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mélodies

  • Bouquets de Fauré

    Pour terminer cette année 2024, quoi de mieux que de le faire avec Gabriel Fauré dont nous fêtons les 100 ans de sa mort. Une "Année Fauré", donc, et qui mérite ce Florilège proposé par Indésens. Les enregistrements proposés sur 2 CD s’étalent sur 50 ans, de 1974 à 2024.  

    La première partie de l’album est constituée du Quatuor pour piano et cordes n°2 op. 45 et de la première Sonate pour violon op. 13. Ces œuvres ont été enregistrées entre 2017 et 2024.

    Gabriel Fauré, dont la musique est parfois considérée à tort comme mièvre et trop classique, surprend par sa franche énergie et son audace romantique dans le Quatuor op. 45. L’ensemble constitué par Lauriane Corneille (piano), Hugues Borsarello (violon), Arnaud Thorette (alto) et Raphaël Perraud (violoncelle) restituent de concert la densité de cette pièce de 1886, en particulier l’Allegro molto moderato. La jeunesse, la vivacité et l’audace de l’Allegro molto frappent aux oreilles. On peut aussi parler d’efficacité du langage comme du sens mélodique du compositeur français. Ringard et dépassé, Fauré ? Sûrement pas à l’écoute du troisième mouvement Adagio ma non troppo, mystérieux, raffiné, élégant mais aussi doué d’une singulière modernité avec son piano central dans le quatuor (le jeu inspiré de Lauriane Corneille fait particulièrement merveille). Le finale Allegro molto achève de nous convaincre de l’importance de cette pièce à la fois puissante et lyrique.

    Le premier CD est complété par la Sonate pour violon n°1 op. 13. Elle est jouée ici au violon par Tatiana Samouil, avec David Lively au piano. La gestation de l’œuvre a duré deux ans, de 1875 à 1877, avant de trouver sa forme définitive qui a immédiatement conquis le public. Fauré impose son style fait de recherches mélodiques, d’élégance mais aussi de virtuosité (Allegro molto). Il y a cette délicatesse et cette onctuosité propre à la musique française durant la Belle Époque (le léger et espiègle Andante). Fauré insuffle tout autant une fraîcheur bienvenue dans l’avant-dernier mouvement Allegro vivo avant un finale Allegro quasi presto, enlevé, joyeux et que le duo Tatiana Samouil-David Lively mène avec éclat.  

    De véritables tubes classiques

    La seconde partie de ce double-album de Gabriel Fauré est consacré à des pièces brèves, et pour certaines archi-célèbres. Mettons de côté le Chant funéraire op. 117, tardif (il a été composé en 1921), seul opus religieux de l’album et dont la retenue méditative renvoie à son chef d’œuvre qu’est le Requiem. Le Chant funéraire est ici proposé dans une version  de l’Orchestre d’harmonie des Gardiens de la paix, dirigé par Désiré Dondeyne. Mélodies et Romances dominent ce programme, dans des enregistrements s’étalant sur 50 ans. La harpiste Marie-Pierre Langlament et le violoncelliste Martin Löhr sont les interprètes majoritairement représentés.

    Le terme angliciste de best-of n’est pas galvaudé pour ce qui est un choix de musique de chambre, à telle enseigne que les curieux et curieuses désirant mieux connaître Gabriel Fauré seront bien inspirés de se précipiter sur ce double album, et en particulier sur le second CD passionnant.

    On image l’embarras pour ne pas dire le déchirement des programmateurs dans le choix des pièces. Remarquons cependant que la première Mélodie, op. 7 (Après un rêve), est proposée dans deux versions, l’une avec harpe et violoncelle (Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr), l’autre, plus éclatante, avec trompette et piano (Eric Aubier et Pascal Gallet).

    De véritables tubes classiques sont évidemment présents, que ce soit la troisième Romance sans paroles op. 17, avec Alexandre Gattet au hautbois et le pianiste Laurent Wagschal – que les fidèles de Bla Bla Blog connaissent bien maintenant. Autre pièce majeure, La Sicilienne op. 78, toujours avec Marie-Pierre Langlament à la harpe et Martin Löhr au violoncelle. Citons aussi le léger et gracieux Papillon op. 77. Cette pièce revient plus loin dans une étonnante version pour euphonium (Lilian Meurin) et piano (Victor Metral). N’oublions pas non plus la Fantaisie op. 79 aux allures de danse fantasmagorique, avec Vincent Luca à la flûte et Emmanuel Strosser au piano ou la Romance op. 69 – romantique et mélodieuse à souhait.

    Des Huit pièces brèves op. 84, cinq ont été choisies. Laura Bennett Cameron au basson accompagnée de Roger Boutry au piano en proposent deux, le Caprocioso de la n°1 et l’Improvisation de la n°5, adaptés pour cet instrument à vent séduisant et de plus en plus en vogue. Absolument immanquable ! Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr sont de retour pour la délicate Sérénade op. 98. L’Élégie op. 24 ne pouvait pas ne pas figurer sur l’album. Elle est proposée dans une version pour harpe et violon.

    Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr – encore eux – viennent conclure ce programme avec de nouveau les Romances sans paroles op. 17. Outre le retour de la 3e Romance, Andante moderato, figurent la 1ère Andante quasi allegretto et la 2e Allegro molto. Tout l’esprit de Fauré est là : lignes mélodiques irrésistibles et expressivité tout en retenue.

    Voilà un double-album capital pour découvrir ou redécouvrir la musique de chambre d’un compositeur capital. 

    Gabriel Fauré, Florilèges, Indésens Calliope, 2024
    https://indesenscalliope.com

    Voir aussi : "Bonnes chansons de Fauré"
    "Élégies pour Fauré"
    "Fauré, cent ans après toujours jeune"

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  • Bonnes chansons de Fauré

    En cette année Fauré (le compositeur français est mort en novembre 1924), pour quelques jours encore, il n’est pas trop tard pour s’intéresser à un délicat album du duo formé par Jacques Herbillon, décédé en 2023, et Théodore Paraskivesco. Le regretté baryton et le pianiste franco-roumain proposent un programme de mélodies et de chansons, complétées par L’Horizon chimérique op. 118.

    Ne nous arrêtons pas, dit en substance le livret du disque, sur l’allure bonhomme de Gabriel Fauré et de ses œuvres d’une simplicité parfois austère. En réalité, le caractère bien trempé de l’auteur du célèbre Requiem était notable. Quant à ses mélodies, elles étaient goûtées et chantées avec bonheur dans l’Europe entière, y compris en Belgique, en Allemagne ou Angleterre où l’on s’en délectait particulièrement.

    Voilà pourquoi cet album proposé par  Jacques Herbillon et Théodore Paraskivesco est essentiel. Les deux musiciens mettent un point d’honneur à sortir de dessous les fagots des chansons et des mélodies à la facture musique française bien assumée.

    Le compositeur s’appuie sur les textes d’écrivains parfois connus (Victor Hugo, Paul Verlaine, Théophile Gauthier, Sully Prudhomme, Leconte de Lisle, Villiers de l’Isle Adam), parfois moins (Raymond Bussine, Paul de Choudens, Armand Sylvestre, Victor Wilder, Jean Richepin, Jean de la Ville de Mirmont).

    Les compositions de Fauré et les interprétations de Jacques Herbillon et Théodore Paraskivesco laissent à entendre le raffinement, y compris dans les poèmes les plus sombres (le poignant Au cimetière) et romantiques. Que l’on pense à L’Absent de Victor Hugo ("— Sentiers où l'herbe se balance, / Vallons, coteaux, bois chevelus, / Pourquoi ce deuil et ce silence ? / — Celui qui venait ne vient plus...").

    Le post-romantisme finissant est à l’œuvre dans ces chansons souvent brèves (elles dépassent rarement les trois minutes) et aux titres évocateurs : Aubade, Tristesse, Sylvie, Chanson d’amour. Fauré est un compositeur dont le travail harmonique a pu sembler décalé à la fin de sa vie, avec le surgissement du modernisme en musique. Une considération vite oubliée, tant le travail sur les mélodies continue à impressionner (Après un rêve ou le somptueux Noël). 

    Le travail de Gabriel Fauré sur les mélodies continue à impressionner

    L’auditeur s’arrêtera sur le mystérieux et parnassien poème de Sully Prudhomme, Ici-bas ("Ici-bas tous les hommes pleurent / Leurs amitiés ou leurs amours / Je rêve aux bonheurs qui demeurent / Toujours..."). Fauré le met en musique avec le tact artistique dont il est habitué, sans ostentation. On peut aussi parler de légèreté dans certains morceaux (Chanson d’amour), voire d’onirisme – et parnassien (La Fée aux chansons, Aurore, Le pays des rêves). N’oublions pas non plus l’orientalisme du poème Les Roses d’Ispahan ("Les roses d'Ispahan dans leur gaîne de mousse, / Les jasmins de Mossoul, les fleurs de l'oranger / Ont un parfum moins frais, ont une odeur moins douce, / O blanche Leïlah ! que ton souffle léger...").

    L’un des morceaux phares de ce programme est la mise en musique du Clair de lune de Verlaine, tiré des Fêtes galantes ("Votre âme est un paysage choisi / Que vont charmant masques et bergamasques / Jouant du luth et dansant et quasi / Tristes sous leurs déguisements fantasques..."). Fauré s’approprie les vers du poète français avec la délicatesse, la grâce et la simplicité qu’on lui connaît. Le piano de Thédore Paraskivesco déroule avec la même discrétion, tandis que Jacques Herbillon s’interdit toute effusion et choisit la pudeur et la retenue. Verlaine est encore présent dans ces Mélodies de Fauré avec son fameux Spleen ("Les roses étaient toutes rouges / Et les lierres étaient tout noirs. / Chère, pour peu que tu ne bouges, / Renaissent tous mes désespoirs. / Le ciel était trop bleu, trop tendre, / La mer trop verte et l'air trop doux. / Je crains toujours, - ce qu'est d'attendre ! / Quelque fuite atroce de vous. / Du houx à la feuille vernie / Et du luisant buis je suis las, / Et de la campagne infinie / Et de tout, fors de vous, hélas !").

    Encore et surtout Verlaine avec La Bonne Chanson. Du recueil éponyme du poète parnassien, Fauré en a tiré neuf mélodies. Là encore, les chansons sont courtes (la plus longue fait un peu plus de trois minutes). Le compositeur français a dédié son œuvre à sa maîtresse Emma Bardac. Il est vrai que l’esprit romantique plane sur ces morceaux délicats mais non moins torturés ("J'allais par des chemins perfides, / Douloureusement incertain. / Vos chères mains furent mes guides").

    L’Horizon chimérique op. 118 vient clore cet album émouvant. Émouvant car, en plus d’être un hommage à Gabriel Fauré, il constitue un testament musical de Jacques Herbillon. Ce  cycle de mélodies est constitué de quatre mélodies écrites à la fin de sa vie, sur des poèmes de Jean de la Ville de Mirmont. Fauré fait ici de touchants adieux, avec toujours cette économie de moyens (Je me suis embarqué, Vaisseaux, nous vous aurons aimés). 

    Gabriel Fauré, Mélodies, Jacques Herbillon (baryton) & Thédore Paraskivesco (piano),
    Indésens Calliope, 2024

    https://indesenscalliope.com/boutique/faure-melodies

    Voir aussi : "Élégies pour Fauré"

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  • La Bohême, la Bohême...

    Derrière le titre Deep Forest se cache l’album du Quatuor Akilone consacré à Antonin Dvořák. Les quatre musiciennes ont jeté leur dévolu sur le Quatuor à cordes n°14 en la bémol majeur, B. 193, op. 105 et Les Cyprès B.152, deux œuvres représentatives du compositeur tchèque, en dépit du fait que l’on retienne surtout du compositeur ses célèbres symphonies, dont celle du Nouveau Monde.

    Voilà donc un autre champ de découverte. La patte de Dvořák frappe immédiatement aux oreilles : sens de la mélodie, densité et un  mélange de subtilité et de fougue.  

    Avec Dvořák, on ne s’ennuie jamais, et l’on est d’autant plus séduit par le jeu des quatre concertistes (Magdalena Geka et Élise De-Bendelac au violon, Perrine Guillemot-Munck à l’alto et Lucie Mercat au violoncelle) qui sont allées jusqu’en République tchèque pour s’imprégner de l’atmosphère de ce pays magique.

    C’est toute l’âme du pays qui transparaît dans le Quatuor à cordes n°14, écrit en 1896 aux États-Unis et pensé comme un voyage dépaysant en Bohême (premier mouvement Adagio ma non troppo – Adagio appasionato). Le compositeur a choisi un tempo rapide (Molto vicace) pour le deuxième mouvement. Puisant ses influences dans la tradition musicale tchèque, l’œuvre s’en détache avec bonheur et un certain enthousiasme.

    On ne dira jamais assez que Dvořák a été pour la fin XIXe et le début XXe siècle, un musicien européen phare du classicisme. La preuve avec le troublant et poignant troisième mouvement Lento e molto cantabile, laissant de larges places aux pauses, aux suspensions et aux silences. Le 14e Quatuor se termine par un étrange mouvement, Allegro ma non troppo. Une danse envoûtante, et aussi inquiétante aux entournures (le formidable violoncelle de Lucie Merlat), guide cette dernière partie s’éloignant peu à peu de la nuit pour aller vers l’apaisement, pour ne pas dire la lumière. 

    Une œuvre que le compositeur n’a eu de cesse remaniée tout au long de sa vie

    La deuxième partie du programme est consacrée à une pièce de jeunesse rare de Dvořák. Les Cyprès (Cypřiše) est une œuvre que le compositeur n’a eu de cesse de remanier tout au long de sa vie. Les membres du Quatuor Akilone ne cachent pas leur amour pour cette œuvre peu connue et inspirée de poèmes de Gustav Pfleger Moravský. Ceci explique la présence de ces Cyprès dans leur album, inspirant en outre le titre de l'album et ses forêts profondes. Au passage, impossible de ne pas parler de l’engagement environnemental du quatuor. Sensible à ces questions, il est membre du réseau ARVIVA.

    Dvořák tire 12 mélodies somptueuses pour lesquelles il a toujours eu un attachement singulier. Dans le livret du disque, Tristan Labouret s’interroge d’ailleurs sur cette œuvre tellement aimée du compositeur : "Pourquoi donc cet éternel retour à ce cycle de jeunesse ?" Ce n’est certainement pas l’idée d’un succès commercial puisque Les Cyprès ne seront jamais publiés du vivant du musicien. Pourquoi pas une histoire d’amour – non-réciproque – avec la belle-sœur du compositeur ? Peut-être si l’on en croit les titres de plusieurs mélodies : "Je sais que mon amour pour toi" (Já vím, že v sladké naději), "Quand tes doux regards tombent sur moi" (V té sladké moci očí tvých) ou encore "L'amour ne nous mènera jamais à cette fin heureuse" (Ó, naší lásce nekvete to vytoužené štěstí). Mais la réponse est sans doute est à la fois plus simple et plus personnelle, dit en substance le texte du livret. Dvořák voyait dans Les Cyprès le retour à son enfance, à l’insouciance et à la liberté.

    D’ailleurs, cette légèreté et cette paix est bien transcrite par les quatre musiciennes du quatuor. Le romantisme finissant (Les Cyprès ont été écrits à partir de 1887) donne à ces mélodies une facture immédiatement envoûtante, comme si elles semblaient hors du temps et hors de toute géographie réelle. C’est une forêt transfigurée qui se donne à entendre ("Dans la clairière la plus profonde de la forêt, je me tiens", Zde v lese u potoka). La pureté de ces lignes mélodiques expliquent en même temps qu’elles justifient que Dvořák y ait consacré de longs moments. Le Quatuor Akilone les délivrent avec la même grâce.

    C’est d’autant plus somptueux qu’elles ont été aidées par la superbe prise de son de Ken Yoshida lors de l’enregistrement à l’église de Nanteuil-sur-Marne à l’automne 2023.

    Dvořák, Deep Forest, Quatuor Akilone, Klarthe, 2024 
    https://quatuorakilone.com
    https://www.klarthe.com
    Concerts en France : le 17/12/2024 à Roubaix (59) - Concerts de Poche, le 16/01/2025 à Paris,
    Fondation Singer-Polignac (sur invitation) et le 31/01/2025 à Menetou-Râtel (18)

    Voir aussi : "Hanni Liang et les voix (féminines) du piano"
    "Trio percutant"     
    "Élise Bertrand, ultra moderne romantique"

    Crédit photographique : © Hubert Caldaguès - Photoheart

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