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Rarement un parti politique n'aura été autant scruté que le Front National, a fortiori en cette période électorale. Marine Le Pen démasquée (éd. Livre de Poche), sorti en 2012, et résolument engagé, apporte un éclairage supplémentaire sur le parti d'extrême-droite français qui a su avec le temps devenir un acteur incontournable de la vie politique française.
Le grand mérite de Caroline Fourest et Fiametta Venner est de répondre à cette question : après des décennies de gouvernance de Jean-Marie Le Pen, le Front National a-t-il changé avec la présidence de sa fille Marine Le Pen ? Le discours officiel de cette dernière laisse entendre que la "dédiabolisation" de son parti est une réalité et que le Front National est devenu un parti démocratique et "normalisé" à vocation populaire. Un parti devenu la troisième force politique française. Le FN martial, dangereux et arrogant serait-il une histoire ancienne, grâce à sa jeune dirigeante, a priori moins autoritaire et violente que son père ? Voire, répondent les deux journalistes : le Front national garde "le même logiciel", le "même code génétique" qu'il avait durant la présidence de Jean-Marie Le Pen. Il apparaît, au vu des témoignages et des faits collectés, que Marine Le Pen, sous couvert d'un discours laïc - qui d'ailleurs a fait bondir des historiques, Bruno Gollnish en tête, attachés à des valeurs chrétiennes, nationalistes, voire racistes - conserve la même volonté de continuer l'œuvre de son père.
Montrer l'aspect clanique du parti d'extrême-droite n'est pas le moindre des mérites de cet essai. Car le Front National semble bien fonctionner en huis-clos où le népotisme et le favoritisme ne sont pas des vains mots. Les auteurs reviennent également longuement sur un aspect passé sous silence depuis l'arrivée de Marine Le Pen : le Front National aurait perdu ses éléments les plus sulfureux : nationalistes forcenés, nostalgiques de Vichy, skinheads, antisémites, révisionnistes de tout poil, voire païens néonazis. Erreur, répondent les journalistes ! Même si le "nouveau Front National" prend soin de ne plus apparaître sous ce visage, le parti d'extrême-droite n'a pas renié ces courants catholiques traditionnels, révisionnistes ou fascistes. Ils sont juste conviés à plus de discrétion. Au final, voilà un essai qui montre autant qu'il dénonce un parti d'extrême-droite dangereux et volontiers cynique : l'exemple du suicide d'une ancienne candidate FN - et escort-girl - est l'exemple sans doute le plus frappant.
Caroline Fourest et Fiametta Venner, Marine Le Pen démasquée, Le Livre de Poche, 2012, 461 p. Site de Caroline Fourest
C'est Roland Barthes qui peut être invoqué lors de la lecture de ces cinq essais regroupés sous le titre Mythologie des Présidentiables de Francis Métivier (éd. Pygmalion). L'auteur de Mythologies est d'ailleurs référencé dans le texte qui est consacré à Marine Le Pen, dans une citation pour le moins peu flatteuse : "Dans son article sur « Poujade et les intellectuels », Roland Barthes considère Le Pen père comme le représentant principal d’une catégorie de racistes dite raciste selon « le Sang »"
Dans la pléthore de textes sur une campagne présidentielle démente, le philosophe et écrivain Francis Métivier prend le parti d'analyser la posture et surtout les discours idéologiques des candidats, tant il est vrai, écrivait Roland Barthes, que "le mythe ne cache rien, sa fonction est de déformer, non de faire disparaître."
Voilà donc cinq essais, à la fois pertinents, intelligents et drôles, consacrés aux cinq principaux candidats, François Fillon, Benoît Hamon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Francis Méthivier met volontairement de côté les programmes et les argumentaires politiques pour s'intéresser aux postures (mais aussi aux impostures) de ces hommes et de ces femmes promis à un destin exceptionnel.
Il est loin le temps du "Président normal" conceptualisé par François Hollande il y a cinq ans. Pour cette élection étonnante, Francis Métivier dissèque chaque candidat pour en faire des mythes aux yeux de la société. Plutôt que de parler de programmes politiques, de représentations de la France ou de traces laissées dans l'histoire, il est plus juste de parler d'idéologies, de doxa et de discours.
Francis Métivier passe au tamis ces hommes et ces femmes – dont le/la futur(e) président(e) – pour les portraitiser en personnages divins, semi-dieux, héros mythologiques ou véritables démiurges : François Fillon est "le chevalier blanc – bien noirci – de la morale", Benoît Hamon représente "la résurgence du mythe hippie", Marine Le Pen est "l’anti-Jeanne d’Arc », Emmanuel Macron "le nouveau Moïse" et Jean-Luc Mélenchon "le Zeus révolutionnaire." Rien que ça.
Aux yeux de l'auteur, Fillon endosse le costume sur mesure (sic) du héros sans tâche devenu en quelques semaines un "Raspoutinedes urnes", renversant complètement la grille de lecture de ce candidat malmené par les affaires. "Sa mythologisation l’a fait accéder à un piédestal et il refuse d’en descendre." Au cœur de sa démarche de poursuivre sa campagne contre vents et marées, il y a cette idée machiavélique que la realpolitik et le sens de l'État guident l'homme de pouvoir : "Un esprit sage ne condamnera jamais quelqu’un pour avoir usé d’un moyen hors des règles ordinaires pour régler une monarchie ou fonder une république." Mentir serait une vertu politique et une marque de virilité.
Bien plus cruelle est l'analyse que Francis Métivier fait de Marine Le Pen, "l'anti-Jeanne d'Arc". Les vertus cardinales prônées par la candidate d'extrême-droite - prudence, tempérance, justice et courage - cadrent assez mal avec le discours et la posture de la présidente du FN. Contre l'apocalypse sur terre et en France, la leader d'extrême-droite entend se dresser violemment contre un complot général : "Les étrangers qui ne réussissent pas et sont des prédateurs, les étrangers qui réussissent et prennent nos places." Un ennemi sans visage viendrait dénaturer "notre" France. Le salut viendrait des Le Pen : faire table rase du passé et refaire notre pays à notre image. "La France Le Pen, c’est Sun City, une senior transition, avec tout le confort auquel le bon Français de souche a droit, protégé par des vigiles et de hauts barbelés. Bref, une prison qui s’ignore." La filiation Jean-Marie Le Pen - Marine Le Pen est tout sauf anecdotique. Elle construit la mythologie familiale de la candidate, et les pièces rapportées (Bruno Gollnish, Gilbert Collard, Florian Philippot, et cetera) n'ont de fonctions que servir "le sang" des membres naturels du FN (Jean-Marie, Marine mais aussi Marion-Maréchal).
Emmanuel Marcron, figure atypique de cette campagne décidément pas comme les autres, est présenté par Francis Métivier comme ce "dragueur de supermarché," d'abord habile à manager et à vendre : "La fin du discours de la porte de Versailles est éloquente (criez dans votre tête) : « Mais maintenant, votre responsabilité, c’est d’aller partout en France, pour le porter, et pour gagner ! Ce que je veux, c’est que vous, partout, vous alliez le faire gagner, parce que c’est notre projet ! »" Pour le reste, l'auteur pourfend le manque d'idées et de projets politiques à ce candidat surprise : "« Que m’est-il permis d’espérer ? » demandait Kant. Macron répond : du pouvoir et de l’argent." Emmanuel Macron serait un "évangéliste sans dieu", une rock-star et même, plus sévère, "un Hun, le Attila de la politique qui brûle par la parole les terres de la politique, sans être capable d’y faire repousser quoi que ce soit."
Jean-Luc Mélenchon n'est pas plus ménagé par Francis Métivier. Se situant dans "la mythologie marxiste," le chef du principal parti d'extrême-gauche adopte une posture (ou imposture?) révolutionnaire : la veste mao, le triangle rouge inversé ( triangle maçonnique, triangle du déporté politique et rouge communiste) et le φ (phi) comme symbole de la France Insoumise "fi"). "Mélenchon est le héros caché d’une révolution inéluctable qui n’aura pas lieu. Les promesses vaines d’une vraie dictature du prolétariat, juste et fabuleuse, qui aurait réussi." L'auteur s'arrête longuement sur ce fameux φ et en analyse la portée symbolique particulièrement riche (la validation sur le bulletin de vote, la signification en grec ou le nombre d'or). Mélenchon revêt le costume d'un Zeus vengeur, colérique et tout puissant. "Il y a aussi l’écologie Mélenchon. Il s’est ajouté cette nouvelle fonction divine : faire la pluie et le beau temps." Cette omnipotence (symbolisée par ces fameux hologrammes des meetings) va jusqu'à un certain culte de la personnalité : "« Le média, c’est moi », déclare-t-il. Là encore, tel un dieu du polythéisme, il cumule les fonctions : il est à la fois la parole et le moyen de sa circulation. Une manière à la Trump de mépriser une presse pourtant indispensable."
Dans cette galerie de candidats croqués férocement, Francis Métivier analyse Benoît Hamon avec une certaine bienveillance. Le candidat socialiste est l'idéaliste de service, l'homme de cœur et le "hippie" aventurier. Ce "baba-cool" en costume trois pièces "pense la politique" et regarde l'avenir avec une obstination qui suscite l'admiration de l'essayiste : "Le programme Hamon relève de la fabulation au sens de Bergson... Bergson écrit, dans Les Deux Sources de la morale et de la religion : « Demandons-nous quel était le besoin. Il faut remarquer que la fiction, quand elle a de l’efficace, est comme une hallucination naissante : elle peut contrecarrer le jugement et le raisonnement, qui sont les facultés proprement intellectuelles. » La raison politique est déprimante. La fabulation revigore." Le revenu universel pour tous et le cannabis légalisé relèvent d'une utopie nouvelle dans cette campagne comme pour un parti socialiste habitué à plus de pragmatisme. Là où Mélanchon est dans les gadgets de l'auto-consommation, Hamon est un poète autant qu'un philosophe idéaliste qui entend "faire planer" et rendre le "futurdésirable". "
Tous les candidats travaillent dans l’urgence et obéissent à la demande d’immédiateté, la dictature du « maintenant ». Les réponses et des mesures maintenant ! Tout le monde cède. Sauf Hamon. Il ne gagnera pas, alors autant qu’il soit cool." Voilà qui est dit.
Francis Métivier, Mythologie des Présidentiables, éd. Pygmalion, 5 essais de 30 p. chacun, 2017
Une forme d'unanimité a suivi l'attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo, unanimité qui a été illustrée par ce slogan quasi spontané : "Je suis Charlie".
Une unanimité que les survivants de la revue satirique ont salué avec émotion mais aussi aussi avec une amertume compréhensible. La journaliste Zineb, qui n'était heureusement pas présente lors du tragique comité de rédaction, n'a pas manqué de se féliciter de ce soutien universel, tout en regrettant qu'il vienne bien tardivement et après la mort de douze personnes dans les conditions tragiques que l'on sait. Un des autres rescapés, le dessinateur Luz, va plus loin, considérant que les manifestations monstrueuses vont "à contre-sens de Charlie".
"Je suis Charlie" ont proclamé des millions de personnes en France et dans le monde ; or, force est de constater que cela n'a pas été toujours le cas.
Il est certain que dans la période pré-7 janvier, l'hebdomadaire s'est trouvé bien seul dans son combat quotidien pour la liberté de la presse. Ainsi, lorsque Charlie Hebdo a publié en 2005 les caricatures de Mahomet du journal danois Jyllands-Posten, un certain nombre de voix ont critiqué son "manque de responsabilité". Hommes publiques, organisations religieuses et même l'Union européenne, ont pu être coupables d'une forme d'aveuglement et de mansuétude pour les adversaires (religieux) de Charlie. Le procès de 2007 contre le journal, intenté par le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), n'a pas conduit à voir les représentants publiques et républicains se lever vent debout pour défendre Charlie. Loin s'en faut !
Lors du procès de 2007, ce qui était demandé par les accusateurs du titre était un respect des croyances religieuses (dit autrement, un délit de blasphème !). Or, ces respects, un journal laïc et satirique au nom de l'impertinence, du rire et de l'engagement contre les idéologies, ne pouvait et ne peut pas l'accepter ! Comme le soulignait lors de sa plaidoirie Richard Malka, l'avocat de Charlie, le magazine d'information satirique s'est en tout temps attaqué aux idéologies religieuses, qu'elles soient chrétiennes, juives ou musulmanes. Or, il démontrait que non seulement l'Islam n'avait pas été – et de loin – la religion la plus moquée mais qu'en outre elle demandait une forme de "régime d'exception"... Inacceptable!
La publication en novembre 2011 du hors-série Charia Hebdo a été marquée par un cran supplémentaire dans la violence à l'encontre du journal : incendies des locaux, piratage de son site Internet, menaces de mort de ses responsables. "Tous Charlie" après ce nouveau coup contre la liberté de la presse ? Pas totalement. Ainsi, à l'époque, tout en condamnant cet attentat et en proclamant le principe de laïcité et de liberté de presse, le premier ministre de l'époque, Jean-Marc Ayrault, mettait en garde contre "tout excès" et en appelant à "l'esprit de responsabilité de chacun". Suivez mon regard...