incompréhension manifeste entre le Christ et des humains dans ce trou normand... Grâce à Issa/Jésus, les habitants en ressortent bouleversés : "Ah Seigneur ! Vous m’avez exaucé en m’envoyant ce remplaçant. Mes patients seront entre de bonnes mains, je pourrai enfin me reposer", dit son vieux prédécesseur dans un des monologues du dernier acte. Le Fils de Dieu en sortira lui aussi changé, avec d’autres projets pour ces frères humains.

    Il fallait une sacrée audace pour oser proposer une œuvre autour d’une divinité descendant sur terre. Yves Caussiol le fait dans une comédie à la fois joyeuse et grinçante. L’auteur choisit pour décor un lieu qu’il connaît bien : un cabinet au cœur d’un désert médical, lui qui a été dentiste dans le civil avant d’entamer une seconde carrière dans le théâtre, d’abord comme acteur puis comme auteur avec cette première pièce.

    Pour Come back incognito, Yves Caussiol choisit la farce et la fable pour parler de conditions humaines. Les calembours, des jeux de mots ou des quiproquos parsèment une pièce dans laquelle les hommes et les femmes sont des pantins, des clowns ou des caricatures mais aussi des êtres de chair et de sang tour à tour perdus , grossiers, déprimés, misérables ou encore plein d’espoir.

    Il ne reste plus au lecteur que de découvrir ou redécouvrir cette pièce sur scène.

    Yves Caussiol, Come back incognito, éd L’Harmattan, coll. En scène, 2019, 68 p.
    https://caussiolyves.wixsite.com/cbi2019
    https://www.editions-harmattan.fr

    Voir aussi : "Iphigénie d’Europe"

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